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Soixante ans après le livre de René Dumont, l’Afrique reste à quai

février 18, 2023

Au lendemain des indépendances africaines, le pionnier français de l’écologie politique publiait un livre dans lequel il dressait un diagnostic sombre de l’avenir du continent. Six décennies plus tard, à bien des égards, ses conclusions demeurent d’actualité.

Des élèves dans la cour de l’Institut technique et commercial (ITC), à Kinshasa, le 10 août 2020. © Arsene Mpiana/AFP

En 1962, l’agronome français René Dumont publie L’Afrique noire est mal partie. Si l’auteur est bienveillant, il délivre néanmoins un réquisitoire méthodique sévère sur l’Afrique subsaharienne, condamnée au sous-développement par ses élites. Dans son diagnostic, il déplore l’absence de politiques agricole et éducative, et dénonce le poids de la corruption et du népotisme qui érodent les ressorts de la prospérité.

Ses réflexions provoqueront un scandale, tant la voix de René Dumont est à contre-courant de l’euphorie post-coloniale dominante à l’époque, qui prédisait un avenir radieux au continent africain. Le débat sera tranché par la suite, les analyses de Dumont s’avérant prophétiques et, plus d’un demi-siècle plus tard, elles sonnent toujours aussi juste.

Potentiel étourdissant

La première partie de l’ouvrage est consacrée à l’agriculture, caractérisée aujourd’hui par le sous-investissement et l’inadéquation des systèmes. Les rendements pâtissent des moyens rudimentaires, la moitié des productions vivrières est perdue, le cacao, le café, le coton occupent des masses d’agriculteurs pour un maigre revenu qui les détournent pourtant de cultures indispensables pour l’assiette.

Si le continent détient la majorité des terres arables inexploitées du globe, le secteur agricole ne réalise pas les performances que l’on est en droit d’espérer de lui au regard de son potentiel étourdissant. Dans l’alimentation, le recours aux importations est prépondérant, pour une facture annuelle dépassant les 50 milliards de dollars. Un phénomène d’autant plus surprenant que la région, en plus des terres, dispose d’une jeunesse abondante et désœuvrée.

La situation n’est guère plus réjouissante avec l’éducation, elle aussi dans le viseur de René Dumont. En dépit d’une démographie dynamique, les pays africains restent à la traîne. Selon les données de l’Unesco, près de 60 % des jeunes âgés de 15 à 17 ans ne sont pas scolarisés, et les chiffres de l’analphabétisme atteignent des proportions effrayantes. Sur les 10 pays ayant les taux les plus élevés au monde, 9 se trouvent en Afrique. Des statistiques aussi alarmantes que déprimantes, décuplées par les conflits armés et le désinvestissement dans l’éducation, perpétué par les autorités.

Objectifs irréalistes

La cohorte d’artisans des décennies perdues, pointée du doigt par Dumont, conserve des postes importants et il arrive que la présidence se transmette de père en fils. L’Afrique se distingue au palmarès des chefs d’État les plus vieux de la planète, leur renouvellement intervenant souvent de manière dramatique, imposé par un décès ou par l’armée. Les coups d’État qui avaient connu une légère accalmie de 1990 à 2010, réalisent un retour tonitruant en Afrique francophone, où on en dénombre une petite dizaine depuis 2020. Dans les différents baromètres, les fraudes électorales, le changement de constitution et la corruption tiennent toujours le haut du pavé.

En révélant avec brio tous ces handicaps, l’agronome prolifique avait un fil conducteur : la lutte contre la pauvreté. Sur ce plan, le constat est amer : tandis que la pauvreté a reculé dans le monde, elle a augmenté en Afrique. Le couperet tombe en 2018, quand la Banque mondiale déclare que « l’extrême pauvreté devient un problème essentiellement africain » et en 2021, la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), estime finalement que les objectifs de développement durable (ODD) fixés en 2030 pour les pays moins avancés sont totalement irréalistes. L’histoire reste à écrire et ce chantier est loin d’être entamé.

Avec Jeune Afrique

Serge Eric Menye

Par Serge Eric Menye

Fondateur de Grassfields Ventures

Les infrastructures, plus que jamais une priorité pour l’Afrique

février 6, 2023

Pour exploiter au mieux son potentiel économique, le continent doit investir 100 milliards de dollars par an dans les infrastructures. Le 2e Sommet sur le financement des infrastructures, qui s’est tenu les 2 et 3 février à Dakar, a sensibilisé acteurs politiques et bailleurs de fonds.

Ouverture du 2e Sommet sur le financement des infrastructures en Afrique, au Centre international de conférences Abdou-Diouf, à Dakar, le 2 février 2023. © Ministère des Finances et du Budget du Sénégal

Un proverbe éthiopien bien connu affirme que « le regret, comme la queue, vient à la fin ». Ce proverbe énonce succinctement ce que je crois être une vérité universelle et un reflet de la manière dont nous, Africains, avons tendance à considérer la sombre situation dans laquelle se trouve le monde aujourd’hui. Les derniers développements diplomatiques ont forcé les dirigeants de la planète à concentrer leurs efforts sur les affaires intérieures de leurs propre pays, et loin du continent africain. Il ne faut pas le regretter, bien au contraire : c’est une occasion, pour l’Afrique, de se tenir sur ses deux jambes.

Un défi aux multiples facettes

Quiconque suit les discussions du Forum économique mondial, cette année, risque de rencontrer un nouveau mot à la consonance désagréable : « polycrise ». Ce terme, qui a gagné en popularité en 2022, décrit une suite d’événements récents jusque-là traités séparément – la pandémie de Covid-19la guerre russo-ukrainienne, le ralentissement de l’économie mondiale assorti de difficultés financières généralisées, l’éternelle urgence climatique…

Quel que soit le nom qu’on lui donne, la situation dans laquelle se débat l’humanité nous place devant un défi aux multiples facettes, pour lequel il n’existe aucune solution toute faite. Pendant la crise financière mondiale de 2008, de nombreux pays avaient adopté des mesures d’austérité, s’étaient serré la ceinture et avaient attendu que la récession passe. Mais, dans le climat actuel, il est impossible de se risquer à la moindre prévision, car l’effet combiné des crises sanitaire, sécuritaire, financière et climatique est bien trop complexe pour que l’on puisse se référer à un modèle antérieur.

Une approche proactive – plutôt que réactive – est donc nécessaire pour relever ce défi, d’autant que certains aspects de cette crise multiforme risquent de s’aggraver si rien n’est fait. Cela est particulièrement vrai en Afrique, où, au cours des années 2020, des décennies de gains financiers et de progrès en matière de sécurité ont été sérieusement remises en cause. Plutôt que d’attendre une embellie, les dirigeants africains doivent se réunir et façonner l’avenir du continent.

