Archive for the ‘Médias’ Category

En Tunisie, la convocation de deux journalistes inquiète et indigne

mai 23, 2023

Haythem el-Mekki et Elyes Gharbi, deux figures emblématiques de la radio indépendante Mosaïque FM, ont été convoqués par la police pour des propos sur les forces de l’ordre. Une nouvelle atteinte à la liberté d’expression qui inquiète.

Haythem el-Mekki (à g.) et Elyes Gharbi à leur sortie des locaux de la Brigade criminelle d’El-Gorjani, le 22 mai 2023. © FETHI BELAID/AFP

Ils ne s’attendaient pas à être convoqués pour être entendus par l’unité d’investigation de la brigade criminelle d’El-Gorjani (Tunis). Et certainement pas pour « atteinte aux agents des forces de l’ordre », comme le précise la plainte déposée le 16 mai par un sécuritaire au nom d’un syndicat des forces de l’ordre. Encore moins pour des propos tenus à l’antenne lors de l’émission de Midi Show du 15 mai, qui a essentiellement couvert l’attentat perpétré la veille contre la synagogue de la Ghriba, à Djerba. C’est pourtant la mésaventure qu’ont connue le journaliste Haythem el-Mekki et l’animateur Elyes Gharbi, deux pointures de l’audiovisuel tunisien qui se distinguent par leur pertinence, souvent perçue par l’exécutif comme de l’impertinence.

Certes, tous les deux se savaient dans le collimateur d’un pouvoir de plus en plus frileux à l’égard des médias. Depuis l’arrestation, le 13 février 2023, de Noureddine Boutar, patron de Radio Mosaïque FM, les deux compères de Midi Show, qui forment avec Zyed Krichen, également directeur du quotidien Le Maghreb, le trio phare de l’audimat tunisien, savaient être des cibles potentielles.

La question de la ligne éditoriale de la radio a d’ailleurs été, selon l’avocat du collectif de défense, Ayoub Ghedamsi, évoquée à plusieurs reprises lors de l’interrogatoire de Boutar. Au point que le juge d’instruction a placé ce dernier sous mandat de dépôt « pour avoir utilisé la ligne éditoriale de Mosaïque FM afin de porter atteinte au plus haut sommet du pouvoir et aux symboles de l’État, mais aussi pour envenimer la situation dans le pays ».

Coup de semonce

Un autre journaliste de la chaîne, Khalifa Guesmi, a aussi été poursuivi en vertu de la loi antiterroriste et du code pénal à la suite d’un article sur le démantèlement d’une cellule terroriste à Kairouan (Centre). Il lui a été reproché de ne pas dévoiler sa source alors que cette dernière s’était d’elle-même identifiée auprès des enquêteurs. Malgré toutes les preuves apportées, il a été condamné en appel, le 16 mai, à cinq ans de prison.

L’affaire Khalifa Guesmi a été un coup de semonce, un avertissement dont le message implicite invitait les médias à rentrer dans le rang. Mais c’était mal connaître Elyes Gharbi et Haythem el-Mekki, qui avaient tenu tête à Ben Ali et connu la répression policière sous l’ancien régime. De quoi forger un caractère et des convictions, en particulier l’attachement à une presse libre, dernier bastion face à un pouvoir qui entend contrôler les médias, même privés, et qui ne souffre aucune critique.

Au point d’avoir promulgué, en septembre 2022, le désormais fameux décret 54, qui, sous couvert de « lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication », punit d’emprisonnement assorti d’amende la publication et la diffusion de rumeurs ou fausses informations, sans toutefois les définir. Un texte ambigu et liberticide qui n’a pas empêché les journalistes de continuer à s’exprimer tout en sachant qu’ils couraient désormais des risques supplémentaires.

« Faire notre travail, accomplir notre mission », c’est ce à quoi s’engage régulièrement Elyes Gharbi à l’antenne. Une manière de sensibiliser le public au travail de journaliste, profession largement décriée depuis que les islamistes au pouvoir en 2012 avaient lancé une offensive contre ce qu’ils qualifiaient de « médias de la honte ». Un bras de fer qui avait tourné court face à la résistance d’une corporation qui, au lendemain de la révolution de 2011, pensait s’être définitivement affranchie d’un rapport ambigu avec les autorités. Dans cette relation tourmentée où le pouvoir préfère la répression à la régulation, les journalistes deviennent des dommages collatéraux.

Une plainte difficile à étayer

Entendus ce lundi, selon une avocate, pour « diffamation et propagation de rumeurs qui touchent la sécurité intérieure », Haythem el-Mekki et Elyes Gharbi ont été remis en liberté, mais l’affaire n’est pas close. Reste au magistrat instructeur à décider de les poursuivre ou de classer le dossier. Il lui sera néanmoins difficile de donner suite à cette plainte qui émane, comme c’est de plus en plus souvent le cas, d’un sécuritaire, d’autant que les propos de Haythem el-Mekki n’étaient ni diffamatoires ni insultants.

Il suggérait, lors de l’émission détaillant l’attentat de la Ghriba, de revoir les tests psycho-techniques lors du recrutement des jeunes sécuritaires pour identifier au mieux leurs motivations : se présentent-ils au concours pour défendre le pays et les citoyens, pour faire appliquer la loi, ou pour profiter de leur position pour commettre des abus ? Le journaliste avait contextualisé ses propos, soulignant que parfois, des bandits peuvent devenir policiers.

« Personnellement, je pense que cette affaire devrait être close parce que les déclarations de Haythem el-Mekki ne peuvent pas être considérées comme un dénigrement des forces de l’ordre », a déclaré l’avocat et président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, Bassem Trifi, qui observe que la plainte, contrairement à ce qui a été dit, a été déposée à titre personnel et que « le plaignant ne représente pas le secrétariat général du syndicat des forces de sécurité intérieure ». De quoi s’interroger sur la tendance actuelle qui voit se multiplier les plaintes des sécuritaires, ou présumés tels, à l’encontre des médias et de la société civile.

Une situation singulière qui alerte un peu plus les défenseurs de la liberté d’expression. Le mouvement de soutien a été considérable sur les réseaux sociaux, mais hier matin, devant l’ancienne caserne ottomane d’El-Gorjani, seuls quelques irréductibles étaient venus apporter leur soutien aux deux journalistes vedette de Mosaïque FM. « Toujours les mêmes : des représentants de la société civile attachés aux droits de l’homme dont la plupart étaient déjà des opposants à Ben Ali », remarque en substance un chef d’entreprise.

