5G : Ottawa ferme définitivement la porte à Huawei

La décision, selon Pékin, « viole les principes de l’économie de marché et les règles du libre-échange ».

Une femme marche devant un écran blanc sur lequel est projeté le logo de la compagnie Huawei.

Le Canada emboîte le pas aux États-Unis, qui ont déjà exclu Huawei de ses réseaux 5G. Photo : Getty Images/Kevin Frayer

Le développement du réseau 5G au Canada se fera sans le géant chinois Huawei. Le gouvernement Trudeau, qui marchait sur des œufs depuis des mois et des mois à ce sujet, a finalement décidé de dire non à l’entreprise, quitte à susciter la grogne de Pékin.

La décision a été confirmée en point de presse jeudi après-midi par les ministres François-Philippe Champagne (Innovation, Sciences et Industrie) et Marco Mendicino (Sécurité publique). Elle touche également ZTE, une autre société chinoise en partie détenue par l’État.

Cela fait suite à un examen approfondi mené par nos agences de sécurité indépendantes et en consultation avec nos plus proches alliés, a indiqué le ministre Champagne.

Celui-ci a notamment invoqué des enjeux de sécurité nationale, soulignant qu’il importait d’assurer l’intégrité [des] systèmes de télécommunications du Canada.Les ministres Champagne et Mendicino en point de presse.

Le ministre Mendicino a également affirmé que le gouvernement libéral déposerait un projet de loi pour renforcer davantage le système de télécommunications du Canada et créer un cadre pour protéger la sécurité nationale. Photo : La Presse Canadienne/David Kawai

Par ailleurs, les entreprises canadiennes qui utilisent déjà des composants de Huawei et de ZTE dans leurs réseaux actuels devront cesser leur utilisation et les retirer. Celles-ci ne seront pas indemnisées, a déclaré le ministre Champagne – pas plus que Huawei et ZTE, a précisé son cabinet par la suite.

Cela dit, la grande majorité des entreprises de télécommunications canadiennes avaient déjà pris la décision de ne plus faire affaire avec ces deux sociétés chinoises, a souligné M. Champagne, jeudi.

La Chine profondément mécontente

La réplique de Pékin ne s’est pas fait attendre. Dans une déclaration en mandarin publiée jeudi soir sur son site web, l’ambassade chinoise à Ottawa affirme que la Chine est préoccupée et profondément mécontente de la tournure des événements.

La décision annoncée par les ministres Champagne et Mendicino, prise au motif de la soi-disant sécurité nationale, sans aucune preuve concluante, […] viole les principes de l’économie de marché et les règles du libre-échange et nuira certainement à l’image internationale du Canada, déplore-t-elle.

Aussi, la Chine procédera à une évaluation complète et sérieuse de cet incident et prendra toutes les mesures nécessaires pour sauvegarder les droits et intérêts légitimes des entreprises chinoises, peut-on lire dans la déclaration.

Une question délicate

Le gouvernement canadien avait annoncé en septembre 2018 qu’il allait étudier les possibles menaces pour la sécurité nationale représentées par l’utilisation d’équipements Huawei. Le gouvernement Trudeau aura donc fait durer le suspense pendant plus de trois ans.

L’épineux dossier s’articule autour des allégations selon lesquelles Huawei serait assujettie aux demandes du gouvernement chinois, notamment en matière de collecte de renseignements.

Car le développement des réseaux de 5G permettra aux utilisateurs d’avoir recours à des connexions plus rapides et à de vastes capacités pour les données, afin de répondre à la forte demande étant donné le nombre croissant d’appareils – des casques de réalité virtuelle aux véhicules automobiles – reliés à Internet.

Or, plusieurs experts ont souligné dans les dernières années que la participation de Huawei au déploiement de la norme 5G pourrait lui donner accès à toute une série d’informations numériques reposant sur la manière dont les clients canadiens utilisent des appareils connectés au web, ainsi que sur le moment et l’endroit où ils le font.

Selon cette théorie, les agences de sécurité chinoises pourraient alors obliger l’entreprise à leur transmettre ces données personnelles.

