Des soldats du Bélarus patrouillent le long de la frontière avec la Pologne. Photo: Reuters/Kacper Pempel
Plusieurs régions du monde ont vécu l’année dernière des crises qui risquent de se prolonger. Voici quelques enjeux à surveiller.
Crispations autour de Taïwan
En Asie, la Chine représente le principal défi géopolitique. En cette fin d’année 2021, les hostilités se sont cristallisées autour de Taïwan. Un conflit risque-t-il d’éclater?
Même si ce n’est pas très probable à court terme, on ne peut pas l’exclure, estime J. Michael Cole, chercheur principal à l’Institut Macdonald-Laurier, basé à Taipei.
Si les preneurs de décision agissent de manière rationnelle à Pékin, je ne crois pas qu’on en arrive à une guerre
, précise M. Cole. Cependant, ajoute-t-il, s’il y avait de l’instabilité politique en Chine, le régime pourrait tenter de raviver l’appui du peuple et créer une distraction en lançant une attaque contre Taïwan. Il pourrait le faire aussi si l’île faisait une déclaration d’indépendance, qui serait vécue comme une provocation.
« En Chine, des politiques internes peuvent mener à des prises de décisions qui, de l’extérieur, peuvent nous sembler irrationnelles. »— Une citation de J. Michael Cole, chercheur principal à l’Institut Macdonald-Laurier.
Le destroyer de missiles américain USS Curtis Wilbur effectue des opérations de routine dans le détroit de Taïwan. Photo: Associated Press/Zenaida Roth/US NAVY
Les relations entre la Chine et Taïwan, une démocratie indépendante de la Chine continentale depuis 1949, se sont tendues avec l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, en 2013, puis l’élection à la présidence taïwanaise, en 2016, de Tsai-Ing Wen, une indépendantiste.
Depuis, Pékin accentue sa pression militaire, diplomatique et économique sur l’île rebelle. En octobre 2021, à l’occasion du 110e anniversaire de la Révolution chinoise, le président chinois a promis une réunification
avec Taïwan et réitéré la forte détermination […] du peuple chinois à défendre […] l’intégrité territoriale
.
Les États-Unis ne sont liés à l’île par aucun accord, mais maintiennent une ambiguïté stratégique
, car ils fournissent à Taïwan du matériel militaire pour se défendre, sans promettre explicitement de l’aide en cas d’attaque chinoise.
Tensions dans l’est de l’Europe
Un soldat ukrainien patrouille dans la région de Donetsk. Photo: AFP Via Getty Images/Anatolii Stepanov
En Europe, les tensions ont monté d’un cran autour de l’Ukraine après un renforcement des troupes russes à la frontière à la fin du mois d’octobre. Une invasion est-elle dans les plans?
Difficile à dire, estime Marie Dumoulin, directrice du programme Europe élargie au Conseil européen pour les relations internationales (ECFR), qui pense que Vladimir Poutine fait plutôt monter la pression pour obtenir un dialogue avec les Américains. Le président russe souhaite que ces derniers s’engagent à mettre un frein à l’expansion de l’Organisation du traité de l’Atlantique nordOTAN vers les anciennes républiques soviétiques. Une rencontre est prévue en janvier afin d’en discuter. Les Occidentaux accepteront-ils de donner aux Russes les garanties écrites que ceux-ci réclament?
Le conflit avec des séparatistes prorusses a fait quelque 13 000 morts dans l’est de l’Ukraine depuis 2014.
Dans la même région, le Bélarus est également à surveiller, note la chercheuse. Les Européens accusent le président Loukachenko d’avoir instrumentalisé des migrants, qu’il a laissés entrer dans son pays pour ensuite les pousser vers la Pologne et déstabiliser la frontière extérieure de l’UE
, soutient cette dernière. Il aurait ainsi tenté de se venger des sanctions que les Occidentaux lui ont imposées après sa réélection controversée à l’automne 2020 et la répression qui a suivi. Si la crise semble actuellement résorbée, Loukachenko pourrait recommencer n’importe quand, soutient Mme Dumoulin.
