Il était une fois, dans un village de la forêt de Mbangou, un Aveugle, grand et beau, occupait le trottoir de la grand-route conduisant au marché public. Il avait fait de cette place, au pied du badamier, laissant entrevoir la bosse de ses racines, son bureau car il s’y rendait tous les jours, sauf le samedi et le dimanche.
Conscient de son handicap visuel, il n’éprouvait aucun complexe. Dindo comme il s’appelait jouait de la guitare. Chaque passant ou spectateur lui donnait des pièces d’argent qui résonnèrent dans la boîte attachée à son cou, par un fil descendant au niveau de sa poche.
Un jour sa mélodie, à résonance symphonique, attira un Gorille – au nez écrasé, sans protubérance et aux poils abondants d’une belle fourrure noire – qui sortit de la forêt et venait en dansant jusqu’à son lieu d’établissement.
Un cultivateur qui passait avec sa charrette tirée par un bœuf, aux cuisses robustes et aux épaules larges, s’arrêta devant lui et lui offrit un régime mûr de sa cueillette. Les bananes d’un jaune doré furent réceptionnées par le Gorille qui les plaça contre l’arbre sous lequel il donnait sa libre prestation.
Les compositions musicales de l’Aveugle séduisaient les arrêts momentanés des passants qui savouraient ses morceaux et admiraient, à la fois, l’exhibition du Gorille dans une parfaite communion entre un homme et un animal.
Quand les uns lui donnaient de l’argent, les autres lui essuyaient la sueur qui perlait sur son front et ses joues.
A la pause de midi, l’Aveugle et le Gorille s’assirent sur le banc en bois installé à côté du badamier. Dindo demanda au Gorille de lui donner quelques doigts de banane et autorisa aussi à son compagnon de circonstance d’en manger tout en lui réservant une quantité suffisante pour sa chère Nzoumba restée à la maison.
Dans l’après-midi, ils reprirent leur partie musicale; les pièces d’argent résonnaient toujours dans leur chute au contact de la boîte.
Pendant ce temps, le Gorille qui avait apprécié et aimé la succulence des bananes repartit s’asseoir sur le banc, à son insu, car ne le voyant pas et mangea tout le régime. Il prit un sac en polyester, plaça au fond une grosse brique en terre cuite avant le régime pour simuler le poids.
A la fin de leur travail, le Gorille demanda à l’Aveugle de lui payer sa contribution dansante car il voyait comment les passants ne cessaient de jeter dans la boîte des pièces de monnaie. Dindo lui fit la suggestion de l’accompagner à la maison en lui transportant le régime de banane. Une fois arrivés, il pourrait lui donner sa part d’argent.
Cheminant dans la joie d’une bonne prestation dosée d’une curiosité dansante, Nzoumba, l’épouse de l’Aveugle, qui se tenait à la devanture de la parcelle courut vers son mari, l’embrassa à la joue d’un geste rapide et furtif. Elle lui décolla aussitôt la boîte de son cou et rentra dans la maison.
Le Gorille déposa le régime de banane à terre et dit à l’Aveugle de lui donner son argent. Celui-ci lui répondit qu’il n’était plus possible de récupérer la boîte qui se trouvait déjà dans les mains et sous la gestion de sa femme. Il promit de le lui donner le soir quand il irait se laver à la rivière Loukouni, lui priant de l’attendre en bordure du sentier.
L’Aveugle appela sa femme pour venir prendre son colis. Quand elle sortit de la maison, elle ouvrit celui-ci et découvrit, au grand regret, que le régime était dépouillé de sa substance, laissant les épluchures de bananes collées à la tige principale avec une bonne brique en terre cuite. Elle insulta son mari de cette farce qu’il ne comprenait pas. Il répliqua qu’il a été trompé par le Gorille car tous deux ils n’avaient mangé que quelques doigts de banane, à midi. Il retenu sa colère dans sa bouche et n’exprima aucun mot car il préféra gérer sa honte.
Au crépuscule, dans la perte de la lumière et de la clarté du jour, l’Aveugle prit son flambeau allumé et dit à Nzoumba de lui donner un peu d’argent à remettre au Gorille, selon la convenance d’entente de leur prestation commune. Sa femme refusa d’entendre raison à cette demande et à ce partage, car son acte de gloutonnerie ne le plut point.
L’Aveugle partit quand même à la rivière. A sa vue, au lieu de rendez-vous, le Gorille l’interpella et lui rappela les termes de la promesse d’argent. Il lui dit n’avoir pas convaincu sa femme et qu’il était dans l’impossibilité de le payer, lui reprochant d’avoir mangé tout le régime de banane, causant un excès de colère à sa femme.
Une brève discussion éclata entre l’Aveugle et le Gorille. Pour le punir, il lui arracha le flambeau allumé afin de l’égarer sur la piste de la rivière et du chemin de retour à la maison.
L’Aveugle criait et pleurait sans objet pouvant le guider. Le Gorille qui fuyait avec le flambeau, se cogna contre une pierre qui le déséquilibra et se fit brûler les poils de son corps, devenant une torche vivante. Il pleurait en criant, à son tour, et, courut se jeter dans la rivière pour éteindre le feu qui le consumait.
Des hommes de bonne volonté qui connaissaient l’Aveugle le conduisirent chez-lui.
Quant au Gorille, il fut brûlé au deuxième degré.
Depuis ce jour, le Gorille est devenu l’ennemi du feu et prend toujours la fuite à la moindre flamme. Car le mauvais souvenir dans l’amitié du feu est la marque de sa brûlure parfois mortelle.
© Bernard NKOUNKOU
Étiquettes : Aveugle, Cultivateur, Gorille
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