Un groupe d’opérateurs de drone de plus d’une trentaine de personnes donne des maux de tête à l’armée russe en utilisant des technologies civiles pour résister à l’envahisseur.

L’unité Aerorozvidka de l’armée ukrainienne donne des maux de tête aux forces russes. Photo : Aerorozvidka
Les images satellites captées par les Américains de centaines de blindés en route vers Kiev à la fin de février ont fait le tour du monde. Après une semaine de guerre, s’emparer de la capitale ukrainienne était encore une priorité pour les Russes.
De nuit, un petit groupe de l’unité Aerorozvidka de l’armée ukrainienne décide alors de s’approcher de la colonne de 60 km en VTT. On a envoyé des drones en reconnaissance pour l’observer, raconte l’opérateur Mykhailo, à qui nous avons parlé par l’application WhatsApp. Nous sommes revenus au cours de la nuit et nous l’avons bombardée. Nous avons aussi fourni les coordonnées précises du convoi à notre artillerie.

Cette image satellite fournie par Maxar Technologies montre un convoi russe près d’Ivankiv, au nord-ouest de Kiev, en Ukraine, le lundi 28 février 2022. Photo : AP
La colonne a alors été brisée et des attaques ont été menées sur les réserves de denrées et de carburant. L’homme, qui refuse de donner son nom de famille de crainte d’être identifié par les Russes, se garde bien de récolter les honneurs de cette opération. Ce n’est pas nous qui avons stoppé le convoi à nous seuls, mais bien le manque de provisions. Mais on leur en a fait baver!
L’unité Aerorozvidka a été créée en 2014 par un groupe de volontaires pour contrer l’invasion russe du Donbass et de la Crimée. Certains sont des étudiants, des informaticiens, on a même un docteur en philosophie et un architecte, dit Mykhailo, entrepreneur en temps de paix.
Ils utilisaient à l’époque des drones commerciaux, les mêmes que les vidéastes amateurs. Aujourd’hui, ils font voler des dizaines d‘engins fabriqués de leurs mains, qu’ils emploient autant pour la surveillance que pour le combat.
Ces drones à huit hélices sont en mesure de larguer des bombes et des grenades sur l’ennemi. En plus du convoi russe, Aerorozvidka revendique des centaines d’attaques contre des cibles russes.

L’unité Aerorozvidka fait voler des dizaines d‘engins fabriqués des mains de ses membres, que ceux-ci emploient autant pour la surveillance que pour le combat. Photo : Aerorozvidka
Guerre informatique
Les opérateurs de drone ont des bottes sur le terrain, mais ils mènent aussi une guerre informatique à l’envahisseur, qui dispose d’importants moyens technologiques. Pour se déployer, ils doivent déjouer les attaques par brouillage des communications (jamming) et d’usurpation d’identité (spoofing) des Russes, qui peuvent notamment localiser les résistants grâce à la signature électronique qu’ils utilisent.
Le fondateur de l’unité Aerorozvidka, l’ex-banquier Volodymyr Kochetkov-Sukach, est mort au combat en 2015. Ç’a toujours été difficile pour nous d’opérer en raison des cyberattaques de la Russie, souligne Mykhailo. C’est d’autant plus risqué qu’on doit entrer profondément sur le territoire où se trouve l’envahisseur pour l’attaquer.
Toutefois, les opérateurs de drone ukrainiens peuvent maintenant compter sur les terminaux du service Internet par satellite Starlink livré par le milliardaire Elon Musk au début de l’invasion russe.
Ce serait très dur de travailler en ce moment sans cette technologie, ajoute Mykhailo. On l’utilise notamment pour connecter différentes unités des forces sur le terrain. Par exemple, les responsables de la reconnaissance peuvent ainsi communiquer avec l’artillerie.

L’unité d’opérateurs de drone Aerorozvidka revendique des centaines d’opérations contre les forces russes. Photo : Aerorozvidka
Les informaticiens d’Aerorozvidka ont aussi créé un système de reconnaissance situationnelle baptisé Delta, qui fonctionne aujourd’hui grâce à Starlink. Il s’agit d’un réseau de capteurs localisés sur les lignes de front qui alimentent une carte numérique pour déterminer les cibles potentielles. Tous les jours, les Russes essaient d’attaquer cette plateforme, souligne l’opérateur de drone.
L’unité manque toujours de matériel militaire et informatique qui lui permettrait d’être plus efficace. Elle compte d’ailleurs sur le sociofinancement pour opérer. Nous avons besoin d’équipement dont l’exportation est restreinte, comme des modems, des matrices numériques ou des caméras thermiques, précise Mykhailo.
Convaincre les éléments les plus conservateurs des forces ukrainiennes d’utiliser des drones civils dans le cadre d’un conflit armé a également été un défi. L’unité a d’ailleurs été démantelée par le ministre de la Défense, en 2019, pour reprendre du service au mois d’octobre dernier.
L’héritage de l’Union soviétique est encore bien présent dans notre armée, déplore Mykhailo. Certains généraux ne comprennent pas notre travail et ce que l’on veut accomplir. Mais, depuis le début de la guerre, la situation s’est beaucoup améliorée.
Unité romantique
Professeur adjoint à l’Université d’Ottawa, Jean-François Ratelle rappelle qu’Aerorozvidka est une goutte d’eau dans l’effort de guerre ukrainien. C’est la pointe de l’iceberg d’une histoire beaucoup plus grande, dit l’expert militaire spécialiste du Caucase. L’armée a équipé toutes ses unités d’artillerie avec des drones, mais il y a toujours une réticence à utiliser des engins commerciaux à outrance.
Il ne remet toutefois pas en question l’apport des opérateurs de drone volontaires. Ça fait partie d’un nouveau répertoire qui s’offre aux résistants, observe-t-il. C’est une manière de faire la guerre de façon asymétrique. Ça démocratise le ciel.
Le portrait romantique des combattants qui commandent des drones civils face aux blindés du Kremlin marque aujourd’hui l’imaginaire occidental. C’est l’image de la personne ordinaire qui utilise une technologie non militaire que l’on peut acheter dans une grande surface pour combattre une des plus importantes armées du monde. Elle représente vraiment la contribution de chaque Ukrainien à la défense de la nation. À long terme, la Russie peut avoir un avantage technologique et numérique, mais à terme, vous ne pouvez pas gagner une guerre contre une population en entier. C’est à ça que renvoie cette unité.
Aerorozvidka se prépare maintenant à l’offensive russe annoncée dans l’est de l’Ukraine. Quant au quotidien des opérateurs de l’unité, à la question de savoir s’ils profitent du jour pour se reposer puisque la plupart des opérations ont lieu de nuit, la réponse de Mykhailo est on ne peut plus claire : On ne dort jamais!
Avec Radio-Canada par Simon Coutu
Étiquettes : Attaque, Convoi, Drone, guerre, Opérateur, Résistance, Russie, Ukraine
Votre commentaire