Canada: Québec paie pour récupérer des masques sans savoir si c’est bon pour l’environnement

Le gouvernement Legault n’a pas l’intention de vérifier les procédés des entreprises de récupération qui recevront des millions de dollars de fonds publics pour traiter les masques chirurgicaux utilisés dans les écoles du Québec.

Quelque 85 millions de masques de procédure seront distribués aux élèves du secondaire au cours des prochains mois au Québec (archives).

© Harry Wedzinga/getty images/istockphoto Quelque 85 millions de masques de procédure seront distribués aux élèves du secondaire au cours des prochains mois au Québec (archives).

Depuis la rentrée de janvier, chaque élève du secondaire reçoit deux masques chirurgicaux par jour. On évalue à 85 millions le nombre de masques jetables qui seront distribués dans le réseau scolaire d’ici la fin des classes. L’opposition libérale à Québec s’attend à ce que leur récupération coûte environ 30 millions de dollars.

Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a récemment indiqué que les dépenses encourues par les centres de services scolaires pour récupérer les masques jetables des élèves seraient remboursées. Pour les aider à choisir l’entreprise avec qui ils feront affaire, le Ministère leur a remis une liste des récupérateurs préparée par Recyc-Québec.

Le document répertorie quatre entreprises offrant un service de récupération des masques et autres équipements de protection individuelle (ÉPI). Il est basé sur les informations fournies par les récupérateurs au 16 décembre 2020. Recyc-Québec précise que sa liste «ne constitue pas un avis, une recommandation ou une quelconque garantie de [sa] part».

La compagnie TerraCycle, qui vend des boîtes servant à collecter les masques jetables, fait partie des récupérateurs recensés par Recyc-Québec (archives).

© /Radio-Canada La compagnie TerraCycle, qui vend des boîtes servant à collecter les masques jetables, fait partie des récupérateurs recensés par Recyc-Québec (archives).

Deux entreprises, l’Américaine TerraCycle et la Québécoise MedSup affirment recycler les différents éléments qui composent les masques (élastique, barrette nasale, tissu, etc.). TerraCycle trie les masques à Fergus, en Ontario, et les recycle en Illinois, tandis que MedSup effectue l’ensemble de ses opérations au Québec.

De leur côté, les compagnies Sanexen et Multirecycle, toutes deux québécoises, envoient les masques à Niagara Falls, dans l’État de New York, où ils sont incinérés afin de générer de la vapeur et de l’énergie. Ce mode de récupération, appelé valorisation énergétique, n’est pas considéré comme du recyclage.

Aucune vérification

Les informations fournies par les récupérateurs n’ont fait l’objet d’aucune vérification de la part de Recyc-Québec ou d’un tiers indépendant. Il en va ainsi des procédés qu’ils emploient. Impossible, donc, de connaître leur impact environnemental.

Le directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets (FCQGED), Karel Ménard, soutient que certaines méthodes de récupération peuvent avoir des impacts négatifs sur l’environnement. L’incinération de masques, par exemple, peut entraîner le rejet de dioxines et de furanes, des substances «extrêmement nocives pour l’homme et persistantes dans l’environnement ».

«Ce n’est pas parce qu’on récupère l’énergie que c’est bon pour l’environnement […] C’est malheureux à dire, mais souvent, l’enfouissement du masque, purement et simplement, est peut-être la meilleure des options, et certainement la moins chère également », fait valoir M. Ménard.

Selon Karel Ménard (photo) et le FCQGED, le remboursement des coûts liés à la récupération des masques dans les écoles devrait être conditionnel à leur recyclage au Québec.

© /Radio-Canada Selon Karel Ménard (photo) et le FCQGED, le remboursement des coûts liés à la récupération des masques dans les écoles devrait être conditionnel à leur recyclage au Québec.

C’est sans compter l’empreinte carbone associée au transport par camion, sur des centaines de kilomètres, des masques qui sont envoyés en Ontario ou aux États-Unis pour y être traités.

