Il y a dix ans, l’Assemblée générale des Nations unies m’élisait au poste de secrétaire général.
Quelques semaines auparavant, au terme de deux guerres, de laborieux pourparlers et d’accords de paix, la RD Congo avait organisé, avec le soutien de l’ONU, ses premières élections libres depuis les années 1960. Après les affres de la guerre, faisant des millions de morts et de déplacés et laissant un tissu économique en lambeaux, l’État se dotait, en cette année 2006, d’institutions légitimes pour relever les défis de la stabilité et du développement.
Un vent nouveau, mêlé d’espoir et de fierté, soufflait sur le pays. Je pus m’en rendre compte en janvier 2007, quelques jours après mon entrée en fonction. Car c’est en RD Congo que j’effectuai mon premier voyage officiel en ma qualité de secrétaire général.
Pendant dix ans, j’ai été le témoin privilégié des progrès réalisés par le pays. Le débat politique s’est plus souvent effectué dans l’espace public que sur le terrain militaire. Les violations massives des droits de l’homme ont connu un net recul. La machine économique a redémarré. Mais, au fil des visites, j’ai aussi mesuré l’ampleur des défis persistant. Celui de l’instauration d’un État de droit, celui de la consolidation d’institutions démocratiques, celui de la promotion et du respect des droits de l’homme ou encore celui de l’amélioration des relations entre la RD Congo et ses voisins.
En cette année 2016, censée marquer la fin du deuxième et dernier mandat du président Joseph Kabila, tous ces enjeux sont devenus plus que jamais décisifs. La crise politique causée par le report des élections présidentielle et législatives prévues en novembre 2016 menace de compliquer davantage les défis à relever et de remettre en cause les progrès enregistrés depuis dix ans.
Plus grave, des tendances longtemps positives s’inversent. Les allégations de violations des droits de l’homme, notamment des droits civils et politiques, sont de nouveau en hausse. Dans certaines zones du Nord-Kivu, les activités des groupes armés sont en recrudescence. Ailleurs, de nouveaux foyers de tension entre communautés voient le jour. Les risques d’instrumentalisation politique sont réels. Celui d’un retour à de grandes violences aussi, d’autant que les positions des acteurs politiques se radicalisent.
Au moment où je quitte l’ONU, en RD Congo, l’espoir d’il y a dix ans a cédé le pas à l’appréhension. Mais il n’est pas trop tard pour préserver la stabilité. Trois conditions doivent être remplies.
- Les acteurs politiques congolais doivent d’abord parvenir à un consensus négocié sur la tenue des élections et sur la période transitoire devant y mener. C’est à eux seuls qu’incombe cette responsabilité historique. Ils doivent faire le choix du dialogue et décider des étapes vers l’élection de nouveaux dirigeants, dans le respect de l’esprit et de la lettre de la Constitution.
- Ensuite, des élections libres et crédibles doivent avoir lieu dans les meilleurs délais, conformément à un calendrier électoral qu’il faudra respecter scrupuleusement. C’est au peuple congolais que revient le droit de choisir ses dirigeants. Rien ni personne ne devrait l’en priver, ainsi que le stipule la Constitution.
- Enfin, au cœur du processus politique et électoral, la promotion et la protection des droits de l’homme doivent demeurer des objectifs essentiels. L’État doit y veiller, et tous les Congolais doivent en bénéficier, quelle que soit leur affiliation politique. Cela implique le respect de leur liberté d’expression et de réunion pacifique, conformément, une fois encore, à la Constitution.
C’est à ces trois conditions que la RD Congo préservera les gains si précieux mais toujours fragiles qu’elle a réalisés ces dernières années. Des gains que seul un dialogue inclusif – et non la violence – pourra garantir, car, ainsi que le dit la sagesse congolaise, « celui qui transporte des œufs ne se bagarre pas ».
Jeuneafrique.com par Ban ki Moon, ancien secrétaire général de l’ONU
Étiquettes : Ban Ki Moon, Corée du sud, RDC
janvier 4, 2017 à 9:54 |
Dossier encore épineux