Il y a quasiment deux siècles, le 26 mars 1827, l’un des plus influents compositeurs de musique classique, Ludwig van Beethoven, décède à Vienne à l’âge de 56 ans. Mais depuis, les débats autour des raisons exactes de sa mort n’ont jamais cessé entre les spécialistes. Des chercheurs ont aujourd’hui utilisé une technique inédite pour apporter un nouvel éclairage sur la disparition prématurée du compositeur allemand : en analysant son ADN à partir de mèches de ses cheveux.
Leur étude, publiée mercredi dans la revue scientifique Current Biology, a révélé de fortes prédispositions génétiques aux maladies du foie, ainsi qu’une infection au virus de l’hépatite B à la fin de sa vie, deux facteurs ayant vraisemblablement contribué à sa mort, très certainement d’une cirrhose, aggravée par la consommation d’alcool. Mais ils n’ont malheureusement pas pu expliquer la cause de sa surdité progressive, qui causait tant de peine à l’auteur de la 9ème Symphonie.
En 1802, le compositeur avait fait part de sa volonté, dans une lettre à ses frères rédigée dans un moment de désespoir, que sa maladie soit décrite après sa mort et rendue publique. « Nous avons cherché à répondre à ce souhait », a déclaré lors d’une conférence de presse Tristan Begg, chercheur à l’université de Cambridge et auteur principal de l’étude. Et même si le mystère perdure encore autour de certaines des nombreuses pathologies dont souffrait Beethoven, « nous avons été extrêmement chanceux (…) d’obtenir des résultats si fascinants », a déclaré M. Begg, à l’origine de ce projet démarré en 2014.
Cinq mèches
Jusqu’ici, les recherches sur la santé de Beethoven émanaient surtout de ses correspondances, son journal, des notes de ses médecins, ou encore d’un rapport d’autopsie. Cette fois, les scientifiques se sont penchés sur huit mèches de cheveux présentées comme appartenant à Beethoven, et issues de collections publiques ou privées. Ils ont déterminé que cinq d’entre elles provenaient d’un même individu masculin, avec des altérations montrant qu’elles dataient bien du début du 19ème siècle.
Parmi ces cinq mèches, l’histoire de transmission depuis deux siècles est ininterrompue pour deux d’entre elles, et soutenue par une riche documentation. L’une a été offerte en 1826 par Beethoven lui-même à un ami musicien, et la seconde provient d’un ami de la famille ayant organisé ses funérailles — jusqu’à être vendue aux enchères en 2016.
Ces cinq mèches, qui couvrent les sept dernières années de vie de Beethoven, sont de façon quasi-certaine authentiques, selon les chercheurs. Trois autres ont en revanche été disqualifiées, dont une qui avait été utilisée pour soutenir l’hypothèse d’une mort par intoxication au plomb, mais appartenant en fait à une femme. Le séquençage de l’ADN a ensuite eu lieu en Allemagne, dans le laboratoire de l’Institut Max-Plank d’anthropologie à Leipzig, où sont habituellement plutôt étudiés des hommes préhistoriques.
Contrairement à l’analyse d’os, « dans les cheveux, l’ADN est très dégradée », a expliqué Johannes Krause, responsable du département de génétique de cet institut, et co-auteur de l’étude. « Il était difficile de récolter assez d’ADN pour assembler le génome. » Plusieurs mètres de cheveux ont été utilisés, et finalement, les trois-quart du génome (l’ensemble des gènes d’un être vivant) ont pu être cartographiés.
Ecart conjugal
Beethoven, qui a connu au moins deux épisodes de jaunisse dont le premier en 1821, présentait « une prédisposition génétique considérable » aux maladies du foie, conclut l’étude. Elle révèle également que Beethoven présentait une infection au virus de l’hépatite B, au moins durant les derniers mois de sa vie, mais qui pourrait avoir été antérieure. Or une infection chronique est l’une des causes majeures de cirrhose.
On sait par ailleurs que Beethoven était un grand consommateur d’alcool. « Nous pensons donc que sa maladie provient d’une interaction » entre ces trois facteurs, a expliqué Markus Nöthen, également co-auteur de l’étude. Les chercheurs n’ont en revanche pas pu émettre de conclusion définitive pour les problèmes intestinaux du compositeur (mais l’intolérance au lactose est exclue), ni surtout pour sa surdité, qui aurait pu être causée par une otosclérose ou bien la maladie de Paget.
Pour conclure leurs travaux, les scientifiques ont comparé l’ADN de Beethoven avec celle de cinq hommes belges partageant avec le compositeur un lointain parent ayant vécu au 16ème siècle, Aert van Beethoven. Surprise : le chromosome Y de ces cinq hommes ne correspond pas à celui du musicien. Selon les chercheurs, la seule explication possible est une relation extraconjugale, quelque part entre les sept générations séparant cet ancêtre commun et la naissance de Beethoven, à Bonn en 1770. « Vous ne pouvez pas exclure que Beethoven lui-même soit illégitime », a jugé Tristan Begg. « C’est une possibilité. »
Les échecs du dernier président de l’Union soviétique apparaissent aujourd’hui comme des réussites.
L’Occident a largement salué les démarches favorables à la paix et au rapprochement entre l’Ouest et l’URSS de Mikhaïl Gorbatchev. Photo : Reuters/Fabrizio Bensch
Mikhaïl Gorbatchev est décédé mardi soir à l’âge de 91 ansdes suites d’une grave et longue maladie, a déclaré l’hôpital central de Russie, à Moscou, dans un communiqué. Vladimir Poutine a présenté ses profondes condoléances, a fait savoir le porte-parole du Kremlin, cité par l’agence de presse Interfax.
Dmitry Peskov a ajouté que le président russe enverrait ce mercredi un télégramme à la famille et aux amis du défunt. Nombreux ont été les dirigeants mondiaux à rendre hommage à Mikhaïl Gorbatchev. Le président français Emmanuel Macron a salué un homme de paix dont les choix ont ouvert un chemin de liberté aux Russes.
Ultime président de l’Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev a conclu des accords de contrôle des armements avec les États-Unis et des partenariats avec les puissances occidentales pour lever le Rideau de fer qui divisait l’Europe depuis la Deuxième Guerre mondiale, permettant la réunification de l’Allemagne.
Mais ses vastes réformes internes ont contribué à l’affaiblissement de l’Union soviétique, puis à la chute de celle-ci, un moment que le président russe Vladimir Poutine a décrit dans le passé comme la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle.
À son corps défendant, et pour avoir réalisé – ou laissé faire – des choses qui ne figuraient pas du tout dans son programme initial, Mikhaïl Gorbatchev passe aujourd’hui à la postérité comme l’un des plus grands personnages politiques du 20e siècle.
Un homme qui, en moins de sept ans au pouvoir, a changé la face du monde, recevant en 1990 le prix Nobel de la paix peut-être le plus mérité qui ait jamais été attribué.
Un homme dont les échecs apparaissent rétrospectivement comme des réussites et qui, par exemple, en laissant aller la marche de l’histoire en Europe de l’Est durant l’extraordinaire année 1989 – plutôt que d’intervenir de façon sanglante, comme l’auraient sans doute fait ses prédécesseurs – a malgré lui été un grand libérateur.
La chute pacifique du système soviétique n’était pas l’objectif poursuivi par Mikhaïl Gorbatchev, mais c’est peut-être son plus grand héritage.
L’apparatchik régional monte à Moscou
Lorsque Gorbatchev, véritable croyant marxiste, fidèle apparatchik communiste de région (Stavropol, non loin de l’Ukraine et de la mer Noire), arrive à Moscou, déjà au milieu de la quarantaine à la fin des années 1970, il voit que bien des choses clochent dans le régime hérité de Lénine et de Staline.
L’oppression politique, certes, mais aussi une économie inepte (hors du secteur militaire), gangrenée par la corruption, l’inefficacité et le désintérêt total des travailleurs.
Pour autant, il croit sincèrement qu’une réforme du système est possible de l’intérieur, sous l’égide d’un parti unique revivifié, pour redonner vie aux idéaux socialistes.
Arrivé à Moscou en 1977, il est accueilli et protégé par de vieux barons soviétiques : Iouri Andropov, président du KGB (les services secrets) et Mikhaïl Souslov, idéologue en chef du secrétaire général Leonid Brejnev. Comme inspirations réformistes, on peut imaginer mieux!
Selon toute apparence, rien ne le prédispose alors – à part la jeunesse (il a 20 ans de moins que la plupart des membres du Politburo) et un sourire éclatant – à se distancier radicalement de ces représentants de l’ordre établi et de l’impérialisme soviétique.
Mikhaïl Gorbatchev discute avec des citoyens russes à Moscou en 1985. Photo: AFP
Souslov sera en 1980-1981 l’un des ennemis les plus acharnés de la Pologne du mouvement Solidarité, à la recherche de son émancipation, tandis qu’Andropov était le chef de l’État policier soviétique (KGB, Loubianka, torture et tutti quanti), même si on lui a prêté, par ailleurs, des velléités réformistes en matière d’économie.
