Canada: Les centenaires, la « génération grandiose »

Le Canada compte de plus en plus de centenaires. Selon le dernier recensement, il y en avait 9535 en 2021. Rencontres avec trois aînés encore en pleine forme.

Portrait de Laurette Hinse

Laurette Hinse-Fortin habite Victoriaville, au Québec. Photo : Radio-Canada/Ivanoh Demers

Laurette Hinse, 102 ans

Laurette Hinse nous accueille dans son 1 et demie d’une résidence pour personnes âgées de Victoriaville. Elle aura 103 ans le 12 août et ça ne paraît pas. Elle est solide, complètement lucide. Je m’efforce de vivre le mieux possible et d’essayer de ne pas donner d’ouvrage aux autres! Je suis chanceuse parce que je suis autonome.

Le secret de sa longévité? Elle ne le sait pas, mais elle a été active toute sa vie. J’ai commencé à enseigner en 1936 à 150 piasses par année! C’est comique, hein? C’était Duplessis qui était premier ministre, pis on voulait tous l’étouffer!

Elle parle de son enfance dans une famille de cultivateurs de Tingwick où vivaient 13 enfants. Puis elle s’attarde sur son mari. Ovide travaillait dans une mine d’amiante. Ils dansaient beaucoup ensemble, ils ont même gagné un trophée. Il est mort en 1994.

« On a trois personnes de notre famille qui viennent de décéder en deux mois. Plus jeunes que moi! Alors, tu sais… je les vois partir… c’est vide en arrière de toi, là. »— Une citation de  Laurette HinseLaurette Hinse-Fortin passe le balai.

Laurette Hinse-Fortin est très active au quotidien. Photo : Radio-Canada/Ivanoh Demers

Elle se sent bien dans son petit logement, et heureusement, parce qu’avec les mesures sanitaires imposées pendant la COVID, elle a dû vivre cinq périodes de confinement. Elle se souvient d’un mois difficile après sa chirurgie pour remplacer une hanche… à 100 ans.

Je sors de l’hôpital, je fais 14 jours dans une autre demeure. Je sors de cette demeure-là, je m’en viens chez moi et je fais un autre 14 jours! Aïe, tu veux mourir! Mais on passe au travers, dit-elle avec un sourire. Elle a fini par attraper la COVID. Elle a été malade deux jours, puis s’est sentie mieux.

Sur un meuble, on voit des photos de famille. Laurette Hinse a la chance d’avoir deux filles, cinq petits-enfants et huit arrière-petits-enfants. Ils l’appellent et lui rendent parfois visite. La vie est alors plus belle. Moi, je ne suis pas prête à dire que les aînés sont oubliés, dit-elle, une référence aussi à son intégration dans la société québécoise. Sauf que, parfois, ses filles doivent l’aider.

Laurette Hinse-Fortin près de son lit.

Laurette Hinse-Fortin assise seule dans son petit appartement. Voici le reportage de Jean-Sébastien Cloutier. Photo : Radio-Canada/Ivanoh Demers

Si j’ai besoin de téléphoner à un docteur, c’est un robot qui nous répond. Le robot dit toujours je n’ai pas compris votre nom!… C’est pas un service pour les aînés. Passe-t-elle en priorité pour voir son médecin à 102 ans? Ça peut prendre six mois avant d’avoir un rendez-vous!, répond Mme Hinse en dénonçant le manque de personnel en santé.

Elle nous parle aussi du jour où elle a voulu changer sa télévision. L’employé au téléphone ne l’a pas prise au sérieux quand elle lui a dit son âge. C’est comme si c’était une punition d’avoir 102 ans!

Ces obstacles ne l’empêchent pas d’être encore heureuse. Sa recette : Trouver des choses qui nous font plaisir. Si tu attends après les autres, tu peux attendre longtemps!Portrait de Guy Paquette

Guy Paquette habite Saint-Bruno-de-Montarville. Photo : Radio-Canada/Ivanoh Demers

Guy Paquet, 101 ans

Guy Paquet a mis sa belle chemise saumon pour nous rencontrer. Il nous attend silencieusement dans le hall d’entrée de sa résidence de Saint-Bruno-de-Montarville. On ne verra donc pas le vélo stationnaire en haut dans son logement, mais on comprend vite que c’est un sportif malgré ses 101 ans. Il marche vite et à petits pas.

On sort faire l’entrevue. Mes parents m’ont mis pensionnaire dans un collège privé, puis là, j’en ai fait des exercices. Et du sport, il y en avait pas pour rire! C’était un bon début, commence-t-il pour expliquer sa bonne forme. J’ai de la difficulté avec le sommeil, mais ça, c’est un petit détail.

Au quotidien, il ne s’ennuie pas : Je fais 25 minutes de marche, je regarde les nouvelles à la télé, je lis mon journal, ça, ça occupe deux heures au moins. Puis il y a toutes sortes d’activités : laver du linge, laver de la vaisselle… Et il se met à rire.

Il ajoute qu’il va encore au cinéma avec une amie. Il a aussi un fils de 59 ans qu’il voit régulièrement.

Guy Paquet est discret et réfléchit longtemps avant de parler, mais quand il est question de ses 35 années de service dans les Forces armées, les mots déboulent. Il a combattu en France, un mois après le Débarquement de Normandie. Je faisais partie d’une unité d’artillerie. On envoyait des obus de 100 livres. C’était pas près de la ligne de feu, c’était plutôt en arrière. On était moins en danger.

