Ukraine: Kharkiv repousse l’envahisseur

Depuis le début de la guerre, une évidence s’impose : l’invasion de l’Ukraine ordonnée par Vladimir Poutine ne se déroule pas comme prévu. Les troupes russes piétinent ou sont forcées de reculer. Et ce n’est nulle part plus évident actuellement que dans la région de Kharkiv, où l’armée ukrainienne, en pleine contre-offensive, regagne beaucoup de terrain. Nous l’avons constaté sur place.

Tir d'artillerie.

L’artillerie ukrainienne à l’œuvre dans la région de Kharkiv. Photo : Radio-Canada/Jean-François Bélanger

D’abords constants et assourdissants, le bruit des sirènes et le tonnerre des bombardements se sont graduellement faits plus distants. Une indication claire de la bonne marche de la contre-offensive lancée par les forces ukrainiennes pour desserrer l’étau autour de Kharkiv et mettre la ville hors de portée de l’artillerie russe.

Les routes aux abords de la ville, jonchées de véhicules blindés calcinés, sont autant de vestiges des combats très violents qui s’y sont déroulés. Prise d’assaut par les forces russes dès les premiers jours de l’invasion, la deuxième ville du pays a été lourdement bombardée, ce qui a eu pour effet de faire fuir une bonne partie de sa population. Mais alors qu’un calme relatif s’installe, de plus en plus de citoyens sont tentés par un retour.Un blindé immobilisé.

Un blindé russe détruit. Photo : Radio-Canada/Jean-François Bélanger

Oleksandr et Lyudmila Nishcheta poussent même l’audace jusqu’à aller s’aventurer au-delà des limites de la ville. Car ce couple de retraités possède une maison à Vil’Khiva, à une quinzaine de kilomètres à l’est de Kharkiv. Le parcours pour s’y rendre est parsemé d’embûches.

Les points de contrôle de l’armée ukrainienne sont nombreux et à chacun d’eux, les soldats multiplient les avertissements : la situation est encore fluide et changeante; la région fait encore l’objet de bombardements à l’occasion; les retraités doivent comprendre qu’ils s’y rendent à leurs risques et périls. Rapidement, les rangées de maisons en ruines de chaque côté de la route viennent confirmer que les affrontements n’ont pas détruit que des cibles militaires.Portrait d'Oleksandr et de Lyudmila.

Oleksandr et Lyudmila devant ce qu’il reste de leur maison dans la région de Kharkiv. Photo : Radio-Canada/Jean-François Bélanger

Mais arrivés devant chez eux, ils sont accueillis par un concert d’aboiements enjoués. Rigik, le chien des voisins qu’ils croyaient mort, accourt vers Lyudmila et la couvre de salive à grands coups de langue. Submergée par l’émotion, la sexagénaire, soulagée, l’enlace et le caresse en lui répétant des mots rassurants.

Mais une fois franchi le portail de la propriété, un triste spectacle les attend. Un obus a creusé un énorme cratère dans le jardin et a dévasté la façade. Oleksandr pousse un soupir en marchant sur les débris et se frotte la tête frénétiquement en se répétant à voix haute : C’est un cauchemar, c’est terrible. Puis, il lance à notre intention : Voilà à quoi ressemble la paix russe.

Son épouse le rejoint et partage son désarroi. Ils observent la façade en silence puis font un signe amical à l’endroit des deux soldats ukrainiens qui montent la garde dans le quartier. C’est notre terre, notre mère patrie, rappelle Oleksandr avec détermination. Et personne ne va nous forcer à partir d’ici. Sa femme acquiesce. Elle note que son sentiment d’appartenance au peuple ukrainien a monté en flèche depuis l’invasion du 24 février.

« Nous sommes forts. Et personne ne nous a rendus si forts et si unis que Vladimir Poutine lui-même. Personne. »— Une citation de  Lyudmila NishchetaOleksandr et Lyudmila derrière une camionnette calcinée.

Oleksandr et Lyudmila constatent les dégâts matériels à la suite du passage de l’armée russe. Photo: Radio-Canada/Emilio Avalos

Comme une majorité d’habitants de la région de Kharkiv, le couple de retraités a le russe comme langue maternelle. Mais en voyant les traces de la présence de soldats russes dans sa maison, elle se sent partagée entre la haine et le mépris.

Elle est surtout écœurée que les russophones comme elle aient servi de prétexte à Vladimir Poutine pour envahir l’Ukraine. Les pacifiques soldats russes sont soi-disant venus nous libérer, dit-elle avec ironie. Nous libérer de quoi? Je ne sais pas. Pour le moment, ils nous ont surtout libérés de la langue russe.

Une dernière phrase qu’elle choisit de prononcer lentement et en ukrainien pour en accentuer la portée. Comme elle, beaucoup d’Ukrainiens russophones ont maintenant honte de parler leur langue maternelle et choisissent de s’exprimer désormais en ukrainien. En sortant, Oleksandr et Lyudmila prennent des nouvelles des voisins, ceux qui sont restés sur place. Comme Vasiliy Orinchin, 87 ans, qui n’a pas bougé de chez lui tout au long de l’occupation. La silhouette frêle, le dos voûté, le vieillard cite un vieux proverbe pour s’expliquer.Portrait de Vasiliy.

