L’Affaire DSK vue par un Africain-Américain à Paris
L’affaire Dominique Strauss-Kahn continue à passionner ici, à Paris, maintenant que le voilà revenu dans un paysage politique en transition où le Parti socialiste est obligé de se tourner vers des candidats de deuxième choix pour l’élection présidentielle de 2012.
La rencontre de neuf minutes entre DSK et la femme de ménage de l’hôtel Nafissatou Diallo dans la suite 2806 du Sofitel de Manhattan le 14 mai dernier lui a sans doute coûté la présidence française de l’année prochaine, élection qu’il aurait aisément pu remporter. Beaucoup de Français acceptent la situation telle qu’elle est, et considèrent que c’est le «destin» qui l’a voulu.
Mais saurons-nous jamais ce qu’il s’est vraiment passé ce jour-là, entre deux personnes de cultures, de milieux et de situations socioéconomiques si différents? Grâce à la décision fort peu courageuse du procureur de Manhattan Cyrus Vance Jr. d’abandonner toutes les charges, garantissant ainsi que les faits ne seront jamais exposés publiquement dans un tribunal, nous ne le saurons pas.
Vance a manqué du courage nécessaire pour voir plus loin que les facteurs juridiques. En tant que produit du monde universitaire de l’Ivy League, de l’establishment de l’est américain et de tout ce que cela implique, envisager qu’une mère célibataire pauvre issue de l’ethnie peule de Guinée puisse avoir été forcée à consentir aux exigences lubriques de DSK, de peur de perdre son travail de femme de ménage à 25 dollars de l’heure, n’est probablement pas compatible avec la structure de son ADN.
C’est l’histoire de trois cultures, de trois individus —un leader politique juif, un avocat WASP (White anglo saxon protestant) et une femme de chambre musulmane— de trois continents différents, dont les destins sont entrés en collision par une après-midi ensoleillée du mois de mai.
Voilà ce que nous savons: à 12h06, selon les données de la clé magnétique, Diallo est entrée dans la suite 2806 pour la nettoyer, la croyant vide, et est tombée nez à nez avec un DSK extrêmement dénudé sortant de la salle de bains. DSK a appelé sa fille à 12h15. Donc, neuf minutes après y être entrée, Diallo s’est enfuie de la suite avec du sperme de DSK sur son uniforme. La grande question est: comment est-il arrivé là?
Homme blancs, femmes noires
Connaître les caractéristiques de certaines cultures africaines lorsqu’un homme puissant désire une femme pauvre mais séduisante, qui n’est pas une prostituée, peut aider à comprendre la situation. Si elle cède et a une relation sexuelle avec lui, il sait qu’il doit lui laisser quelque chose de valeur après. C’est implicite, mais néanmoins c’est la coutume, car il doit respecter sa dignité.
En l’absence de faits connus, on peut dans le cadre d’un scénario plausible imaginer le dilemme de Diallo à la vue de cet homme blanc, DSK, se jetant sur elle depuis la salle de bains, totalement excité et bien décidé à la faire céder. Diallo, en tant que femme africaine, a pu prendre une décision hâtive, selon moi. Valait-il la peine de résister aux exigences de DSK et de risquer de mettre en péril son emploi à 25 dollars de l’heure? Elle sait à peine lire et écrire en anglais et a une fille adolescente à élever. Où pourrait-elle trouver un emploi aussi bien rémunéré?
Alors peut-être Diallo a-t-elle opté pour la moindre résistance et s’est-elle soumise à la contrainte pour des raisons économiques, tout en s’attendant à une forme de compensation à la fin. Cela pourrait expliquer pourquoi elle est entrée de nouveau dans la suite à 12h28, après le départ de DSK —pour voir ce qu’il lui avait laissé. Ne trouvant rien, elle a compris qu’elle s’était fait avoir, sa dignité a été offensée et elle était probablement très en colère contre elle-même. C’est là que débute la vraie saga.
L’histoire de la culture des hommes blancs et des femmes africaines —le métissage— est ancienne mais complexe, et remonte au moins au XVIIe siècle, à l’époque où la France était une nation très impliquée dans la traite négrière possédant des plantations de canne à sucre dans les Caraïbes et en Louisiane.