Grands projets régionaux

Le deuxième Sommet sur le financement du développement des infrastructures en Afrique, qui vient de se tenir à Dakar, nous offre cette chance. En 2014, sa première édition avait débouché sur plusieurs avancées majeures dans la mise en œuvre du plan d’action prioritaire du Programme de développement des infrastructures en Afrique (Pida), en finançant 16 méga-projets d’infrastructures régionaux et en hâtant leur réalisation.

Avec un nouveau plan d’action prioritaire, sur lequel se sont accordés, en 2021, l’Union africaine (UA) et des partenaires majeurs tels que la Banque africaine de développement (BAD) et la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, on attend beaucoup de ce Forum de Dakar. Cet événement vise à rassembler les parties prenantes liées au secteur des infrastructures venues de toute l’Afrique, afin de renforcer le soutien politique des acteurs étatiques et d’obtenir des engagements financiers de la part des institutions de développement.

On ne saurait trop insister sur le rôle crucial que jouent les infrastructures dans le développement futur de l’Afrique. Plutôt que de considérer la « polycrise » comme un obstacle, nous devrions la traiter comme un élément qui nous rappelle l’importance et l’urgence du développement de notre continent. La fragilité des chaînes d’approvisionnement modernes a été mise en évidence, l’année dernière, lorsque la guerre en Ukraine a provoqué des pénuries alimentaires et une flambée des prix dans le monde entier. Le moment n’a jamais été aussi propice pour que l’Afrique accroisse sa production agricole et ses exportations, mais, une fois encore, des infrastructures obsolètes, voire inexistantes, nous freinent.

Programmes rentables

Le transport efficace des biens et des services, des personnes et des idées, est fondamental pour toute économie, et les progrès dans un certain nombre de domaines resteront entravés tant que ces exigences de base ne seront pas satisfaites. Les experts estiment que l’Afrique doit investir environ 100 milliards de dollars par an dans les infrastructures si elle veut tirer parti de son potentiel économique et instaurer l’ambitieuse Zone de libre-échange continental africaine (ZLECAf). Mobilisons nos propres financements, et montrons que ces projets sont bel et bien rentables.

Les relations diplomatiques sont fondées sur le principe de réciprocité. Une dynamique de pouvoir déséquilibrée entraîne forcément des conditions inégales. L’Afrique doit s’élever par elle-même si elle veut être traitée comme un égal. Ces dernières décennies, certaines régions du continent ont connu des transformations étonnantes, tandis que d’autres restaient à la traîne. Un effort en faveur des infrastructures régionales pourrait réduire ces différences en ouvrant le continent au monde et en permettant au développement de se propager de manière plus équitable.

Alors que le monde traverse des temps troublés, il ne faut pas baisser les bras et s’en remettre au destin. Au contraire, les Africains doivent répondre à cette « polycrise » et travailler, ensemble, à la réalisation de leurs objectifs communs, indépendamment de ce que l’Histoire leur réserve. La route qui mènera notre continent vers un meilleur avenir commence par la construction de la route elle-même.

Avec Jeune Afrique par Nardos Bekele-Thomas

CEO de l’AUDA-NEP

Le rat, le serpent et les hyènes: en Afrique, des dessins animés au service de la propagande russe

février 3, 2023
Le rat, le serpent et les hyenes: en Afrique, des dessins animes au service de la propagande russe
Le rat, le serpent et les hyènes: en Afrique, des dessins animés au service de la propagande russe© AFP/OLYMPIA DE MAISMONT

Ils circulent sur WhatsApp, FacebookTwitter, Telegram ou TikTok. La France y apparaît tantôt sous les traits d’un rat, tantôt sous ceux d’un serpent menaçants, mais le scénario de ces dessins animés est toujours le même: l’envahisseur tricolore débarque en Afrique de l’Ouest pour piller ses anciennes colonies, qui résistent et triomphent.

Depuis le mois de décembre, au moins deux productions surfant sur le rejet grandissant de la France au Sahel ont surgi sur les réseaux sociaux, avant d’être reprises et partagées par de nombreux comptes pro-russes et des influenceurs panafricains.

« Nous sommes les démons de Macron, maintenant, c’est notre pays », grincent des squelettes décharnés coiffés de casques aux couleurs de la France dans la plus récente de ces vidéos, diffusée mi-janvier sur Twitter. Puis vient ensuite un gigantesque serpent tricolore annonçant qu’il veut « conquérir toute l’Afrique ». Le 21 décembre, une vidéo du même acabit était publiée sur Facebook avec un rat particulièrement agressif prénommé « Emmanuel ».

Volant au secours de soldats arborant les drapeaux maliens, burkinabè ou ivoiriens, on retrouve chaque fois des hommes blancs armés et en treillis portant bien en évidence l’insigne du groupe paramilitaire russe Wagner.

Ces productions « empruntant les codes de la fiction pour enfants (couleurs vives, protagonistes campés par des animaux, graphisme simpliste) accessibles à un large public sont clairement l’oeuvre de trolls russes ou prorusses » susceptibles d’opérer depuis Saint-Petersbourg, Bamako ou encore Ouagadougou, indique une source militaire française.

Une analyse partagée par plusieurs sources diplomatiques et experts interrogés par l’AFP, selon qui ces vidéos s’inscrivent dans la vaste campagne d’influence – militaire, économique et culturelle – orchestrée ces dernières années par Moscou dans cette région en proie à des insurrections jihadistes, où la France est en net recul.

Des « trolls » déjà connus

La première occurrence du clip le plus récent, identifiée sur Twitter le 14 janvier, émanait du compte @Souleym25304454. Un profil déjà connu pour avoir relayé des accusations contre la France en avril 2022, après la découverte d’un charnier à Gossi, dans le centre du Mali, près d’une base que les soldats français venaient de rétrocéder à l’armée malienne dans le cadre de leur désengagement du pays.

Sur les réseaux sociaux, des photos de cadavres floutés enterrés dans le sable avaient alors massivement circulé. L’armée française avait aussitôt dénoncé une manipulation, et diffusé des images de drone montrant, selon elle, des mercenaires russes en train d’enterrer des corps quelques jours plus tôt.

Autre élément qui interpelle, selon le collectif d’enquête All Eyes on Wagner: le « timing » de la publication, apparue en ligne pendant la « Journée de souveraineté retrouvée » au Mali, date fériée instaurée récemment par la junte parvenue au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat.