« Ça n’est pas gagné »

Aux côtés du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), étaient présents Reporters sans frontières (RSF) et l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD). « Il est plus utile de se mobiliser ensuite en cas de problème plutôt que de s’user à attendre des heures l’issue d’un interrogatoire », estime avec pragmatisme un journaliste qui assure que « la liberté d’expression est prise en otage » et que toute la bataille consiste à la libérer durablement, mais selon lui, « ça n’est pas gagné ».

Avec Jeune Afrique par Frida Dahmani – à Tunis

Congo-Disparition: la presse a rendu un dernier hommage à Pascal Moufouma

mai 22, 2023

Décédé le 9 mai, Pascal Moufouma, journaliste à Radio Pointe-Noire, a reçu le dernier hommage de la corporation, le 20 mai.

Le journaliste Pascal Moufouma / Adiac

Fils de georges Madzou et de Julienne Djeli, Pascal Moufouma est né le 24 septembre 1968 à Komono, dans le département de la Lékoumou. Son cursus scolaire débute à l’école primaire Joseph-Kata de Komono où il obtient le Certificat d’études primaires et élémentaires en 1980. Sur place, il poursuivit ses études secondaires au collège d’enseignement général Albert-Niangoula, sanctionnées par le Brevet d’études moyennes générales en 1987. Il part ensuite de Komono pour Pointe-Noire où il s’inscrit en série A,  au lycée Karl-Max. Quelques années plus tard après avoir manqué le baccalauréat A4, une autre porte s’ouvre à lui et il s’intéressa au journalisme, tant il écoutait passionnément Radio Pointe-Noire, l’unique de la place au début des années 1990.

Animé par l’envie et la volonté d’apprendre puis de prester dans ce métier, Pascal résolut de rejoindre certains autres jeunes qui exprimaient la même passion, en acceptant de faire du bénévolat. Il constitua avec ces derniers le groupe de collaborateurs extérieurs. C’est pendant près d’une quinzaine d’années qu’il supporta ce statut de bénévole et collaborateur pour enfin être recruté comme journaliste en 2006 à la fonction publique congolaise.

Il a longtemps évolué dans deux services distincts, à savoir la rédaction et les programmes ainsi que la production. Il oscillait ainsi entre la présentation des journaux parlés en langue nationale lingala, les reportages de terrain, l’animation radiophonique et la production de l’émission « La course au quotidien ». L’homme avait aussi collaboré avec le service des sports de Radio Congo Pointe-Noire.

Lisant l’oraison funèbre, Francis Kassa Boussougou, rédacteur en chef à  Radio Congo Pointe-Noire,  a rappelé  qu’il  y a quelques années, Pascal Moufouma s’était confié à lui alors qu’il  assumait encore les fonctions de chef de service des programmes et de production, lui demandant de ne plus le programmer aux animations d’antenne, à cause de petits soucis de santé. Demande à laquelle il lui accorda son avis favorable.

« On pouvait aussi retenir de Pascal, entre autres, traits de caractère, un homme direct avec un franc-parlé qui pouvait aussi bien gêner qu’embrasser l’interlocuteur ou le groupe. Au mieux de sa forme, Pascal ne fuyait pas le boulot, il accomplissait sa tâche. Taquin, piquant, un peu provocateur et moqueur, il aimait créer l’ambiance en montrant aussi son côté hilare, donc souvent souriant. Il pouvait, quelquefois, souffler le chaud et le froid, c’était sa façon de créer l’ambiance. Pascal savait susciter et nourrir le débat en conférence de rédaction, réunion au cours de laquelle les journalistes débattent et retiennent les sujets devant faire l’objet d’information dans les journaux télévisés, parlés ou écrits. Pascal était célibataire, il partageait sa vie avec une compagne et laisse deux enfants», a signifié Francis Kassa Boussougou.    

Séverin Ibara

Légendes et crédits photo : 

En Guinée, Mamadi Doumbouya accusé de censurer la presse

mai 19, 2023

Sur fond de tensions politiques, alors que les appels à manifester de l’opposition ont repris, les principales organisations de presse accusent la junte de censurer internet et d’avoir saisi les émetteurs de deux radios.

Une affiche représentant le colonel Mamadi Doumbouya, à Conakry, le 11 septembre 2021. © JOHN WESSELS / AFP

La junte dirigée par Mamadi Doumbouya pratique-t-elle la censure des médias ? C’est en tout cas l’avis des principales organisations de presse guinéennes, représentant télévisions, radios, journaux et sites d’information privés, qui ont pointé du doigt, jeudi 18 mai, la restriction ou le blocage de l’accès à des sites internet d’information et à des réseaux sociaux populaires, dans un contexte politique tendu, marqué par les appels de l’opposition à manifester.

Elles ont aussi dénoncé une descente effectuée mercredi par des gendarmes au siège du groupe de presse Afric Vision, à Conakry, et la saisie des émetteurs de deux radios.

« Des actions liberticides engagées par l’Autorité de régulation des postes et télécommunications contre les médias guinéens », fustige le communiqué des organisations de presse, lesquelles « condamnent cette censure, qui est un recul de la démocratie » et annoncent leur décision de ne plus participer à la semaine des métiers de l’information et de la communication organisée par le gouvernement.

« Méthodes rétrogrades »

Depuis mercredi, les internautes guinéens se plaignent de la difficulté ou de l’impossibilité d’accès sans VPN à des sites d’information ou à des réseaux sociaux comme Facebook, WhatsApp, Instagram ou TikTok. Les problèmes ont été confirmés par le service de surveillance d’internet NetBlocks. L’influente Association des blogueurs de Guinée, Ablogui, a parlé dans un communiqué distinct de « méthodes rétrogrades qui déshonorent la Guinée ».

Le porte-parole du gouvernement et ministre des Télécommunications, Ousmane Gaoual Diallo, a cependant réfuté toute implication des autorités. Il a parlé devant les journalistes « d’une panne qui se produit partout », a rapporté le site d’information Guinéenews. « Si le gouvernement décide de fermer internet, il le fera et en assumera les conséquences. Cependant, ce n’est pas le cas », a-t-il déclaré. Quant à Afric Vision, les autorités attendent que le groupe produise des éléments corroborant ses dires, a-t-il déclaré. Mais tout média qui troublera la paix sociale « sera fermé sans hésitation », a-t-il prévenu.

