Depuis le début de novembre, l’Institut national de la santé publique (INSPQ) rapporte que plus de 3900 milieux de travail au Québec ont connu une éclosion de COVID-19. Avec une moyenne de 5,2 cas par éclosion, il y a donc eu plus de 20 000 travailleurs qui ont été infectés par le virus en trois mois.
© Alexandre Courtemanche/Radio-Canada Une cliente devant un comptoir d’alimentation, derrière lequel une employée la sert.
En ce moment, plus de 40 % des éclosions sont dans les milieux de travail. Cette proportion diminue depuis deux semaines, puisque le nombre d’éclosions commence à remonter dans les écoles depuis leur réouverture après les Fêtes.
Mais le nombre d’éclosions dans les milieux de travail ne cesse d’augmenter. Début novembre, il y avait 372 milieux de travail qui subissaient une éclosion, avec 1943 cas actifs confirmés. Selon les dernières données de l’INSPQ disponibles, au cours de la deuxième semaine de janvier, il y en avait près du double, soit 670 milieux de travail qui avaient une éclosion avec 3428 cas actifs associés à ces éclosions.
«C’est très diversifié, mais beaucoup de secteurs n’ont pas d’enjeux», indique Véronique Proulx, présidente-directrice générale de Manufacturiers et Exportateurs du Québec, soulignant que les données du gouvernement démontrent que certains secteurs sont moins touchés que d’autres.
Depuis juin, ce sont les commerces de détail (879 éclosions) et les industries manufacturières (850 éclosions) qui ont été les plus touchées par des éclosions.
Dans près de 75 % des cas, il y a moins de cinq cas par éclosion. Environ 10 % des éclosions rapportées dans les milieux de travail comportent plus de 10 cas. Depuis le début de la pandémie, 70 établissements ont eu une éclosion comptant plus de 20 cas, dont sept pendant la deuxième semaine de janvier.
Depuis le mois de juin, il y a eu près de 1000 éclosions dans des milieux de travail montréalais, suivis de la Montérégie avec 513 éclosions, de la Capitale-Nationale (408) et de la Mauricie-Centre-du-Québec (339).
La situation en ce moment
Au cours de la deuxième semaine de janvier, quelque 28 nouvelles éclosions et plus de 1100 nouveaux cas ont été recensés dans des milieux de travail. Plus de la moitié des éclosions actives pendant cette semaine comptaient trois cas et plus.
C’est dans les industries manufacturières qu’il y a en ce moment le plus de milieux en situation d’éclosion, particulièrement dans l’industrie de la première transformation des métaux, du papier, de la fabrication de matériel de transport et des produits en plastique.
Toutefois, c’est dans les commerces de détail qu’il y a le plus de cas en ce moment (846), particulièrement dans les épiceries-boucheries, les pharmacies, les dépanneurs et les magasins de marchandises diverses (grandes surfaces, magasins à bas prix). Le secteur de l’industrie des aliments se trouve au deuxième rang avec 657 cas. Il faut rappeler que, malgré le confinement en cours, ces deux secteurs sont considérés comme essentiels.
On remarque aussi une hausse des éclosions dans des centres de distribution des grandes chaînes de meubles, de vêtements et de chaussures, ainsi que dans les commerces ouverts pour cueillette à la porte.
L’augmentation du nombre de milieux et de cas semble toutefois ralentir dans le secteur de l’abattage et du conditionnement de la viande, qui avait été durement frappé au début de la pandémie.
Au cours de la deuxième semaine de janvier, on remarque que les éclosions dans le milieu de la construction augmentent surtout chez les entrepreneurs généraux. On en compte 21 avec un total de 50 cas.
La transmission communautaire montrée du doigt
© Michel Aspirot/Radio-Canada Un employé de la construction
Selon Marie-France Raynault, chef du Département de santé publique et médecine préventive du CHUM à Montréal, et Véronique Proulx des Manufacturiers et Exportateurs du Québec, un grand nombre de travailleurs infectés ne l’ont toutefois pas été dans le cadre de leurs fonctions.
«On a une transmission communautaire très soutenue. Les éclosions dans les rassemblements privés sont souvent non détectées», explique Mme Raynault.
Le même constat avait été fait plus tôt à l’automne, lorsque le gouvernement du Québec avait indiqué que de nombreux travailleurs de la santé semblaient avoir été infectés par des collègues, mais hors du cadre de leur travail.
«Ce qu’on voit dans les commerces, dans le réseau de la santé et dans le réseau scolaire, [c’est que] les gens se protègent bien contre le public, contre les patients, mais pendant leur pause, ils enlèvent leur masque, ils mangent ensemble, ils ne sont pas à deux mètres. Il y a du covoiturage sans masque, on jase à proximité dans les vestiaires. C’est là qu’on voit les éclosions…», dit Mme Raynault.
Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, soulève aussi le fait que certaines entreprises ont un comportement qui n’est pas sans risque du fait qu’elles peuvent elles-mêmes définir ce qui est un travail essentiel.
«C’est sujet à l’interprétation. Est-ce que refaire la salle de bain de quelqu’un est essentiel? Ça dépend où en sont les travaux, dit-elle en guise d’exemple. Mais certains entrepreneurs vont dire que leur travail est essentiel pour ne pas perdre de contrats.»
Mais en continuant de rentrer au travail, les risques de propagation du virus augmentent, rappelle-t-elle.
Qu’est-ce qui a contribué à ces éclosions?
Jessica Dubé, de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail, étudie présentement comment les entreprises de transformation alimentaire, qui ont été durement touchées par des éclosions, se sont adaptées au contexte de pandémie.