Il s’agit d' »un moment clef (…) pour la cohésion nationale autour de cette junte », et cette vidéo remplit la mission assignée à Wagner de « soutenir +informationnellement+ le gouvernement qui les emploie », estime All Eyes on Wagner. Les autorités maliennes ont toujours démenti avoir recours à des mercenaires, parlant d’instructeurs militaires venus aider à combattre les jihadistes.

Emmanuel Dupuy, président de l’Institut prospective et sécurité en Europe (Ipse), y voit « la preuve que (le groupe) est sorti un peu de son rôle de déni pour se présenter comme une armée privée au service des gouvernements qui l’ont sollicitée: le Mali aujourd’hui, peut-être le Burkina Faso demain ».

Contrainte de quitter le Mali en 2022, au terme de neuf ans de lutte antijihadiste dans le pays, l’armée française s’est vue tout récemment sommée de retirer ses soldats du Burkina Faso d’ici fin février, alors que la junte à Ouagadougou a opéré un rapprochement avec Moscou, alimentant les spéculations sur une possible entente avec Wagner.

« Des faisceaux d’indice comme les codes graphiques ou l’utilisation récurrente de l’anthropomorphisme suggèrent » que ce genre de vidéo « pourrait provenir de la galaxie Prigojine », du nom de l’homme d’affaires à la tête de Wagner, Evguéni Prigojine, abonde Maxime Audinet, chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (Irsem).

Le laboratoire centrafricain

Ce type de propagande déguisée n’est en effet pas totalement nouveau. Dès 2019, un dessin animé glorifiant la présence russe en Centrafrique, relatait l’histoire d’un éléphant attaqué par des hyènes venues lui voler sa récolte. Un ours originaire « d’un pays lointain du Nord qui s’appelle la Russie » accourt alors pour secourir l’éléphant et « établir la paix » entre les différents animaux de la savane.

Contrairement aux autres, cette vidéo était « signée », les crédits à la fin de la vidéo mentionnant explicitement Lobaye Invest, une société qui détient des concessions minières en RCA, selon le Trésor américain, qui a sanctionné cette entité en septembre 2020 pour ses liens avec Wagner.

La Centrafrique, en guerre civile depuis dix ans, a en quelque sorte constitué un laboratoire pour Wagner, dont les combattants sont accusés par l’ONU de graves violations des droits de l’Homme dans ce pays où depuis 2018, ils ont aidé le gouvernement à repousser des offensives rebelles et à récupérer une partie de son territoire.

La stratégie du groupe consiste notamment à « façonner les représentations favorables au groupe paramilitaire, justifier par des moyens médiatiques et culturels son implantation et, par extension, légitimer la présence croissante de la Russie dans la région », écrivaient les chercheurs Maxime Audinet et Colin Gérard dans un article publié sur la plateforme Le Rubicon en février 2022.

Pour Emmanuel Dupuy, de l’Ipse, la multiplication de ces fictions animées démontre en tout cas que « le continent africain devient le lieu d’expression d’une guerre par +proxy+ », autrement dit par procuration, « contre les intérêts occidentaux, plus précisément ciblée sur la France ».

Cette propagande s’avère d’autant plus efficace que la France a tardé à prendre la mesure du phénomène. « Il est facile de critiquer la France parce qu’elle ne se défend pas très bien et qu’elle n’a pas tout à fait pris conscience qu’une guerre informationnelle se joue », pointe le chercheur.

« Nous sommes face à un rouleau compresseur qui joue sur les perceptions des populations locales confrontées à des difficultés existentielles (conflits, pauvreté…), notamment celles de la jeunesse, et vise à exploiter les ressentiments contre la France », admet une source militaire française.

Face à l’urgence, Paris s’active pour rattraper son retard. Le ministère des Affaires étrangères s’est doté d’une sous-direction de la veille et de la stratégie, et l’état-major des armées a nommé un général en charge de ces problématiques. Le chef de l’Etat Emmanuel Macron l’a martelé en novembre dernier: « l’influence » est aujourd’hui considérée comme une « priorité stratégique ».

Avec Le Point avec AFP

La Russie, en opération séduction en Afrique, fustige l' »Occident colonial »

janvier 25, 2023
La Russie, en operation seduction en Afrique, fustige l'"Occident colonial"
La Russie, en opération séduction en Afrique, fustige l' »Occident colonial »© Ministère des Affaires étrangères russe/AFP/Handout

La Russie a fustigé mercredi les « tactiques coloniales » de l’Occident pour faire « pression sur les continents en développement », saluant la « position équilibrée » de l’Angola qui s’est longtemps abstenu de condamner Moscou depuis le début de la guerre en Ukraine.

Plusieurs États africains se sont abstenus en mars 2022 lors du vote d’une résolution de l’ONU exigeant « que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine ». L’Angola a voté pour la première fois en octobre pour condamner Moscou.

« La Russie apprécie la position équilibrée de l’Angola aux Nations unies », a déclaré à la presse le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov, à l’issue d’une rencontre à Luanda avec son homologue angolais Tete Antonio et le président Joao Lourenco.

Dénonçant les « pressions illégales des Etats-Unis et ses alliés », le chef de la diplomatie russe a ajouté que « l’Occident utilise les mêmes tactiques coloniales que par le passé pour exploiter les continents en développement ».

Ancien mouvement de libération à mouvance marxiste, le parti historique au pouvoir en Angola (MPLA, Mouvement populaire pour la libération de l’Angola) entretient des liens historiques avec la Russie, même si l’Angola a par la suite renforcé ses liens avec les États-Unis.

L’Afrique est redevenue un champ de bataille d’influence politique et économique, notamment depuis le début du conflit en Ukraine, il y a près d’un an.

M. Lavrov est en visite pour la seconde fois en six mois sur le continent. Avant l’Angola, il s’est rendu en Afrique du Sud et en Eswatini.

Son voyage coïncide avec une tournée africaine de la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen. Le ministre chinois des Affaires étrangères, Qin Gang, s’est par ailleurs rendu ce mois-ci en Éthiopie, au Gabon, en Angola, au Bénin et en Égypte.

Avec Le Point par AFP

Coup de frein sur la croissance en Afrique et inflation au plus haut en 2022, selon la BAD

janvier 19, 2023

La croissance en Afrique a connu un ralentissement en 2022 et l’inflation est au plus haut depuis plus d’une décennie, souligne un rapport publié ce 19 janvier par la Banque africaine de développement (BAD), qui insiste toutefois sur la « résilience » des économies du continent.