Manifestation peu suivie

Alors que la junte interdit toute manifestation depuis 2022, l’opposition avait appelé à défiler dans les rues mercredi et jeudi, annulant finalement sa deuxième journée d’action. L’appel de la veille avait été peu suivi d’effet dans les rues de Conakry, placées sous contrôle étroit de l’armée et des forces de sécurité.

Les Forces vives, collectif de partis et organisations, ont cependant revendiqué d’avoir paralysé l’activité dans différents secteurs de la capitale. Elles accusent le colonel Mamadi Doumbouya et un certain nombre d’officiels de faire preuve de « folie meurtrière » et d’essayer de mener à bien un projet de confiscation du pouvoir, alors que les militaires – sous la pression de pays et d’institutions de la sous-région – ont consenti à laisser la place à des civils élus d’ici à la fin de 2024.

Par Jeune Afrique (Avec AFP)

Grande-Bretagne: Le président de la BBC démissionne après une affaire de conflit d’intérêts

avril 28, 2023
Deux hommes marchent devant les bureaux de la BBC.

Le président de la BBC Richard Sharp a annoncé sa démission vendredi. Photo: Reuters/Toby Melville

Épinglé pour un coup de pouce aux finances privées de Boris Johnson, le président de la BBC Richard Sharp a annoncé vendredi sa démission, une nouvelle turbulence pour le géant audiovisuel public dont l’impartialité est régulièrement mise en cause.

Ancien banquier, autrefois patron de l’actuel Premier ministre Rishi Sunak quand il était chez Goldman Sachs, Richard Sharp, 67 ans, avait été nommé en 2021, sur recommandation de Boris Johnson, alors chef du gouvernement.

Peu de temps auparavant, il avait joué les entremetteurs pour aider le même Boris Johnson à obtenir une garantie pour un prêt de 800 000 livres sterling (1,36 M$).

Une violation « par inadvertance »

Un rapport d’enquête indépendant publié vendredi a conclu à une violation des règles sur les nominations publiques.

Le texte estime qu’en omettant de déclarer le rôle qui avait été le sien dans l’obtention par Boris Johnson d’une garantie pour le prêt, Richard Sharp avait risqué de donner l’impression qu’il n’était pas indépendant vis-à-vis de celui qui était alors Premier ministre.

On voit l'homme en complet, dans une salle.

Richard Sharp a démissionné pour éviter une «distraction» par rapport au «bon travail» du géant de l’audiovisuel britannique. Photo : AFP

Il estime aussi qu’il risquait de donner l’impression d’influencer Boris Johnson pour obtenir son soutien, en l’avertissant de sa candidature à la présidence de la BBC avant de la soumettre formellement.

Le rapport conclut que j’ai enfreint le code de gouvernance pour les nominations publiques, mais que cette violation n’invalide pas nécessairement la nomination, a expliqué Richard Sharp en annonçant sa démission.

Invoquant une violation par inadvertance, il fait valoir qu’il veut faire passer en premier les intérêts de la BBC, estimant que cette affaire pourrait représenter une distraction par rapport au bon travail du géant de l’audiovisuel britannique.

Sa démission sera effective à la fin du mois de juin.

Dans une lettre à Richard Sharp, la ministre de la Culture Lucy Frazer a dit comprendre et respecter sa décision, le remerciant pour son travail à la présidence de la BBC, dont l’impartialité fait régulièrement débat.

Des voix se lèvent pour un processus de nomination « véritablement indépendant »

Au coeur d’une vive polémique en début d’année, brièvement suspendu pour avoir comparé la rhétorique du gouvernement sur les réfugiés à celle de l’Allemagne nazie des années 1930, le présentateur Gary Lineker a estimé que le président de la BBC ne devrait jamais être choisi par le gouvernement. Ni maintenant, ni jamais, a-t-il tweeté.

Boris Johnson regarde la caméra, à l'extérieur.

L’ancien premier ministre britannique Boris Johnson avait recommandé la nomination de Richard Sharp à la BBC. Photo: Getty Images

Principale formation d’opposition, le parti travailliste a aussi appelé à un processus véritablement indépendant pour désigner le futur président de la BBC

Richard Sharp aurait dû déclarer qu’il avait cette relation financière trouble avec le Premier ministre de l’époque, a déclaré Lucy Powell, responsable des questions de Culture au sein du parti travailliste, insistant sur les dégâts indicibles de cette affaire sur l’image de la BBC.

Le chef des Libéraux-démocrates Ed Davey a quant à lui appelé à un processus rigoureux, transparent et indépendant, plaidant même pour un vote de la commission parlementaire chargée des médias.

Le Premier ministre Rishi Sunak a refusé de s’engager sur une nomination apolitique pour le successeur de Richard Sharp.

Cent ans pour la BCC

Institution incontournable du paysage audiovisuel britannique, la BBC a fêté à l’automne dernier son centenaire en plein doute, tourmentée par la concurrence des plateformes payantes et les menaces qui planent sur son financement public.

La BBC s’est aussi retrouvée ces dernières années sous le feu des critiques des conservateurs au pouvoir, l’accusant de couverture biaisée, notamment sur le Brexit, et d’être centrée sur les préoccupations des élites urbaines plutôt que des classes populaires.

Le gouvernement – alors dirigé par Boris Johnson – a gelé début 2022 pour deux ans la redevance (159 livres, soit 271 dollars canadiens par an), alors que l’inflation met les finances des ménages à rude épreuve. Il avait aussi évoqué sa suppression à terme, une menace controversée jusque dans les rangs du parti conservateur.

Sous pression budgétaire, le groupe a annoncé en mai un plan visant à faire 500 millions de livres (852 millions d’euros) d’économies par an. Un millier d’emplois (sur un total d’environ 22 000 postes) sont supprimés, des chaines sont fusionnées et d’autres passent exclusivement en ligne.

