L’image peut déranger. En effet, l’idée voulant que la sexualité s’arrête à un certain âge est tenace dans la société. Peut-être parce que, penser à la sexualité des personnes âgées, c’est penser à ses parents, à des corps qui flétrissent ou encore à la fatigue et à la maladie. Peut-être aussi simplement parce qu’on n’en parle pas, ou si peu.
Pourtant, c’est une réalité et il faut la démystifier, clame Marion Bertrand-Huot, qui lance ce lundi le projet « On existe. Ça existe » avec l’organisme Les 3 sex*, qui milite pour l’amélioration de la santé et des droits sexuels. Une vingtaine de capsules vidéo de moins d’une minute et demie — mettant en scène des personnes de 55 ans et plus issues de la diversité sexuelle et de genre, racontant leur sexualité, confiant leurs peurs et plaisantant sur leurs expériences — seront diffusées, jusqu’au mois d’avril, sur le site Web de l’organisme et sur les réseaux sociaux.
« L’objectif, c’est de changer les perceptions et les mentalités. Et de marteler le message que la sexualité continue d’exister quand on est une personne aînée et qu’il faut s’y intéresser », explique Marion Bertrand-Huot.
On y voit par exemple Chloé Viau, une personne trans lesbienne, témoigner du fait que sa sexualité se porte aujourd’hui « mieux, même beaucoup mieux ». Même si elle a parfois des doutes, parce que son corps change et vieillit. « C’est toujours difficile de penser qu’on peut être désirée. »
Denis, 70 ans, raconte que « le désir reste jusqu’à la mort ». Diane, 72 ans, affirme avoir besoin de sexe « pour être équilibrée physiquement et mentalement ». « J’ai la santé […] Quand t’es en santé, t’as le goût de baiser. »
Hélène, 63 ans, décrit ses fantasmes. Et Royal nous apprend qu’à 74 ans, il connaît encore des « matins glorieux ».
Parce que voilà, être une personne âgée et vouloir vivre sa sexualité, c’est souvent devoir lutter pour préserver son intimité. Dans une résidence pour personnes âgées, les portes de chambres ne se ferment pas à clé. Les préposés entrent sans cogner, ou en cognant et en entrant d’un même geste. Les visites sont interdites après le couvre-feu. Et les enfants sont mis au courant lorsque leur parent développe une relation avec un autre résident. Tout pour nuire à l’épanouissement sexuel des aînés, voire les décourager, croit Marion Bertrand-Huot. « Il y aurait sûrement moyen de trouver un système qui serait sécuritaire pour les aînés, mais sans passer outre leur intimité », estime-t-elle.
L’existence du tabou à l’égard de la sexualité des aînés conduit également à des problèmes de santé publique, déplore la sexologue. « Les médecins ne leur demandent plus s’ils sont actifs sexuellement. » Exit donc les tests de dépistage des infections transmissibles sexuellement et par le sang et les notions d’éducation à la sexualité. « Beaucoup de personnes âgées croient qu’elles n’ont pas besoin de se protéger. » Les cas de gonorrhée, de chlamydia et de syphilis sont conséquemment en hausse chez les aînés.
Vivre sa sexualité longtemps, ça implique également de l’entretenir et d’accepter qu’elle évolue au fil des ans. « Il faut pouvoir adapter sa sexualité à certains impératifs physiques et élargir ses horizons », suggère Marion Bertrand-Huot.
Car la sexualité, c’est aussi la tendresse. « Ça peut être s’embrasser, s’enlacer », souligne Chloé Viau. « On peut être seule et avoir une sexualité. On peut être deux et avoir une sexualité. »
Et pour certaines femmes issues d’une génération où le plaisir était tabou, la sexualité au troisième âge, c’est enfin la découverte du temps qui s’étire, des caresses moins furtives et d’une sensualité décomplexée. « Puisqu’il n’y a plus l’impératif de la pénétration, pour plusieurs femmes, ça ouvre un nouvel univers », avance Marion Bertrand-Huot.
Dans les capsules vidéos, la sexologue a décidé de braquer les projecteurs sur les aînés issus de la communauté LGBTQ+, puisque ceux-ci vivent une double discrimination, mais les capsules visent un public plus large. « Habituellement, on fait des messages en prenant des personnes hétérosexuelles et en disant qu’ils sont pour tous. Là, on a décidé de faire l’inverse, en faisant une campagne avec des membres de la communauté LGBTQ+, mais qui s’adresse à tout le monde. »
Malgré les démarches, répétées et étirées dans le temps, la sexologue n’a pas réussi à trouver des représentants des communautés culturelles acceptant de témoigner devant la caméra. Une des capsules vidéo met donc en scène une chaise vide. « Ce n’est pas tout le monde qui s’identifie aux concepts occidentaux de diversité sexuelle. Ce n’est pas tout le monde qui veut ou qui peut parler de sexualité ouvertement », peut-on lire à l’écran.
Le Devoir.com par Magdaline Boutros
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