Marché d’Adjamé, le plus grand d’Abidjan, en juillet 2020. © Issouf SANOGO/AFP

« Après la reprise remarquable en 2021 à la suite du choc du Covid-19, les économies africaines ont connu un ralentissement en 2022 dû à de nombreuses difficultés », indique le rapport de la BAD, citant notamment les impacts du changement climatique, la persistance des risques liés à la pandémie et la guerre en Ukraine.

« La croissance moyenne estimée du produit intérieur brut (PIB) réel a ralenti, passant de 4,8% en 2021 à 3,8% en 2022, et devrait se stabiliser à 4% en 2023–24 », précise la BAD qui salue « la résilience économique des pays africains », malgré les incertitudes mondiales.

L’inflation au plus haut depuis 10 ans

L’institution présidée par Akinwumi Adesina indique également que « l’inflation moyenne des prix à la consommation a augmenté de 0,9 point de pourcentage pour atteindre 13,8% en 2022 contre 12,9% en 2021, soit le niveau le plus élevé depuis plus d’une décennie. »

Selon elle, l’inflation est due « aux répercussions de l’invasion de l’Ukraine par la Russie sur les prix des denrées alimentaires et de l’énergie ainsi qu’à la persistance de perturbations dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. » La BAD note que « 15 millions de personnes supplémentaires sont tombées dans l’extrême pauvreté en Afrique » à cause de la hausse des prix mondiaux de l’énergie et des produits alimentaires en 2022.

Stimulation du commerce intra-africain

Dans le détail, toutes les régions africaines ont connu une croissance en 2022 : l’Afrique centrale en tête (+4,7%), devant l’Afrique du Nord (+4,3%), l’Afrique de l’Est (+4,2%), l’Afrique de l’Ouest (+3,8%). L’Afrique australe a légèrement décroché avec une croissance de 2,5%.

Le rapport préconise des mesures pour « réduire les déficits budgétaires structurels et l’accumulation de la dette publique », ainsi qu’une « coordination efficace des actions budgétaires et monétaires » et « la stimulation du commerce intra-africain ».

Par Jeune Afrique (Avec AFP)

Femmes de l’ombre… et de pouvoir

décembre 27, 2022

Toutes ont été premières dames et connu la vie de palais. Souvent dans l’ombre, elles ont exercé leur influence en coulisse auprès de leur époux. Et connu des fortunes diverses jusqu’à, pour certaines, tomber en disgrâce.

De gauche à droite : Olive Lembe, Leila Ben Ali, Hinda Déby, Henriette Konan-Bédié, Agathe Habyarimana. © Montage JA; AFP; Sipa; MaxPPP; Riva Press

En Afrique, une première dame peut en cacher une autre, et la diversité de leurs profils est à l’image des soubresauts qui agitent leurs pays.

Il y a, bien sûr, les First Ladies « à l’ancienne », sosies africaines des premières dames de la droite française de la Ve République, d’Yvonne de Gaulle à Bernadette Chirac. Discrète, assumant de ne pas s’occuper de politique, Henriette Konan Bédié est de celles-là, limitant son rôle à l’accompagnement de son époux lors des meetings et compensant le caractère réservé de ce dernier lors des dîners, afin de mettre ses hôtes à l’aise. Comme nombre de ses « homologues », elle anime une fondation caritative, offrant ainsi à son mari un vernis social qui vient lisser les rugosités de la vie politique.

Éminence grise et intermédiaire discrète

Olive Lembe, l’épouse de Joseph Kabila, n’entre pas dans cette catégorie même si elle a, elle aussi, lancé sa fondation. Depuis que son époux s’est retiré du devant de la scène, c’est elle qui, à coups de déclarations publiques plus ou moins subliminales, semble l’inciter à effectuer son come-back. Parfois éminence grise du temps où il était président, aujourd’hui intermédiaire discrète auprès de certains responsables de l’opposition, Olive Lembe s’essaie à la diplomatie sur le subtil échiquier politique congolais.

Quatrième épouse de l’ancien président tchadien décédé en avril 2021, Hinda Déby n’en deviendra pas moins la première dame officielle depuis leur mariage, en 2005. Considérée comme une conseillère officieuse, elle sera parvenue à placer plusieurs de ses frères à des postes influents. À la mort de son époux, elle a quitté le pays et fait le choix d’une retraite dorée en région parisienne.

Rôle condamnable

Les affaires de famille, Leïla Ben Ali les connaît bien. Toute puissante en Tunisie durant les vingt-trois années de règne de son époux, Zine el Abidine Ben Ali, elle avait favorisé l’accession des membres de sa famille, les Trabelsi, à des postes clés du secteur économique, où ils se sont copieusement enrichis. Jusqu’à la Révolution de jasmin de janvier 2011 et le départ du couple en Arabie saoudite, où Leïla coule des jours paisibles – et où l’ancien président est décédé en 2019. Avec, toutefois, l’interdiction édictée par les autorités locales qui lui versent une rente, de se mêler de politique. En échange, Ryad refuse de l’extrader vers la Tunisie, où la justice l’a déjà condamnée par contumace à une lourde peine.

Agathe Habyarimana aura eu moins de chance. La veuve du président rwandais Juvénal Habyarimana – assassiné en avril 1994 –, soupçonnée d’avoir joué un rôle dans le génocide des Tutsi, est toujours mise en cause par la justice française. Depuis 1998, elle réside en banlieue parisienne, sans statut légal. Tolérée, mais jamais régularisée ni extradée vers le Rwanda… Tout comme Leïla Ben Ali, elle n’a jamais pu retourner dans son pays. Les deux femmes savent que la justice les y attend de pied ferme.

Avec Jeune Afrique

Sommet Afrique – États-Unis : opération séduction de Biden ou pied de nez à Macron ?

décembre 12, 2022

Quelque 50 chefs d’État ou de gouvernement sont attendus à Washington pour trois jours de discussions bilatérales et multilatérales. Moins qu’un geste de Washington en direction des capitales africaines, c’est surtout une réaction américaine aux récentes déconvenues françaises sur le continent.

Les présidents Joe Biden et Félix Tshisekedi lors du G20 à Rome, le 30 octobre 2021. © Evan Vucci/AFP

Le 20 juillet dernier, le président américain Joe Biden annonçait la tenue de l’US-Africa Leaders Summit, sommet international qui rassemblerait pour trois jours l’ensemble des chefs d’État africains à Washington. Du 13 au 15 décembre, le sommet visera à rappeler « l’importance des relations américano-africaines et la coopération accrue sur des priorités globales partagées », selon un communiqué de la Maison-Blanche. Alors que le président français, Emmanuel Macron, prépare un voyage au Gabon pour le printemps 2023, le vif regain d’intérêt des États-Unis pour l’Afrique répond-il à un enjeu bilatéral avec la France ?