Radio-Canada avec Agence France-Presse

RDC-Médias : le Csac condamne l’agression de Christian Bosembe

avril 3, 2023

Le bureau élargi du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (Csac), réuni en urgence le 2 avril  à Kinshasa, a condamné l’agression en France du président de cette institution d’appui à la démocratie, Christian Bosembe. 

Le président du Csac, Christian Bosembe 

« Le bureau élargi du Csac condamne avec la dernière énergie cette agression barbare, ignoble et indescriptible organisée et exécutée par ceux qui se disent combattants ou bataillon front populaire, qui utilisent les méthodes des terroristes et qui pour la plupart vivent en situation irrégulière en France et dans d’autres pays de l’Europe occidentale », a souligné cette structure dans un communiqué publié à l’issue de la réunion d’urgence.

A en croire la source, le Csac a déjà porté plainte auprès de la justice française. L’institution demande, par ailleurs, aux autorités françaises d’assurer plus de protection aux responsables de la République démocratique du Congo qui séjournent en mission officielle dans leur territoire, de rechercher activement, d’arrêter, de juger et de sanctionner sévèrement, jusqu’au refoulement du territoire français, ces « professionnels du chaos qui ne sont pas à leur premier forfait », a poursuivi cette institution, ajoutant : «C’est au prix de la réparation de l’opprobre subi que le Csac évaluera la bonne foi des autorités françaises».

Le président du Csac, Christian Bosembe Lokando, est en mission officielle en France depuis le 28 mars. C’est le 1er avril qu’il a été agressé par une bande de Congolais vivant dans ce pays. Les images de cette agression, filmées par les complices des agresseurs, ont été publiées sur les réseaux sociaux. Une voix bien audible qui serait de l’un des agresseurs donne des ordres à ces « complices » de filmer leur victime.

Avec Adiac-Congo par Lucien Dianzenza

Le Burkina Faso expulse des journalistes du « Monde » et de « Libération »

avril 2, 2023

Cinq jours après avoir suspendu France 24, le gouvernement du capitaine Traoré a expulsé samedi soir les correspondantes de deux grands quotidiens français, « Le Monde » et « Libération », nouveau signe de la dégradation de la liberté de la presse et des relations avec la France.

Le capitaine Ibrahim Traoré assiste à la cérémonie du 35e anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara à Ouagadougou, le 15 octobre 2022. © OLYMPIA DE MAISMONT / AFP

Le Monde et Libération ont annoncé dimanche matin l’expulsion de leurs journalistes par le Burkina Faso en dénonçant une mesure « inacceptable » et « arbitraire ». Sophie Douce du Monde et Agnès Faivre de Libération sont arrivées dimanche matin à Paris. Leur expulsion a eu lieu cinq jours après la suspension de la chaîne de télévision France 24 et quatre mois après celle de Radio France internationale (RFI). Seuls des médias français ont pour l’instant été ainsi sanctionnés par les autorités burkinabè.

Selon Libération, « Agnès Faivre et Sophie Douce sont des journalistes d’une parfaite intégrité, qui travaillaient au Burkina Faso en toute légalité, avec des visas et des accréditations valables délivrées par le gouvernement burkinabè ». « Nous protestons vigoureusement contre ces expulsions absolument injustifiées et l’interdiction faite à nos journalistes de travailler en toute indépendance« , ajoute le journal, pour qui ces expulsions confirment « que la liberté de la presse au Burkina Faso est lourdement menacée ».

Le Monde, pour sa part, « condamne avec la plus grande fermeté cette décision arbitraire », en soulignant que « Sophie Douce, comme sa consœur, exerce pour Le Monde Afrique un journalisme indépendant, à l’écart de toute pression ». Le directeur du journal, Jérôme Fenoglio, « demande aux autorités locales de revenir au plus vite sur ces décisions et de rétablir sans délai les conditions d’une information indépendante dans le pays ».

24 heures pour partir

Les deux journalistes avaient été convoquées vendredi à Ouagadougou à la sûreté nationale et ont ensuite reçu l’ordre de quitter le Burkina Faso dans les 24 heures. Avant son départ, Agnès Faivre avait déclaré que cet ordre lui avait été notifié « oralement ». « J’ai également été convoquée hier [vendredi] à la direction de la sûreté de l’État. Puis un officier est venu ce matin [samedi] à mon domicile me notifier verbalement que j’ai 24 heures pour quitter le territoire. Aucune notification écrite, ni motif. J’ai du mal à comprendre et à réaliser », avait pour sa part dit Sophie Douce.

Les autorités burkinabè n’avaient, dimanche matin, fait aucune déclaration sur le sujet. Ces expulsions surviennent quelques jours après la publication par Libération, le 27 mars, d’une enquête sur « une vidéo montrant des enfants et adolescents exécutés dans une caserne militaire, par au moins un soldat » dans le nord du Burkina. Cette enquête « avait évidemment fortement déplu à la junte au pouvoir au Burkina Faso », souligne le quotidien.

« Le gouvernement condamne fermement ces manipulations déguisées en journalisme pour ternir l’image du pays », avait écrit le porte-parole du gouvernement burkinabè, Jean-Emmanuel Ouedraogo, après la publication de cette enquête, assurant que l’armée agit « dans le strict respect du droit international humanitaire ».

France 24, RFI…

Depuis la prise du pouvoir par le capitaine Ibrahim Traoré le 30 septembre 2022, les relations avec Paris se sont dégradées, Ouagadougou ayant réclamé et obtenu le départ de l’ambassadeur de France et des 400 soldats français des forces spéciales basés dans le pays. Début mars, le Burkina a en outre dénoncé un accord d’assistance militaire signé en 1961 avec la France.

Le lundi 27 mars, le gouvernement de transition a coupé la diffusion de France 24 sur son territoire à la suite du décryptage d’un entretien du chef d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), quatre mois après avoir également suspendu la diffusion de RFI. Jean-Emmanuel Ouedraogo avait indiqué que ces deux médias étaient accusés d’avoir « ouvert leurs antennes à des leaders terroristes pour qu’ils propagent l’idéologie du terrorisme, de la violence, de la division ».

Le secrétaire général de Reporters sans frontière (RSF), Christophe Deloire, a dénoncé cette double expulsion « arbitraire, scandaleuse, indigne, qui n’est même pas notifiée par écrit publiquement ». « Après le renvoi d’ambassadeur, on est dans une logique du renvoi de journalistes comme s’ils étaient une variable d’ajustement des tensions diplomatiques : c’est absurde », a-t-il ajouté, affirmant que « le régime veut camoufler ses exactions ».

