
Pour palier le manque de personnel, les gestionnaires des hôpitaux utilisent régulièrement le temps supplémentaire obligatoire, imposant des quarts parfois très longs aux employés. Photo : Radio-Canada/Evan Mitsui
« Il manque d’infirmières partout dans le monde », a déclaré le premier ministre du Québec, François Legault, mercredi dernier, alors que son gouvernement devait répondre, une fois de plus, à la question du manque de personnel dans les hôpitaux de la province. Mais est-ce vraiment le cas? Et si oui, existe-t-il des solutions à cette pénurie?
Il manque effectivement d’infirmières dans les autres provinces et territoires du Canada, et dans plusieurs pays d’Europe qui, contrairement à certains systèmes comme celui exclusivement privé des États-Unis, peuvent être comparables au Québec en ce sens qu’ils gèrent également des réseaux de santé publics.
Selon Pascal Garel, de la Fédération européenne des hôpitaux qui représente les réseaux d’une trentaine de pays, c’est un problème partout
, que ce soit en Grèce, où on a une infirmière pour un médecin
, ou en Irlande, où on a cinq infirmières pour un médecin
.
La situation est assez proche chez vous et chez nous, en Europe. On a un vieillissement de la population [et] on a reçu la triple claque cet hiver – la pandémie, la grippe et la bronchiolite – qui a touché nos enfants. Ça a fait exploser la situation dans certains pays.
Et là aussi, en plus de l’augmentation de la clientèle, les conditions de travail liées à la surcharge poussent de nombreuses infirmières à quitter le réseau de la santé et à changer de carrière. Il y a une pression insupportable et encore plus quand on a vécu la COVID. On a beaucoup donné et on a le sentiment de ne rien voir venir en termes de salaire et de conditions de travail
, explique Pascal Garel, en entrevue à l’émission Les faits d’abord, sur les ondes d’ICI Première.
Mais alors, quand François Legault dit qu’on va essayer avec l’immigration et la requalification
, est-ce une solution réaliste pour renflouer les rangs des infirmières du Québec?
Non, parce que tout le monde joue à la même chose
, lance sans hésitation Sylvain Brousseau, président de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada.
« Toutes les provinces canadiennes essayent d’aller piocher des infirmières chez leurs voisins et, au niveau international, tous les pays riches essayent d’aller piocher des infirmières dans les pays où les conditions sont moins bonnes. »— Une citation de Sylvain Brousseau, président de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada
On a essayé [en Europe] et ça n’a pas marché
, ajoute Pascal Garel, qui souligne d’ailleurs que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande des pratiques éthiques en matière de recrutement international pour éviter de piller les professionnels se trouvant dans des pays pauvres, qui ont déjà besoin de ce personnel médical.
Le nerf de la guerre : les conditions de travail
Sylvain Brousseau compare le problème à une baignoire qui fuit : il faut arrêter de tenter d’y remettre de l’eau, mais plutôt s’attaquer à pourquoi elle fuit
.
D’ailleurs, comment se fait-il qu’on parle de pénurie d’infirmières au Québec, alors que 80 000 membres sont inscrits à l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), soit un nombre environ 10 % plus élevé que dans les dernières années?
Quand on parle de la pénurie d’infirmières, on parle de pénurie dans un secteur en particulier
, répond Damien Contandriopoulos, professeur en soins infirmiers à l’Université de Victoria, en Colombie-Britannique. Ce n’est pas que les infirmières ont disparu, c’est que les infirmières, comme professionnelles assez qualifiées, sont capables de choisir les milieux de travail qui sont les moins pires.
« Et en ce moment, le milieu qui est le pire, c’est le milieu hospitalier. […] C’est une pénurie concentrée. Ce n’est pas que les infirmières ne sont pas là, c’est que les infirmières ont la possibilité d’aller travailler dans des milieux qui ne les rendent pas folles ni malades. »— Une citation de Damien Contandriopoulos, professeur en soins infirmiers à l’Université de Victoria, en Colombie-Britannique
Ces infirmières vont donc dans les agences privées ou dans toutes sortes de secteurs dans la santé ou la parasanté avec de meilleures conditions de travail
.
Et c’est là, selon les trois intervenants, le nerf de la guerre : les conditions de travail, dont le temps supplémentaire obligatoire (TSO).
Lorsqu’on travaille dans un milieu où on perçoit constamment de la toxicité, de la violence, du racisme, ce n’est pas tenable, lance Sylvain Brousseau. Lorsqu’on demande constamment à une infirmière de rester 22, 23, 24 heures, ce n’est pas tenable. Et il en va de la qualité des soins : lorsqu’elles terminent leur quart de travail, elles se remettent en question parce qu’elles sont constamment sous pression. Ce n’est pas tenable.
C’est un problème de gestion catastrophique, généralisé et autorenforçant
, précise Damien Contandriopoulos. Quand on est un hôpital avec des conditions de travail pourries, c’est un petit milieu, tout le monde le sait. Donc, les infirmières ne veulent pas y aller et le problème fait juste se renforcer.
« Il faut que les employeurs dans les hôpitaux deviennent des employeurs de choix. Ça veut dire des salaires compétitifs, des conditions de travail décentes et que les gens puissent exercer complètement leurs compétences. Ce qui n’est pas le cas présentement. »— Une citation de Sylvain Brousseau, président de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada
Le plus décourageant selon Damien Contandriopoulos? Je commente ce sujet-là depuis 15 ans maintenant et rien ne bouge. […] Les pistes d’action qui sont mises de l’avant par le gouvernement sont généralement unidirectionnelles – c’est juste de l’argent – et trop timides.
Il y a une panoplie de solutions qui existent depuis très longtemps, on les mentionne depuis une quinzaine d’années
, ajoute Sylvain Brousseau, qui suggère aux provinces canadiennes de consulter le document préparé par la Fédération canadienne des syndicats infirmiers en 2022, Soutenir les soins infirmiers au Canada.
Avec Radio-Canada par Anaïs Brasier
Étiquettes : Crise, Infirmières, Monde
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