CHRONIQUE. Interdire les réseaux sociaux aux plus jeunes, oui, mais comment ? La question, complexe, mérite de se pencher sur la technologie et ses usages.

Dans une tribune publiée le 22 septembre dernier dans Les Échos, le philosophe Gaspard Kœnig défend à raison l’interdiction chez les moins de seize ans d’utiliser les réseaux sociaux. Connaissant les dérives ainsi que les conséquences psychologiques néfastes chez les jeunes, ce point de vue est raisonnable. Seulement, voilà, il cache un autre problème beaucoup plus complexe que le simple fait de décider l’interdiction : les moyens pour y parvenir, en vérifiant et en confirmant l’âge des utilisateurs. Pour tenter de résoudre cette énigme, il faut s’intéresser à la technologie, et aux usages de ces outils numériques, somme toute encore trop opaques et incompréhensibles pour la plupart d’entre nous.
Hypocrisie générale
Aujourd’hui, vous ne le savez sans doute pas, les réseaux sociaux sont interdits aux jeunes de moins de treize ans, sauf dans certains cas avec l’accord des parents. Un mineur ne dispose pas de la capacité juridique de contracter comme signer les conditions générales d’utilisation de TikTok ou Instagram. Cela étant dit, une certaine hypocrisie existe chez les propriétaires de ces plateformes, qui ne vérifient pas l’âge du nouvel utilisateur ou l’accord des parents, mais s’appuient sur la simple affirmation de la part du jeune. C’est ainsi que de nombreux mineurs s’enregistrent sous une fausse identité en mentant sur leur âge. Selon une enquête de 2021 de Génération numérique, il y aurait 63 % des moins de treize ans qui auraient au moins un compte sur un réseau social.
Certains profiteraient du débat de l’interdiction des réseaux pour les moins de 16 ans pour réaffirmer le besoin de faire disparaître la (pseudo-)anonymisation qui soulève bien des problèmes – comme une partie de la haine et du harcèlement en ligne – et de rediscuter de l’identité numérique sur les réseaux sociaux. Mais c’est écarter la nécessité de nombreuses personnes et de peuples de parler ou de s’informer librement et anonymement sur ces applications. En revanche, il faut réfléchir aux moyens techniques et, aussi, non techniques de prouver l’âge d’une personne – et s’assurer qu’elle a plus de 16 ans – sans passer par l’identification généralisée et systématique de tous les utilisateurs.
On peut construire et entraîner des algorithmes qui peuvent identifier des schémas de comportements propres de jeunes de moins de seize ans ou d’enfants sur les réseaux – types de commentaires, de comptes suivis, ou encore de posts aimés et partagés. Une alerte serait alors envoyée à la plateforme qui demanderait – en précisant la méthode algorithmique, et en s’excusant par ailleurs si c’est une erreur – à l’utilisateur une preuve de son identité et donc de son âge. Pour cela, deux niveaux de vérification sont possibles : l’authentification de niveau 1 par l’envoi d’une photo de la carte de lycéen ou équivalent – on rappelle que la carte d’identité n’est pas obligatoire – qui serait chiffrée et conservée pour d’éventuelles demandes judiciaires futures, et d’un code envoyé par la plateforme sur le téléphone portable du jeune ou d’un de ses parents. Il existe également une authentification de niveau 2 qui implique un appel sur un téléphone des parents, éventuellement en visioconférence, pour obtenir leur accord. Parmi les solutions non techniques, une fois l’alerte lancée, les plateformes peuvent également envisager de poser plusieurs questions à l’utilisateur que seuls des adolescents de plus de 16 ans peuvent répondre correctement et rapidement. Comme les noms des deux précédents présidents français de la République.
Système non infaillible
Encore une fois, des erreurs algorithmiques sont possibles, et il reste des manières chez les jeunes de contourner les règles (comme donner le numéro de téléphone d’un cousin complice ou encore faire une fausse carte de lycéen). Mais on détecterait une quantité significative de comptes illégalement créés tout en dissuadant les mineurs de s’enregistrer sous une fausse identité. Fournir une fausse pièce d’identité est bien plus grave en pratique dans l’esprit des gens que le simple fait de mentir sur son âge dans un formulaire.
Quoi qu’on en pense, les usages de la technologie ne se décident pas, ils se pratiquent, se confrontent à la réalité et s’améliorent au cours du temps. Tout en éduquant encore et toujours les mineurs des risques de ces réseaux, mais aussi les parents qui, pour la majorité d’entre eux, ne comprennent pas leurs fonctionnements.
Avec Le Point par Aurélie Jean
Étiquettes : adolescents, Aurélie Jean, Interdiction, réseaux sociaux
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