Par Jeune Afrique (avec AFP)

Olivier Dubois, otage au Sahel depuis 2021, a été libéré

mars 20, 2023

Après 711 jours de captivité, le journaliste indépendant a été libéré. Il avait été enlevé par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), au Mali.

Olivier Dubois a l'aeroport de Niamey le 20 mars 2023.
Olivier Dubois à l’aéroport de Niamey le 20 mars 2023.© Stanislas Poyet

Le journaliste français Olivier Dubois a été libéré. Il est arrivé libre lundi à l’aéroport de Niamey, près de deux ans après avoir été enlevé par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) au Mali, a constaté un journaliste de l’Agence France-Presse.

À sa descente de l’avion, Olivier Dubois est apparu souriant et visiblement ému, vêtu d’une chemise blanche ouverte et d’un pantalon beige.

Olivier #Dubois libéré après près de 2 ans (711 jours) de captivité. Immense émotion a l’aéroport de Niamey pic.twitter.com/vOwYD5Z8ps— Stanislas Poyet (@stanislas_poyet) March 20, 2023

La libération lundi du journaliste français Olivier Dubois est un « immense soulagement » après 711 jours passés au Mali en captivité, « la plus longue pour un journaliste français retenu en otage depuis la guerre au Liban », s’est félicité Reporters sans frontières.

« Nous avions eu des nouvelles rassurantes à plusieurs reprises ces derniers mois, et encore très récemment : il semblait en bonne forme, mais la durée de sa captivité nous inquiétait », a commenté le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire, interrogé par l’Agence France-Presse.

Par Le Point avec AFP

France 24 se sépare d’une journaliste arabophone accusée d’antisémitisme

mars 15, 2023
France 24 se separe d'une journaliste arabophone accusee d'antisemitisme
France 24 se sépare d’une journaliste arabophone accusée d’antisémitisme© AFP/Archives/KENZO TRIBOUILLARD

Après deux jours de polémique, la chaîne info France 24 s’est séparée mercredi d’une journaliste arabophone travaillant pour elle au Liban et accusée d’avoir publié par le passé des messages antisémites sur les réseaux sociaux.

Dans un communiqué, la chaîne a assuré vouloir déposer plainte contre cette journaliste, Joëlle Maroun, qui n’est pas une de ses salariés mais est employée par une société de production externe.

Trois autres journalistes arabophones mis en cause pour des messages hostiles à Israël ont pour leur part écopé d’un « rappel à l’ordre », selon ce communiqué d’abord diffusé en interne puis mis en ligne sur le site de la chaîne. Celle-ci dépend de France Médias Monde, structure publique chargée de l’audiovisuel extérieur de la France.

Ces décisions ont été prises à l’issue d’une enquête interne sur le cas de ces quatre journalistes arabophones, Joëlle Maroun, Laila Odeh (correspondante à Jérusalem), Dina Abi Saab (correspondante à Genève) et Sharif Bibi.

France 24 avait annoncé dimanche leur suspension « par mesure conservatoire » en attendant les résultats de cet audit.

Ces quatre journalistes avaient auparavant fait l’objet de mises en cause par l’ONG américaine CAMERA, reprises par le Centre Simon Wiesenthal, pour d’anciennes publications sur les réseaux sociaux.

Selon CAMERA, qui reproduisait des captures d’écran, Joëlle Maroun proclamait dans d’anciens messages: « C’est à chaque Palestinien de tuer un juif, et l’affaire est close » ou encore « Levez-vous, monsieur Hitler, levez-vous, il y a des personnes qui doivent être brûlées ».

D’autres messages exhumés par l’ONG et signés par les trois autres journalistes prenaient parti contre Israël dans le conflit israélo-palestinien.

« Messages intolérables »

« À la suite de l’audit qui a permis d’authentifier les publications, France 24 a signifié à la société de production qui emploie Joëlle Maroun au Liban que la chaîne met fin à toute collaboration avec cette journaliste », a-t-elle indiqué.

En cause: des « messages intolérables postés sur ses comptes personnels, aux antipodes des valeurs défendues par les antennes de la chaîne internationale et pénalement répréhensibles », selon France 24, qui a des antennes en français, en anglais, en arabe et en espagnol.

Elle assure qu’elle « déposera également plainte » contre la journaliste, « pour le préjudice porté à sa réputation et au professionnalisme de la rédaction ».

Concernant les trois journalistes visés par un « rappel à l’ordre », « certains de leurs messages postés sur les réseaux sociaux apparaissent comme des prises de position incompatibles avec le devoir d’impartialité figurant dans la charte de déontologie du groupe et notamment dans les principes encadrant les comptes personnels », selon la chaîne.

« L’usage personnel des réseaux sociaux doit respecter rigoureusement ce cadre déontologique et il est attendu de ces journalistes qu’ils y adhèrent clairement. Leurs collaborations avec France 24 pourront se poursuivre dans ce cadre », a-t-elle ajouté.

Enfin, « un travail commun sera entrepris par la direction et les sociétés de journalistes » de France Médias Monde, « pour approfondir les principes de la charte qui encadrent l’usage des comptes personnels des collaborateurs sur les réseaux sociaux ».

Avec Le Point par AFP

De quoi l’assassinat de Martinez Zogo est-il le nom ?

février 26, 2023

L’onde de choc provoquée par l’assassinat du journaliste n’en finit pas de se propager à Yaoundé. Une affaire qui pourrait menacer la cohésion de la nation camerounaise.

Lors d’une cérémonie en l’honneur du journaliste Martinez Zogo, dans le quartier Elig Essono, à Yaoundé, le 23 janvier 2023. © DANIEL BELOUMOU OLOMO/AFP

La cause est entendue : la liquidation crapuleuse de Martinez Zogo, journaliste en croisade contre la pandémie de corruption au sommet du pouvoir camerounais, s’inscrit dans le cadre de la « guerre des clans » entre prétendants à la succession du président Paul Biya. D’une certaine façon, les responsabilités seraient donc déjà établies. Resterait à trouver les coupables.