« On a affaire à un régime voyou qui veut retrouver une légitimité en tant qu’interlocuteur et qui n’hésitera pas à utiliser tous les moyens à sa disposition pour arriver à ses fins. »— Une citation de Marie Dumoulin, du Conseil européen pour les relations internationales
Le Moyen-Orient toujours en ébullition
Des familles détenues dans le camp d’Al-Hol, dans le nord-est de la Syrie, se préparent à retourner chez elles, dans la région de Raqa. Photo: Getty Images/Delil Souleiman
Au Moyen-Orient, un enjeu négligé qui risque de revenir à l’avant-plan est celui des 60 000 prisonniers du groupe armé État islamique, détenus dans des camps dans le nord-est de la Syrie.
C’est très impopulaire pour un gouvernement de vouloir rapatrier des combattants de l’EI, mais il faudrait en parler, parce que ça pose beaucoup de questions de sécurité
, croit Arthur Stein, doctorant à l’Université de Montréal et spécialiste des guerres civiles.
Certains prisonniers, dont on ne connaît pas le degré de radicalité, se sont évadés. En outre, un grand nombre d’enfants et de femmes sont détenus. C’est une situation assez floue en termes juridiques, puisque ces personnes n’ont pas été jugées
, précise le chercheur.
Une autre question toujours en suspens est celle du programme nucléaire iranien. Des pourparlers ont débuté à Vienne à la fin de novembre entre Téhéran et les grandes puissances signataires de l’accord de 2015, mais nul ne sait si l’Iran est de bonne foi ou cherche seulement à gagner du temps, note M. Stein.
Se méfiant de l’Iran, Israël s’oppose aux négociations et préférerait une solution militaire. Le premier ministre israélien, Naftali Bennett, a d’ailleurs appelé les négociateurs à ne pas céder au chantage nucléaire de l’Iran
, contre lequel il n’a pas exclu une action unilatérale
.
L’influence des milices iraniennes au Moyen-Orient demeure également un enjeu, affirme Arthur Stein.
« L’Iran se vante de contrôler quatre capitales : Damas, Beyrouth, Sanaa et Bagdad. C’est plus ou moins vrai, mais il y a un potentiel de déstabilisation qui est réel. »— Une citation de Arthur Stein, doctorant à l’Université de Montréal.
Un homme armé monte la garde devant un bureau de la Haute Commission électorale libyenne à Benghazi, le 16 décembre 2021. Photo: Reuters/Esam Omran-Fetori
Enfin, la situation est également à surveiller en Libye, une poudrière qui risque d’exploser
, selon le chercheur. Les élections, prévues pour le 24 décembre et qui devaient aider le pays à sortir d’une décennie de chaos, seront finalement reportées. En attendant, les tensions restent vives, alors que les désaccords entre les camps rivaux, soutenus par différentes puissances étrangères, pourraient replonger la Libye dans la guerre.
La démocratie en recul
En Afrique, au-delà des crises ponctuelles, c’est l’état de la démocratie qui préoccupe Marie-Ève Desrosiers, professeure agrégée à l’École de développement international et mondialisation de l’Université d’Ottawa. On entend beaucoup parler de l’ascendance de la Chine ou de la Russie, mais on néglige les formes que la montée de l’autoritarisme et le recul de la démocratie prennent ailleurs dans le monde
, remarque-t-elle.
Alors qu’on s’attendait, dans la période post-guerre froide, à une plus grande libéralisation politique, c’est le contraire qui est en train de se produire, pense la chercheuse, avec une consolidation autoritaire un peu partout, malgré un semblant de démocratie dans les institutions et les discours.
Qui plus est, ce recul de la démocratie ne se limite pas exclusivement à l’appareil politique, mais concerne également les populations qui, avant de vouloir des droits politiques, réclament surtout un gouvernement fonctionnel qui leur apporte la sécurité ainsi que la stabilité politique et économique.
« On a été trop longtemps assis sur nos lauriers en pensant que la démocratie libérale serait le modèle que tout citoyen voudrait embrasser. Mais la tendance à se tourner vers des modèles alternatifs, même en contexte autoritaire, est ascendante. Cela, les démocraties libérales n’en sont pas assez conscientes. »— Une citation de Marie-Ève Desrosiers, professeure à l’Université d’Ottawa
Avec Radio-Canada par Ximena Sampson
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