Sortie miraculeuse du soviétisme…
Les voies du réformisme sont parfois étonnantes. Gorbatchev a présidé au démantèlement de ce qui fut un empire étouffant, un système fortement idéologique, aux fondements tyranniques et violents, qui prétendait avoir des solutions universelles aux problèmes de l’humanité. Avec un zèle utopique qui a conduit à des souffrances humaines – la collectivisation de 1929-1932, la famine en Ukraine et ailleurs, la Grande Terreur, les purges sanglantes de 1937-1938 – parmi les plus épouvantables du 20e siècle.
Selon le diplomate et historien américain George F. Kennan, une sortie pacifique d’un tel régime, d’une histoire si lourde, sortie que l’on a vue entre 1988 et 1991, tient du miracle.
Le miracle Gorbatchev, c’est peut-être son grand idéalisme, voire la naïveté fondamentale de son projet (réformer le soviétisme) qui, associé à une retenue tactique, à une hantise de la violence et au maintien obsessionnel d’une ligne centriste, aura fait de très grandes choses, véritablement historiques.
Et notamment : la fin du totalitarisme soviétique sans effusion de sang ou presque. À comparer avec la fin apocalyptique du nazisme.
… avec quelques exceptions violentes
Ou presque… Quand on célèbre aujourd’hui l’homme de paix, on peut certes, en examinant à la loupe ces années tumultueuses entre 1985 (mars 1985, arrivée au pouvoir) et 1991 (25 décembre 1991, démission et fin officielle de l’Union soviétique), trouver autre chose qu’un long fleuve tranquille et pacifique. Plutôt : des années palpitantes, fertiles en rebondissements nombreux et pas toujours aimables.
Les Lituaniens et les Géorgiens, par exemple, se souviennent de ce qu’ont été, durant cette période, quelques douloureuses exceptions au démantèlement pacifique de l’Empire.
Ce démantèlement, en réalité, a été dans certains cas plus complexe à l’intérieur de l’Union soviétique agonisante (les 15 ex-républiques de l’URSS) que pour les pays déjà formellement indépendants de l’Europe de l’Est, malgré leur domination de facto par l’URSS entre 1945 et 1989.
En novembre 1990, Helmut Kohl (à gauche) en compagnie du leader soviétique Mikhaïl Gorbatchev (à droite) et du ministre des Affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher. Photo : Reuters
La liberté progressivement retrouvée des années 1985-1990 a également ravivé les aspirations nationalistes, les rivalités religieuses ou ethniques qui couvaient dans les républiques soviétiques périphériques. Dans bien des cas, à la faveur de la glasnost et de la perestroïka gorbatchéviennes, elle a relancé de façon concrète leur combat pour l’indépendance. Mais il y a eu des heurts sanglants.
À Tbilissi, capitale de la Géorgie, le 9 avril 1989, 19 personnes ont été tuées lorsque les troupes du ministère de l’Intérieur soviétique ont attaqué des militants nationalistes géorgiens avec des chars et du gaz toxique.
À Vilnius, en janvier 1991, après la déclaration d’indépendance de la Lituanie, des troupes d’assaut soviétiques se sont attaquées à des manifestants nationalistes avec des chars et des blindés fonçant droit dans la foule désarmée. Résultat : 14 morts et plus de 140 blessés.
À la décharge de Gorbatchev, il est fort possible que ces violences de l’État soviétique en fin de vie aient été déclenchées à son insu par des tenants locaux de l’ordre ancien, désespérés de la tournure des choses et en réalité ennemis de Gorbatchev.
Les mêmes, au fond, qui feront au mois d’août 1991 leur piteuse tentative de coup d’État, qui avortera au bout de trois jours et qui consacrera Boris Eltsine comme nouveau symbole (trompeur?) du combat démocratique en Russie.
Gorbatchev, la vedette
À l’international, Gorbatchev deviendra presque instantanément en Occident une superstar dont on saluera le côté avenant, accommodant et pacifique, qui tranche avec les visages fermés, en forme de NIET!, de ses prédécesseurs.
Signé en 1987, le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire était le premier à proscrire entièrement une catégorie d’armement. Photo: Reuters
Les accords de désarmement nucléaire qu’il signera avec Ronald Reagan en 1987 sont substantiels et historiques, même si, 35 ans plus tard, ils semblent caducs. Ce n’était rien de moins que la fin de la guerre froide soviéto-américaine. Nul doute que l’artisan le plus ardent de ces accords, c’était Mikhaïl Gorbatchev. D’autres que lui auraient pu, devant un Ronald Reagan, choisir plutôt l’escalade.
Il a également mis fin à l’équipée d’Afghanistan (10 années d’occupation soviétique), où il ne voyait qu’une ruineuse et inutile aventure impérialiste dont on peut dire aujourd’hui qu’elle aura accéléré la chute de l’Union soviétique. Devant l’inéluctable réunification de l’Allemagne, Gorbatchev s’est montré aussi réaliste et très accommodant, acceptant finalement que l’Allemagne réunifiée reste dans l’OTAN.
Il n’est pas étonnant qu’aujourd’hui, sa mémoire soit saluée partout en Occident.
Moins aimé en Russie
Bien entendu, il existe aujourd’hui un autre regard sur Mikhaïl Gorbatchev et sa signification dans l’histoire. Le point de vue nationaliste russe, aujourd’hui au pouvoir à Moscou et partagé par une bonne partie de l’opinion publique là-bas, matraquée par la propagande guerrière et anti-occidentale, ne le voit pas du même œil. (Même si, en toute hypocrisie, on a tout de même versé depuis quelques heures au Kremlin des larmes polies et officielles sur le décès du dernier dirigeant soviétique.)
Pour ce point de vue, qui s’est d’ailleurs exprimé de façon cruelle lors de la tentative de Gorbatchev à la présidentielle de 1996 (0,5 % des suffrages pour l’ex-président humilié), le prix Nobel était en réalité un faible, un naïf, voire un vendu aux Occidentaux, qui a présidé à la plus grande catastrophe du 20e siècle (dixit Vladimir Poutine en 2002, parlant de la chute de l’URSS).
Il est certain que malgré ses zigzags en fin de vie dans son évaluation de Poutine (Gorbatchev avait soutenu les manifestations de 2011 à Moscou contre les élections truquées, mais il a applaudi l’annexion de la Crimée en 2014), le grand disparu est aux antipodes de ce que représente aujourd’hui Vladimir Poutine devant l’histoire.
Humaniste pragmatique plus que visionnaire
Gorbatchev croyait à la maison commune européenne, Russie incluse. Poutine voit l’Europe comme un ennemi et une menace. Gorbatchev croyait à un socialisme humaniste et fraternel, même s’il a échoué à le faire. Poutine a consolidé en Russie un capitalisme rapace et corrompu, une kleptocratie alliée du Kremlin.
Gorbatchev a signé des accords de désarmement, mis fin à l’occupation d’un pays voisin. Poutine a envahi l’Ukraine.
Gorbatchev a instauré un début de pluralisme, laissé la presse s’exprimer, permis les premières élections pluripartites. Il a encouragé une discussion ouverte sur les passages sombres de l’histoire soviétique. Sous Poutine, tout cela est verrouillé.
Humaniste pragmatique plus que visionnaire – il a été souvent dépassé par les événements, mais avec une remarquable et très souple capacité d’ajustement – Mikhaïl Gorbatchev, à l’heure de sa mort, est un héros paradoxal. Mais un vrai héros du 20e siècle.
ANALYSE. Pour le directeur du département Afrique de l’Agence française de développement, il convient de tirer les leçons du Covid-19 et de la guerre en Ukraine.
La crise que vit le Sri Lanka va-t-elle gagner d’autres pays émergents ou en développement ? La question mérite vraiment d’être posée alors que le président Gotabaya Rajapaksa a démissionné depuis Singapour d’où il s’est réfugié, sur fond de grave crise économique et sociale. Les experts et les analystes regardent désormais d’un œil très inquiet l’évolution dans le reste du monde, notamment en Afrique, continent où la pandémie de Covid-19 est apparue aussi limitée sur le plan sanitaire qu’elle a été dévastatrice sur le plan économique avec la première récession depuis vingt-cinq ans. Géographiquement éloignée, la guerre russo-ukrainienne est venue alourdir le tribut de l’Afrique à la nouvelle donne géopolitique et géoéconomique du monde.
L’inflation qui enfle au fil des mois, les difficultés d’approvisionnement et la crise alimentaire qui frappent ici et là pourraient sérieusement mettre à mal des années de croissance. Le tableau est d’autant plus saisissant que plusieurs pays qui paraissaient relativement robustes montrent d’inquiétants signes de faiblesse voire de détresse. Au Ghana, par exemple, c’est un président contrit, Nana Akufo-Addo, qui doit désormais défendre sa décision, annoncée début juillet, de solliciter de nouveau le concours du Fonds monétaire international (FMI). « C’est nécessaire pour redresser les finances publiques », affirme-t-il.
