Accoucher à l’hôpital ou à la maison? La question se pose pour de nombreux parents en raison de la pandémie et les sages-femmes sont de plus en plus sollicitées. Malgré la forte demande, les salaires n’ont pas bougé et certaines se sentent délaissées par les gouvernements.
© Wonder Life Photography/wonder life photography Un accouchement dans l’eau, en fin janvier, au centre de naissance de Ottawa. Les deux sages-femmes présentes sont Mélanie Page et Emmanuelle-Dennie Filion.
Donner naissance depuis sa chambre à coucher ou son salon est un choix que font de plus en plus de parents depuis le début de la pandémie.
Celle-ci a changé l’accouchement traditionnel : plus question de recevoir famille et amis, avec fleurs et cadeaux.
© Photo remise par l’AMO La présidente de l’Association des sages-femmes de l’Ontario, Jasmin Tecson
«De manière anecdotique, le taux de naissance à domicile était d’environ 5 à 15 % en Ontario et a doublé au cours de la dernière année», précise la présidente de l’Association des sages-femmes de l’Ontario (AMO), Jasmin Tecson.
Les constats sont identiques dans d’autres provinces, comme au Québec, en Alberta et en Colombie-Britannique.
© Emmanuelle-Dennie Filion Emmanuelle-Dennie Filion, sage-femme à Ottawa
C’est d’ailleurs pour être entourée des siens que Mélissa L’Écuyer a choisi d’accoucher de son deuxième enfant depuis chez elle, en décembre.
«Le dilemme que j’avais était que je voulais avoir ma mère avec moi durant l’accouchement pour me soutenir, mais je ne voulais pas que mon conjoint loupe les premières minutes de vie de sa fille», dit-elle.
Pour elle, l’expérience s’est très bien déroulée. Huit minutes après la première poussée, elle avait sa fillette dans les bras. Si c’était à refaire pour un troisième, elle le referait sans hésiter ajoute-t-elle.
© avec permission de Community midwives of Ottawa Ola et Tess, deux sages-femmes qui travaillent à Community Midwives of Ottawa.
Même son de cloche pour Anne Knight, qui a accouché de son troisième enfant en avril 2020, à la maison.
«Nous n’avions que peu d’informations sur la transmission de la COVID, c’était le tout début, mais le nombre de cas atteignait un pic», se souvient-elle.
Avec deux enfants à la maison et personne pour les garder en raison du confinement, la décision d’accoucher à domicile a été prise un mois avant la naissance.
L’hôpital reste accessible
Les clientes à risque accouchent dans les hôpitaux. Même chose en cas de complication durant le travail et qu’il faut procéder à une césarienne, comme pour la fille de Lisa Senack.
«J’ai fait la majorité de mon processus à la maison. J’étais rendue à 8 cm et là ça ne progressait pas bien et la petite montrait des signes de détresse, alors nous avons dû nous rendre à l’hôpital», indique-t-elle.
© Photo remise par Lisa Senack Alita, un jour.
La présence de sage-femme dès le début du travail l’a toutefois rassurée.
«Elle avait réalisé que j’étais déshydratée, et quand tu es déshydratée ta température corporelle augmente. Elle m’a dit tout de suite que si on ne pouvait pas baisser ma température, l’hôpital allait me considérer comme à risque de COVID, donc la sage-femme m’a réhydratée tout de suite», raconte-t-elle.
La petite Alita est née en santé, mais Lisa avait quelques craintes sur les visites à cause de la COVID-19.
Autre temps, autre pandémie
Si ces familles ont pu prévoir la naissance à la maison en amont, ce n’était pas le cas de Sylvie Maclean.
En avril 2003, l’épidémie du SRAS touchait le Canada depuis à peine un mois quand elle a dû accoucher.
«On avait décidé la semaine d’avant de rester à la maison parce qu’il y avait des risques qui nous avaient été dits, ce n’était pas aussi public que maintenant», se souvient-elle.