À l’heure où le sentiment anti-français se fait de plus en plus grandissant en Afrique, l’Amérique tente une opération de charme sur le continent. On se rappelle que la tournée africaine du président français Emmanuel Macron en juillet dernier avait été suivie, quelques jours plus tard, d’une visite officielle du Secrétaire d’État américain Antony Blinken, bien que les des deux délégations aient visité des pays différents. Cette concordance de calendriers démontre toutefois l’intérêt que portent la France et les États-Unis au continent africain, où les présences russes comme chinoises sont de plus en plus fortes.

Entre déclin et renouveau

Si la France a tenu des sommets franco-africains depuis 1973 (le dernier ayant eu lieu en octobre 2021 à Montpellier), le sommet des dirigeants Afrique – Etats-Unis  n’en est qu’à sa deuxième édition. La première s’est déroulée il y a huit ans sous la présidence de Barack Obama, à la suite de sa tournée en Afrique de 2013. À l’époque, en annonçant la tenue d’un sommet américano-africain, le président américain avait insisté sur l’idée d’un « partenariat ancré dans la responsabilité et le respect mutuels ».L’année suivante, une délégation de 50 chefs d’États africains se réunissait à Washington pour échanger autour de la sécurité et de l’économie du continent africain. La situation militaire au Sahel ainsi que le virus Ebola s’étaient également ajoutés au programme de cette réunion internationale.

L’Afrique est – et a toujours été – une zone d’influence pour les différentes puissances occidentales, notamment lorsque le continent est en proie à la guerre. Il n’est donc pas anodin que le premier sommet des dirigeants Afrique – États-Unis se soit tenu quelques jours après le lancement de l’opération Barkhane au Sahel, en août 2014. Huit ans plus tard, cette nouvelle édition  semble clore le chapitre de l’intervention militaire de la France au Mali : l’Élysée avait annoncé le retrait de la France au Sahel le 17 février, départ entériné le 15 août lorsque les dernières troupes quittaient la base militaire de Gao. Depuis lors, le sentiment anti-français n’a cessé de grandir au Mali et dans la région, dans laquelle les États-Unis espèrent désormais exercer une force d’équilibre face aux pays de l’ex-bloc de l’Est.

Continent non-aligné

La volonté de renforcer la relation américano-africaine ne constitue pas en soi une pique de Biden à l’endroit de Macron. Le sommet Afrique – États-Unis est davantage une réaction qu’une action de la part du gouvernement américain. La matière a horreur du vide et Joe Biden le sait bien : le départ de la France du Mali a permis à la Russie d’afficher au grand jour son entrée au Sahel.

À travers le groupe paramilitaire Wagner, le pouvoir russe dispose désormais d’un point d’accroche dans la région sahélienne. Ce changement de paradigme a fortement aggravé les relations franco-africaines et favorisé la place de la Russie comme allié de choix pour de nombreux pays africains.

À titre d’exemple, les manifestations pro-russes à Bangui témoignent du soutien qu’apporte la Centrafrique à la Russie dans sa conduite de la guerre en Ukraine. Si certains pays africains se refusent à afficher leur soutien univoque pour la Russie, d’autres sont tout autant frileux à l’idée de la condamner. Le 2 mars dernier, la majorité des pays africains s’étaient abstenus lors du vote de la résolution onusienne exigeant de la Russie de cesser le recours à la force contre l’Ukraine.

Même si cette résolution fut finalement adoptée grâce à l’approbation de 141 pays, « le silence africain » démontre la complexité des nouvelles relations qu’entretiennent les deux blocs à l’égard du continent. En période de crises internationales, le non-alignement ne devient-il pas désormais un aveu d’alignement ?

De la diplomatie en Afrique

En réaction à cette perte d’influence de la France au Sahel – et in fine de l’Occident en Afrique –, les États-Unis ont donc décidé de réagir pour contrecarrer l’emprise russe sur le continent africain. Le président américain, le président de l’Union africaine et les 49 chefs d’État qui seront présents au sommet couvriront un ensemble de sujets allant du respect de la démocratie et des droits humains à l’impact du Covid-19 en Afrique, sans oublier le renforcement des liens avec la diaspora.

Mais nul doute que l’enjeu sécuritaire sera également un thème prépondérant de cette rencontre, dont le Burkina Faso, la Guinée, le Soudan, et le Mali ont été paradoxalement exclus. Malgré la nécessité d’un tel sommet, on déplore toutefois l’organisation de cette rencontre États-Unis-Afrique alors que ni le président Joe Biden ni sa vice-présidente Kamala Harris n’ont encore visité le continent.

Avec Jeune Afrique

Malcolm Biiga

Par Malcolm Biiga

Consultant senior en relations publiques, spécialiste des Etats-Unis

Qatar 2022 : le Maroc, espoir du monde arabe et de l’Afrique

décembre 6, 2022

Les Lions de l’Atlas affrontent la Roja espagnole ce 6 décembre. Au-delà de l’exploit sportif que constituerait une victoire, le parcours de l’équipe marocaine revêt une dimension très politique.

Jawad El Yamiq brandit le drapeau palestinien. © DR

Le royaume vit au rythme de la Coupe du monde : après une qualification historique des Lions de l’Atlas pour les 8e de finale, un exploit qui ne s’était plus produit depuis 1986 au Mexique, « tout s’est arrêté dans le pays, confie un conseiller ministériel, même au niveau de l’État où les réunions sont moins longues et nombreuses qu’auparavant. La généralisation de la couverture sociale vient d’être appliquée, l’OCP vient de présenter un ambitieux programme d’investissement devant le roi Mohammed VI et pourtant personne n’en parle, il n’y a plus que le foot ». Un propos à nuancer : le 4 décembre, des milliers de Marocains ont manifesté à Rabat contre « la vie chère et la répression », à l’appel de plusieurs organisations politiques de gauche.

David contre Goliath

Mais il est vrai que les victoires successives de l’équipe nationale (qui finit première de son groupe) insufflent beaucoup d’espoir. Dernier pays arabe et africain en lice dans cette compétition, le Maroc, qui s’apprête à affronter l’Espagne, ce 6 décembre « incarne presque malgré lui le combat de David contre Goliath, celui du Sud contre le Nord, des dominés contre les dominants. C’est un combat qui dépasse le football », souligne Abdellah Tourabi, politologue et animateur de l’émission politique Confidences de presse sur 2M. Les mèmes faisant allusion au protectorat espagnol et au retour de l’Andalousie dans le giron marocain fleurissent d’ailleurs un peu partout sur la Toile.