Pourquoi le Ghana se retrouve-t-il dans cette situation, alors que le pays faisait la fierté de tout un continent il y a à peine deux ans, en annonçant l’émergence économique : Ghana Beyond Aid, le Ghana au-delà de l’aide. Plus qu’une promesse, un changement de paradigme pour le pays de Kwame Nkrumah, le père du panafricanisme. Mais force est de constater que ce pays d’Afrique de l’Ouest a fonctionné avec de vieilles recettes, notamment un recours systématique et massif à la dette et la mise en œuvre de projets pharaoniques jugés déconnectés des besoins réels des Ghanéens.
Parallèlement, comme dans d’autres États, l’informel continue de dominer le monde du travail. Résultat, deux ans après cette décision, à l’aune de la pandémie et de la guerre en Ukraine, tous les indicateurs sont au rouge : la croissance est en berne, le pays a enregistré en mai une inflation de 27 %, son niveau le plus haut depuis deux décennies. Le gouvernement est en train de tout tenter pour renflouer les caisses de l’État comme la création d’une taxe très contestée (de 1,5 %) sur les transactions électroniques. Le président et ses ministres ont également réduit leurs propres salaires de 30 % et mis en place d’autres mesures qui, espèrent-ils, permettront de dégager environ 400 millions d’euros d’économies pour les caisses de l’État.
Autre exemple, le Mozambique, où l’envolée des prix fait craindre une contestation majeure dans le pays, à tel point que les écoles, les services et les bureaux sont restés fermés ce jeudi 14 juillet sur ordre des autorités.
L’agence d’information économique Bloomberg a donné une liste de 19 pays qui sont aujourd’hui au bord de l’effondrement, comme le Sri Lanka, dont l’Égypte, le Zimbabwe ou la Tunisie sont sur le continent.
Comment faut-il analyser ces risques de défauts de paiement ? L’inflation et la crise alimentaire peuvent-elles s’expliquer uniquement par la guerre en Ukraine ?
Christian Yoka, directeur du département Afrique de l’Agence française de développement (AFD) depuis août 2021, a accepté pour Le Point Afrique de dresser l’état des économies africaines à l’aune de ces récentes crises internationales et en plusieurs temps. D’abord en tout début d’année, à l’occasion de la sortie de l’ouvrage L’Économie africaine en 2022, aux éditions La découverte. À ce moment-là, les perspectives économiques pour l’Afrique étaient plutôt optimistes. Ensuite, quelque quatre mois après le début de la guerre en Ukraine alors que la situation est en pleine mutation. Entretien.
Le Point Afrique : Que se passe-t-il pour l’Afrique sur le plan économique depuis la pandémie de Covid-19, et surtout la guerre en Ukraine. Les risques d’une explosion sociale sont-ils réels ? Quand cela peut-il se produire ? Tous les pays sont-ils égaux devant cette situation ?
Christian Yoka : La pandémie de Covid-19 a eu de forts impacts sur les économies africaines. Nous avons noté un fort ralentissement, à relativiser tout de même par rapport à d’autres continents, et avec des variations d’une région de l’Afrique à une autre.
Et il est vrai qu’à l’entame de l’année 2022, nous étions plutôt optimistes sur la reprise, même si elle s’annonçait inégale, voire moins forte qu’ailleurs dans le monde, et toujours avec des nuances, il y avait quand même la perspective d’un rebond.
La guerre en Ukraine a contrarié ces perspectives de reprise et de rebond. Aujourd’hui, il faut avoir les yeux sur plusieurs indicateurs pour comprendre ce qu’il se passe, qu’il s’agisse de l’incidence sur les marchés financiers, la reprise de l’inflation, les taux d’intérêt qui remontent et donc un durcissement des conditions de financement sur les marchés internationaux.
Pour certains pays, la guerre vient vraiment contrecarrer leur stratégie, parce que se financer à l’international devient quasiment impossible pour eux. Je pense à des pays comme le Ghana où c’est extrêmement compliqué, mais aussi au Kenya ou à l’Égypte qui sont également durement touchés. Donc, actuellement, les capacités budgétaires des États sont extrêmement affectées. Sur un autre plan, la reprise de secteurs clés comme celui du tourisme qui avait été durement affecté déjà pendant la pandémie Covid se trouve aussi contrariée.
Mais là où l’Afrique paye le plus lourd tribut, c’est évidemment sur à la fois les prix des matières agricoles qui se sont envolés avec l’impact que ça peut avoir sur les enjeux de sécurité alimentaire, et les prix des produits énergétiques avec les conséquences que ça peut engendrer en termes de pouvoir d’achat pour les populations. Tout cela vient contrarier assez fortement ces perspectives de reprise que nous entrevoyions pour 2022.
Concernant l’inflation, c’est un peu différent. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi plusieurs pays d’Afrique sont touchés par ce phénomène depuis la fin de l’année dernière et donc bien avant le déclenchement de la guerre en Ukraine ?
Effectivement, je pense que c’est un point important à souligner. Nous avions déjà observé cette tendance à la hausse avant le conflit, notamment sur les prix des denrées alimentaires. Dans certains pays, les prix alimentaires ont connu dès 2021 une inflation à deux chiffres : + de 60 % sur les huiles, parfois + 30 % sur les céréales, + 31 % sur le maïs, + 54 % sur le blé. C’était déjà un sujet de préoccupation. Avec la guerre, l’inflation s’est non seulement généralisée, mais elle est plus forte, puisque nous sommes face à une vraie explosion de ce point de vue là.
Maintenant, les situations sont quand même assez différentes d’un pays à un autre, parce qu’ils ne sont pas tous exposés de la même manière dans leur dépendance au reste du monde. Nous avons des pays qui sont très à risques, très exposés aux importations en provenance de Russie et d’Ukraine, et des pays qui en dépendent un peu moins évidemment. Puis, il faut faire aussi une différence entre les pays producteurs de pétrole, ceux qui sont plutôt importateurs nets et qui ne sont pas frappés de la même façon. Les pays comme l’Égypte, le Burkina Faso, le Cameroun, l’Algérie, le Kenya, la Libye, le Nigeria, le Rwanda ou encore le Sénégal, le Bénin sont les pays qui sont très fortement impactés car très dépendants aux importations de blé.
Après, vous avez des pays qui sont un peu moins exposés parce qu’ils ont soit une base économique un peu plus diversifiée, soit une dépendance moindre au blé. Je pense notamment à des pays comme l’Éthiopie, l’Afrique du Sud, la RDC ou l’Ouganda. Les impacts ne sont pas tout à fait les mêmes pour ces États. Il y a de vrais challenges. D’autant plus que, si on peut se féliciter de la résilience de nombreux États durant la pandémie, tout ça reste relativement fragile, surtout si vous tenez compte du facteur démographique pour plusieurs d’entre eux.
Il faut relativiser les chiffres compte tenu des besoins qui demeurent importants. Une attention particulière doit être portée aux pays dépendants des matières premières. Plusieurs de ces pays font le pari de la diversification. L’agriculture est toujours une priorité du gouvernement congolais, par exemple, qui tente d’investir massivement. Le pari de la diversification n’est pas aisé, cela demande des efforts dans un contexte où, en effet, les capacités des États aux commandes sont extrêmement obérées entre la nécessité de mobiliser des ressources pour soutenir la relance et l’obligation à faire face au service de la dette, même si la communauté internationale a pris sa part. Mais ces pays n’ont pas le choix, et même si l’embellie des cours de matières premières va les aider, il n’empêche que le modèle de développement doit être repensé. Encore une fois, l’Afrique doit se prémunir de futurs chocs exogènes, alimentaires, énergétiques et financiers comme ceux provoqués par la pandémie et la guerre en Ukraine.
La conséquence majeure de la guerre en Ukraine pour l’Afrique, c’est la crise alimentaire qui se profile pour de nombreux pays et de possibles émeutes de la faim. Comment voyez-vous l’Afrique se positionner pour trouver des solutions locales notamment en ce qui concerne l’accès aux engrais, d’une part, et d’autre part, est-ce que toutes ces réflexions, ces projets autour des céréales locales comme alternatives au blé russe et ukrainien peuvent mener à des stratégies concrètes pour les économies nationales ?
Il y a plusieurs sujets dans votre question. Il y a ce que j’appellerai le sujet de l’urgence, donc du court terme. Il faut pouvoir trouver des solutions face aux difficultés d’approvisionnement qui s’observent depuis la pandémie, et je laisse de côté les sujets « sécheresse » qui se posent dans un certain nombre de pays, la question de la fertilité des sols et donc des productions à venir.
Pour mieux comprendre, il faut se référer à quelques repères : entre 2000 et 2013, l’insécurité alimentaire avait constamment reculé, mais la tendance s’est inversée à partir de 2019-2020. En 2020, il y avait à peu près 280 à 300 millions de personnes en Afrique qui étaient considérées en sous-alimentation, ce qui représentait une augmentation de quasiment 90 millions d’habitants par rapport à 2014. C’est assez préoccupant.
Comment l’expliquez-vous ?
