« L’Afrique permet encore de saisir des opportunités dans les services financiers »

ENTRETIEN. Pionnier de l’intermédiation financière au Congo, Patrick Itouad vient d’innover avec la convertibilité réciproque des francs CFA d’Afrique de l’Ouest et du Centre.

Patrick Itouad.
Patrick Itouad.© Serfin SA

Àla tête de Serfin SA qu’il a créé en 2011, Patrick Itouad est un acteur incontournable de l’écosystème du transfert d’argent, du change et des cartes prépayées. Ses années d’expérience lui permettent d’évoquer les défis que le secteur bancaire et financier, congolais en particulier, africain en général, doit affronter au quotidien dans un environnement où l’informel occupe encore une place trop importante et où les circuits, notamment de la convertibilité du franc CFA d’Afrique de l’Ouest en franc CFA d’Afrique centrale, ou vice versa, sont à rallonge. Il a accepté de répondre au Point Afrique sur nombre de questions qui concernent les services financiers sur le continent.

Le Point Afrique : Acteur dans les services financiers d’importance dans la zone CFA, quel regard portez-vous sur l’environnement bancaire du Congo en particulier, et de la zone Cemac en particulier alors que la pandémie de Covid-19 continue à éprouver les institutions et les acteurs économiques ?

Patrick Itouad : Tout d’abord, il est important de préciser que je m’exprime en tant qu’acteur privé congolais dans les services financiers et je reste dans ce silo. L’environnement bancaire congolais n’accompagne que très rarement les acteurs privés congolais. Les banques congolaises n’ont aucune difficulté à financer les multinationales et les grosses sociétés étrangères. Mais pour les acteurs privés congolais, c’est le parcours du combattant. Les contraintes administratives sont insurmontables. Je vous donne un exemple. Pour un financement, vous devez apporter une garantie foncière. Et quand vous demandez 100, vous devez apporter 30 % en cash. On vous finance les 70 % restants avec des taux d’intérêt entre 8 % et 10 %, hors taxes. Avec les taxes, vous êtes entre 10 et 12 %, et ce, sur une durée de moins de 5 ans. Ce processus n’incite pas les levées de fonds pour les acteurs privés congolais. Il faut également tenir compte de la pandémie qui continue à éprouver notre business. En effet, les consulats et les chancelleries sont fermés. Ce qui empêche notre activité, puisque les Congolais ne peuvent pas voyager. Même la RDC, notre voisin, n’est pas accessible.

Qu’en est-il, de votre point de vue, des rapports entre les institutions financières, banques, caisses mutuelles d’épargne, etc., et les différents acteurs économiques que sont, d’un côté, les particuliers et, de l’autre, les entreprises ?

Nous, les privés, sommes impuissants, nous ne pouvons rien. Ce rôle est dévolu à l’État. L’État, via les ministères des Finances et du Commerce, devrait organiser et faciliter nos rapports avec les institutions financières, la banque centrale et les banques.

Au-delà de son impact sur les capacités financières des migrants, la pandémie de Covid-19 rend par ailleurs plus difficile la réalisation des transferts.© GODONG / BSIP / BSIP via AFP

À côté des établissements qui ont pignon sur rue, il y a un important secteur financier informel. Société d’intermédiation, comment votre structure navigue-t-elle pour répondre aux besoins spécifiques des différents marchés qui se côtoient dans l’environnement économique congolais ?

En apportant des réponses à la frustration des Congolais, et plus largement des Africains. Quand ils voyagent, ils n’aiment que le cash, ils ont du mal avec les cartes bancaires. Mais les barrières douanières sont très contraignantes et ils ne peuvent pas se déplacer avec beaucoup de liquide. Comprenez qu’aujourd’hui il n’y a pas de possibilité de changer des CFA d’Afrique de l’Ouest en CFA d’Afrique centrale, et vice et versa, sauf de manière informelle. C’est normal. Les deux banques centrales de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale ne compensent pas les deux monnaies. De plus, pour faire des virements, vous devez passer par un circuit très contraignant. Votre argent doit transiter dans un premier temps par l’Europe, passer par la Banque de France à Paris, pour revenir ensuite dans l’autre partie du continent, sans compter tous les frais multipliés par le nombre d’opérations. Sur ce trajet, tout le monde prend des frais au passage. Nous arrivons à des taux de 3 à 4 % pour un virement, parfois nous atteignons le 7 à 8 % dans certains cas. Ce qui est énorme. Nous avons pris le parti d’être compétitifs et transparents, avec notre volonté d’accueillir et de servir au mieux. Dorénavant, quelqu’un qui vient dans nos boutiques peut changer directement des milliers ou des millions de XAF et XOF, sans problème et à un meilleur taux.

Une dynamique de coopération des économies des pays francophones a été mise en exergue lors des Rencontres des entreprises francophones (REF) organisées par le Mouvement des entreprises de France (Medef) fin août. La zone franc l’expérimente depuis les indépendances, mais pêche au niveau de la convertibilité entre le CFA d’Afrique de l’Ouest et celui d’Afrique centrale. Quels axes de réflexion et d’action vous paraissent devoir être mis en œuvre pour une meilleure cohérence ?