Karel Ménard mentionne qu’il est souvent difficile d’obtenir auprès des entreprises les informations permettant d’assurer la traçabilité des matières récupérées, telles que l’endroit où elles sont envoyées et les procédés utilisés.

Pas dans le mandat de Recyc-Québec

Recyc-Québec affirme qu’elle peut difficilement émettre des recommandations sans analyse du cycle de vie des matières recyclées, un exercice qui «permettrait d’établir un diagnostic complet, scientifique et neutre sur les procédés de ces entreprises ».

«Nous n’avons pas le mandat ni les leviers d’intervention pour auditer les informations des entreprises de récupération. De plus, vu le contexte COVID, aucune visite des installations n’était possible », indique la société d’État dans un courriel à Radio-Canada.

Depuis le retour du congé des Fêtes, les élèves du secondaire reçoivent deux masques chirurgicaux par jour au Québec (archives).

© Josée Ducharme/Radio-Canada Depuis le retour du congé des Fêtes, les élèves du secondaire reçoivent deux masques chirurgicaux par jour au Québec (archives).

Elle maintient les recommandations adoptées au début de la pandémie, soit «d’opter pour des masques réutilisables lorsque cela est permis et recommandé par la santé publique » et de ne jamais déposer les masques et autres ÉPI dans les bacs de récupération ou dans l’environnement.

En se fiant uniquement aux informations fournies par les entreprises, Recyc-Québec risque de partager des renseignements inexacts à la population.

Le quotidien La Voix de l’Est a rapporté le week-end dernier que contrairement à ce qui est écrit dans le guide gouvernemental, MedSup n’est pas encore en mesure de recycler le polypropylène qu’on retrouve dans les masques de procédure.

Confusion

La porte-parole de Québec solidaire en matière d’environnement, Ruba Ghazal, croit que même s’il n’est pas présenté comme un avis ou une recommandation, le guide de Recyc-Québec porte à confusion.

«C’est sûr que n’importe qui qui voit ça dit, bien, le gouvernement nous dit que ces entreprises-là font un bon travail et on les a choisies pour vous », fait valoir la députée de Mercier.

La députée solidaire Ruba Ghazal parraine une pétition demandant au gouvernement de mettre en place une solution écoresponsable pour le recyclage des masques jetables.

© /Radio-Canada La députée solidaire Ruba Ghazal parraine une pétition demandant au gouvernement de mettre en place une solution écoresponsable pour le recyclage des masques jetables.

Elle s’inquiète que des fonds publics soient utilisés pour recourir à des services de récupération qui n’ont pas été validés par Recyc-Québec.

Au lieu de dépenser des dizaines de millions de dollars pour récupérer les masques jetables, le gouvernement devrait investir dans l’homologation d’un masque réutilisable qui serait produit au Québec, croit Ruba Ghazal. Cette solution aurait l’avantage d’être écologique et locale.

Karel Ménard abonde dans le même sens. «Si on avait un masque réutilisable et qu’on en donnait aux étudiants, ce serait un méchant beau message sur le plan environnemental, beaucoup plus que ce qu’on est en train de faire actuellement », avance-t-il.

Pas de compromis sur la santé et la sécurité

Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, tient pour sa part à rappeler que «nous sommes dans une crise sanitaire sans précédent » et que l’utilisation des masques chirurgicaux dans différents secteurs, notamment en éducation, découle d’une recommandation de la santé publique.

«C’est une question de santé et de sécurité pour tous, alors on ne peut pas faire de compromis », affirme le ministre dans une déclaration écrite transmise à Radio-Canada.

Il souligne l’attitude «proactive» de Recyc-Québec depuis le début de la pandémie. Le document qui recense les entreprises faisant la récupération de masques «a été fait de bonne foi avec les informations qui ont été transmises lors des vérifications ».

«[Recyc-Québec] a travaillé en collaboration avec le ministère de l’Éducation pour développer des mesures adaptées au milieu scolaire », précise Benoit Charette.

Le ministre ajoute que l’organisme «poursuit ses démarches pour ajouter d’autres éventuelles solutions de récupération à la liste ».

Avec Radio-Canada par  Louis Gagné 

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