D’innombrables comédiennes ont été présentées comme de « nouvelles » Marilyn Monroe. Un livre raconte le parcours, souvent tragique, de dix d’entre elles.

On ne succède pas impunément à un mythe. Pour avoir tenté de remplacer Marilyn Monroe, de nombreuses comédiennes se sont brûlé les ailes à Hollywood. Non seulement leur vie a été tragique mais leur carrière a ensuite été occultée. Leur filmographie s’effaçant presque après leur trépas. Si les noms de Jayne Mansfield et Anna Nicole Smith restent encore dans les mémoires, la plupart de ces jeunes actrices, surtout celles ayant émergé dans les années 1950 et 1960, ont aujourd’hui été presque totalement oubliées.
Dans un livre-hommage* d’une grande beauté, Adrien Gombeaud répare cette injustice en évoquant le destin de dix d’entre elles. L’auteur, connu pour ses ouvrages sensibles sur le septième art (il a signé une formidable biographie de Bruce Lee mais aussi une évocation magique de la petite ville de Tombstone en Arizona, la toile de fond à de multiples westerns), dépeint ici leurs parcours, leurs succès mais aussi et surtout leurs chutes après avoir pris la lumière des sunlights.

Surprise… Une Française figure dans le lot ! Elle se nomme Corinne Calvet (1925-2001). Les cinéphiles retiennent d’elle une apparition envoûtante dans un western de Louis King : La Rivière de la poudre (1953). On l’y voit incarner une « entraîneuse » de saloon troublant tous les cow-boys qu’elle croise. Coïncidence étonnante, dans ce film malheureusement peu programmé, elle arbore le même corset fleuri que portera, quelques mois, plus tard Marilyn dans La Rivière sans retour d’Otto Preminger. Adrien Gombeaud reconstitue d’une plume alerte sa carrière cinématographique.
Née à Paris dans une famille aisée du 16e arrondissement (son père, Pierre Dibos, a inventé un verre ultrarésistant qu’on appellera bientôt le Pyrex), Corinne Calvet a d’abord tâté des Beaux-Arts. Ses dessins ont même retenu l’attention de Jean Cocteau. Repérée par le réalisateur Jean Delannoy après une série de portraits réalisés par le photographe de mode Sam Levin, elle opte vite pour le septième art, multipliant les petits rôles à partir de 1945 dans des productions françaises. Cinq ans plus tard, elle traverse l’Atlantique pour tenter sa chance aux États-Unis. Elle ressemble vaguement à Rita Hayworth. Corinne Calvet est, un temps, envisagée comme « doublure » de la star avant de jouer les femmes fatales, à l’accent « frenchy », dans plusieurs longs-métrages de John Ford et d’Anthony Mann. Mais, à la quarantaine, son téléphone cesse de sonner. Le désespoir la conduit aux portes du suicide.
Étoiles filantes