Cette situation s’explique principalement par un manque d’investissements, en particulier dans des zones rurales et dans le secteur de l’agriculture. Mais pas seulement. Ce manque d’investissements, conjugué aux conflits qui ont explosé dans différentes régions du continent, sans oublier les changements climatiques, a conduit l’Afrique à se retrouver aujourd’hui dans une spirale de difficultés. Encore une fois, la guerre en Ukraine est venue amplifier ce phénomène de crise alimentaire.
Ce que l’on peut apprécier aujourd’hui, c’est que la prise de conscience qui avait commencé déjà à se faire jour va être encore plus forte. L’heure de la mobilisation a sonné sur ces enjeux de sécurité alimentaire avec pour mot d’ordre d’apporter des réponses qui soient plus structurelles au secteur agricole. Vous avez sans doute suivi l’initiative FARM, en réalité une mission de résilience alimentaire et agricole lancée par le président Macron, en mars 2022. L’AFD est partie prenante notamment sur le pilier 3 de cette initiative qui est celui de la production, les deux autres étant « commerce » et « solidarité ». Sur le pilier « production », nous nous sommes très fortement positionnés afin de pouvoir répondre très vite à côté de nos autres partenaires. Normalement, dès 2022, nous devrions pouvoir engager 200 millions d’euros, voire un peu plus que 200 millions d’euros, au titre de cette initiative pour pouvoir accompagner la reprise et accélérer sur le sujet de l’insécurité alimentaire.
L’initiative FARM ne fait pourtant pas l’unanimité. La crise ne risque-t-elle pas de renforcer la dépendance agricole du continent ?
Il faut augmenter la production en Afrique. Nous n’avons aucune raison d’augmenter la production en Europe. L’idée, c’est bien de faire en sorte que la production locale puisse continuer à être active partout où elle l’est. L’idée, c’est d’apporter des semences, des engrais aux producteurs locaux. Mais je dirais que cette démarche s’inscrit en cohérence avec les initiatives qui ont déjà été prises par exemple pour le Sahel. Ce qui est important pour l’Afrique, c’est d’être en capacité de produire et donc de transformer sur place. L’agro-industrie nous paraît essentielle parce que cela permet de créer des chaînes de valeur, de créer les marchés qu’il faut pour la production locale. Les tensions qui peuvent exister, si c’est bien le débat auquel vous faites référence, ce sont les tensions entre des investissements en faveur des filières destinées à l’exportation et puis une production destinée au marché local. Quand vous êtes sur à la fois du vivrier et même au-delà, vous pouvez. C’est un modèle que nous soutenons évidemment pour produire pour la consommation locale. L’objectif de l’initiative FARM n’est pas de produire pour exporter.
Encore une fois, il ne s’agit pas de jouer seulement le modèle de l’un contre l’autre : on veut à la fois augmenter la production locale, mais s’il y a certaines productions qui peuvent faire l’objet d’exportation, car c’est un moyen pour les pays d’avoir des revenus, etc., il faut l’encourager également. Mais en aucun cas nous ne pouvons imaginer soutenir des filières exclusivement destinées à l’exportation et faire fi des enjeux de sécurité alimentaire locale. Ce n’est pas du tout le modèle dans lequel nous nous inscrivons.
D’après vous, est-ce un abus de langage de dire qu’il y a des pays africains qui peuvent, dans ce contexte, être gagnants car producteurs de pétrole, de gaz et d’autres matières premières ?
C’est une bonne question. Je pense que, d’une certaine manière, compte tenu de la nature de la crise, il vaut mieux éviter d’utiliser des termes comme gagnants et perdants.
De manière très simpliste, nous pouvons penser que les pays producteurs de pétrole sont plutôt dans une situation favorable. C’est vrai que pour des pays comme l’Angola, le Nigeria ou le Congo, effectivement, la reprise des cours du pétrole à des niveaux aussi importants peut être perçue comme une bonne nouvelle. Mais cela étant, il faut mettre en face de cette réalité le fait que, de toutes façons, le coût de la vie augmente, avec justement une envolée des prix de l’énergie qui se traduit par l’augmentation des coûts de transport. Et cela vaut pour tout le monde.
Ces pays qui peuvent sembler être les gagnants de ce conflit vont peut-être voir leurs positions externes s’améliorer, ou augmenter leur niveau de réserves. Mais il n’empêche qu’ils vont rester vulnérables. Il y a plusieurs autres indicateurs qui ne trompent pas sur la situation que traverse vraiment le continent africain, c’est le prix des intrants, des engrais ou de certains métaux comme le fer ou l’acier.
Depuis la décision de l’Union européenne de se passer des deux tiers de ses importations de gaz russe d’ici à la fin de l’année, et de les cesser d’ici à 2027, les pays les plus dépendants de Moscou se sont ostensiblement tournés vers les exportateurs africains, effectifs ou à venir, comme le Sénégal, dont les champs partagés avec la Mauritanie devraient produire 2,5 millions de tonnes de GNL par an à partir du dernier trimestre 2023, puis 10 millions à partir de 2030…
De prime abord, on peut se dire : le malheur des uns fait le bonheur des autres. L’embargo sur le gaz russe ou la décision russe de ne plus exporter son gaz vers l’Europe fait que cette Europe doit s’approvisionner ailleurs. Les États-Unis sont assez bien placés. Et donc nous pourrions imaginer que pour tout un tas de pays, il existe là une opportunité ou un marché nouveau pour pallier le déficit de gaz en provenance de Russie. Cela étant, tout ça ne se fait pas du jour au lendemain. Un pays comme l’Algérie peut paraître extrêmement bien placé, mais parce que, pour le coup, il s’agit bien d’un pays producteur de gaz. Il existe même un pipeline qui approvisionne déjà l’Europe. Sauf que ce pipeline qui passait par le Maroc est fermé pour des raisons géopolitiques. La solution est plus simple et pragmatique, à un moment donné si les acteurs le décident, ils peuvent mettre fin à ces tensions diplomatiques. Mais ils peuvent aussi décider de trouver un autre acheminement.
Pour les autres pays comme le Sénégal ou le Mozambique, qui ont de gros potentiels en la matière, il faut du temps pour pouvoir investir dans des installations. Ces projets nécessitent d’importants capitaux, un oléoduc, ça prend du temps. Donc oui, incontestablement, nous pouvons dire qu’il y a pour ces pays une opportunité de diversification mais cela ne se fera pas de manière aussi immédiate. Dans ce groupe de pays, il faut également compter la Tanzanie, qui possède des réserves assez importantes.
En ces temps troublés, comme l’AFD fait-elle pour choisir ses priorités ?
Il faut commencer par rappeler, justement, sur ce sujet du choix des priorités, que l’AFD est financeur, l’AFD accompagne des politiques et des priorités, et donc c’est important de souligner que ce ne sont pas les priorités de l’AFD, mais bien les priorités des pays dans lesquels nous travaillons. Nous venons pour accompagner les choix qui sont faits, mais encore une fois, ça n’empêche pas la France de prendre certaines initiatives. FARM, par exemple, rentre vraiment dans cette approche.
Pour le reste, on doit être, comme vous l’avez dit, « sur plusieurs fronts », donc permettre de limiter les impacts du conflit en travaillant sur ces sujets d’insécurité alimentaire ; travailler également à la stabilisation macroéconomique des pays ; partout où c’est possible, apporter des financements sous forme d’aide budgétaire, là, l’AFD est dans son rôle contracyclique, puis continuer à travailler sur les enjeux de long terme que sont les enjeux énergétiques. De ce point de vue là, je veux juste souligner qu’on a eu quand même un certain nombre d’enseignements de la pandémie Covid, qui s’est quand même traduite aussi par des conséquences sociales assez fortes dans un certain nombre de pays où on a vu des gouvernements mettre en place des programmes de filets sociaux ou de subventions sur des produits de base. Dans les réponses que nous formulons, nous sommes attentifs aussi à cet aspect-là et partout où des gouvernements pourront instaurer des programmes de filets sociaux en place aux côtés des autres actions qui visent directement la sécurité alimentaire, nous souhaitons pouvoir appuyer ces enjeux-là d’assistance, d’appui aux populations les plus vulnérables. Donc, nous sommes très présents. L’an dernier, nous avons mobilisé près de 4 milliards d’euros. La tendance devrait se confirmer cette année encore. Le niveau d’engagement ne faiblit pas.
Proparco a lancé en plein contexte de crise l’Alliance pour l’entrepreneuriat en Afrique, une initiative ayant pour objectif de soutenir le secteur privé, l’entrepreneuriat et le développement des petites et moyennes entreprises (PME) à travers le continent. Nous sommes allés un peu plus loin avec le programme Choose Africa Résilience, destiné à permettre aux PME et au secteur privé de répondre à la crise. Ce programme est en cours de déploiement et nous envisageons de continuer à rester très présent sur cet axe parce que le secteur privé local doit être accompagné et soutenu.
Ces deux crises successives ont soulevé de nombreux débats sur le développement de l’Afrique, quelle est votre réflexion à ce propos ?
