Mali : à quoi joue Sanogo ?

 
Amadou Haya Sanogo est désormais chargé de la réforme de l’armée, mais pas question pour lui d’occuper les seconds rôles… D’ailleurs, le chef des putschistes du 21 mars est convaincu que ses hommes et lui peuvent reprendre le contrôle du Nord. Et tant pis s’ils sont les seuls à y croire.

Il y a comme un air de changement au camp Soundiata Keïta, à Kati. Dans cette ville-garnison située à une quinzaine de kilomètres au nord de Bamako, le poste de commandement de la IIIe région militaire du Mali n’est plus le bâtiment décati qu’il était il y a encore quelques mois.

Torses nus sous un soleil de plomb, une dizaine d’ouvriers tentent de lui redonner vie. Nouvelles peintures, nouvelles fenêtres, nouveaux tapis et même des climatiseurs… C’est là que le Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État (CNRDRE) avait installé son quartier général au lendemain du coup d’État du 21 mars. Aujourd’hui, c’est là que siège le Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité. Le nom a changé, mais le chef, c’est toujours lui : Amadou Haya Sanogo.

En sept mois, il n’a pas jugé bon de prendre du galon. Il est toujours simple capitaine. En revanche, il ne quitte presque plus Kati. « Il se consacre à sa nouvelle mission », affirme un proche. À son entourage, le militaire putschiste a assuré qu’il voulait se faire discret et se concentrer sur un seul objectif : la restructuration de l’armée malienne. Mais le 7 octobre, Radio France Internationale, en divulguant le décret qui le nommait président du Comité militaire de suivi, relançait le débat sur sa mainmise (réelle ou supposée) sur la sphère politique.

Quand il se tait, on le soupçonne de tirer les ficelles, mais quand il parle, on lui reproche de vouloir garder le pouvoir.

« Il en est dépité, raconte un familier du camp de Kati. Quand il se tait, on le soupçonne de tirer les ficelles, mais quand il parle, on lui reproche de vouloir garder le pouvoir. » Le décret, dont Jeune Afrique a obtenu copie, est signé de la main même du président de la République par intérim, Dioncounda Traoré, mais il n’a jamais été publié au Journal officiel. A-t-il une valeur légale ? À Bamako, personne n’en est sûr, mais personne n’oserait le contester. « Le Mali vit dans l’exception depuis le mois de mars, ironise un observateur de la vie politique locale. Alors, promulgué ou non, cela change quoi ? »

Le capitaine Amadou Haya Sanogo s’adressant à la presse, le 1er avril 2012, à Bamako.

© Issouf Sanogo/AFP

Relations tendues avec le Premier ministre

La nomination de Sanogo n’était pourtant pas une surprise. Le 27 juillet, alors que Dioncounda Traoré rentrait au Mali après deux mois de convalescence en France, il s’était présenté sous ce titre aux journalistes présents. Deux jours plus tard, le chef de l’État annonçait, lors de sa première adresse à la nation, la création d’un Haut Conseil d’État (HCE), dont le premier vice-président serait chargé de la réforme de l’armée et des questions du Nord. À l’époque, beaucoup y avaient vu un poste taillé sur mesure pour Sanogo, et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) avait peu apprécié de voir revenir sur le devant de la scène cet homme qu’elle tentait de mettre sur la touche.

Car Sanogo refuse de se laisser oublier. Certes, ses relations avec le Premier ministre ne sont plus au beau fixe. Cheick Modibo Diarra s’est affranchi de la tutelle du jeune militaire et, à Kati, on n’apprécie pas. On l’accuse d’avoir nommé trop de proches de l’ancien président Moussa Traoré (son beau-père) au gouvernement. De ne pas opposer suffisamment de résistance au projet d’intervention militaire de la Cedeao. De se comporter en véritable chef d’État en usant et en abusant de l’avion présidentiel… Le 26 juillet, interrogé par la radio-télévision malienne sur l’éventualité de sa démission, Diarra a achevé de contrarier Sanogo : « Si je dois démissionner, a répondu le chef du gouvernement, à qui je dois remettre ma démission ? » Le chef des putschistes en a été ulcéré. Il ne pardonne pas au Premier ministre d’oublier que c’est à lui qu’il doit sa nomination.

Du coup, il a amorcé un rapprochement avec le président par intérim. L’attaque dont Traoré a été victime, en plein palais présidentiel, a entaché sa réputation, et Sanogo veut y remédier, lui qui accorde tant d’importance à son image, se comparant à de Gaulle et se rêvant en sauveur du pays.