Le roi Louis XIV promulgua un décret en 1685 pour faire entrer le Code noir en vigueur, dont les clauses définissaient les conditions de l’esclavage dans l’empire colonial français, restreignaient les activités des noirs libres et définissaient la nature des relations entre les propriétaires et leurs concubines esclaves, tout particulièrement en ce qui concernait leur progéniture. La Louisiane adopta ce code en 1724, où il resta en vigueur jusqu’à la vente de l’État en 1803.
Si le coq est le symbole de la France, il y a une raison. Après l’arrestation de DSK et la diffusion des photos de sa «perp walk» [exhibition devant les médias, menotté, lors de son transfert], nous avons pu voir de petits napoléons français s’agiter en bouillonnant de rage à cause de ce qu’il s’était passé à New York. Montrer un homme, considéré comme invincible, rabaissé par une Africaine pauvre et conduit devant la justice comme son égal à Manhattan, voilà qui était nouveau pour les Français des hautes sphères de la classe politique, quasiment intouchables chez eux.
La sensation que le cours du destin de la France était changé par une femme africaine (et une femme de ménage en plus) originaire de Guinée, ancienne colonie française qui rejeta tous liens avec la France lors de son indépendance en 1958, était rien moins que choquant. Le fait que cela puisse se produire dépassait leur entendement. Dans ce scénario, DSK est la victime, pas Diallo, surtout après son séjour à Rikers Island.
Malgré le soutien apporté par les colonies françaises au général de Gaulle pendant la Seconde Guerre mondiale, le sale petit secret qui se cache ici est que la plupart des Africains sont encore regardés de haut par beaucoup d’hommes français d’un certain âge. Ils ne sont pas pris au sérieux en tant qu’êtres humains, et sont considérés comme tout juste bons à jouer au foot, faire de la musique ou que pour leurs jeunes femmes, objets notoires de convoitise. Un journaliste de la télévision hexagonale a allègrement classé toute l’affaire DSK comme un «troussage de domestique», suggérant que le maître a parfaitement le droit de retrousser les jupes de l’une des ses employées si cela lui chante.
Dominique Strauss-Kahn est un produit de cette culture et de cette mentalité. Et la liste de ses «conquêtes» est longue; de Marie-Victorine M., socialiste française née au Congo qui tenta de se suicider quand DSK rompit leur liaison au bout de neuf mois, à Anne Mansouret, élue socialiste qui qualifia sa relation consentie avec DSK de «clairement brutale». Sa fille, la romancière Tristane Banon, a porté plainte contre DSK en France: elle l’accuse d’avoir tenté de la violer en 2002.
«Pauvre justice»
Là-bas, sous le ciel américain, Vance et ses avocats ont apparemment conclu que s’ils ne pouvaient remporter l’affaire, à quoi bon aller jusqu’au procès? Le témoin n’est pas fiable, ont-ils jugé, son témoignage ne tiendra donc pas debout. Mais même en France, les gens veulent savoir pourquoi l’uniforme de femme de ménage de Diallo était taché du sperme de DSK quand elle est sortie de la suite.
Vance, pénétré de la mentalité de son milieu, n’a vu que la lettre de la loi et pas la dimension culturelle de l’affaire.
Diallo a-t-elle été contrainte à faire ce qu’elle a fait par peur de perdre son travail si elle ne se soumettait pas à un homme puissant, qui pouvait la détruire économiquement? Un rapport sexuel consenti sous contrainte psychologique n’est peut-être pas illégal, mais il est immoral. Vance est-il passé à côté de l’occasion d’ouvrir une nouvelle voie juridique en n’envisageant pas qu’une femme ait pu se sentir économiquement menacée par DSK autant que s’il lui avait posé un pistolet sur la tempe? Nous ne le saurons jamais.
La vraie morale de cette histoire est que l’argent et les avocats hors de prix continuent de prévaloir quand le puissant s’attaque au faible. Et une femme africaine est particulièrement vulnérable dans cette situation, ne serait-ce que parce qu’elle est loin de chez elle. Au moins, les propriétaires français de l’hôtel Sofitel, qui ont continué à lui verser son salaire, ont-ils dit à Nafissatou Diallo qu’elle pourrait retourner au travail quand elle se sentirait prête. Pauvre justice, c’est le moins que l’on puisse dire.
Leroy Woodson Jr. est un journaliste africain-américain vivant à Paris, dont les observations sont inspirées par de nombreuses années de fréquentation des cultures française et parisienne.
Traduit par Bérengère Viennot
Source: SlateAfrique