Lorsqu’on se positionne sur ces débats, je pense qu’il faut d’abord être clair, parce que le terme de développement pose lui-même question. S’il s’agit des choix et des politiques, notre approche veut que ce soit d’abord et avant tout les pays que nous voulons accompagner qui fixent les termes. Donc ça, c’est un point important. Après, il y a un certain nombre de réformes structurelles qui restent fondamentales à conduire, notamment celles qui concernent l’accès aux services de base pour tous, le financement des infrastructures, etc.
Je prends l’exemple du Burkina Faso qui est riche d’enseignements sur la question des femmes. Là-bas, les femmes sont des actrices économiques très importantes, mais nous ne pouvons pas nous arrêter à ce constat. Il faut maintenant aller en profondeur sur des points comme les inégalités de genre dans l’accès au foncier, l’accès au crédit, aux financements, etc. Cela permet de libérer des énergies, d’avoir encore plus d’impacts. Donc, il y a un ensemble d’éléments sur lesquels il faut travailler. Ces sujets ne sont pas nouveaux mais les crises mondiales comme la pandémie permettent de souligner une fois de plus l’urgence d’apporter une attention particulière aux solutions que nous pouvons trouver. C’est dans ces moments de tensions que l’on peut juger si un pays est plus résilient, pourquoi, comment, est-ce que ce pays est vraiment diversifié, etc. Cela ne veut pas dire que les autres problèmes structurels ont disparu ou qu’ils ne doivent pas être traités.
Comment se positionne l’AFD sur un sujet comme les DTS, l’Afrique est toujours dans l’attente…
Ce sont des montants assez significatifs pour l’Afrique subsaharienne. Et au-delà, un certain nombre de pays avancés ont décidé de réallouer une partie de leurs DTS. La France a été à l’avant-garde pour mobiliser jusqu’à 100 milliards, le G7 et le G20 se sont par la suite mobilisés, c’est une bonne nouvelle. Maintenant, ces marges de manœuvre devraient permettre aux États de relancer l’investissement public, c’est indispensable et la priorité doit être donnée aux projets de qualité pour éviter les erreurs du passé.
Avec Le Point propos recueillis par Viviane Forson
Alors que la tension diplomatique entre les deux pays ne faiblit pas, l’institut de notation analyse les différentes implications que pourrait avoir le conflit actuel sur leurs économies respectives.
Dans une note diffusée ce 21 juin, Fitch Solutions tente de mesurer les potentielles conséquences économiques de la crise diplomatique qui oppose la RDC et le Rwanda depuis plusieurs semaines. L’agence a étudié trois scénarios. Le premier, le plus probable (65 %), prévoit que les relations entre les deux pays restent « tendues » au cours des trimestres à venir, sans que cela ne débouche sur un conflit militaire à grande échelle. Notamment grâce à la médiation de la communauté internationale.
Pour rappel, le président congolais Felix Tshisekedi avait accusé, entre fin mai et début juin, Kigali de soutenir activement le groupe rebelle M23 – qui prétend défendre les intérêts des Tutsis contre les groupes armés de l’ethnie hutue. Des allégations que le gouvernement rwandais a fermement démenties.
Dans ce contexte, l’agence de notation revoit à la baisse le score de la RDC dans son indice de risque politique à court terme de 25,8 sur 100 à 24,2 (ce qui signifie que le risque est plus élevé). De même, le score de la composante sécurité/menaces extérieures est ramenée de 25,8 à 24,2. Même constat pour le Rwanda, avec un score qui passe de 69,2 à 68,3 sur le risque politique et de 58,3 à 51,7 pour la composante sécurité/menaces extérieures.
Investissements étrangers en jeu
Avec une économie « robuste » (6,4 % de croissance entre 2012 et 2021) et « largement tributaire d’importants flux d’investissements étrangers et d’aides financières », le Rwanda aurait selon Fitch Solutions tout intérêt à se tenir à l’écart des allégations dont l’accuse la RDC pour maintenir de fortes relations avec la communauté internationale et continuer à bénéficier de ses investissements. Selon le ministère rwandais des Finances et de la Planification économique, ces subventions représentent 16,1 % des recettes publiques dans le budget de l’exercice 2021-2022.
« Dans ce scénario le plus probable, nous nous attendons à ce que – même si les relations entre les deux États restent conflictuelles pendant un certain temps – les conséquences économiques ne soient pas sévères », affirment les analystes. Ils estiment que la médiation des États de la Communauté de l’Afrique de l’Est (ECA) préviendra une escalade du conflit, ce qui évitera de perturber le bon fonctionnement des industries extractives présentes en RDC.
Croissance affectée
Dans un deuxième scénario, moins probable (25 %), dans lequel les forces armées de la RDC et du Rwanda s’affrontent régulièrement, Fitch Solutions prévoit une détérioration de la stabilité de la sous-région à moyen terme. Avec un marché fortement perturbé, les exportations rwandaises vers la RDC représentant 12,4 % du total des exportations du pays en 2021 et la seule raffinerie d’or du Rwanda reposant en majorité sur les minerais congolais, les deux économies risquent de voir leur croissance ralentir. En effet, dans ce scénario d’escalade, l’institut de notation revoit à la baisse ses projections de croissance à 5,5 % en 2022 et 6,3 % en 2023 pour la RDC et à 7,1 % et 7,8 % sur la même période pour le Rwanda.
Troisième et dernier scénario (10 % de probabilité) : le conflit se répand aux pays voisins, avec l’Ouganda et le Kenya qui se mobiliseraient pour protéger leurs frontières. Avec dans ce cas un sérieux coup de frein au développement du secteur minier en RDC, du projet phare du Rwanda (Kigali Innovation City) ainsi que du projet pétrolier du lac Albert en Ouganda. C’est une croissance économique « nettement plus faible » et des risques plus élevés pour la stabilité politique à plus long terme que prévoit Fitch Solutions.
« Dans ce scénario le plus sévère, les liens régionaux s’affaibliront considérablement dans les années à venir – il est même possible que l’EAC éclate. Il y aurait beaucoup moins de coopération sur les menaces sécuritaires, et la réduction des échanges commerciaux ralentirait le développement économique en Afrique de l’Est », prévient l’institut de notation.
L’ACTU VUE PAR… Chaque samedi « Jeune Afrique » invite une personnalité à décrypter un sujet d’actualité. Le chercheur Francis Akindès analyse la manière dont le retour sur le devant de la scène politique de l’ancien président ivoirien rebat les cartes.
L’élection de Laurent Gbagbo à la tête de sa nouvelle formation politique, le Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI), et les prises de parole de l’ancien président ivoirien, en tribune ou dans la presse, marquent le retour sur le devant de la scène d’un animal politique. Quatre mois après son retour à Abidjan, suite à son acquittement par la Cour pénale internationale (CPI) au terme d’une décennie de procédure, l’ancien président ivoirien laisse planer le doute sur ses intentions de se lancer dans la course à la présidentielle, quitte à considérer que l’éventuelle instauration d’une limite d’âge pour les candidats ne le concerne pas.P
De ses demandes portant sur le retour des exilés à ses positions vis-à-vis d’Alassane Ouattara et d’Henri Konan Bédié, en passant par les conséquences politiques de la rupture de ses relations avec l’ancienne première dame Simone Gbagbo et l’épée de Damoclès que constitue sa condamnation à 20 ans de prison dans l’affaire du « casse de la BCEAO », Francis Akindès, sociologue et enseignant à l’Université de Bouaké, décrypte les conséquences du retour de l’ancien président, bien décidé selon lui à prendre « une revanche personnelle ».
Jeune Afrique : Que vous inspire le retour en politique de l’ancien président ivoirien, quatre mois après être rentré à Abidjan et après dix ans d’absence ?
Francis Akindès : Cela correspond à deux choses. D’abord, Laurent Gbagbo montre son intérêt pour le champ politique dont il a été l’un des principaux animateurs pendant plusieurs décennies. Par son absence, pour les raisons que l’on connaît, un vide s’est créé. Il a manqué à l’opposition, dont il est resté une figure tutélaire. Il revient donc prendre la place qu’il considère être la sienne.
La deuxième chose est qu’il a une revanche personnelle à prendre. Primo, par rapport à son extraction brutale de l’arène politique en 2010 ; secondo, vis-à-vis de son ancien colistier, Pascal Affi N’Guessan, qui a repris les rênes du Front populaire ivoirien (FPI). Comme il l’a dit lui-même, il lui laisse « l’enveloppe » FPI… Et tertio, à l’ancienne première dame Simone Gbagbo, il entend montrer que c’est lui, le chef.
Ce que Laurent Gbagbo aura d’abord à gérer, c’est le morcellement notable du mouvement qui l’a accompagné jusque-là. Le PPA n’hérite pas de toutes les composantes du FPI historique, car Affi N’Guessan va en prendre une partie. Et Simone Gbagbo également, car une frange de l’électorat lui est favorable et lui restera fidèle.
