La vie maritale a toujours été un cauchemar dans le couple malgré la naissance de leurs deux enfants de sexe différent. Le garçon exprimant un penchant masculin proche du père. Quant à la fille, elle a été le bras de secours de maman. Son sosie. Toujours à ses côtés dans toutes ses activités.
Entre contradictions rompant la belle harmonie familiale, Eulalie fait un accident de circulation à vélo, coincée par une auto, à l’arrêt d’une voie d’intersection contre un poteau électrique. Elle subit urgemment une intervention chirurgicale parce que son rein a été touché lors de ce fâcheux incident brutal. Jimmy, le mari devient le maître et la maîtresse de la maison.
Désormais c’est lui qui s’occupe de tout – du ménage. La femme est dispensée à tout effort humain pouvant déranger la consolidation du tissu rénal, placé sur la trajectoire de la conjonction des muscles de la manutention. L’homme trouve qu’il en fait trop devant une femme souffrant d’une telle invalidité. Même faire l’amour devient un problème qui ne trouve pas sa pleine satisfaction car celle-ci ne peut pas tourner dans tous les sens pour produire le plaisir attendu par son partenaire. Les moindres sensations de douleur de cette dernière ne l’arrangent pas car pour lui, elle n’est plus bonne à rien. Sinon une simple femme de salon. Un pur décor admirable au regard de sa beauté qui est un véritable trésor d’or possédant un éternel charme de jeunesse à quarante cinq ans.
Les caprices de l’amour se multiplient tous les jours. L’entente disparaît peu à peu et se distant. La compréhension se perd sur la bande de l’écoute. Eulalie sent le vent de la solitude rentré dans sa vie malgré la présence froide aux allures lointaines dans la conversation de Jimmy.
Chaque fois entre une colère, deux disputes éclatent et trois fugues d’abandon inscrivent la punition. Elle broie du noir tandis qu’il va passer les nuits de bonheur sentimental chez une jeune amie plus prenante en amour.
Un week-end, de retour, à la maison, il rentre en chantant, le sourire aux lèvres, déposant un baiser froid sur la joue sans mots. Il est heureux comme un papillon qui a passé son séjour à goûter à tous les sucs floraux du jardin public. Il feint de laver les assiettes comme il en a l’habitude. Mais de temps en temps un verre s’échappe de sa main, se casse et les débris occupent le plancher qu’il ramasse malgré lui, maugréant et murmurant.
L’atmosphère est à la provocation instantanée. Des petits sifflements d’ironie de sa condition de femme invalide effleurent chaque coin de regard quand il tourne dans le salon, la cuisine, la chambre dans la routine de son emploi de temps.
– Quelle vie de merde s’exclame-t-il ? Je puis me réjouir d’avoir passé un temps de repos à ne pas toucher à un seul objet avec mes mains, tout revenait de droit à la charge de la femme.
– Tu veux bien cesser de me marginaliser. Une réponse qui n’est pas de bon goût qui fait déborder le vase poussant monsieur à rentrer dans la chambre. A prendre sa valise. A se présenter devant elle. Lui tendre sa dernière main d’au revoir. Pesante, elle tombe dans la paume d’Eulalie qui fond en larmes quand Jimmy prend la porte et s’éloigne de lui en descendant l’escalier pour attendre son taxi.
Elle prend d’une main rapide son téléphone et appelle sa fille pour lui dire que la séparation avec son père est désormais consommée. Sa voix est aphone. Le teint est blême et un peu rosacée. Elle jette au sol sa perruque pour exprimer sa déception. Sa mélancolie. Des sanglots s’infiltrent dans le téléphone et résonnent fortement au point d’écoute de sa fille loin d’une ville proche de la frontière américaine. L’épreuve est difficile et épouvantable.
– Maman retiens tes larmes car je ne saurais te consoler à distance si tu vides toutes tes réserves lacrymales. La petite fille qui suit la conversation de mamie vient lui expédier un bon coucou à grand maman. Elle répond merci mais la chaleur n’est pas au rendez-vous. Elle ne réussit pas à stopper la fontaine de larmes dans le vide d’un appartement qui va hanter plus de vingt ans de vie commune. Elle la quitte sans grande force de persuasion.
Elle appelle son fils. Celui-ci est absent. C’est sa bru qui raccroche promptement. Elle constate que sa belle mère à la voix rauque sans éclat de bonne humeur. Elle est trahie par sa tonalité qui finit par laisser passer une suffocation. Le nez expire un éternuement chargé de morve de chagrin. L’échange n’est pas à la hauteur de la satisfaction et de l’attente d’une solution de remords. A chaque explication de la rupture avec Jimmy, elle perd l’équilibre et roule des phrases d’une lenteur grippée et suffocante. Elle ne continue pas car elle n’a trouvé la solution attendue. Elle aurait souhaité que son fils appelle son père s’il pouvait le convaincre à revenir.