Depuis son ouverture, la Coupe du monde 2022 a apporté son lot de surprises : la qualification du Sénégal en 8e de finale, une première depuis 20 ansla victoire de l’Arabie saoudite sur l’Argentinecelle du Cameroun sur le Brésil ou encore celle du royaume contre la Belgique (pourtant deuxième au classement Fifa), sans oublier celle de la Tunisie sur les Bleus de Didier Deschamps. De quoi nourrir le rêve d’un « nouvel ordre footballistique mondial », si ce n’est un nouvel ordre géopolitique. Pour la première fois depuis très longtemps, les Marocains croient fermement en leur chance de remporter la Coupe du monde.

Nouvel ordre mondial ?

Pourtant, le monde entier est un peu allé au Qatar en traînant des pieds. Quelques semaines avant le lancement de l’événement, plusieurs ONG et chancelleries occidentales ont appelé au boycott de cette grand-messe, dénonçant le non-respect des droits humains, l’ultra-conservatisme de la société qatarie, le coût écologique et financier exorbitant de l’événement. Or cela n’a trouvé que peu d’échos en Asie, en Amérique latine, en Afrique et dans le monde arabe. Au contraire, des milliers d’internautes ont à leur tour critiqué l’hypocrisie des pays occidentaux – qui ont largement contribué à ce que la Coupe du monde soit organisée au Qatar –, et dénoncé ce qu’ils estiment être un énième cas d’« arab-bashing ».

« Ce Mondial a été attribué au Qatar en connaissance de cause, certains aspects étaient bien connus et mettront de toute façon du temps à être résorbés. Au final, cette campagne de boycott a fait plouf et les opinions publiques arabes, africaines, même asiatiques, se sont retournées contre elle. De son côté, le Qatar a su y répondre par les faits, les actes : une organisation impeccable, une ambiance très festive », affirme le mordu de foot et responsable politique Nabil Benabdellah, entre deux vols pour le Qatar.

Envolées lyriques

Pour l’économiste franco-marocain, Abdelghani Youmni, galvanisé par les événements, le Mondial 2022 est un marqueur de renaissance pour le Maroc. « Le royaume a définitivement enterré le complexe d’ancienne nation colonisée, il ne veut plus être aligné, mais partenaire : le Maroc ne rentre pas dans l’histoire mais il y retourne », affirme-t-il.

Pour la première fois depuis longtemps, le sélectionneur des Lions de l’Atlas, Walid Regragui, est marocain. Et chacune de ses prises de parole, même s’il s’en défend, semble éminemment politique. Face à la presse avant le match Maroc-Canada, il a déclaré : « Nous, au départ, sans faire de politique, on va déjà parler football et on défend le Maroc et les Marocains. C’est la première des choses. Ensuite, forcément, on est aussi Africains et c’est la priorité. »

Quelques semaines auparavant, il annonçait déjà vouloir « changer les mentalités africaines » et vantait les mérites de son équipe, « une nouvelle génération, une nouvelle mentalité », qui dit « stop à la négativité du passé ». Prières sur la pelouse, louanges à dieu après la victoire contre le Canada, drapeau palestinien brandi par Jawad el Yamiq, les joueurs eux-même font très attention aux symboles.

Historiquement, le foot a toujours eu un fort impact dans le royaume. Les paroles de l’hymne national n’ont été écrites qu’en 1969, après que le pays a été qualifié pour la Coupe du monde organisée l’année suivante. Plus tôt, en 1958, la Fifa avait exclu et sanctionné le Maroc car il avait disputé un match avec le Front de libération nationale (FLN) pour soutenir l’Algérie dans sa lutte contre le colonialisme.

À la veille du match Maroc-Espagne, les pays arabes soutiennent bec et ongles le royaume. Un micro-trottoir réalisé en Algérie, et vu par 2 millions d’internautes, montre que la rue algérienne est elle aussi derrière le Maroc, car c’est un pays « arabe et musulman ». « Finalement, cette coupe ressuscite une idée qu’on croyait morte : le panarabisme », abonde Abdellah Tourabi.

Soft power

Du côté de Rabat, la Coupe du monde est scrutée avec la plus grande attention. Ancien joueur professionnel dans sa jeunesse, le chef du gouvernement Aziz Akhannouch n’aurait manqué les matchs de l’équipe nationale sous aucun prétexte. Le 1er décembre, le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, le patron de la sécurité intérieure (DGSN-DGST), Abdellatif Hammouchi, ainsi que le directeur des renseignements extérieurs (DGED) Yassine Mansouri, ont assisté au match Maroc-Canada au stade Al Thumama, à Doha. Juste avant la rencontre, ces trois personnalités avaient été reçues par l’émir du Qatar, Tamim Ben Hamad Al Thani.

Plusieurs photos inédites ayant circulé sur les réseaux sociaux ont montré le ministre des Affaires étrangères, connu pour sa retenue et son flegme, en train de siffler, crier, sauter, applaudir et encourager son équipe jusqu’au coup de sifflet final. « Le ministre n’a pas fait ça par hasard, il contrôle totalement son image, le moindre de ses faits et gestes, il a parfaitement conscience de l’impact politique et mobilisateur du football sur une nation. Il y a bien évidemment un coup à jouer en termes de soft power », estime une source au gouvernement.

« Le sport est une porte d’entrée pour déclencher une nouvelle donne politique, mais il faut savoir raison garder, la Coupe du monde ne va pas métamorphoser les équilibres mondiaux. Si les Lions vont plus loin, ce sera source de fierté nationale et ça aura un impact moral et probablement socio-économique sur le Maroc, comme en 1998 pour la France », souligne Nabil Benabdellah. Et le pays en a bien besoin : selon une récente note du Haut-Commissariat au Plan, le Maroc est revenu « au niveau de pauvreté et de vulnérabilité » de 2014, principalement à cause de la pandémie, de l’inflation et de la sécheresse.

L’autre impact de cette Coupe du monde rejaillira sûrement sur Fouzi Lekjaa, le président de la Fédération royale marocaine de football et ministre du Budget. « Il prend de plus en plus de pouvoir au sein du gouvernement, confie une source politique. Lekjaa est déjà indispensable, il tient les cordons de la bourse, tout passe par lui. Cette Coupe du monde va lui servir directement, quelle que soit l’issue pour les Lions, le crédit lui reviendra. »

Avec Jeune Afrique par Nina Kozlowski

Le Canada appelé à s’ouvrir davantage aux étudiants africains

novembre 20, 2022

Le Canada est montré du doigt depuis des mois pour son refus massif d’étudiants francophones en provenance du continent africain.