Le nouveau parti de Laurent Gbagbo part avec des boulets au pied, puisqu’il ne profite pas de la mécanique et du système du FPI, constitué initialement par ces trois protagonistes. Cela a un coût politique que Laurent Gbagbo devra gérer.
Lors de ce congrès, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, d’Henri Konan Bédié) et le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, d’Alassane Ouattara) étaient représentés. Faut-il y voir une étape importante dans le processus de réconciliation ou une entente de façade ?
On peut lire la chose de deux manières. La première est que chacun des partis politiques fait l’effort, et montre des signes en faveur de ce processus de réconciliation. Mais en même temps, ils ne perdent pas le nord. Chacun a son agenda politique et son couteau dans le dos… Le moment venu, malgré le fait que l’on se réunisse dans le même lieu, le temps d’un week-end pour se congratuler, les dissensions et les oppositions vont renaître et le combat continuer.
LE RENOUVELLEMENT DES GÉNÉRATIONS EST UNE PROBLÉMATIQUE MAJEURE AU SEIN DE LA CLASSE POLITIQUE IVOIRIENNE QUI PEINE À FAIRE PLACE AUX PLUS JEUNES
Laurent Gbagbo a de nouveau réclamé le retour des exilés et la libération des « prisonniers politiques ». Il a également affirmé que rien, pas même une limitation de l’âge à 75 ans pour être candidat à la présidentielle, ne l’empêcherait de concourir s’il le souhaitait… Ce positionnement ne risque-t-il pas de fragiliser les signes d’un apaisement avec Alassane Ouattara, observés depuis le retour de l’ancien président ?
La question du retour des exilés et celle de la libération des prisonniers ont été mises sur la table dès la rencontre entre Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo, le 26 juillet. Il n’y a rien de nouveau.
Celle sur la la limitation de l’âge des candidats à la présidentielle, probablement à 75 ans, cela avait été annoncé par le président Ouattara juste après sa réélection. Si cette hypothèse de limite d’âge était entérinée, cela signifierait que les trois leaders, Gbagbo, Bédié et Ouattara sortent de la course politique. Et l’on assistera, de fait, au renouvellement des générations politiques tant attendu par les Ivoiriens, fatigués de voir les mêmes visages de « frères » ennemis politiques depuis plus de trente ans.
Déjà, Alassane Ouattara envoie des signaux en faveur du renouvellement, en promouvant des jeunes dans les différents appareils politiques et administratifs et en rajeunissant son gouvernement. Il avait lui-même fait la promesse de ne pas se représenter, échaudé qu’il fut par cette affaire de troisième mandat – qu’il dit avoir assumé malgré lui – et que ses partisans qualifient plutôt de « premier mandat de la troisième République ». La nuance est importante.
Du côté du PDCI et du FPI, ce renouvellement a beaucoup plus de mal à s’opérer. C’est une problématique majeure au sein de la classe politique ivoirienne. Tous partis politiques confondus, celle-ci laisse le sentiment d’éprouver des difficultés à faire de la place aux plus jeunes, surtout à la porte du pouvoir exécutif. Gbagbo s’est dit prêt à passer le flambeau à une autre génération tout en affirmant qu’il fera de la politique jusqu’à sa mort. Quel paradoxe ! Surtout que l’ancien président n’a pas habitué ses militants à faire de la politique en deuxième ligne. C’est une véritable ambiguïté dans son discours, de nature à poser quelques problèmes.
IL VA FALLOIR QUE LE PPA-CI NOUS EXPLIQUE CE QU’IL MET DANS LE MOT SOCIALISME
Comment qualifieriez-vous la nature des relations entre Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié ?
Ils tentaient déjà, alors que l’ex-président était en prison, un rapprochement. Mais il ne faut pas qu’ils fassent de la politique sur des malentendus. Je ne vois pas comment des activités politiques peuvent être menées dans le cadre d’une promesse d’alliance aussi floue. Ils se voient, mettent en scène leurs rencontres. Mais, pour l’instant, il n’y a rien de concret. Rien n’est politiquement lisible.
Et dans l’histoire politique récente de ce pays, on nous a habitués aux alliances qui se font et se défont au gré des intérêts du court terme.
Laurent Gbagbo a une épée de Damoclès au-dessus de la tête : sa condamnation à 20 ans de prison dans l’affaire dite du « braquage de la BECEAO ». Il n’a, pour le moment pas bénéficié d’une amnistie, pourtant souvent évoquée. Cela vous étonne-t-il ?
Selon le pouvoir, la justice a tranché. Et elle a la possibilité d’exhumer cette décision pour bloquer toutes avancées de Laurent Gbagbo en cas de débordements. Tous les analystes de la scène politique ivoirienne le savent. Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, sur cette question, se regardent en chiens de faïence, en attendant qui dégainera le premier. La question des usages politiques possibles de cette décision de justice est un non-dit dans leur relation.
Le PPA-CI insiste sur sa dimension panafricaniste. Est-ce un positionnement qui relève de la stratégie politique en opposition au libéralisme du gouvernement ou d’une réelle conviction pour Laurent Gbagbo ?
Je n’ai pas compris l’alignement de ces trois mots au PPA : socialisme, panafricanisme et souverainisme. D’abord, que veut dire être socialiste aujourd’hui dans un monde où cette idéologie, intrinsèquement en perte de vitesse quasiment partout dans le monde, ne permet plus de penser et d’organiser l’action politique ? Les mots, en politique, ont une importance. Il va bien falloir que le PPA-CI nous explique ce qu’il met dans son socialisme, alors que les politiques économiques en Côte d’Ivoire, même du temps de la gouvernance de Laurent Gbagbo, entre 2000 et 2010, ont toujours été d’inspiration néolibérale.
Idem pour le panafricanisme et le souverainisme. Quel lien le PPA fait-il entre panafricanisme et souverainisme ? Ce sont des mots qui ont vraiment besoin d’être clarifiés, car on a l’impression d’avancer dans un clair-obscur. Et puis, que veulent dire ces termes dans le contexte politique ivoirien actuel ? On aimerait bien le savoir.
Avec Jeune Afrique par Florence Richard – à Abidjan
Le rapport du département d’État des États-Unis consacré au climat de l’investissement dans le monde passe cette année en revue les économies de la RDC, de la Guinée, de l’Algérie et du Maroc. Retour sur ces analyses sans fard des difficultés rencontrées par les entreprises américaines.
Comme chaque année, le département d’État des États-Unis a rendu public un rapport consacré au climat de l’investissement dans le monde. L’objectif est de fournir des informations sur plus de 170 pays. « Les entreprises américaines de toutes tailles peuvent s’inspirer de ces rapports pour identifier les marchés sur lesquels faire des affaires » note la branche de l’exécutif fédéral en charge des relations internationales.
Tous les pays n’étant pas passés en revue chaque année, le chapitre de l’édition 2018 consacré à l’Afrique inclut notamment la RDC, la Guinée, l’Algérie et le Maroc.
RDC : un environnement « très difficile »
« La RDC reste un environnement très difficile pour faire des affaires » note le rapport dans l’introduction du chapitre consacré au pays. L’incertitude engendrée par le report des élections – désormais prévues pour décembre 2018 – continue à décourager les investissements directs à l’étranger.
Malgré les réformes de ces dernières années, qui octroient des allègements ou des exemptions d’impôts aux investisseurs, « le climat des affaires s’est détérioré en 2017 », souligne le département d’État américain. En particulier, « beaucoup d’investisseurs se plaignent d’une pression fiscale élevée et d’un système de taxation trop complexe, redondant et opaque ». Certaines agences gouvernementales « exercent des pressions administratives importantes sur les entreprises avec des audits et des inspections qui conduisent souvent à l’imposition d’amendes sur des bases discutables ».
« Dans l’ensemble, les entreprises doivent faire face à de nombreuses difficultés en RDC, notamment la fragilité des infrastructures existantes, une corruption endémique à tous les niveaux, des agences fiscales prédatrices, un accès limité au capital, un manque de travailleurs qualifiés, des difficultés à exécuter les contrats, l’incertitude politique, un système judiciaire très faible, des conflits armés qui se poursuivent à l’Est et l’émergence de violences sporadiques dans d’autres régions du pays » concluent les auteurs du rapport.
Guinée : améliorations limitées, malgré la volonté politique
En effet, devant faire face à un important déficit budgétaire et à la baisse du prix des matières premières, les autorités « espèrent que les IDE vont diversifier l’économie, renforcer la croissance du PIB et fournir des emplois durables ».
Mais le département d’État américain se montre critique vis-à-vis de l’environnement des affaires guinéens. Premièrement, « bien que les lois guinéennes soient en faveur de la libre-entreprise et la concurrence, le gouvernement manque souvent de transparence dans l’application de la loi », ce qui laisse de l’espace pour la corruption estime-t-il. Les auteurs pointent aussi les importants arriérés de paiement du secteur public. « Il n’y a pas actuellement de mécanisme indépendant permettant le recouvrement des créances sur l’État guinéen », note le document, qui doute en outre de « la capacité de la Guinée à appliquer ses lois plus favorables aux investisseurs », compromise par « un système judiciaire faible et peu fiable ».