Cela tombe bien : un peuple d’ordinaire sevré de « justice » réclame, bave aux lèvres, des têtes: #JusticeForZogo. Un pouvoir d’ordinaire épris d’injustice brûle d’impatience de les offrir. L’enquête, plus administrative que judiciaire, autorise toutes les transgressions et manipulations, certes, mais si c’est pour aboutir à la mise à mort sociale du fameux Jean-Pierre Amougou Belinga, homme de paille honni des masses, alors l’opération sera in fine un succès politique : demande populaire de « justice » satisfaite ; médias internationaux, dont l’attention incommode fortement un régime allergique à la lumière, rassurés ; once de légitimité retrouvée auprès d’un peuple désorienté. Mais qui peut croire cette affaire si simple ?

« Choc » et «colère »

Les médias locaux ont fait état du « choc » et de la « colère » ressentis par les Camerounais devant la découverte de la dépouille de Martinez Zogo. Mais le sentiment qui domine dans les esprits est la peur. Ce n’est pas tant la mort d’un homme, dont les Camerounais sont malheureusement coutumiers, qui a heurté les consciences, mais les circonstances dans lesquelles celle-ci a été provoquée. Jambe brisée. Doigts coupés. Rectum défoncé, et autres abominations. La sœur aînée de la victime s’est émue de l’inhumanité de cet acte : « Même à ton pire ennemi, tu ne peux faire ça… »

Si l’on s’en tient aux premiers éléments de l’enquête distillés par des fuites savamment orchestrées, le journaliste aurait été assassiné par des professionnels. C’est donc en toute conscience qu’ils ont décidé de torturer leur victime, de la mutiler, mais surtout de laisser sa dépouille en « libre accès ». Elle devait être découverte, le victime, identifiée. Comme si l’acte en lui-même, pour atroce qu’il soit, était incomplet aux yeux des commanditaires en l’absence de publicité. Comme si celle-ci, par l’effet de sidération qu’elle produirait sur les esprits, donnerait son plein sens à ce crime.

D’une certaine façon, Martinez Zogo ne serait pas vraiment mort sans le spectacle macabre de son exécution. Les assassins du journaliste et, derrière eux, les donneurs d’ordre, avaient pour objectif de provoquer la terreur. Martinez Zogo a été victime d’un acte terroriste.

Loin d’être une exception, la déshumanisation à laquelle faisait allusion la sœur aînée de Martinez Zogo tend à devenir la norme. Et une nécessité. Certaines réactions de journalistes ont pu surprendre, tant ces derniers semblaient découvrir, à la faveur de ce crime abominable, la nature de l’État camerounais.

Un État engagé depuis sept ans, dans les régions anglophones, dans une guerre contre-insurrectionnelle, avec son cortège d’atrocités, d’abominations et de crimes contre des civils – certes commis des deux côtés. Ces villages incendiés, ces exécutions sommaires, ces actes de torture, ces abus quotidiens ont bien suscité quelques remous au sein du corps social. Mais rien de nature à ébranler les ardeurs du régime.

Légendaire fatalisme

Dans le sillage de l’élection présidentielle de 2018, nous avons assisté au pilonnage en règle d’un parti coupable de faire de la politique : leaders séquestrés et embastillés sans autre forme de procès ; militants et sympathisants, dont de nombreux jeunes, pourchassés, persécutés, et parfois poussés à l’exil. Des actes terrifiants que le corps social camerounais a, une nouvelle fois, absorbé dans son légendaire fatalisme. Et la vie a repris son cours inexorable. Mais à quel prix ?

Chaque silence légitime la transgression suivante – et la montée en gamme dans la violence qui l’accompagne. Chaque lâcheté ouvre la voie à la prochaine escalade, dans un engrenage qui n’épargnera personne. La mort de Martinez Zogo, après d’innombrables autres évènements, pose la question de la responsabilité collective du peuple dans le chaos qui vient. Elle nous tend un miroir qui nous montre nos compromissions, nos égoïsmes, notre déshonneur. Coupables ? Non. Responsables ? Assurément.

Avec Jeune Afrique

Yann Gwet

Par Yann Gwet

Analyste politique.

Expulsé de Turquie, un reporter du Point raconte

février 10, 2023

Guillaume Perrier a été arrêté par la police turque à l’aéroport d’Istanbul et empêché de se rendre dans les zones touchées par le séisme. Il témoigne.

Le nouvel aeroport d'Istanbul, inaugure en 2018 par le president Recep Tayyip Erdogan. Le reporter du Point Guillaume Perrier y a ete arrete et expulse alors qu'il tentait de se rendre dans les regions touchees par les seismes dans le sud du pays.
Le nouvel aéroport d’Istanbul, inauguré en 2018 par le président Recep Tayyip Erdogan. Le reporter du Point Guillaume Perrier y a été arrêté et expulsé alors qu’il tentait de se rendre dans les régions touchées par les séismes dans le sud du pays.

Il est 18 h 45, mercredi, lorsque j’atterris à l’aéroport d’Istanbul. Je sors en vitesse de l’avion pour attraper un vol intérieur et rejoindre, dans la soirée, la ville de Kayseri, puis, de là, les zones touchées par les terribles tremblements de terre. Comme toute la Turquie, je suis un peu sous le choc. J’espère être rapidement sur le terrain. Je suis en contact depuis deux jours avec des amis et des connaissances dans les différentes régions touchées, à Marash, à Adiyaman, à Diyarbakir, à Gaziantep… Certains ont passé deux nuits dehors avec leurs familles, terrorisés et transis ; d’autres organisent des convois de vivres et de couvertures pour les villages les plus isolés… Je pars les retrouver, passer du temps avec eux. Je sais que ce sera un reportage difficile, mais je suis impatient d’y être, pour faire mon métier. Lorsque j’arrive au guichet de contrôle des passeports, je suis déjà projeté sur la longue route qui m’attend.

Face à l’ampleur du désastre, devant les destructions énormes provoquées par les deux méga séismes qui ont secoué la Turquie et le nord de la Syrie, lundi, je n’ai pas hésité longtemps à partir. Dès les premières heures, il est clair que le bilan humain dépassera celui du séisme d’Izmit en 1999, qui fit, officiellement, 17 000 morts, près d’Istanbul. Ma place était sur ce terrain meurtri, dans ces régions et ces villes que je connais bien et dans lesquelles j’ai effectué d’innombrables reportages ces dernières années. Je voulais raconter le déploiement des opérations de secours, la solidarité internationale qui se met en place, la détresse des populations, l’incertitude que cela allait faire planer sur les élections, prévues dans 3 mois… Raconter aussi à quel point les tremblements de terre et leur mémoire sont inscrits dans l’histoire et la géographie des lieux. Être là, aux côtés de la Turquie et des Turcs, dans cette terrible épreuve.

