Il était une fois dans le village de Moutampa, Bonzi, le chasseur, se promenait toujours avec son vieux Chien, au poil roux, à la queue debout.
Un jour, Bonzi, le chasseur, demanda à son ami Samba, le pêcheur, de l’accompagner, à la pleine lune avec Kiki le Chien à sa partie de chasse. Il voulait lui montrer comment il attrapait et tuait les gibiers, en pleine nuit, avec les filets et les fusils. Ivre pour avoir trop bu la veille, lors du mariage de la fille d’un ami, il ressentait encore une certaine indolence et nonchalance. Il refusa de lui tenir compagnie, sous prétexte que sa présence serait inutile et peu rentable.
Le Chasseur finalement partit seul avec le Chien, son vieux et fidèle compagnon de route, qui pissait régulièrement, à certains endroits, pour laisser le parfum de son urine sur l’itinéraire emprunté. Un bon geste de reconnaissance et de souvenance.
Réveillé, en sursaut, par une poule, caquetant, bousculant au passage bouteilles, cuillères et fourchettes qui tombèrent sur les casseroles, produisant un bruit assourdissant, dans la cuisine au mur mitoyen de sa chambre, au moment où elle cherchait une cachette pour pondre ses œufs. Il rassembla son matériel de pêche : une petite canne, en bambou fin, qui conservait sur son port longiligne, son crin accroché d’un hameçon. Pris une petite boîte de tomate rouge et alla près de la rivière, à proximité du cimetière, creuser les vers de terre.
Samba partit lui aussi, à son travail, celui de la pêche. Le temps était clément ce jour-là malgré la menace tenace de la pluie arrêtée par un arc-en-ciel qui déroula sa bande d’écharpe multicolore au ciel. A son arrivée au bord de l’eau, les poissons vêtus de leurs écailles étaient au rendez-vous, ils remontaient la surface pour chercher à manger. Il réalisa une rapide et abondante prise que sa femme fût étonnée, à son retour.
Quand son ami Bonzi rentra de la chasse, il avait ramené un gros porc-épic moustachu, deux mangoustes au pelage épais et deux tourterelles qu’il mangea avec sa femme, sans donner à Samba qui refusa de l’accompagner. Même Kiki son chien qui les retrouvait, entre les herbes et les feuilles, le gibier qu’il lui ramenait, après les coups mortels, ne reçut de la part de son maître que la tête dégarnie de chair et de simples os, à croquer et à broyer.
Quelques instants après, il reçut des visiteurs auxquels il donnât le reste de sa nourriture du soir. Il ne savait pas que lui aussi était parti, à son insu, à son activité préférée. Mais il fut surpris de constater en ce jour férié au village où le marché est fermé que sa femme ait pu trouver du poisson à préparer alors qu’il était resté à la maison. Son geste de privation d’une partie de son gibier n’affama pas Samba avec sa femme. Le couple avait bien mangé et le reste du poisson fût étalé sur le gril pour l’enfumage.
Le soir, à la tombée de la nuit, lorsque ses enfants rentraient de l’école, ils ne trouvèrent rien à manger. En servant les visiteurs, sa femme avait oublié de réserver une bonne quantité de nourriture pour les écoliers. Ceux-ci pleuraient et criaient de faim tenant leur ventre et leur tête. Des pleurs qui attiraient l’attention des autres cases du village.
De l’autre côté de la case, leurs amis, les enfants de Samba le pêcheur, mangeaient dehors à leur faim, assis sur la bande de terre ocre de la fondation de la maison, le poisson que leur père avait ramené de la pêche, bien cuisiné par leur mère. L’odeur de la sauce assaisonnée de basilic envahissait leurs narines, à chaque plongée de manioc dans la soupe à poisson vers la bouche. Eux à mi-distance, de la séparation de leur case, promenaient leur langue sur les lèvres tenant leurs assiettes, le regard vide et avide, arrêtant la pose des lèvres dans une expression de quémandeur. La femme de Samba préparait un autre repas du soir pour nourrir sa famille.
Au sommet de sa cuisine, une fumée argentée se dégageait, se propulsait dans l’air tout en fondant dans l’atmosphère. Bonzi n’avait pas le courage de s’approcher de son ami pour lui demander un peu de nourriture à donner aux enfants. Il était victime de son égoïsme, de ses petits calculs, de son manque de partage même si un ami ne lui avait pas accompagné à la chasse. La colère des enfants était perceptible sur leur visage renfrogné, émacié devenu comme du papier froissé ou mâché.
Le cadet des enfants de Samba partit plaider la cause de ses amis auprès de sa mère :
- Maman, viens voir les enfants de Bonzi, nos amis, qui nous regardent avec des assiettes vides lorsque nous mangions: ne peux-tu pas leur donner un peu de nourriture. Ils étaient ensemble à l’école avec nous. Ils doivent manger sinon demain, ils n’auront pas la force de repartir. Ce n’est pas bien, maman!
La maman sensible à la demande de son fils, fit d’un geste discret du doigt, puis appela les enfants de Bonzi qui s’approchèrent avec leurs assiettes. Elle leur servait à manger, remplissant leurs assiettes avec de gros morceaux de poisson et de grosses tranches de manioc : « de bon nguri yaka! ». Ils la remercièrent puis repartirent contents, marchant gaillardement comme s’ils venaient de gagner une coupe.
Les parents confus et honteux, jetèrent un regard discret dans les plats de leurs enfants, assis dans un coin de la case. Ils maugréaient : vous avez mangé monsieur et dame, sans penser à vos enfants. Voilà une autre maman, nous a donné à manger. La leçon avait une valeur profonde en enseignement.