Un homme et une femme se serrent la main.

Justin Trudeau en compagnie de la secrétaire générale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo, à Djerba, en Tunisie. Photo: La Presse Canadienne/Sean Kilpatrick

Un délégué africain au Sommet de la Francophonie demande au Canada de s’ouvrir davantage à l’immigration en provenance de son continent. En Tunisie, cet enjeu délicat poursuit le gouvernement Trudeau alors qu’il tente de resserrer ses liens avec les pays d’Afrique.

Sur le site d’exposition nommé le Village de la Francophonie à Djerba, il y a toujours de l’activité devant les kiosques du Québec et du Canada. Beaucoup de gens s’informent des procédures d’immigration dans l’espoir d’obtenir leur laissez-passer vers le Canada.

J’ai un fils qui a eu son baccalauréat. Je voulais savoir s’il y a une possibilité pour qu’il puisse terminer ses études au Canada, explique une dame devant le comptoir. Je cherche comment faire et à qui m’adresser, ajoute-t-elle.

Toutefois, le processus n’est pas aussi facile qu’il n’y paraît. Le Canada est sévèrement critiqué pour son refus massif de permis d’études pour les ressortissants africains. Immigration Canada leur reproche, la plupart du temps, d’avoir l’intention de rester au Canada à la fin de leur formation.

Des gens font la file devant le kiosque du Canada.

Le kiosque du Canada est très fréquenté au Sommet de la Francophonie, à Djerba, en Tunisie. Photo: Radio-Canada/Louis Blouin

Avant le Sommet de la Francophonie, cette affaire a même attiré l’attention de la presse internationale. Le journal Le Monde titrait le 8 novembre dernier : Le rêve canadien, un mirage pour beaucoup d’étudiants d’Afrique francophone.

Les procédures peuvent paraître assez difficiles, assez complexes, souligne Maguèye Toure, directeur de la Francophonie du ministère des Affaires étrangères du Sénégal, au micro de Radio-Canada.

Il demande aux pays riches comme le Canada d’assouplir les procédures d’entrée surtout pour les étudiants, les artistes et les entrepreneurs.

« Il faut que la circulation des gens puisse se faire dans tous les sens entre les pays du Nord et les pays du Sud, et vice-versa. C’est important qu’on réfléchisse. »— Une citation de  Maguèye Toure, directeur de la Francophonie du ministère des Affaires étrangères du Sénégal

Le représentant sénégalais s’explique mal ces barrières pour entrer au Canada, dans le contexte de pénurie de main-d’œuvre. Je sais que le Canada a un besoin parce qu’il y a des emplois qui doivent être pourvus, souligne-t-il.

Dans un monde en circulation, M. Toure souligne que les jeunes ont particulièrement besoin de contacts en personne, et pas seulement virtuels, pour mener à bien leurs divers projets.

Ottawa promet des améliorations

Appelée à réagir lors d’une mêlée de presse au Sommet de la Francophonie, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a préféré renvoyer la balle à la secrétaire parlementaire du ministre de l’Immigration, aussi présente.

Dans une réponse vague, Marie-France Lalonde admet qu’il y a encore des défisOn travaille très, très fort pour améliorer les processus et les échanges entre ces demandeurs et nos agents, souligne-t-elle.

Interrogé à son tour, le premier ministre Justin Trudeau a dit être déçu des taux de refus des étudiants en provenance de l’Afrique et que la situation allait être corrigée.

« J’ai demandé directement au ministre [de l’Immigration Sean] Fraser de se pencher sur cet enjeu-là, on a besoin de plus en plus d’étudiants et d’immigrants francophones. »— Une citation de  Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Mélanie Joly parle dans un micro. Une femme se tient à ses côtés.

Mélanie Joly au Sommet de la Francophonie, en Tunisie. Elle est accompagnée de la secrétaire parlementaire du ministre de l’Immigration, Marie-France Lalonde. Photo: Radio-Canada/Louis Blouin

Récemment, le ministre de l’Immigration, Sean Fraser, a promis de revoir le processus de sélection des étudiants étrangers pour que ces derniers soient évalués en fonction de critères davantage liés à leur potentiel et à leur valeur.

Dans un document publié en ligne en septembre, Immigration Canada a reconnu qu’il y avait du racisme dans sa propre organisation et a promis de mener une étude interne sur la question.

Une seule rencontre bilatérale avec un dirigeant africain

Pendant son passage de deux jours, Justin Trudeau n’avait aucune rencontre bilatérale officielle prévue dans son programme initial avec des dirigeants de pays africain, même s’ils sont nombreux au Sommet de la Francophonie.

Finalement, une rencontre s’est ajoutée à l’horaire dimanche avec le président du Niger.

Ce sont des retrouvailles entre le Niger et le Canada qui était l’un de nos plus grands partenaires de coopération dans les années 1970, a rappelé le président nigérien, Mohamed Bazoum. Il y a eu une petite distanciation, mais nous allons travailler pour faire en sorte que nos liens se resserrent.

Le premier ministre a aussi pris le temps de s’asseoir pour des tête-à-tête officiels avec les premiers ministres du Québec et de l’Arménie, et avec le président suisse.

Deux hommes discutent devant des drapeaux canadiens.

Le premier ministre canadien, Justin Trudeau, s’entretient avec le président suisse, Ignazio Cassis. Photo: La Presse Canadienne/Sean Kilpatrick

Interrogée à ce sujet, Mélanie Joly rejette l’idée que son gouvernement a accordé peu de temps aux pays africains. En dehors des réunions bilatérales officielles, la ministre assure qu’elle et le premier ministre ont eu de nombreuses conversations avec des pays comme le Bénin, le Gabon et le Sénégal, par exemple. Je fais mon travail, c’est-à-dire établir des liens avec ces pays, a-t-elle souligné.

Présentement, on sait que la Chine et la Russie essaient d’exercer leur influence ici. C’est important pour le Canada d’être présent en Tunisie et aussi à travers le continent africain, a-t-elle expliqué.

Avec Radio-Canada par Louis Blouin

Photographie : « Messi fait les poubelles, Ronaldo fait la guerre »

novembre 17, 2022

Sous les maillots siglés Messi, Ronaldinho, Drogba, Eto’o ou Torres, des hommes et des femmes qui se rêvent d’autres vies. Le photographe franco-suisse Michaël Zumstein les a photographiés.