De la bouche des survivants, j’ai souvent entendu les récits des catastrophes d’Erzincan, rasée en 1939 par une secousse de 7,9 sur l’échelle de Richter, de Lice en 1975, de Samsun ou Kütahya. Tous ceux qui ont vécu une secousse, même brève, connaissent cette sensation qui s’imprime dans un coin du cerveau et ne le quitte plus jamais. J’en ai moi aussi ressenti quelques-unes. À Istanbul, où j’ai habité pendant dix ans, le risque sismique fait partie du quotidien de chacun, c’est une réalité qui a traversé les siècles. Sainte-Sophie, détruite à plusieurs reprises, reconstruite et renforcée par des piliers antisismiques qui lui donnent cette allure caractéristique, est là pour en témoigner.

Les mystères des tremblements de terre

Le plus effrayant lorsque la terre commence à trembler, c’est qu’on ne sait pas quelle sera la durée et l’intensité de la secousse. Il faut attendre que cela se termine. Elle est, le plus souvent très brève, quelques secondes, parfois dix ou vingt. Lundi, cela a duré plus d’une minute.

Au 4e étage de l’immeuble où je vivais à l’époque, sur la rive européenne du Bosphore, les murs se mettaient parfois à danser et, d’un bond, je plongeais sous une grosse table en bois pour me protéger. À chaque fois, heureusement, il s’agissait de petites secousses, 4 ou 5 sur l’échelle de Richter, qui ne provoquaient pas trop de dégâts. Je voyais aussi les petits sacs que les Turcs rangeaient souvent dans un coin de leur appartement, derrière une porte. Des sacs de survie avec un peu d’eau, un paquet de biscuits, un sifflet, une couverture. Je connaissais les gestes, ceux qu’on apprend aux enfants dans les écoles, comment se recroqueviller en position fœtale, en protégeant ses organes vitaux.

En 2011, un séisme de 7 fit près d’un millier de morts dans la région de Van, tout à l’est du pays. J’étais parti immédiatement sur les lieux. Les conditions de reportage étaient difficiles : un froid glacial, peu de nourriture et d’eau, des opérations de secours compliquées, des répliques violentes qui faisaient trembler la terre toutes les dix minutes et fragilisaient un peu plus les bâtiments qui n’étaient pas tombés. Je me souviens qu’un hôtel de Van, où s’étaient installés des sauveteurs japonais et près duquel je dormais, s’était ainsi écroulé un matin faisant de nombreuses victimes. J’avais retenu cette leçon, il faut toujours dormir dans une voiture. De ce reportage, une sensation m’avait marquée. Celle de ce silence, lourd et épais, dans la nuit noire, l’oreille tendue de tous les sauveteurs, des proches de disparus, pour essayer d’entendre, dans les tas de gravats, la sonnerie d’un téléphone, une voix, une respiration. Cette gravité qui unit tout le monde, dans le but de sauver qui peut l’être.

Le huis clos de l’aéroport

Je tends mon passeport au policier, échange avec lui quelques formalités cordiales, lui présente mes condoléances pour les victimes. Il me répond d’un sourire et d’un clignement des yeux, je regarde la petite caméra qui m’enregistre. Il s’apprête à tamponner mon document, lorsqu’un dernier coup d’œil sur son écran d’ordinateur l’interrompt dans son geste. Il me demande de me mettre sur le côté et envoie mon passeport au guichet du chef. Dix longues minutes plus tard, mon passeport revient avec un autre fonctionnaire et l’on m’annonce que je fais l’objet d’une « interdiction de territoire ». Je suis escorté jusqu’à un autre guichet, à l’autre bout du gigantesque terminal de l’aéroport. Je comprends que mon voyage va prendre un itinéraire qui n’était pas celui que j’avais envisagé. Mon vol vers Kayseri va bientôt décoller, mon reportage va tourner court. Je me préparais aux paysages enneigés, aux villes détruites, aux étendues sinistrées. Je ne vais pas sortir du huis clos de l’aéroport.

Dans ce hall que je traverse dans la foulée du policier qui tient mon passeport, je croise un groupe de 16 pompiers français qui vient d’arriver, sans doute par le même vol que moi. Au guichet où l’on me mène, il y a des Canadiens, des Américains, des Algériens… Un groupe d’une trentaine de sauveteurs Taïwanais, tout de rouge vêtus, qui arrive en file indienne, d’un pas militaire… Les secouristes débarquent par milliers, de toute la planète. Une policière à peine trentenaire tamponne leurs passeports à la chaîne. « Combien de personnes ? Combien de chiens ? » demande-t-elle ? J’ai aussi été rejoint par une jeune femme, de nationalité bosnienne. Elle porte un niqab écru, d’où n’émergent que deux yeux bleu clair et quelques centimètres carrés de peau blanche. Elle ne comprend pas le turc, je fais la traduction.

La jeune fonctionnaire de police a l’air surprise lorsque je lui explique que je suis journaliste et que je suis venu couvrir les événements, comme des dizaines de confrères et de consœurs. Son écran lui indique que je suis interdit de territoire, suite à une décision administrative qui date de novembre 2022. Personne n’en sait plus et il n’y a aucun moyen d’obtenir plus de précisions. Rapidement elle m’explique que je serai expulsé vers Paris par le premier vol, celui de 7 heures le lendemain matin. Je passerai donc la nuit en rétention à l’aéroport. Comme la jeune Bosnienne qui, à côté de moi, se met à fondre en larmes, derrière son niqab.

