Certains produits frais comme les tomates manquent sur les étals des supermarchés britanniques. Météo, inflation, Brexit… Les causes sont multiples.
« Il n’y a plus de tomates ! s’énerve une femme dans un supermarché Tesco du nord-est de Londres. Pourtant, ma copine m’a appelée ce matin en me disant qu’il y en aurait ici. » Face à elle, il ne reste que des tomates cerises sous plastique. La cliente repart avec son chariot en pestant : elle voulait des grosses tomates. Entre les bacs de légumes, une inscription met en garde : « 3 produits maximum par client, pour que chacun puisse avoir ce dont il a besoin. » Elle concerne, selon un employé de la chaîne, les tomates, concombres et poivrons.
Depuis quelques jours, les grandes enseignes au Royaume-Uni – cinq pour l’instant – sont contraintes de rationner certains fruits et légumes pour faire face à la panique des consommateurs qui rappelle la période de pandémie. C’est devenu une blague nationale, dans les conversations, sur les réseaux sociaux, ou encore au Parlement. Plaisanterie mise à part, les raisons de ces pénuries, qui risquent de durer plusieurs semaines selon le gouvernement, voire plusieurs mois selon les producteurs, sont multiples et confuses.
Météo, inflation et Brexit
Le gouvernement et les supermarchés en attribuent la responsabilité au mauvais temps en Espagne et au Maroc, d’où viennent la plupart des fruits et légumes. Le Royaume-Uni importe plus de 90 % de ses tomates et salades en hiver. Or, suite à une période de sécheresse, le Maroc a subi des inondations cet hiver tandis que l’Espagne a été plongée dans le froid. Sur l’étiquette Tesco des tomates cerises marocaines, il est écrit : « Nos tomates sont peut-être plus pâles que d’ordinaire, mais elles ont beaucoup de goût. » Des dirigeants de supermarchés estiment qu’il n’y a pas grand-chose à faire contre « le changement climatique ».
Les producteurs invoquent, quant à eux, l’explosion des prix de l’énergie. L’hiver, le Royaume-Uni produit ses fruits et légumes sous serre, les tomates et concombres en particulier. Cette année, les plantations ont été retardées afin d’éviter les mois froids, et les récoltes sont moindres. Cet hiver, la moitié des serres était vide. L’inflation affecte aussi les engrais et les transports.
Enfin, le Brexit est timidement pointé du doigt, même si l’argument est rejeté par le gouvernement puisque l’Irlande, membre de l’Union européenne, fait, elle aussi, face à une pénurie de salades. Le manque de main-d’œuvre a perturbé la chaîne de production alimentaire, malgré l’introduction d’un régime spécial de visas pour les travailleurs saisonniers, jugée trop lente par les agriculteurs. Par ailleurs, les formalités post-Brexit auxquelles les entreprises sont confrontées dans l’UE freinent les exportations. À partir du 1er janvier 2024, des contrôles aux frontières seront mis en place, ce qui risque de perturber encore plus la chaîne d’approvisionnement. Le gouvernement prévoit même de supprimer les visas saisonniers.
Dans ce contexte, l’Union nationale des agriculteurs indique que ces pénuries ne sont que « la partie immergée de l’iceberg ». Elle appelle le gouvernement à revoir sa stratégie alimentaire focalisée sur les importations. Le secteur de l’horticulture, note-t-elle, n’est pas inclus dans le programme de soutien aux industries à forte intensité énergétique. Lundi dernier, une réunion entre le ministre de l’Agriculture et les supermarchés – surnommée « Operation Save our Salad » par le Sun – a été dénoncée par les producteurs qui n’y ont pas été associés.

« Nous limitons à trois produits par client. »© Laure van Ruymbeke
La semaine dernière, la ministre de l’Environnement Thérèse Coffey a déclaré aux Communes que les Britanniques devraient, comme dans le temps, « chérir » les produits de saison comme les navets. Avant d’ajouter qu’elle sait aussi que les consommateurs veulent avoir « le choix toute l’année ». La ministre a été raillée, critiquée, parodiée. Le leader des Libéraux-démocrates a dénoncé la stratégie « donnez-leur des navets ». En référence, selon les médias, à la formule qu’aurait prononcée Marie-Antoinette sur la brioche face à la pénurie de pain. Ironie du sort : peu après le discours de la ministre, les navets étaient en rupture de stock dans plusieurs magasins.
Seuls les grands supermarchés sont touchés par les pénuries. Contactée, l’organisation Growing Communities promeut un autre modèle, le circuit court. Mille six cents Londoniens s’approvisionnent auprès d’elle. « Nos membres sont largement protégés des carences du système dominant dans les supermarchés, explique Kyra Hanson. Nous évitons de nous approvisionner auprès de serres chauffées et nos agriculteurs ne dépendent pas des engrais artificiels onéreux. Et puis comme nous travaillons en étroite collaboration avec eux, nous adaptons nos commandes en cas d’imprévu et en fonction de ce qui est disponible dans les champs. » Mais la majorité des Britanniques plébiscitent les supermarchés, ultra-compétitifs en période d’inflation, et ne paraissent pas près de changer leurs habitudes alimentaires.
Avec Le Point par la correspondante à Londres, Laure Van Ruymbeke
Étiquettes : Angleterre, Fruits, Légumes, Pénuries
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