Vasiliy n’a pas quitté sa maison pendant l’offensive russe. Photo : Radio-Canada/Jean-François Bélanger

« Là où je suis né, là où j’ai été baptisé, c’est là où je mourrai. »— Une citation de  Vasiliy Orinchin, résident de Vil’hivka

L’homme nous raconte avoir aperçu les soldats russes dans la rue devant chez lui il y a quelques semaines en regardant par la fenêtre. Il nous amène derrière sa modeste demeure pour nous montrer le souvenir qu’on lui a laissé.

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Vasiliy montre du doigt l'engin explosif.

Vasiliy a trouvé une roquette plantée dans son jardin.Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Une roquette partiellement enfouie dans la terre.

Cette roquette aurait pu faire des dommages considérables si elle avait explosé dans le jardin de Vasiliy. Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Une roquette non explosée est plantée dans la terre, bien en évidence à moins d’un mètre du mur de sa maison. Il raconte qu’elle est tombée en pleine nuit, que cela l’a réveillé, car les murs ont tremblé. Ils bombardaient et c’est tombé chez moi, conclut-il simplement avant d’ajouter, un sourire dans le regard : Moi, j’ai rien demandé.

Vasiliy jure de rester chez lui en attendant la visite des démineurs ukrainiens. Il se sent d’ailleurs bien plus en sécurité depuis que les soldats russes se sont retirés des villes et villages des environs.

Un grondement sourd se fait entendre à travers le village. Deux lourdes pièces d’artillerie sur chenilles traversent Vil’khivka au pas de charge. Les canons motorisés de 203 mm s’arrêtent soudainement dans un champ et se positionnent, à côté l’un de l’autre. Une nuée d’opérateurs se déploie immédiatement tout autour pour les charger et les pointer dans la bonne direction.

Deux coups de tonnerre déchirent bientôt le ciel alors qu’une énorme boule de feu sort de la bouche des canons. L’opération n’a duré que quelques minutes. Rapidement, après les tirs, les artilleurs entreprennent de plier bagage. Car ces armes de conception ancienne, héritage de l’ère soviétique, sont vulnérables aux contre-attaques. Les soldats ukrainiens misent donc sur la mobilité et sur des configurations de tir atypiques pour déjouer l’ennemi.

« Ukraine In The Fight », l’Ukraine au combat peut-on lire sur l’écusson cousu sur une la veste d’un militaire.

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Kran avec une arme en bandoulière.

Kran, le commandant de l’unité spéciale Tuman. Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Deux soldats.

Le moral des combattants ukrainiens est à toute épreuve. Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Gros plan sur un écusson.

« Ukraine In The Fight », l’Ukraine au combat peut-on lire sur l’écusson cousu sur une la veste d’un militaire. Photo : Radio-Canada / Emilio Avalos

La rapidité d’action et la grande connaissance du terrain sont des atouts essentiels aux yeux de Kran, le commandant de l’unité spéciale appelée Tuman, ce qui veut dire brouillard. Le grand gaillard à la barbe fournie a une allure de grand-père un peu bonasse. Mais le regard de fer que l’on perçoit derrière ses lunettes balistiques et la kalachnikov qu’il porte en bandoulière ne laissent aucun doute sur sa détermination.

Nous sommes tous convaincus que nous allons gagner, confirme-t-il en désignant ses hommes d’un geste de la main. Il évoque la trop grande rigidité de la chaîne de commandement de l’armée russe, ses problèmes d’approvisionnement, de logistique et le faible moral de ses troupes comme autant de facteurs plombant l’ennemi et favorisant les troupes de Kiev sur le terrain. Mais, selon lui, c’est la motivation sans faille des combattants ukrainiens qui fait la différence.

« Nous nous battons pour protéger notre terre, notre mère patrie, nos femmes, nos enfants, notre avenir. Il n’y a pas de meilleure motivation. »— Une citation de  Kran, commandant, unité spéciale Tuman, armée ukrainienne

Son bras droit, nom de guerre Orest, nous emmène dans le bunker adjacent pour nous montrer sa collection de trophées. Alignées sur le mur de béton, se trouve une série d’armes laissées derrière par des troupes russes en déroute. Des lance-roquettes RPG7, une mitrailleuse douchka, un fusil de sniper DragounovDes cadeaux de la Russie, lance-t-il, ironique.Le NLAW porté à l'épaule.

Le NLAW cadeau des Britanniques. Photo : Radio-Canada/ Emilio Avalos

Mais c’est un autre cadeau, venu celui-là de Grande-Bretagne, qui s’est révélé le plus utile sur le champ de bataille. Orest nous montre le NLAW qui trône bien en évidence dans le bunker, un lance-roquettes antichar, très moderne, qui a permis de détruire quantité de blindés russes.

L’officier en profite pour lancer un appel aux pays occidentaux, leur demandant de fournir à l’armée ukrainienne davantage d’armes modernes et d’équipements spécialisés comme des lunettes de visée nocturne. Seul moyen, selon lui, de mettre un terme rapidement au conflit et d’ainsi réduire les pertes de vies humaines.

Une guerre cruelle et insensée dont Oleksandr et Lyudmila attendent la fin avec impatience, évoquant son lourd tribut; les dizaines de milliers de victimes et les millions de personnes aujourd’hui sans abri.

Au moment de quitter la maison à demi détruite, sentant la tristesse et le désespoir de sa femme, Oleksandr l’enlace et lui chuchote à l’oreille : Nous allons tout reconstruire, ne t’en fais pas.

Avec Radio-Canada par Jean-François Bélanger

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Une Réponse to “Ukraine: Kharkiv repousse l’envahisseur”

  1. Bouesso Says:

    La guerre n’en finit pas ?

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