En Turquie, les restrictions de la liberté de la presse

Cette péripétie n’est pas une grande surprise. Je m’étais préparé à un tel scénario. Ces dernières années, de nombreux confrères étrangers se sont vus interdire l’entrée en Turquie sous divers prétextes, rarement très clairs. D’autres ont été expulsés. Certains d’entre eux étaient des correspondants de longue date, des reporters chevronnés. Et je ne parle même pas de tous les journalistes turcs qui subissent depuis des années les nombreuses restrictions à la liberté de la presse, largement documentées, sous le régime de Recep Tayyip Erdogan. Je ne connais pas la raison de la décision qui me concerne. Un tweet ? Un article ? Une interview ? Certaines de mes enquêtes récentes ont sans doute fait tiquer quelques lecteurs attentifs à Ankara. Mais malgré tout les signaux contraires, je voulais croire que l’on me permettrait de continuer à faire mon métier de journaliste dans ce pays, la Turquie, dans lequel j’ai tant d’attaches. Cela fait près de 20 ans que j’y travaille, j’y ai vécu dix ans et j’y ai réalisé des centaines de reportages, d’articles nourris par une bonne connaissance du pays et des gens qui le peuplent. Je n’y ai jamais ressenti aucune forme d’hostilité, bien au contraire. Et même là, à l’aéroport d’Istanbul, ce n’est pas du tout le cas.

Je suis conduit jusqu’aux locaux de la police de l’immigration (göç idaresi), toujours dans la zone internationale de l’aéroport. Là encore, les fonctionnaires de police sont aimables et semblent aussi désolés que moi. Nous parlons des dernières nouvelles. Tout le monde est abasourdi par la catastrophe qui vient de se produire en Anatolie. Chacun y connaît quelqu’un qui est touché. Mes bagages sont rapidement inspectés, on me confisque mes stylos, ma ceinture, ainsi qu’une plaquette de paracétamol. Et on me conduit dans une sorte de cellule améliorée, avec une pièce de vie commune et quelques chambres spartiates autour, équipées de fauteuils dont la couleur et l’odeur témoignent un certain vécu. Les pièces sont éclairées par des néons blafards que l’on a interdiction d’éteindre et surveillées 24 heures/24 par des caméras. On me dépose un plateau-repas avec un peu de riz et des haricots, quelques cuillérées de soupe de lentilles froide. La porte est fermée à clé. Il n’y a pas de fenêtre. On peut appeler un gardien grâce à un combiné accroché au mur. Dans la pièce de vie commune, arrivent d’autres voyageurs naufragés : un groupe d’Algériens, dont les documents de voyage étaient suspects, des sans-papiers somaliens, un touriste italien, dont la carte d’identité était abîmée. Je discute avec deux Iraniens, qui ont visiblement une certaine habitude de la procédure d’expulsion. L’un d’eux, qui baragouine quelques mots de français depuis un séjour dans la prison de Saint-Omer, m’explique être un passeur de migrants. Il connaît bien la région de Calais. Je sers de traducteur entre les policiers qui ne parlent pas anglais et les nouveaux arrivants qui ne parlent souvent pas un mot de turc.

Les heures passent dans cette zone de rétention aéroportuaire. J’ai pu garder mon téléphone, ce qui me permet de tenir quelques personnes informées de ma situation. Et de suivre via Twitter, les dernières nouvelles du terrain. Le bilan des séismes s’alourdit d’heure en heure. 2 000, 3 000 morts… Quand on sait l’utiliser et suivre les bonnes sources, le réseau social fait remonter des informations utiles depuis les lieux sinistrés. Il permet aussi parfois de localiser des victimes, de coordonner des opérations… Mais tard dans la soirée, le réseau ralentit, des coupures sont signalées, des voix s’élèvent contre ce qui est perçu comme une nouvelle censure de l’information par le pouvoir. Dans ces premières heures, les autorités se voient reprocher par l’opposition turque et par beaucoup de « Depremzedeler » – les survivants des séismes- d’être plus préoccupées par la gestion de leur image à trois mois des élections, que par le drame qui frappe l’Anatolie.

Pendant cette longue attente, je repense aussi à cette menace sismique qui plane depuis des décennies sur Istanbul. La faille nord-anatolienne qui traverse le nord de la Turquie et passe à quelques kilomètres d’ici et menace de provoquer un tremblement de terre majeur, de la même ampleur que ceux de lundi. Mais Istanbul compte 17 millions d’habitants et l’on sait que plus de la moitié des constructions y est construite hors des règles légales et des normes antisismiques. Une telle catastrophe y serait encore plus destructrice. Est-ce que cet aéroport gigantesque dans lequel je passe la nuit, le plus grand du monde, construit à Istanbul ces dernières années et dont le chantier continue au moins jusqu’en 2027, résisterait à ce « big one » ? Les géants du secteur de la construction, cinq entreprises proches du pouvoir de Recep Tayyip Erdogan, qui ont obtenu ce marché public et beaucoup d’autres à travers tout le pays, dans quelle mesure ont-ils tenu compte du risque sismique ?

L’heure de rejoindre Paris

Il est bientôt trois heures, la pièce s’est vidée, les passeurs iraniens ont été reconduits vers Téhéran. Rattrapé par la fatigue, je m’assoupis un peu sur mon fauteuil orange, malgré la lumière et cette caméra, au-dessus de ma tête. Mais à 4 h 15, des bruits des perceuses et de marteaux me tirent brusquement de ce demi-sommeil. En Turquie, on n’arrête jamais de construire, même la nuit. Les Algériens sont toujours là, mais moins bavards qu’à leur arrivée. Un Tchétchène nerveux fait des allers-retours aux toilettes pour fumer des cigarettes. Peu après six heures, un gardien vient me chercher. Il est l’heure de partir. Mon passeport et la notification de la décision de m’expulser sont glissés dans une enveloppe et confiés à une jeune femme qui m’accompagne jusqu’à l’avion. Je retraverse dans sa foulée l’immense terminal aéroportuaire quasiment désert.

À 7 heures, je suis à la porte du vol Air France qui me ramène à Paris. C’est le même équipage que la veille. Comme dans toute procédure d’expulsion, mon passeport est remis au commandant de bord et ne me sera rendu qu’à l’arrivée par la police française. Je vais dormir pendant tout le trajet, le cœur serré de ne pas pouvoir aller raconter le sort de ces dizaines de milliers de Turcs frappés par le séisme. Je quitte finalement la Turquie, ce pays que j’aime tant et qui est aussi un peu le mien, avec une interdiction de territoire temporaire. Temporaire. Je ne veux retenir que ce mot.

Avec Le Point par Guillaume Perrier