L’allocution du président, diffusée en direct sur toutes les chaînes d’État ce mardi, était très attendue par la population.

« D’un côté, je suis rassurée que le président n’ait rien dit à propos d’une nouvelle vague de mobilisation ou d’une participation plus évidente de nous tous, ici en Russie, à cette guerre », avoue Lara, 26 ans, commerciale dans une banque d’État. « Mais, de l’autre, les buts de cette guerre ne sont toujours pas clairs et on ne sait même pas quand on s’en sortira ! » soupire-t-elle, agacée.
Comme de nombreux Moscovites, Lara a regardé avec attention l’allocution de Vladimir Poutine sur son téléphone portable depuis son lieu de travail. À l’instar d’une majorité de la population russe inquiète et désarçonnée par l’invasion de l’Ukraine, il y a un an, la jeune femme attendait avec angoisse ce discours devant les deux chambres du Parlement, d’autant qu’il n’avait pas eu lieu à la fin 2022, comme l’exigeait pourtant la Constitution.
« Citoyens de deuxième catégorie »
Le discours-fleuve – le plus long de toutes ses allocutions aux deux Chambres – n’a guère apporté d’éléments nouveaux, sauf à la fin, quand le chef de l’État, à la voix enrouée mais à la mine et au ton énergiques, a annoncé que la Russie suspendait sa participation à l’accord New Start avec les États-Unis sur le désarmement nucléaire stratégique.
Il a justifié sa décision par les vols de drones – « modernisés avec l’aide de l’Occident » – au-dessus de deux aéroports russes en décembre, celui d’Engels et celui de Ryazan. Pour ajouter, presque malicieux et sûr de son effet, que si les États-Unis s’apprêtaient à procéder les premiers à de nouveaux essais nucléaires, la Russie se réservait également le droit d’y procéder. « Ce moment-là m’a marquée, souligne Lara, parce que c’est comme si le président évoquait la guerre froide… »
La jeune femme a été étonnée par l’insistance du président à diviser, en permanence, la société russe entre « les nôtres » et « les autres ». Il l’a fait notamment à propos des hommes d’affaires qui ont quitté le pays à la suite de la guerre. « Personne ne va les plaindre d’avoir perdu l’argent qu’ils ont déposé sur des comptes en banque en Occident » où ils ne sont, finalement, que « des citoyens de deuxième catégorie », a affirmé Vladimir Poutine, qui ne perd plus une occasion de montrer sa satisfaction vis-à-vis de la « purification » de la société russe induite par cette guerre.
Nouvelles élites
Autre moment révélateur : quand le président russe, quasi hors de lui, a évoqué le nom d’une nouvelle brigade de chasseurs alpins ukrainiens officiellement nommée « Edelweiss » (le nom d’une fleur de montagne), selon lui en référence à la division nazie qui portait le même nom. Selon Lara, beaucoup de Russes, même contre la guerre, peuvent se demander pourquoi cette dénomination a été choisie par le président ukrainien.
Au grand dam de la jeune femme, et de toute une population jeune et éloignée de la politique, Vladimir Poutine n’a pas soufflé mot sur les moyens de stopper cette guerre, ni sur ce qu’il proposait pour réussir à vivre sous ces conditions radicalement différentes.
Dans la salle où s’exprimait le président, de très nombreux invalides de guerre et militaires en uniforme, leurs médailles bien visibles, ont été montrés à plusieurs reprises lors de la retransmission télévisée en direct sur toutes les chaînes d’État, comme illustrant ce changement des élites que Poutine appelle de ses vœux.
Les anciennes élites, trop libérales dans les années 1990 – quand « des conseillers occidentaux venaient nous donner des leçons, vous vous en souvenez ? », a-t-il glissé –, se sont, selon Poutine, trompées et n’ont pas été assez patriotes. Voici les nouvelles élites, semblait dire le chef d’État russe, dont les propos étaient immédiatement illustrés par le réalisateur de la retransmission.
Aucune mention du coût humain du conflit
Assis aux côtés du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, son collègue de la Défense Sergueï Choïgou a gardé un visage fermé et impassible tout au long de l’allocution. Ramzan Kadyrov, le président de la Tchétchénie, fort disert sur son fil Twitter, ne semblait pas être présent, alors qu’il avait été annoncé.
Le maire de Moscou Sergueï Sobianine, soupçonné de ne pas être un chantre de la guerre, et qui a tout fait pour que sa ville envoie très peu de mobilisés participer à « l’opération militaire spéciale », n’a pas été montré non plus.
Aucune mention n’a été faite, par Vladimir Poutine, du coût humain du conflit, sauf pour remercier celles et ceux qui, « héroïquement », en souffrent. Si certains semblent avoir apprécié que l’allocution n’ait été ni trop belliqueuse ni trop jusqu’au-boutiste, les « turbopatriotes », eux, l’ont immédiatement critiquée sur certaines chaînes Telegram. Hier dans l’expectative, les marchés boursiers russes avaient accusé une baisse. En signe de confiance, ce mardi, ils sont remontés pendant l’allocution du président.
L’agence de presse officielle RIA-Novosti a fait les comptes : la salle a applaudi 53 fois et s’est levée à 4 reprises. Mais pas quand Vladimir Poutine a subitement évoqué la suspension de l’accord nucléaire. À ce moment précis, un seul homme, en uniforme militaire et filmé de dos par le réalisateur, s’est levé de son siège, mais il n’a pas été suivi par la salle, preuve que l’ambiance était à la circonspection.
Avec Le Point.fr par l’envoyée spéciale à Moscou, Anne Nivat
Étiquettes : Discours, Inquiétude, russes, Vladimir Poutine
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