Kiki voyant les enfants qui mangeaient s’approcha d’eux pour recevoir des miettes mais sa demande heurta un refus catégorique. Queue basse, dressa sa tête, il hurla comme un loup puis se dirigea lui aussi devant la porte de la cuisine de la femme de Samba qui le servit un bon morceau de poisson dans un bol en plastique mélangé de manioc qu’il mangea copieusement. Un récipient d’eau fut placé à sa droite. Il ne cessait de remuer sa queue en guise de remerciement.
En repartant chez Bonzi, Kiki manifesta sa joie en montrant sa langue pendante qu’il avait bien mangé auprès de la femme de Samba ce qu’il n’a pas l’habitude de recevoir de la part de son maître.
Trois jours plus tard, Bonzi prit son courage et proposa encore à Samba de se rendre à la chasse. Celui-ci lui dit qu’il serait mieux que chacun parte à son activité : l’un, à la chasse et l’autre à la pêche.
Tôt le matin, ils firent route ensemble. Ils se séparèrent à l’intersection de deux voies : l’une conduisant dans le bosquet et la forêt, l’autre vers la clairière et la rivière.
Bonzi durant sa partie de chasse ne pût tuer un gibier, ni attraper un oiseau, même pas un moineau. Il rentra bredouille comme une andouille. Il partit voir Samba qui avait réalisé avec ses pièges aux noix de palme, une saisie de trois anguilles noires, brillantes et luisantes. Ils remontèrent la piste herbacée, jonchée de fougères fraîches qui dressaient au ciel leur crosse végétale.
Arrivés sur l’axe principal, en contrebas de la piste, se trouvait une source jaillissante et rafraichissante, qui répandait du haut du rocher un clocher d’eau douce, claire et pure. Samba éprouva le désir de se laver pour rentrer propre au village. Bonzi ne trouva pas la nécessité de prendre un bain après cette partie infructueuse de sa chasse guère lasse.
Pendant que Samba plongeait à la surface; il remonta discrètement la piste avec son chien. Il prit le panier d’osier dans lequel se trouvaient les anguilles de Samba, le confia à son chien qui partit en courant au village pour l’apporter à sa femme.
A la fin de sa baignade, Samba s’habilla, remonta la piste avec Bonzi. Quand il arriva sur le taillis où il avait laissé son panier contenant ses anguilles, celui-ci avait disparu. Il fouilla dans les herbes peut-être qu’il les avait placées à un autre endroit. Il ne le trouva pas. Il maudit celui qui avait commis un tel acte. Il demanda à Bonzi si par hasard Kiki le chien avait pris le panier et qu’il pouvait manger les anguilles. Il lui répondit que les chiens ne mangent pas de poisson cru. Cette réponse emporta sa conviction au point d’exclure toute suspicion dans son esprit.
Sur le chemin de retour Samba doutait de la disparition inopinée de son panier. Au village, il raconta sa mésaventure à sa femme. Celle-ci le consola et lui demanda de ne pas trop y penser. Ils pouvaient compter sur leur réserve de nourriture.
Comble de stupéfaction, pendant que le couple infortuné, après leur repas du soir, causait dehors, il vit soudain, Kiki le chien de Bonzi qui vint leur montrer une tête de poisson que son maître lui a servi. Samba demanda à sa femme de lui donner un bon morceau de poisson pour récupérer la tête de la gueule de Kiki afin de vérifier à quel genre il appartenait. Il constata que c’était une tête d’anguille. Il dit à sa femme : « mweni, bwe mbele ku tela : tu as vu. Qu’est-ce que je te disais ». C’est lui qui a détourné mes anguilles. Il garda silence et ne cessait d’implorer ses ancêtres que le voleur de ses anguilles sera découvert. Ses enfants firent de même qu’après avoir mangé, ils racontèrent à leurs amis qu’ils avaient mangés de l’anguille que leur père avait pêché. Ils le dirent aussi à la femme de Samba qui les prenait en affection : « beto ndjomo tu diri : nous avons mangé de l’anguille ». Celle-ci en rapporta à son mari. L’information consolida de nouveau la suspicion.
Un autre jour la femme de Bonzi prépara la deuxième anguille. Kiki se contenta seulement encore d’une tête alors que c’est lui qui avait transporté le panier jusqu’au village pour le confier à sa femme.
Pris de colère, il aboya pour exprimer son mécontentement, rentra dans la cuisine, trouva l’autre anguille qui était conservée et attachée dans le même panier que celui du jour de la prise. Il le saisit par l’anse, sa femme tenta de l’en empêcher, il courut plus vite et alla se cacher chez Samba le pêcheur. Celui-ci le flatta pour prendre le panier en lui caressant le poil et lui donnant de la nourriture. Quand ils ouvrirent le panier, ils découvrirent une anguille fumée révélant la vérité du détournement de la disparition.
Bonzi demanda conseille aux anciens du village puis expliqua ce qui lui était arrivé à la pêche. En présenta la tête, le témoignage des enfants et le panier qui était le sien contenant l’anguille, il conclut que Bonzi était le voleur de ses anguilles.
Une réunion fut convoquée au village où Bonzi reconnut sa faute d’avoir volé les anguilles de Samba. Malgré la demande de son pardon face à la foule, il s’agenouilla devant son ami, pour lui avoir causé du tort. Une amende d’argent lui fut infligée.
Depuis lors, Bonzi avait cessé de mentir pour la dignité et le respect de sa personne, évitant de s’exposer désormais devant la cour publique du village, sous l’arbre à palabre, en présence de sa femme. Car la vérité d’un mauvais comportement peut sortir de la bouche de ses enfants ou du mauvais traitement de son compagnon le chien.
©Bernard NKOUNKOU