ALERTE. Malgré l’arrestation de l’ingénieure et activiste Ameera Osman, les militants prodémocratie refusent d’obtempérer face à aux intimidations.
Ce n’est pas la première fois que ce salon bourgeois de l’est de Khartoum est pris d’assaut. En 2019 déjà, à quelques semaines de la chute du dictateur Omar el-Béchir, les forces de l’ordre avaient fait irruption dans cette vaste pièce abritant trois jeux de fauteuils et une table basse respectivement en velours framboise, en tissu or et café, et en bois et toile fleurie. À l’époque, ils recherchaient Amani Osman. L’avocate s’était d’abord échappée, avant d’être rattrapée puis enfermée durant trente-huit jours. Ce 22 février, sa sœur benjamine, Ameera Osman, qui vit, comme toute la famille, sous ce même toit, n’a pas eu cette chance. Il était 23 h 30 lorsqu’une trentaine d’hommes se sont introduits par la porte arrière de la demeure. Ameera Osman se déplace en outre avec difficulté depuis que sa colonne vertébrale a été touchée lors d’un éboulement de façade, il y a cinq ans.
Cette ingénieure en informatique de 40 ans est bien connue des services de renseignements soudanais (GIS). Sous l’ancien régime, elle avait été interpellée car elle portait un pantalon ou encore refusait de mettre le voile, alors obligatoire. Membre du Parti communiste, elle est par ailleurs active au sein du comité de résistance de son quartier et a pris la tête, en avril dernier, du mouvement Non à l’oppression des femmes. Cette nouvelle incarcération intervient dans un contexte de reprise en main du pouvoir par les militaires depuis le coup d’État du 25 octobre. Une situation encore aggravée par la restauration, fin décembre, des pleins pouvoirs du GIS.
Un lieu de détention inconnu
Amani Osman a assisté, impuissante, à l’invasion de la horde d’hommes, au visage dissimulé par une écharpe. Certains étaient armés de kalachnikovs, de pistolets et de tuyaux de canalisation en guise de bâtons – dont un, oublié, se dresse au milieu des plantes vertes et services à café décoratifs du séjour familial. « Ils se sont présentés comme la brigade des stupéfiants. Ils ont dit qu’ils emmenaient Ameera pour l’interroger et qu’elle rentrerait après », rapporte sa sœur aînée, qui ne croit pas, un instant, à ces explications douteuses. Elle s’empresse d’alerter, sur les réseaux sociaux, ses compatriotes, engagés pour beaucoup dans une fervente lutte contre les putschistes.
Amani Osman, ses proches et ses collègues du barreau sont ensuite baladés entre plusieurs postes de police de la capitale. L’ingénieure semble finalement localisée à la prison pour femmes d’Omdourman, ville voisine de la capitale. Mais impossible, une fois sur place, de voir la détenue. « Les services de sécurité ont fini par nous assurer qu’elle n’était pas avec eux et qu’elle était peut-être retenue par les Forces de soutien rapide [puissante milice dirigée par le vice-président du Conseil souverain, NDLR] ou par les militaires. Ils ont toutefois refusé de signer un papier officiel pour l’attester, poursuit l’avocate. Les autorités veulent faire peur aux femmes et les décourager de protester contre ce régime. Leur message s’adresse à toutes les femmes car tout le monde connaît Ameera ! »
Une tentative vaine de museler les femmes
« Elle était toujours en tête des cortèges, même avec ses béquilles », assure Ihsan Fagiri, l’ex-présidente de Non à l’oppression des femmes, également passée par la case prison sous el-Béchir. À travers l’arrestation de son amie, cette médecin dénonce « un nouveau type de violence qui vise à terroriser les femmes pour les empêcher de sortir et de faire entendre leur voix. » Pas question d’obtempérer pour autant. Ce 2 février, une bonne soixantaine de femmes de tout âge, accompagnées de quelques hommes, se sont en effet réunies devant les locaux du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme pour réclamer la libération d’Ameera Osman et des dizaines d’autres détenus politiques.
Entre deux slogans, Malk Ihssan, une étudiante en faculté d’ingénierie, explique que ses « amis sont dans les prisons du général Burhane [principal auteur du coup d’État, NDLR], sans aucune raison ». Nous demandons leur libération car ce ne sont pas des criminels. Ils sont simplement descendus dans la rue pour réclamer la liberté et un gouvernement civil. » « Ainsi que la justice pour le Soudan, complète sa cadette, Minatallah Ihssan. Les militaires ne peuvent pas nous empêcher de continuer à manifester. »
Une militante historique
À quelques mètres des deux jeunes femmes, Faisal Salih, l’ancien ministre de la Culture et de l’Information, devenu conseiller de l’ex-Premier ministre Abdallah Hamdok jusqu’au coup d’État, confirme : « Les militaires pensent que cela va nous décourager, mais nous n’arrêterons pas. » Lui-même détenu pendant un mois après le putsch, il s’est surtout déplacé pour soutenir son amie de longue date. « C’est une femme très forte et très engagée dans la défense des droits de l’homme. Nous avons travaillé ensemble pour de nombreux événements, des ateliers, des manifestations, énumère Faisal Salih. L’arrestation d’Ameera constitue une flagrante violation des droits de l’homme. Elle n’a fait qu’utiliser ses droits civiques et des moyens pacifiques pour réclamer la démocratie. Elle n’a jamais entretenu de lien avec une organisation violente et mérite, par conséquent, d’être traitée de manière équitable. » Or son état de santé, tout comme la réputation des services de sécurité, tristement célèbres pour perpétrer mauvais traitements, torture et viols, inquiète les proches d’Ameera Osman.
De son côté, l’ONG britannique Redress appelle « les experts des Nations unies à intervenir de toute urgence en faveur d’une éminente militante soudanaise des droits des femmes ». En attendant, les petits-neveux et nièces de l’activiste restent traumatisés par le rapt nocturne qui a fait remonter les amers souvenirs hérités de la dictature. « Les enfants ont peur. Maintenant, nous fermons systématiquement la porte d’entrée et ils me supplient de ne plus sortir », raconte Amani Osman. En cet après-midi du 2 février, tous avaient malgré tout quitté leur coquet salon afin de réclamer justice pour cette icône de la lutte pour les droits des Soudanaises.
Avec Le Point par sa correspondante à Khartoum, Augustine Passilly