Algérie : opportunités et blocages bureaucratiques
« De multiples secteurs offrent des opportunités importantes de croissance à long terme pour les entreprises américaines, certaines d’entre-elles rapportant une rentabilité à deux chiffres » indique le rapport. « Cependant, certains défis restent à relever ».
Les entreprises internationales qui opèrent en Algérie se plaignent également de l’application changeante et irrégulière des les lois et réglementations, ce qui accroître la perception du risque commercial par les investisseurs, souligne le rapport. Selon l’administration américaine, les contrats commerciaux sont également être soumis à des révisions ou des interprétations variables.
Les autres dispositifs critiqués par le département d’État incluent la règle des 51/49, qui oblige à une majorité algérienne pour tous les partenariats étrangers, et des mesures de contrôle des changes particulièrement strictes. Enfin, la politique de substitution aux importations, qui a sévèrement limité le commerce extérieur, est également mise en cause.
Maroc : le bon élève du continent
« Le gouvernement marocain a mis en place une série de mesures destinées à développer l’emploi, attirer des investissements étrangers et accroître les volumes produits et la performance économique des secteurs générant des revenus, tels que l’automobile ou l’aéronautique », souligne le département d’État.
Dans ce cadre, le Maroc a ratifié 68 traités bilatéraux d’investissement, afin de promouvoir ou de protéger l’investissement, et 60 accords économiques, destinés à éliminer la double taxation des revenus des plus-values, notamment avec les États-Unis et la plupart des économies européennes. « Sa charte d’investissement a mis en place la convertibilité du dirham pour les investisseurs étrangers, et donne la liberté de transférer les bénéfices ». Enfin, l’accord de libre-échange avec les États-Unis est entré en force en 2006, immédiatement éliminant les tarifs pour plus de 95 % des biens industriels et de consommation qualifiés » souligne l’administration américaine.
Cependant, « malgré une amélioration significative de l’environnement des affaires, le manque de travailleurs qualifiés, la faible protection des droits de propriétés intellectuelles, la bureaucratie inefficace et le lent rythme de la réforme de la réglementation reste des difficultés pour le Maroc ».
La notion de « prédicat », une analyse grammaticale consistant à décomposer la phrase en deux blocs, est apparue dans les programmes à la rentrée 2016.
AURELPrenez l’enseignement de la langue – un domaine qui passionne les Français, même quand ils ne fréquentent plus les bancs de l’école. Ajoutez-y un changement de formulation dans les programmes scolaires, qui ont fait peau neuve en cette rentrée ; peut-être même une inflexion dans les objectifs qui leur sont assignés. Une bonne dose d’inquiétude partagée par les parents et les enseignants, à l’heure où toutes les enquêtes – nationales comme internationales – pointent les résultats décevants de notre système éducatif.
Mélangez le tout avec un zeste de désinformation propagée sur la blogosphère et les réseaux sociaux… Et vous aurez, réunis, tous les ingrédients d’une polémique comme l’école française, qui navigue de réforme en réforme, en voit surgir à intervalles réguliers : une controverse déconnectée (ou presque) de ce qui se joue en classe, mais au retentissement médiatico-politique assuré.
Le COI disparaît
Pour allumer la mèche, il a suffi d’un mot : le « prédicat ». Une notion bien connue des linguistes et des grammairiens, et même déjà utilisée à l’école en Belgique ou au Québec, mais une découverte en France, en 2016-2017, pour bon nombre de parents d’élèves et même d’enseignants. Introduite pour la première fois dans les programmes de cycle 3 (du CM1 à la 6e), elle doit permettre aux enfants non encore rodés à l’analyse grammaticale de décomposer la phrase en deux blocs : le sujet et son prédicat – ce qui est dit du sujet. Exemple : « Le facteur distribue le courrier » ; « le facteur » est le sujet, « distribue le courrier » le prédicat.
Les compléments d’objet direct et indirect pourront, eux, être identifiés dans un second temps en classe, sous l’appellation commune de « complément de verbe », explique Michel Lussault, président du Conseil supérieur des programmes (CSP). A ce niveau-là de scolarité, les nouveaux programmes ne font d’ailleurs plus référence au COD ou au COI : il faut attendre le cycle 4 – correspondant aux classes de 5e, 4e et 3e – pour que le premier réapparaisse lorsqu’il est question d’étudier l’accord du participe passé. Quant au second, son acronyme a littéralement disparu des programmes.
« C’est avant tout un changement d’approche, presque de logique, défend le président du CSP. Une grammaire aussi complexe que la nôtre se prête peu au consensus… Ce choix a fait débat au sein du Conseil, il est le fruit d’un arbitrage.Mais si on peut sans doute discuter de la direction prise, on ne peut pas lui reprocher de manquer d’ambition, alors même qu’elle aboutit à ajouter une étape, un préalable, à l’étude de la langue. »
Voie progressive
« Elle doit permettre aux élèves de saisir la phrase comme un énoncé signifiant et pas seulement comme une suite de mots à étiqueter, renchérit Sylvie Plane, professeure en sciences du langage et vice-présidente du CSP. Un cheminement vers une analyse grammaticale plus complexe, une compréhension de la langue plus poussée. »
Une voie progressive, sans doute, mais pas moins exigeante : c’est le credo des artisans de ces nouveaux programmes… et l’exact opposé de l’écho qu’en ont donné les réseaux sociaux. Depuis plusieurs jours, Michel Lussault ferraille sur Twitter avec ceux qui, en nombre, l’accusent de vouloirmettre à mal la grammaire. Rien d’inédit pour ce géographe de métier que l’on a accusé, au plus fort de la polémique sur la réforme du collège, d’être le « fossoyeur » du récit national ou des humanités. Un « assassin de l’école », pour reprendre le titre du livre de la journaliste de L’Obs Carole Barjon, qui pourfend le « pédagogisme ». Michel Lussault s’en amuse presque : « On fait de moi l’inventeur du prédicat. Aristote, qui en a la paternité, doit se retourner dans sa tombe ! »
Mais la querelle, même outrancière, résonne fort sur la Toile. Un billet de blog écrit par une enseignante, sur le site de Télérama, a, le 3 janvier, donné aux accusations de « nivellement par le bas » si souvent proférées contre la gauche un semblant de légitimité journalistique : « En 2017, la grammaire est simplifiée voire négociable », l’a-t-elle titré. L’auteure y évoque des « directives orthographiques » effarantes, assurant qu’on accepte désormais des élèves des « accords défaillants » des participes passés à condition qu’ils puissent les justifier.
« Mis devant le fait accompli »
Le 7 janvier, LeParisien a fait du prédicat son dossier de « une » : « La grammaire, c’est fini ? », interroge-t-il sur deux pages. Et d’affirmer que la communauté éducative en « perd son latin ». Sans surprise, les pourfendeurs de l’« égalitarisme », à droite, ont eux aussi donné de la voix : l’équipe de campagne de François Fillon, candidat à l’élection présidentielle, a retweeté, le 4 janvier, le témoignage donné à lire sur le site de Télérama.
Reste l’essentiel : ce que disent – ou ce que font – les enseignants de ces changements. Sur ce point, le recul manque. Leurs syndicats n’ont pas encore pris position, à l’exception du Snalc (dit de droite même s’il le récuse) : «Introduire une notion de linguistique universitaire dès le CM1 n’a aucun sens ; on ajoute une couche supplémentaire au mille-feuille terminologique grammatical, s’indigne Jean-Rémi Girard, l’un de ses porte-parole. On peut en craindre une application très hétérogène. »
Sur les forums de discussion entre professeurs, c’est la surprise d’être un peu mis « devant le fait accompli » qui s’exprime ; l’impréparation, le manque de formation et d’accompagnement, l’agacement face à ce « énième changement ». Mais pas seulement : si certains laissent entendre qu’ils ne changeront rien à leurs gestes professionnels, à leurs cours, d’autres accueillent positivement la nouveauté. A l’image de Viviane Youx, présidente de l’Association française des enseignants de français (AFEF), pour qui « enfermer les élèves dans un système normatif, en se focalisant sur la terminologie, des éléments mis bout à bout, ne les aide pas nécessairement à comprendre la langue ».
Le dictateur Yahya Jammeh, au pouvoir depuis vingt-deux ans, a créé les conditions de sa chute à force d’aveuglement mégalomane.
Affiche électorale de Yahya Jammeh, président candidat à un cinquième mandat, le 1er décembre 2016 à Banjul. Crédits : SEYLLOU/AFP« Dans les bureaux de vote qu’on a pu visiter, tout se passait pour le mieux : l’isoloir était isolé, les observateurs des trois camps étaient présents, et le calme régnait », explique Ben Udenski, membre de la société civile sud-africaine et l’un des 18 observateurs que l’Union africaine a pu dépêcher dans le pays pour la présidentielle gambienne. Jeudi 1er décembre, les Gambiens ont défait dans les urnes leur président autoritaire Yahya Jammeh lors d’un scrutin jugé par tout un chacun « libre et équitable », une situation inédite dans un tel régime.