Un seul : ma réflexion est que le Medef et ses acteurs devraient faire un meilleur lobbying auprès de Bercy et de la Banque de France qui sont les vrais régulateurs de la convertibilité des CFA XAF et XOF.

Parmi les acteurs importants à prendre en compte, il y a les ressortissants congolais et africains installés hors de leur pays, notamment en Europe et en Amérique du Nord. Au moment où les effets des transferts de fonds participent de manière conséquente au PIB de nombre de pays africains, que préconisez-vous comme solution pour faciliter la fluidité financière au Congo, en Afrique et avec la diaspora ?

Sortir définitivement de l’informel qui est une pratique trop courante. Trop souvent, les Africains optent pour ce change informel, qui n’est pas rassurant, même parfois inquiétant. Vous pouvez tomber sur de la fausse monnaie, et traiter avec des gens dont vous ne savez rien. D’ici à la fin novembre, notre société ouvrira une première antenne en Île-de-France. Nous proposerons des transferts de fonds à un meilleur taux que le marché actuel qui, lui, avoisine les 7 % à 10 %.

Un guichet Point cash.© Serfin SA

Pour nous, Paris est une évidence, car elle demeure le grand couloir congolais. On dit souvent que Brazza est le 21e arrondissement parisien. Nous avons signé un partenariat avec le groupe Leclerc et observé une stratégie différente du Congo. Ici, nous sommes dans les aéroports et les hôtels. Avec notre partenaire, nous serons dans les centres commerciaux franciliens, proches des communautés africaines et asiatiques pour proposer des transferts et du change entre le franc CFA d’Afrique de l’Ouest et celui d’Afrique centrale, de manière officielle, sécurisée et légale, avec la remise d’une facture.

Par ailleurs, nous avons signé également avec Syma Mobile, 5e opérateur de téléphonie en France pour faire du Mobile Banking ou Mobile Money. Nous allons offrir cette facilité avec ceux qui veulent envoyer de Paris de l’argent aux familles sur le continent. L’avantage, c’est que les forfaits téléphoniques et Internet achetés en France seront utilisables en Afrique centrale avec les mêmes tarifs pour l’utilisation d’Internet et de la téléphonie. Donc, nos clients pourront recharger leurs puces et effectuer leurs opérations à Brazzaville et à Kinshasa au même coût qu’à Paris.

L’Afrique de l’Ouest francophone dispose de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM), et l’Afrique centrale, de la Bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale (BVMAC). Quel est l’impact de ces deux institutions sur l’offre de produits et de services de sociétés de conseil et d’intermédiation financière comme la vôtre ?

Pour nous, aucun impact. Je ne suis pas concerné. Mais, je les observe à distance en tant quand qu’acteur financier. Comme la BVMAC a son siège à Libreville, nous réfléchissons à l’ouverture d’une antenne au Gabon début juin 2022. Quand nous y serons, si la BVMAC a des offres à nous proposer en phase avec notre business model, nous regarderons d’un peu plus près les articulations possibles.

Francs CFA. © SEYLLOU / AFP

La question des services financiers est devenue centrale dans le débat économique africain. Quelle est votre réflexion sur cette question et quels actes avez-vous posés en termes de services et de produits pour la rendre effective ?

Nous sommes positionnés sur deux domaines : le transfert de fonds à l’international et le change manuel avec une innovation.

En ce qui concerne le premier sujet, nous avons progressé. Avant que je ne me lance au Congo, en 2011, il n’y avait que des banques pour le change et les transferts de fonds. Elles fermaient à 17 heures et ne proposaient qu’un seul opérateur. Ce modèle encourageait le marché informel. J’ai cassé le monopole des banques, en offrant un service ouvert de 8 heures à 23 heures, 365 jours par an, avec le choix de l’opérateur entre MoneyGram, Riad, Western Union, Flash Cash.

Pour le change manuel, nous lançons une innovation avec le groupe Total Distribution. Nous allons installer des kiosques dans les stations du groupe pétrolier. Les usagers auront à leur disposition nos services habituels, mais nous rajoutons à ces kiosques deux DAB (distributeurs automatiques de billets) de banques différentes. Prenons un exemple avec la BSCA, la banque chinoise, qui est l’une des plus grandes banques du Congo à ce jour. Elle fait ses transactions avec Union Pay qui est leur carte internationale très utilisée chez nous. Impossible pour les utilisateurs de cette banque de faire des retraits ou des virements sur les terminaux Visa ou Mastercard. Dans nos kiosques il y aura toujours deux distributeurs de formats différents pour assurer une disponibilité de liquidités.

Comment voyez-vous l’avenir de l’intermédiation financière en Afrique ?

C’est le seul continent à ce jour qui permet encore de saisir des opportunités, des affaires à développer dans les services financiers. Mais pas que. Il y a de nombreux secteurs, comme l’art contemporain, la culture et les nouvelles technologies, qui sont de formidables terrains de croissance. Donc je vois un avenir radieux pour ceux qui sauront les saisir.

Avec Le Point propos recueillis par Malick Diawara et Sylvère-Henry Cissé

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Une Réponse to “« L’Afrique permet encore de saisir des opportunités dans les services financiers »”

  1. SCHADRAC MUMBERE KANIKI Says:

    comment les associations purement locales peuveent obtenir les financements?
    schadracmumberekaniki@gmail.com

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