Le parcours météorique de Jayne Mansfield (1933-1967) suit la même trajectoire… mais en accéléré ! Au contraire de Mae West, son modèle, qui la soixantaine passée n’avait pas raccroché ses boas et continuait de se produire dans les cabarets new-yorkais, la carrière de cette jeune femme tourne court. Sa plastique parfaite a fait la une de Playboy en 1955. Elle connaît la gloire entre 1956 et 1958 à travers trois films mettant à l’honneur sa blondeur. Après avoir imprimé la pellicule sous l’œil de Frank Tashlin et Raoul Walsh, la comédienne périclite douloureusement dans les années suivantes. Problèmes d’alcool et déboires conjugaux pavent sa lente descente aux enfers qui se solde par un accident de la route le 29 juin 1967, sur une route de Louisiane. La mort la cueille à tout juste 34 ans.
Plus qu’une succession de notices biographiques, l’ouvrage d’Adrien Gombeaud propose une plongée saisissante dans les coulisses des studios des années 1950 et 1960. S’il dénonce une époque où les apprentis-comédiennes sont la proie facile des prédateurs sexuels qui les dirigent, son livre s’attaque aussi aux liaisons dangereuses que certaines starlettes de l’époque entretiennent avec des figures du crime organisé. Les destins des Américaines Liz Renay (1926-2007), Barbara Payton (1927-1967) ou encore de l’Anglaise Diana Dors (1931-1984) témoignent ainsi des dangers de certaines de ces relations toxiques. Ces trois actrices ont toutes eu à souffrir d’amants-manageurs malhonnêtes. L’auteur se penche aussi sur la manière dont les spécialistes du marketing des grandes sociétés de production d’alors (la Fox qui avait Marilyn sous contrat, mais aussi Columbia Pictures, MGM, Paramount et Warner) envisagent les jolies frimousses.
Les starlettes sont pour eux des « produits » susceptibles de répondre aux attentes d’un public désireux d’oublier les rudes années de la guerre. Ils les jettent sans ménagement dès qu’elles ne répondent plus à leur office. Le parcours de Joi Lansing (1929-1972), présentée faussement comme une Marilyn « mormone » parce qu’elle est née à Salt Lake City, ou encore celui de Sheree North (1932-2005) illustrent la cruauté des « agents » qui les considèrent comme de vulgaires marchandises frappées d’une date de péremption. La première jouait pourtant l’inoubliable Zita dans la scène d’ouverture de La Soif du mal d’Orson Welles en 1958 ; elle finira par cachetonner dans des films d’horreur de troisième zone à l’orée des années 1970. La seconde, lancée début 1955 par la Fox pour remplacer au pied levé Marilyn Monroe, alors désireuse d’abandonner les rôles de jolie idiote pour se consacrer à des films d’auteur, se retrouvera au générique de séries télévisées moins glamour vingt ans plus tard (Kojak, Mannix, Hawaï Police d’État).

Même les actrices les plus lucides sur le star-system finissent par se faire broyer par la machine. Prenez Anna Nicole Smith (1967-2007), par exemple. Cette ancienne serveuse du Texas ne se fait aucune illusion sur la vraie nature de Hollywood. Convaincue que sa silhouette compte plus que son intellect, elle a sacrifié au bistouri. À sa demande, le chirurgien esthétique, Gerald W. Johnson, a augmenté artificiellement son tour de poitrine à la veille de ses vingt ans. Désormais dotée d’une paire de seins siliconés, Anna Nicole écume les podiums de clubs de strip-tease avant d’approcher l’empire Playboy.
Sans contact dans la profession, elle sait qu’une une de ce magazine est seule susceptible de lui ouvrir les plateaux de cinéma. Son calcul se révélera payant puisqu’elle se retrouvera devant la caméra des frères Coen en 1994 dans Le Grand Saut. Mais cette métamorphose n’aura pas été sans conséquence sur son équilibre mental.
Au milieu de tous ces drames, la vie de Mamie Van Doren, pour mouvementée qu’elle fût, en apparaît presque comme un modèle de tranquillité. Cette accorte demoiselle, née Joan Olander en 1931 dans le Dakota du Sud, est probablement celle, de toutes les femmes évoquées par Gombeaud, qui a le mieux passé le douloureux mur du temps.
Sosie de Jean Harlow dans sa jeunesse, elle a conduit une carrière bien plus paisible que les autres actrices citées dans ce livre. Après des débuts prometteurs en Californie, elle a obliqué vers l’Italie quand les producteurs américains ont commencé à l’ignorer. Elle a ensuite revu ses prétentions artistiques à la baisse en acceptant de jouer au théâtre loin de Broadway, dans une petite salle de Meadowbrook dans le New Jersey. C’est là, à plus d’une heure de voiture de New York, qu’elle a pu continuer d’éprouver les frissons de la scène bien après que le rideau fut tombé pour ses camarades. Et ce jusqu’à un âge avancé. Mamie Van Doren vient en effet de fêter ses 92 printemps et ne semble pas près de raccrocher si l’on en juge par l’activité débordante de son compte Instagram !
Happy. Birthday 92. pic.twitter.com/ZKdMBEomhE— Mamie Van Doren (@Mamievandoren) March 9, 2023
*Des blondes pour Hollywood, Marilyn et ses doubles, d’Adrien Gombeaud, Capricci éditions, 160 p, 17 euros.
Avec Le Point.fr par Baudouin Eschapasse