A l’arrivée du fils, la bru raconte le coup du fil de la fatalité à son mari : « J’ai reçu une communication de maman qui est toute déprimante ». Il faut l’appeler. Le grand garçon rejoint sa mère, celle-ci croule en pleurs. Elle n’arrive pas à bien expliquer. Il dit à sa mère qu’il prend, à l’instant, sa voiture pour voir un possible retour de son père. Il téléphone son père. Personne ne répond. Il fonce seul chez sa mère.
A la sonnerie à la porte palière, elle ouvre et reçoit son fils qui lui tombe dans les bras. Elle lui serre fortement. Il relève la tête de sa mère plongée dans sa poitrine. Son visage est inondé de larmes. Il la fait asseoir. Lui propose un café noir. Il préfère un petit sec de cognac pour le réchauffer. Pendant qu’elle s’évertue en lamentations d’explication, il la trouve enfoncée dans son fauteuil sans espoir. Sa première tasse de café de compagnie pour noyer les soucis de la séparation sur la table basse a perdu la chaleur de la consommation car elle n’a plus de sens d’être prise seule.
Elle retrouve quand même espoir après cette visite de son fils. Ils se séparent avec un petit sourire aux lèvres. Mais la nuit a été dure à traverser. Le lit devenait trop vaste. Le chat noir d’une fourrure veloutée qui lance des miaulements évasifs se perdant dans le vaste espace d’une absence maritale, ne rencontrent plus aucune attention de sa patronne.
Le lendemain matin, elle ne résiste pas vivre sa solitude et fait une crise. Elle appelle l’ambulance. Le service arrive dans les minutes de l’urgence. Elle a vidé son énergie de mobilité et ne se tient plus debout. Les agents la placent sur une chaise à roulette pour la descendre du deuxième étage. Elle attire l’attention du voisinage. Quelques regards indiscrets aussi assistent, à travers les stores de visibilité.
Le séjour n’a pas été de longue durée à l’hôpital. Elle en sort avec un grand sourire. Elle a reçu des soins psychologiques à la hauteur de son abandon. Elle affronte sa nouvelle vie avec plus de courage et de sérénité.
Dans l’après-midi, les rayons venus de l’est désormais à l’ouest de l’appartement ont joué à la bonté d’une journée ensoleillée; elle brise les tabous de femme libre. Un voisin de l’autre bâtiment qui s’apprête à partir à une partie de sport est interpellé par elle. Les paroles de la conversation ne sont pas perçues. L’homme s’approche d’elle. Elle lui demande de monter pour être plus proche de sa silhouette dans son pyjama rose en quête d’affection. Elle arbore un sourire dès la première poignée de mains d’une chaleur pleine d’attente et de suite favorable. Ils se fixent rendez-vous après la fin de partie de sport. L’homme est aussi un célibataire. Il bondit sur une occasion toute offerte d’une femme qui désire avoir une compagnie pour traverser la longueur de la nuit.
Ayant déjà conduit ses pas sur les marches de l’escalier, l’étranger en franchit le seuil de la porte avec à l’appui un code : la porte n’est pas barrée ! Madame arrive pour l’accueillir, heureuse d’avoir pêché par son charme la volonté d’un cœur peut-être solitaire pouvant combler son vide sentimental.
Une tasse de café de réception accompagne la rencontre. L’échange est fructueux. L’admiration a produit sa sensation. Les deux personnes sont contentes de leur approche. Une entente cordiale anime les visites à chaque occasion autour d’un café, d’une tisane et d’un verre de lait. La joie refait surface sur le visage d’Eulalie. Elle en parle à sa fille et à son garçon qu’elle a trouvé un homme qui peut l’accompagner à sa traversée du désert. Le soulagement est présent dans les conversations téléphoniques.
Lors d’une soirée familiale, les enfants ont invité leurs deux parents mais le père s’est présenté avec sa nouvelle amie. La maman qui était partie seule a ressenti une frustration ayant gâché la rencontre. Eulalie rentre la tête pleine de colère.
A son arrivée, pour venger cette infamie, elle appelle son étranger à minuit, pour venir passer la nuit en adultes sans autre intention d’amour mais tout simplement afin d’équilibrer les émotions et bien vider le spleen. La réponse est favorable. Elle est heureuse d’avoir un homme sur son lit malgré la crise de jalousie de la soirée. La porte n’est pas fermée. Son visiteur attendu arrive aux premières sollicitations. La joie et le sourire éclatent et inondent son visage. La vengeance est de bonne guerre.
Au réveil, dans les prémisses de l’aube, il quitte l’appartement car il doit être sur sa table de rédaction pour préparer les articles de son blog d’où ses nombreux lecteurs – visiteurs réguliers – de sa source d’information en a fait un sûr breuvage.
De temps en temps avec la multiplication des rencontres, des ballades de nuit sont organisées pour aller faire de l’épicerie sur le grand boulevard de concentration de nombreux magasins d’alimentation et d’achalandage. Eulalie retrouve sa condition féminine. Elle se valorise et la chaleur éteinte par des années de violence acerbe illumine son visage après une stratégie à l’abandon mise en place depuis son accident.
Le nouvel homme de sa vie est un pur Apollon des temps modernes.
© Bernard NKOUNKOU