Il est bien au courant de ce qui se passe en Ukraine. Oh mon Dieu, c’est affreux… ça détruit un beau pays. La guerre, c’est toujours quelque chose à éviter.

Sa femme s’appelait Cécile Migneault. Elle est morte en 2015, précise-t-il après quelques secondes de réflexion. Il berce sa chaise en silence et pense à tous ceux qui sont partis. L’émotion monte, ses pensées voyagent. J’aurais tellement aimé… revenir en arrière. C’était moins vite.

Il revient sur le sujet; le monde d’aujourd’hui va trop vite à son goût. Mon Dieu, ça va trop vite, c’est des changements subits. Internet, par exemple, le dépasse.

« Je trouve que l’Humanité ne va pas bien du tout. »— Une citation de  Guy Paquet, 101 ans

Lui, il va bien, nous assure-t-il. Il se désole du manque de personnel en santé, mais pour l’instant, au moins, il garde la forme et se sent bien traité par les employés de sa résidence. Il nous a redonné notre micro et il est rentré pour le lunch. Toujours droit comme un chêne.Portrait d'Hélène Girard

Hélène Girard habite Saint-Bruno. Photo : Radio-Canada/Ivanoh Demers

Hélène Girard, 98 ans

Ce 6 mai, Hélène Girard fête ses 98 ans dans une résidence de Saint-Bruno et ses deux filles viennent lui porter des fleurs. Je ne pensais jamais me rendre là. Jamais. Je suis chanceuse d’avoir mes enfants. Beaucoup. Ce sont eux qui m’aident à poursuivre mon chemin. Je ne sais pas quand il va s’arrêter.

À voir son énergie quand elle danse debout sur sa marchette, ce chemin pourrait encore continuer quelques années. Le secret, c’est… je ne sais pas… bien se nourrir, bien faire attention à nous autres.

Son audition est toutefois en train de lui faire défaut. On doit parler fort et répéter les questions. Ça ne l’empêche pas de regarder RDI, elle aime bien Patrice Roy, nous confie-t-elle.

Vieillir amène quand même des obstacles pour cette ancienne hyperactive et grande travailleuse. Elle trouve ça difficile. J’ai toujours travaillé, j’ai toujours fait du bénévolat, j’ai fait n’importe quoi… Si j’avais du travail à faire, j’aimerais ça pour me désennuyer. Je pourrais continuer d’écrire ma vie, mais j’ai de la misère à écrire.

Par contre, elle a toute sa mémoire et nous raconte son militantisme passé pour le Parti québécois et son admiration pour René Lévesque, qu’elle a déjà croisé plusieurs fois. Elle rêve encore d’un pays : J’ai confiance au Québec. Oui, j’aimerais ça que ça se fasse avant que je parte!, lance-t-elle avant de rire de bon cœur.Hélène Girard avec deux personnes

Hélène Girard fait partie de la « génération grandiose ». Photo : Radio-Canada/Ivanoh Demers

Mais ses yeux s’embuent quand elle évoque son grand amour : Ça fait 25 ans que je suis seule, j’ai vécu 50 ans avec mon mari. Je m’encourage tout le temps, j’ai toujours hâte que ça aille mieux, je me bats tout le temps.

La solitude lui pèse souvent. De ne pas pouvoir parler à quelqu’un. C’est dans la prière que je peux m’adresser, que je peux parler.

Malgré ces moments plus sombres, elle se trouve chanceuse d’avoir ses filles et sa famille. Et d’être si bien entourée dans sa résidence. Ça fait 15 ans que je suis ici! Ahhh, j’ai des beaux souvenirs, très beaux souvenirs!

Hélène Girard a repris sa marchette et est partie avec ses fleurs. Tout le monde lui a souhaité bonne fête. Dans la résidence, c’était la vedette du jour. L’an dernier, le Canada comptait 110 705 aînés de 94 ans et plus, comme elle, soit 19 % de plus qu’en 2015. Statistique Canada les a surnommés la génération grandiose.

Le vieillissement de la population québécoise va s’accélérer. Selon les prévisions, il y aura, en 2041, quatre fois plus de 85 ans et plus qu’en 2011, dit Danis Prud’Homme, directeur général du Réseau FADOQ.

Est-ce qu’on est prêts aujourd’hui? Je dirais non. On a actuellement 4000 personnes en attente de soins et services en CHSLD. Ensuite, il y a le côté soins à domicile. On peine à livrer les services dont les gens ont besoin pour les maintenir à domicile et être autonomes le plus longtemps possible.

Il se réjouit du plan d’action de 2,9 milliards de dollars annoncé au début du mois par Marguerite Blais pour améliorer les services en hébergement de longue durée. On ne peut pas être contre la vertu. Ça prendra des investissements majeurs dans le personnel autant dans les CHSLD qu’à domicile.

Question d’humaniser les soins pour des aînés qui peuvent encore beaucoup nous apporter, rappelle Danis Prud’Homme : Ces gens-là ont quand même bâti notre société, ils ont une expérience et une expertise très valorisantes, donc ça, c’est une chose. Deuxièmement : le bénévolat… Et, évidemment, ces gens-là redonnent. Ce sont des grands-parents, des arrière-grands-parents.

Avec Radio-Canada par Jean-Sébastien Cloutier

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