« L’ancien régime a été ce que Pétain a été à la France, et moi je n’ai été que ce que de Gaulle a été pour la France ! » Amadou Haya Sanogo, le 16 septembre

Traoré et lui ont donc fini par trouver un terrain d’entente. À Kati, Sanogo se fait encore appeler « président » mais reconnaît l’autorité du chef de l’État. Il aurait aimé obtenir la tête de Modibo Diarra, mais il n’a pas été entendu. En privé, d’ailleurs, le militaire manifeste volontiers son mécontentement. « Il est très déçu par les politiciens maliens, relate un proche. Mais au moins, il est parvenu à obtenir quelque chose pour les soldats. » À son actif, l’augmentation des primes de mission des militaires, passées de 10 000 à 50 000 F CFA (de 15 à 76 euros). Une mesure qui l’a rendu très populaire auprès de la troupe. « Cela lui permet de tenir l’armée, commente un diplomate ouest-africain en poste à Bamako. Même le chef de l’état-major général nous l’a confié : à Kati, il ne contrôle rien. C’est Sanogo, le chef. »

Si seulement on lui donnait des armes…

Blindés, véhicules de transport de troupes, fusils-mitrailleurs, munitions… Depuis fin juillet, l’armée malienne attend sa cargaison d’armes bloquée en terre guinéenne. La demande officielle d’aide militaire à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le 1er septembre, avait pourtant détendu les relations entre l’organisation sous-régionale et le Mali. L’embargo était censé prendre fin, la Cedeao ayant même réglé les 241 000 dollars de pénalités réclamés par l’armateur turc en dédommagement de l’immobilisation prolongée de son navire. Mais depuis, rien. Le matériel a été déchargé et transféré dans une caserne de Conakry. Dépités, les militaires maliens chargés de faire l’inventaire ont fini par rentrer à Bamako le 11 octobre, après trente-cinq jours passés en Guinée. À Kati, le capitaine Sanogo répète à qui veut l’entendre qu’il suffirait que ces armes lui soient livrées pour que l’armée se lance à la reconquête du Nord. M.G.-B.

Une mainmise qui ne suffit pas à le rassurer. Il est en contact téléphonique régulier avec Dioncounda Traoré, mais ses visites nocturnes au président se font plus rares. C’est trop risqué. Sanogo n’a pas oublié qu’en avril il s’en est fallu de peu quand les Bérets rouges, emmenés par le colonel Abdine Guindo, ont tenté un contre-coup d’État. Il sait aussi que les forces de sécurité sont moins unies que ce qu’il veut bien dire : le 26 septembre, des policiers du Groupement mobile de sécurité (GMS) n’ont-ils pas manifesté leur colère contre leurs collègues – favorables à Sanogo – qui avaient obtenu de l’avancement ?

Son Land Cruiser noir et son armada de gardes sont désormais remisés à Kati, dans ce qu’à Bamako on s’amuse à appeler la « maison la mieux gardée du pays ». Construite spécialement pour lui, non loin de l’entrée du camp, elle offre une vue panoramique sur toute la zone. Elle est protégée par un check point et deux dizaines d’hommes en armes, et dans la cour stationnent des véhicules de transport de troupes de type BRDM et BDM, mais aussi le nez frondeur d’un ZU-23, un canon antiaérien de fabrication soviétique.

Bunker

En attendant la fin des travaux de son bureau, situé à moins de cinq minutes à pied, Sanogo reçoit dans son bunker. Hommes d’affaires, politiciens, associations, courtisans… Le flux des visiteurs n’a pas tari. Les journées sont une succession d’audiences et de réunions avec ses amis et frères d’armes du CNRDRE. Le capitaine Amadou Konaré (ancien porte-parole de la junte), l’adjudant-chef Seyba Diarra, le colonel Youssouf Traoré font toujours partie du cercle rapproché. Ensemble, ils suivent avec intérêt le parcours – semé d’embûches – de la demande d’aide malienne à l’ONU. « Les hésitations de Ban Ki-moon et les atermoiements algériens ne sont pas très bien vus ici », ironise un jeune gradé. Sanogo, lui, est toujours convaincu que l’armée peut reprendre le contrôle du Nord sans déploiement de troupes étrangères au sol. Et les négociations ? « Les politiciens peuvent décider de discuter avec la rébellion touarègue [du Mouvement national pour la libération de l’Azawad, NDLR], pourquoi pas avec les islamistes d’Ansar Eddine ? Mais que fait-on d’Al-Qaïda au Maghreb islamique ? » s’interroge un militaire.

L’ancien chef de la junte ne quitte plus le camp de Kati, mais se dit prêt à partir à la reconquête du Nord.

Amadou Haya Sanogo aime répéter à son entourage que « qui veut la paix prépare la guerre ». Mais serait-il prêt à prendre la tête des opérations militaires, lui qui, avant le coup d’État, avait été instructeur puis professeur d’anglais au camp de Kati ? Bien sûr, affirment ses proches, écartant les objections quant aux capacités réelles de l’armée malienne. « Nous, on veut laver notre honneur et on est prêts à donner notre vie », poursuivent-ils.

À Sévaré (près de Mopti), où sont stationnés près de 2 000 éléments, les gradés affichent le même optimisme. Ils promettent que leurs hommes sont « en alerte rouge » et qu’ils peuvent « intervenir immédiatement ». Mais, sous le couvert de l’anonymat, un colonel explique que « le plus difficile, ce sera de garder et de sécuriser les villes qu’on aura réussi à reprendre. En matière de génie militaire, nos lacunes sont évidentes ».

Encore faudrait-il que les militaires puissent reconquérir les positions perdues. Car en plus d’être mal formée, l’armée est mal équipée, peu disciplinée et en proie à des conflits d’intérêt. Elle pourra difficilement compter sur le soutien des milices, dont certaines (c’est le cas de Ganda Izo, à Sévaré) sont déjà infiltrées par le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao). La guerre, pourrait-on rétorquer à Sanogo, cela ne s’improvise pas.

Jeuneafrique.com par Malika Groga-Bada, avec Baba Ahmed à Bamako

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