Huawei, pour sa part, a toujours argué qu’elle était une entreprise farouchement indépendante qui ne s’adonne pas à des activités d’espionnage. Ce plaidoyer a notamment été repris par l’ambassadeur de Chine au Canada, qui a exhorté Ottawa à ignorer les avertissements inventés par Washington à propos de Huawei.

Les États-Unis ont déjà banni Huawei de ses réseaux 5G, tout comme le Royaume-Uni et l’Australie. Ces trois pays, avec le Canada et la Nouvelle-Zélande, forment le Groupe des cinq (Five Eyes, en anglais), un ensemble de pays qui mettent en commun certaines ressources en matière de renseignement.

D’autres pays comme le Japon et la Suède ont également pris la décision d’exclure Huawei de leurs systèmes de télécommunications dans les dernières années.

C’est une décision qui est en ligne avec celle de nos alliés, a d’ailleurs souligné le ministre Champagne, jeudi.

Dans ce cas, pourquoi la décision du Canada intervient-elle si tard? Ça n’a jamais été une course, a répété le ministre à tous les journalistes qui lui ont posé la question, jeudi. Ce qui compte pour les gens qui nous regardent aujourd’hui, c’est de prendre la bonne décision.Meng Wanzhou marchant à l'extérieur.

Le dossier Huawei s’est largement complexifié avec l’affaire Meng Wanzhou. Photo: La Presse Canadienne/Jonathan Hayward

Attendue depuis longtemps, la décision annoncée par le gouvernement Trudeau jeudi avait été repoussée en raison des tensions diplomatiques entre Ottawa et Pékin ces dernières années.

Le dossier Huawei s’était notamment complexifié avec l’arrestation, à Vancouver, de la directrice financière de Huawei et fille du fondateur du mastodonte chinois, Meng Wanzhou.

Cette affaire avait marqué le début d’une crise diplomatique majeure entre les deux pays, avec la détention en parallèle en Chine de Michael Spavor, un spécialiste de la Corée du Nord, et de Michael Kovrig, un ancien diplomate basé à Pékin, ce qui avait été largement perçu comme une riposte du gouvernement chinois.M. Kovrig discute avec M. Trudeau, et M. Spavor reçoit une accolade de Dominic Barton.

Les deux Michael sont rentrés au Canada sur le même avion. Sur la photo, on voit M. Kovrig en discussion avec le premier ministre Justin Trudeau, tandis que M. Spavor, en complet gris pâle, reçoit une accolade de l’ambassadeur canadien en Chine, Dominic Barton. Photo: Reuters/Ministère de la Défense Nationale du Canada

Après environ trois ans de procédure, Meng Wanzhou avait finalement retrouvé la liberté fin septembre 2021 et regagné la Chine. Les deux Canadiens avaient également été libérés dans la foulée.

Jean-François Lépine, ex-diplomate et spécialiste de la Chine et de l’Asie, estime que le gouvernement Trudeau a bien choisi son moment pour bannir Huawei du Canada.

Car la Chine actuellement est débordée de problèmes, a-t-il souligné en entrevue, jeudi : la COVID, une crise majeure dans tout le pays; la guerre en Ukraine, dans laquelle la Chine s’est positionnée et qui lui a beaucoup nui à travers le monde; et l’économie chinoise qui, en conséquence de ces deux phénomènes là, est en recul.

De plus, les risques de représailles contre le Canada sont relativement faibles, estime M. Lépine, qui a notamment occupé pendant plusieurs années la fonction de représentant du Québec en Chine.

En appuyant l’invasion russe de l’Ukraine, Pékin a perdu beaucoup la confiance de l’Europe, des États-Unis, donc de ses deux principaux partenaires économiques. En outre, la Chine ne peut pas beaucoup […] se payer le luxe de se mettre à dos un autre pays en adoptant des mesures qui seraient extraordinaires, estime-t-il.

Radio-Canada par Jérôme Labbé avec les informations de Louis Blouin, Laurence Martin, La Presse canadienne et l’Agence France-Presse

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