Outre l’absence de mesures de prévention adéquates, il y a plusieurs facteurs qui augmentent les risques d’éclosion dans un milieu de travail :
- une grande densité de travailleurs;
- un roulement de personnel élevé;
- des travailleurs qui se déplacent d’un milieu de travail à l’autre;
- le covoiturage ou le transport de groupe pour se rendre au travail;
- l’absence de communication dans différentes langues ou de pictogrammes et illustrations sur les mesures sanitaires.
Le secteur alimentaire a été particulièrement touché, note-t-elle, parce qu’il est difficile de modifier la façon de travailler sans interrompre la production.
«Ils ont des restrictions par rapport à la grandeur du bâtiment, à la disposition des machines. Ils ne peuvent pas les bouger comme ils veulent. On sait comment installer un plexiglas, mais la réalité n’est pas si simple que ça», dit-elle, en ajoutant que de nombreuses entreprises ont multiplié les quarts de travail pour réduire le nombre de travailleurs présents, tout en maintenant la cadence de production.
D’un autre côté, elle dit que certaines industries et manufactures avaient déjà de strictes mesures de sécurité en place, ce qui a probablement réduit les risques de transmission.
Elle ajoute que dans les industries où l’automatisation est très présente, la distanciation n’est pas un grand enjeu. «Il n’y a pas tant de travailleurs au pied carré, souligne-t-elle. Ce n’est pas comme dans un abattoir.»
Des milliers d’inspections, peu de contraventions
Bien qu’il y ait de plus en plus d’éclosions dans les milieux de travail, la CNESST soutient qu’elle a intensifié ses interventions au cours des derniers mois. Plus de 17 000 interventions ont été faites et 11 347 avis de correction ont été émis.
Parmi ces interventions, plus de 5600 ont été faites dans le secteur de la construction après avoir reçu plus de 1000 plaintes.
Entre le 13 mars 2020 et le 22 janvier 2021, la CNESST a remis 86 constats d’infraction (entre 1752 $ et 3502 $) pour non-respect des mesures de prévention dans les milieux de travail, dont :
- 30 dans des commerces;
- 23 dans le secteur de la construction;
- 17 dans le secteur alimentaire;
- 8 dans le secteur de la santé.
La CNESST a fermé temporairement deux établissements et 23 chantiers de construction pour le non-respect des mesures de prévention.
Roxane Borgès Da Silva croit qu’il faudrait envoyer encore plus d’inspecteurs dans les entreprises et les industries. Trop souvent, les «masques tombent quand les portes sont fermées», dit-elle.
Véronique Proulx confirme qu’en temps de pandémie, il n’y a pas de place pour le non-respect des consignes sanitaires et que les employeurs doivent envoyer un message clair aux employés : une infection, même contractée ailleurs qu’au travail, a un impact direct sur l’entreprise.
Cependant, la PDG des Manufacturiers et Exportateurs du Québec aurait aimé que le gouvernement accompagne davantage les entreprises, plutôt que d’avoir à recourir aux mesures punitives.
Mme Raynault est d’accord : de nombreuses entreprises suivent les règles à la lettre. Pourquoi pénaliser tout un secteur pour une entreprise qui ne respecte pas les mesures? «S’il y a des gens qui roulent à 160 km/h sur l’autoroute, on ne fermera pas l’autoroute pour tous», plaide-t-elle
Utiliser des tests rapides en entreprise?
© Robert Short/CBC Un test de dépistage rapide
Mme Proulx et Mme Da Silva croient que les entreprises devraient avoir accès à des tests rapides pour réduire les risques d’éclosion et permettre à plus d’entreprises de poursuivre ou de reprendre leurs activités.
Roxane Borgès Da Silva souligne que le bénéfice économique à tirer de cette approche est évident. «Quand le test coûte 10 $, même si on fait un test aux deux jours, c’est moins cher que de fermer la compagnie à cause d’une éclosion.»
Un bémol, cependant : même si plusieurs tests rapides sont déjà approuvés par Santé Canada, une entreprise ne peut pas simplement passer une commande pour en obtenir, explique Benoit Larose, vice-président de Medtech Canada, l’association de l’industrie canadienne des technologies médicales.
Pour l’instant, la majorité des provinces au Canada exigent qu’une personne ayant une formation médicale effectue les tests. Mais comme le souligne M. Larose, «il n’y a rien qui empêcherait une grande entreprise qui a déjà un service de santé sur place et des infirmières de les former pour administrer les tests rapides».
Seul l’Ontario a annoncé que les entreprises, industries et manufactures pourraient acheter des tests rapides auprès du gouvernement. Déjà, plus de 20 000 tests rapides ont été faits dans des industries comme Air Canada, Magna, Ontario Power et Toyota.
C’est pourquoi certains entrepreneurs se sont regroupés pour demander au gouvernement d’autoriser la vente de tests rapides directement aux entreprises, dit Sandy White, cofondateur de la coalition Tests Rapides Canada.
«Puisque le gouvernement fédéral a acheté presque tout le stock des tests rapides, c’est presque impossible de les avoir pour des compagnies ou des citoyens», se désole-t-il. Cet entrepreneur montréalais de l’immobilier et de l’hôtellerie ajoute que plusieurs industries et entreprises seraient prêtes à payer elles-mêmes pour effectuer ce dépistage à grande échelle.
«C’est un outil de plus, avec les masques, avec la distanciation, avec le vaccin, qui va nous aider à retrouver un semblant de normalité», dit M. White.
Avec Radio-Canada et La Presse canadienne par Mélanie Meloche-Holubowski
Étiquettes : Éclosions, CANADA, COVID-19, Milieux de travail, Québec
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