Des anti-Balaka posent avec des fusils dans la rue principale de Njoh, en Centrafrique, le 24 septembre 2013. © Michael Zumstein/Agence VU

À l’heure où démarre une Coupe du monde de football à haut degré de polémique, le photographe franco-suisse Michaël Zumstein propose un contrechamp radical avec Aka Zidane (pour l’anglais « Also Known As Zidane »). Son projet, décliné en un livre édité par Images plurielles et en une exposition à la galerie Guigon (Paris 12ème, du 16 au 20 novembre), consiste en une série de 60 photographies d’Africain(e)s portant des maillots de footballeurs célèbres.

Devenir son idole

À l’origine de cette démarche, il y a d’abord la passion du reporter pour le football. « J’ai adoré jouer au football, écrit-il ainsi dans l’introduction de l’album. De sept à quinze ans, j’ai occupé tous les terrains détrempés de banlieue. J’ai joué à tous les postes de l’équipe. Je vivais foot et les murs de ma chambre étaient recouverts des photos de mes héros : Platini, Mario Kempes, Gérard Janvion. Le jour de mes dix ans, on m’a enfin offert mon premier maillot de foot. J’ai reçu l’improbable maillot de l’équipe d’Écosse. »

Problème : personne, à l’époque, ne connaît le nom du moindre joueur écossais… « Moi, fils d’une juive oranaise et d’un Suisse allemand, je devais devenir Écossais, poursuit Zumstein. J’ai finalement trouvé la photo d’un joueur dans un album : Gordon Strachan. » Sur le terrain et à l’école, l’enfant s’est métamorphosé en sa nouvelle idole : « Je pouvais enfin devenir Gordon Strachan, et vivre une autre vie que la mienne. »

Anti-balaka

Michaël Zumstein n’est pas devenu une star du ballon rond. Diplômé de l’École supérieure de photographie de Vevey, il est devenu photoreporter, d’abord pour L’œil public, puis pour l’Agence VU. Ses missions l’ont, très souvent, conduit en Afrique, dans des zones de conflits comme en RDC ou en Côte d’Ivoire. Mais c’est dans un autre pays, au cours d’un autre conflit, que la série des maillots de foot s’est imposée à lui.

« À l’origine d’Aka Zidane, il y a un reportage en Centrafrique en 2014-2014, raconte-t-il. J’ai pris une photo d’un groupe d’anti-balaka qui a fait la Une du journal Le Monde. Sur cette image, l’un des soldats portait le maillot rouge de l’Espagne. Je me suis dit que c’était étrange de faire la guerre avec un maillot de football. Et à partir de ce moment-là, j’ai commencé à chercher dans mes archives… J’ai retrouvé de nombreuses images d’hommes et de femmes avec des t-shirts portant le nom de célébrités du foot. »

Par la suite, une bourse du CNAP (Centre national des arts plastique) lui permet de poursuivre sa recherche en Afrique, où il traque plus systématiquement les Drogba, Ronaldinho, Juninho, etc. « J’ai vu Lionel Messi, écrit Zumstein. Il avait huit ans, et accompagné de son âne, il ramassait des ordures sur un marché au Niger. Sur une charrette, j’ai aussi croisé Zinedine Zidane qui revenait de son champ de sorgho, trop petit et trop sec pour nourrir sa famille. »

Ronaldinho, Beckham, Shevchenko

Il faut le dire, les images de Michaël Zumstein sont à mille lieues des vestiaires aseptisés des grands stades de football. Ici, on ne roule pas en voiture de luxe et les maillots, plus que de sueur, sont parfois mouillés de sang. « Messi fait les poubelles, Ronaldo fait la guerre, Zidane ne parvient plus à nourrir sa famille », résume Zumstein dans l’un des courts textes qui accompagnent ses images. Aka Zidane n’est certes pas un livre très joyeux, mais c’est un livre qui raconte l’Afrique en offrant des pistes de réflexion sur la guerre, l’identité, l’économie, l’avenir…

En Centrafrique, Zumstein photographie « Ronaldinho, le buteur brésilien, qui vient d’amener à l’hôpital son ami mort dans ses bras » et « cet homme mort au milieu de la route portant les couleurs du maillot argentin ».

« David Beckham, l’attaquant anglais, et Andriy Chevtchenko [attaquant ukrainien] ne se connaissent pas, écrit encore le photographe. Ils sont pourtant traversés par une même question : qui est Ivoirien ? Cette question hante la Côte d’Ivoire depuis que le miracle économique a pris fin et que l’on regarde d’un mauvais œil ces familles venues des pays voisins et dont dépendent maintenant des pans entiers de l’économie. » Au Mali, « Lionel Messi et ses collègues ont installé leurs pupitres, leurs ordinateurs et leurs enceintes rue Fankalé Diarra. Contre 1 000 francs CFA, les habitants de Bamako viennent copier sur leurs téléphones portables des dizaines de titres et de vidéos que proposent les « téléchargeurs ». Un iTunes de la rue. »

Contraste

Au-delà du contraste évident entre le monde du football de haut niveau et la réalité quotidienne de l’Afrique, Aka Zidane invite – sans donner de leçon – à réfléchir sur la mondialisation, la célébrité, l’argent, la guerre, mais surtout sur les aspirations et les rêves de chacun.

Que signifie, au fond, le fait de revêtir un maillot portant le nom d’une personne qu’on ne rencontrera probablement jamais ? Que représentent ces « héros contemporains » payés des millions d’euros pour envoyer un ballon dans un filet ? Pourquoi avons-nous besoin de ces demi-dieux, ou à tout le moins de leurs costumes de scène, pour tenter d’exister ? Michaël Zumstein n’offre pas de réponses, mais « donne à voir la place et l’ampleur de vies d’hommes et de femmes cachées sous les maillots de foot ».

Aujourd’hui, le photographe, réalisateur de plusieurs documentaires (Il faut ramener Albert, Ils peuvent prendre notre soleil, Côte d’Ivoire : le tribunal militaire contre la police) a cessé de photographier les hommes en maillot de foot. Il est fort probable qu’il ne regardera pas la Coupe du monde 2022 : « Je me suis dit que je n’allais pas la regarder, mais bon, j’aurais pu me dire la même chose en 2018, quand elle se déroulait en Russie… »

Aka Zidane, de Michaël Zumstein, Images Plurielles Editions, 96 pages, 25 euros.

Avec Jeune Afrique par Nicolas Michel