Alors que Yahya Jammeh dirige d’une main de fer le pays depuis vingt-deux ans, la fin démocratique de son règne interroge. « Comment n’a-t-il pu rien prévoir pour rester au pouvoir ? », s’interrogeait ainsi le lendemain du vote Moussa, 19 ans, dans les rues de Banjul, n’y croyant toujours pas.
« Le roi qui défie les rivières »
« En Gambie, les jours de vote sont plutôt libres, c’est l’absence de démocratie sur le terrain en amont qui pose problème », analyse Niklas Hutlin, chercheur américain spécialiste de la Gambie à l’Université George Mason (Virginie). Depuis six mois, le président, candidat à un cinquième mandat, avait ainsi créé les conditions de sa réélection, qu’il imaginait comme un nouveau plébiscite extraordinaire de sa personne.
14 avril, à Serrekunda, deuxième ville du pays. « Notre parti, le Parti démocratique unifié [UPD, opposition], manifestait avec des panneaux appelant à une réforme du Code électoral, se souvient Moustapha Saidy, 22 ans, en exil aujourd’hui à Dakar, qui était présent à la manifestation. La police est venue et s’en est violemment prise à nous. Solo Sandeng, le secrétaire national du parti, a été emmené avec une dizaine d’autres manifestants, c’est la dernière fois qu’on les a vus. » Solo Sandeng décédera une semaine plus tard sous les coups des services de renseignement. Son corps n’a jamais été rendu à sa famille.
Deux mois plus tard, en juin, le régime multiplie par dix le montant à verser à l’Etat pour déposer sa candidature à la présidence, le portant à 25 000 dollars et exige 10 000 signatures de soutien alors qu’il n’en fallait que 500 auparavant. « Jammeh change les lois à sa guise de manière à ce que l’opposition ne puisse pas gagner », avançait, avant le scrutin, Sidi Sanneh, ancien ministre des affaires étrangères gambien, en exil aux Etats-Unis. Et il ne veut pas d’opposition forte contre lui, regardez ce qu’il a fait au Parti démocratique unifié. »
Outre les événements d’avril, l’UDP, principal parti d’opposition, a été totalement décimé. Fin août, son président, Ousainou Darboe, candidat malheureux à chaque élection contre Jammeh depuis sa prise de pouvoir par la force en 1994, est jugé avec trente autres membres du parti pour « manifestation illégale » après une marche pour demander la libération de Solo Sandeng, deux jours après que ce dernier avait été arrêté. Condamnés à trois ans de prison ferme, ils sont détenus dans les tristement célèbres geôles gambiennes de Mile 2, où finissent opposants politiques, journalistes et autres militants de droits de l’homme qui ont osé élever la voix contre « le roi qui défie les rivières » – l’un des titres officiels du président gambien.
Egocentrique et mégalomane
Cet emprisonnement, un de plus, du leader historique de l’UDP a été un tournant dans la vie politique gambienne. « A ce moment, on a compris qu’il fallait nous unir dans une coalition pour gagner, c’était le seul moyen », explique Ramzia Diab, ancienne députée de la majorité qui a rejoint l’opposition, soulignant que les anti-Jammeh ont toujours été convaincus que la « voielégale et démocratique » était la solution pour mettre fin à son régime. « Mais Jammeh ne croyait pas à ce rassemblement, il était sûr de gagner ces élections, comme celles d’avant », continue-t-elle.
Yahya Jammeh, prince de la personnification du pouvoir, est en effet convaincu que cette coalition ne pèsera pas dans les urnes, que les Gambiens comprendront, une fois encore, qu’il est le seul à pouvoir développer la Gambie. « En vingt-deux ans, vous avez vu ce que j’ai fait, vous avez maintenant un poste de police, un hôpital, une école. Tout ça grâce à moi », déclarait-il mardi en banlieue de Banjul, lors de l’un de ses derniers meetings de campagne.
L’homme est égocentrique autant que mégalomane : « J’ai purifié votre région des sorciers, il n’y en a plus un. Je leur ai demandé quel était ce paludisme qui ne tuait que des enfants. Ils en ont ri, je leur ai promis que, par le feu, je brûlerai le vent du paludisme et que plus aucun enfant ne mourrait de cette prétendue maladie. Aujourd’hui, rendons grâce à Dieu, il n’y a plus de sorcier à cause des prières que j’ai faites. »
Pour verrouiller le scrutin – pour lequel il ne voit qu’une seule issue : sa victoire –, Jammeh a refusé que l’Union européenne et la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) n’envoient leurs observateurs. Le jour du vote, les communications internationales et l’Internet ont été coupés, laissant craindre de possibles fraudes lors du dépouillement.
« Jammeh était convaincu que les tactiques qu’il avait déjà utilisées par le passé, comme son emprise sur le média d’Etat, le musellement des journalistes indépendants et l’emprisonnement de figures de l’opposition, suffiraient à conforter son avance dans les urnes, analyse Jim Wormington, chercheur à Human Rights Watch. Mais, si le système n’est pas équitable, les élections l’ont été, et l’opposition a su en profiter. »
Les soldats retirés des rues à l’annonce des résultats
Pêché d’orgueil. Durant la campagne, le président dictateur met à la disposition de sa mégalomanie tout l’appareil de l’Etat. Les bérets rouges lourdement armés de l’armée sécurisent des meetings conçus pour chanter la gloire de Jammeh tandis, que le candidat Barrow traverse les rues sans autre protection visible qu’une chaîne humaine de militants, un cordon de mains tendues pour éviter que ses milliers de partisans ne prennent d’assaut sa voiture.
Enfin, si l’armée a sécurisé la capitale durant le scrutin, les dizaines de soldats postés dans les rues se sont pour la plupart retirés à l’annonce des résultats. Pourquoi Jammeh n’a-t-il pas envoyé l’armée ? « La Gambie est petite, tout le monde connaît un soldat parmi ses proches, l’armée n’aurait jamais tiré sur ses frères », pense Adama, 18 ans. Des sources diplomatiques expliquent, elles, que des tractations ont eu lieu dans la nuit du jeudi au vendredi entre la présidence et certaines ambassades pour dissuader Yahya Jammeh d’utiliser la force.
Aujourd’hui, retranché dans le palais présidentiel, le président perdant a sans doute compris qu’il n’aurait pas dû mépriser son opposition ni organiser un scrutin dans les « vraies » règles. A vouloircréer un simulacre de démocratie, Jammeh a fini par en créer une, fière et sans égale.
Lemonde.fr par Amaury Hauchard à Banjul, envoyé spécial
Moscou – Le président russe Vladimir Poutine a invité des experts britanniques à participer à l’analyse de la boîte noire du bombardier russe abattu par l’aviation turque au dessus de la frontière syrienne, a annoncé mercredi le Kremlin.
La boîte noire du Soukhoï-24 abattu le 24 novembre par des F-16 turcs a été récupérée par l’armée russe et Vladimir Poutine avait ordonné mardi qu’elle ne soit ouverte qu’en présence d’experts étrangers.
Le chef de l’État russe invite des spécialistes britanniques à participer à l’analyse des données des boîtes noires du Su-24, selon le communiqué du Kremlin.
La demande de Vladimir Poutine est intervenue lors d’un entretien téléphonique avec le Premier ministre britannique David Cameron.
Toujours selon le Kremlin, les deux hommes, qui ont des approches similaires sur la dangerosité de l’État islamique et des autres groupes terroristes agissant dans la région, ont discuté de l’établissement d’une coopération au niveau des différentes structures gouvernementales.
Le Kremlin ne précise pas s’il s’agit d’améliorer la coopération entre les armées russe et britannique engagés dans des raids aériens en Syrie, ou bien entre services secrets des deux pays.
La Grande Bretagne, qui bombardait les positions du groupe jihadiste État islamique en Irak, effectue depuis le début du mois des frappes aériennes en Syrie après le feu vert de son Parlement.
Les militaires russes avaient annoncé mardi avoir récupéré la boîte noire du bombardier abattu par l’aviation turque au-dessus de la frontière syrienne, un acte qui avait été qualifié de coup de poignard dans le dos par Vladimir Poutine et qui a provoqué une grave crise diplomatique entre Ankara et Moscou.
Le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou a déclaré que le territoire sur lequel était tombé le bombardier avait été libéré par les forces spéciales syriennes, ce qui leur a permis de découvrir la boîte noire dans une zone jusque-là tenue par les rebelles.
M. Poutine a déclaré qu’une analyse de la boîte noire permettrait de déterminer la trajectoire et les paramètres de la position du bombardier au moment où il été abattu.
La Turquie affirme que l’avion est entré dans son espace aérien et a ignoré plusieurs mises en garde, tandis que la Russie dément et dénonce une provocation délibérée.
M. Poutine a prévenu que le déchiffrage de la boîte noire, quel que soit son contenu, ne modifierait pas l’attitude de la Russie et n’atténuerait pas sa colère à l’égard de la Turquie après ce coup de traître.