© Wonder Life Photography/wonder life photography Un accouchement dans l’eau fin janvier au centre de naissance de Ottawa. Les deux sages-femmes présentes sont Mélanie Page et Emmanuelle-Dennie Filion.
La sage-femme avait dû recevoir une autorisation spéciale pour administrer les antibiotiques par intraveineuse, une première en Ontario, raconte Sylvie.
Des complications la conduisent finalement à l’hôpital, en pleine tempête hivernale.
Après une année de COVID-19, les sages-femmes sont désormais bien rodées et savent faire face aux défis que la pandémie apporte.
«On a rajouté tout l’équipement protecteur, on travaille avec des masques, des jaquettes spéciales, les rendez-vous sont plus espacés», raconte Emmanuelle-Dennie Filion.
Malgré la demande qui bondit, la profession est toujours en mal de reconnaissance et sous-rémunérée, selon plusieurs associations de sages-femmes.
© FatCamera/Getty Images Selon une enquête menée par l’Association des sages-femmes de la Colombie-Britannique, les futures mamans ont été plus nombreuses à poser des questions sur l’accouchement à domicile entre mars et novembre comparé aux années précédentes.
«Elles doivent s’équiper grâce aux budgets de leurs cliniques ou dépenses personnelles», précise Mme Tecson.
Emmanuelle-Dennie Filion explique que l’équipement de protection est souvent fourni par les centres de naissance auxquels ces travailleuses autonomes sont rattachées, mais aussi par des dons de familles.
Selon une enquête menée auprès de 121 sages-femmes par des chercheurs de l’Université de la Colombie-Britannique en novembre 2020, 81 % d’entre elles ont dû acheter ou fabriquer leur propre équipement de protection individuelle pendant la pandémie. Une sage-femme sur cinq déclarait aussi avoir des difficultés financières et songeait quitter la profession.
Bien que certaines provinces aient annoncé une augmentation de salaire pour les travailleurs de première ligne, en Ontario et en Colombie-Britannique, les sages-femmes ont été exclues de ce soutien financier.
Le ministère de la Santé de l’Ontario précise dans un courriel avoir étendu le programme d’appui transitoire en cas de pandémie pour fournir gratuitement des équipements de protection à tous les spécialistes des soins primaires et communautaires, y compris les sages-femmes.
Mais il explique également qu’«il y a une limite au montant de financement fourni par le gouvernement fédéral dans le cadre de notre entente commune et nous ne pouvons pas étendre le programme de paye en cas de pandémie au-delà des 375 000 employés déjà jugés admissibles».
D’autres soutiens supplémentaires ont aussi été mis en place en réponse à la COVID-19, comme l’augmentation du financement de budgets des groupes de pratique des sages-femmes pour répondre à l’augmentation de la demande.
Mme Tecson rappelle toutefois que le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a ordonné en février 2020 au gouvernement Ford d’augmenter le salaire des quelque 960 sages-femmes de la province afin de supprimer l’écart de rémunération entre les sexes.
Cette décision a été remise en question par le gouvernement progressiste-conservateur qui a demandé en avril 2020 au Tribunal de la réviser.
La présidente de l’AMO réitère les demandes de l’association.
«Nous demandons au gouvernement de nous donner un soutien financier pour aider à payer le travail supplémentaire et à créer de nouvelles lignes directrices plus uniformes, notamment en ce qui a trait à l’accès à l’équipement de protection individuelle.»
Son espoir est que leur contribution au cours des derniers mois permette de mieux faire reconnaître et valoriser la profession.
Car si la pandémie a d’abord bouleversé de nombreux scénarios de naissance et nécessité des ajustements, l’engouement suscité pour les services des sages-femmes ne semble désormais pas près de s’estomper.
Avec La Presse canadienne
Étiquettes : Engouement, Femmes, Maison, Naissances, Sages-femmes
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