QUESTIONS NETTES – Le PDG de Facebook fait régulièrement l’objet d’attaques très médiatisées, bien davantage que d’autres dirigeants de la Silicon Valley. Pourquoi tant de haine?
Mark Zuckerberg au Congrès américain, jeudi soir CHIP SOMODEVILLA/AFP
Le Congrès américain voulait-il des réponses de la part de Mark Zuckerberg, ou voulait-il le faire craquer devant les caméras? Mercredi, le PDG de Facebook a été auditionné, pour la deuxième fois de sa carrière, par des représentants américains. Officiellement, le sujet était de débattre des limites et dangers du libra, le projet de monnaie virtuelle porté par son entreprise. Mais, dans les faits, la session, longue de presque six heures, s’est transformée en un pugilat médiatique. Les hommes et les femmes politiques présents se sont fait un malin plaisir de confronter Mark Zuckerberg à toutes ses erreurs. Les médias ont célébré ceux et celles qui sont parvenus à «marcher» sur le PDG de Facebook, à l’«allumer» ou à l’«étriper». Sur les réseaux sociaux, les meilleurs moments de l’audition ont été découpés en de courtes vidéos, partagés en masse par des internautes ravis de voir Mark Zuckerberg ainsi attaqué. Mais, finalement, pas tant acculé que cela. Le PDG de Facebook est resté impassible, et même confiant, durant toute l’audition, évacuant les questions les plus gênantes par son sempiternel «mon équipe reviendra vers vous», une astuce déjà largement utilisée lors de sa première audition devant le Congrès, en 2018. Et il a, au final, assez peu parlé du libra.
Pourquoi aimons-nous tant détester Mark Zuckerberg? Parmi ses confrères PDG et fondateurs de la Silicon Valley – tels Tim Cook (Apple), Sundar Pichai (Google) ou Jeff Bezos (Amazon) -, il est celui qui attire le plus la vindicte populaire, médiatique, et l’obsession tout court, positive comme négative. D’un côté, des internautes s’extasient devant l’entrepreneur brillant, lui consacrent des dessins et des poèmes, suivent religieusement tous ses posts en ligne. De l’autre, c’est Mark Zuckerberg qui, en 2018, a fait la une du magazine Wired , le visage modifié pour lui donner un œil au beurre noir et des hématomes, comme si on l’avait frappé. Lui que l’on compare à un robot, à un alien, dont on se moque parce qu’il a du mal à boire à la bouteille et parce que sa coupe de cheveux est ridicule. Lui que l’on accuse, personnellement, de censurer nos propos, de nous espionner, de revendre nos données, de détruire nos démocraties.
Le pouvoir d’un chef d’État
La colère est en partie justifiée. Mark Zuckerberg a bâti un modèle économique fondé sur notre dépendance à ses services. Ce système est à l’origine des incroyables performances financières de son entreprise. Il a aussi permis à des milliards de personnes dans le monde de communiquer et d’échanger comme elles ne l’avaient jamais fait jusqu’alors. Dans certains pays, Facebook et ses applications sont les principales, voire les uniques, portes d’entrée vers Internet, donnant accès à des services indispensables au quotidien.
Parallèlement, c’est ce même modèle qui a facilité l’exploitation de notre intimité à des fins frauduleuses, pour nous vendre des produits ou, plus grave, nous manipuler avant une élection. Des affaires récentes, à commencer par celle de Cambridge Analytica, ont réveillé le grand public quant aux dangers potentiels de cette économie en ligne dont nous faisons tous partis, mais que nous connaissons finalement très mal. Facebook est loin d’être le secteur acteur en cause. Des entreprises très connues (Google, Amazon, etc.) comme bien plus discrètes (en témoigne la très puissante, mais presque invisible, économie des data brokers) participent toutes à ce système avec leurs propres activités. Pourtant, c’est bien Mark Zuckerberg qui semble incarner à lui seul tous les péchés des géants du numérique. «Il s’agit d’un véritable moment culturel pour nous, non pas en tant que politiciens, mais en tant qu’Américains, commentait jeudi le représentant Républicain Patrick McHenry, en préambule de l’audition de MarK Zuckerberg. Il s’agit de cette angoisse de devoir consulter notre smartphone tout le temps, toute la journée (…) Il y a beaucoup de colère, et elle se retourne contre les architectes de ce système. Voilà pourquoi vous êtes là, M. Zuckerberg. Vous êtes l’un des titans de ce que l’on appelle l’ère numérique.»
Mark Zuckerberg a bien conscience de son rôle à part. Il ne cherche pas à se cacher ou à se mettre en retrait de la vie publique, comme ont pu le faire avant lui Bill Gates, Larry Page ou Sergey Brin, respectivement fondateur de Microsoft et de Google. Lorsqu‘Elizabeth Warren, candidate à l’élection présidentielle américaine, appelle au démantèlement des géants du numérique, elle vise donc le très médiatique PDG de Facebook. Et Mark Zuckerberg répond ensuite, dans un discours public, qu’il «comprend les inquiétudes sur le pouvoir centralisé des plateformes en ligne», devenant le porte-parole et le défenseur de la vaste et complexe industrie du numérique. Parlant aussi comme un homme d’État, capable d’imposer sa vision de la liberté d’expression, comme de se poser en rempart contre Pékin, sa censure et la puissance des entreprises chinoises dans le monde. En 2017, il y a quelques éternités, on prêtait à Mark Zuckerberg l’envie de devenir président des États-Unis. Force est de constater qu’il n’a pas besoin de la fonction pour profiter d’un immense pouvoir.
Problème d’image excepté, les attaques médiatiques contre Mark Zuckerberg sont, pour l’instant, des problèmes mineurs pour son entreprise. Facebook se porte mieux que jamais. Ses revenus augmentent, ses profits aussi, et le réseau social, né il y a quinze ans, continue à recruter des nouveaux utilisateurs chaque trimestre. Rien qu’en 2019, la société a dévoilé le projet libra, a lancé une application de rencontres amoureuses, a présenté des nouveaux modèles de Portal, son écran connecté pour la maison. Dans le même temps, les appels au démantèlement, les projets de lois et les enquêtes se multiplient aux États-Unis. Voilà le vrai danger pour les grandes plateformes en ligne, qui lutteront âprement, comme elles l’ont déjà fait en Europe, contre toutes tentatives de limiter leurs activités. En attendant, Mark Zuckerberg peut bien se payer le luxe d’être l’objet de vidéos railleuses sur les réseaux sociaux. On peut se réjouir de la colère des politiciens. On peut aussi craindre leur impuissance.
Le Figaro.fr par Lucie Ronfaut
Étiquettes : Etats-Unis, Facebook, Mark Zuckerberg, silicon valley
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