Le Congrès national africain (ANC), au pouvoir en Afrique du Sud depuis la fin de l’apartheid, prévoit de se réunir une nouvelle fois lundi matin pour discuter de l’avenir du président Cyril Ramaphosa, entaché par un scandale.
Le tout-puissant Comité exécutif national (NEC) à la tête du parti s’était déjà très brièvement retrouvé vendredi à Johannesburg, avant d’expliquer à la presse vouloir d’abord examiner de plus près les faits dans l’affaire visant le président.
Il devait se réunir de nouveau dimanche à la mi-journée, avait annoncé le parti dans un communiqué matinal. Cette réunion a finalement été repoussée à lundi matin, ont confirmé à l’AFP plusieurs sources politiques.
Depuis juin, M. Ramaphosa est gêné par le dévoilement d’un cambriolage en février 2020 dans l’une de ses luxueuses propriétés, qui a révélé la présence de 580.000 dollars en liquide camouflés sous les coussins d’un canapé.
Le président, qui a amassé une immense fortune avant de revenir à la politique et qui se passionne pour le bétail, prétend que ces sommes sont liées à la vente de vingt buffles à un homme d’affaire soudanais.
La plainte déposée en juin par un opposant politique n’a pas donné lieu à ce jour à des poursuites, l’enquête de police se poursuit.
Mais une commission parlementaire a estimé mercredi qu’il « a pu commettre » des actes contraires à la loi et la Constitution, ouvrant la voie à une procédure de destitution qui pourrait être votée mardi au Parlement.
Majoritaire au Parlement depuis 1994, l’ANC, un parti plombé par la corruption et une guerre de factions, choisit le chef de l’Etat depuis l’avènement de la démocratie sud-africaine.
Les hauts responsables du parti au pouvoir en Afrique du Sud, l’ANC, ont annoncé jeudi se réunir en urgence pour discuter du sort du président Ramaphosa, sous pression avec la menace d’une procédure de destitution planant au-dessus de sa tête après la publication d’un rapport parlementaire accablant.
La réunion au sommet doit avoir lieu vendredi. Le chef d’Etat doit de son côté faire une déclaration dans la journée de jeudi, a déclaré à l’AFP le porte-parole de Cyril Ramaphosa, sans donner plus de précisions.
Tard la veille, la publication du rapport d’une commission indépendante désignée par le Parlement a déclenché une tempête en concluant que « le président a pu commettre » des violations et des fautes, dans le cadre d’un scandale qui gêne ce dernier depuis des mois.
En février 2020, des cambrioleurs se sont introduits dans une de ses luxueuses propriétés dans la nord-est du pays. D’importantes sommes en liquide ont été retrouvées sous les coussins d’un canapé. Une plainte déposée en juin l’accuse de ne pas avoir signalé l’incident, ni à la police, ni au fisc.
M. Ramaphosa nie mais le rapport remis au Parlement met clairement en doute les explications données par le président sur la présence de plus d’un demi-million de dollars chez lui, caché dans du mobilier.
Les conclusions de la commission ouvrent la voie à une procédure en vue d’un éventuel vote pour la destitution du président. Le Parlement se réunit mardi en séance extraordinaire pour débattre, dix jours avant une échéance cruciale pour l’avenir politique du chef d’Etat.
L’ANC se réunit mi-décembre pour désigner son prochain leader. Le vainqueur deviendra chef de l’Etat à l’issue des élections générales de 2024, si toutefois le parti confronté à un désamour grandissant remporte le scrutin.
Démission
Le processus de destitution, s’il est enclenché, a toutefois peu de chances d’aboutir, l’ANC présidé par M. Ramaphosa détenant une confortable majorité au Parlement. Mais le président est affaibli et au cours des dernières heures, les appels à la démission se sont multipliés. Aussi bien de la part de l’opposition que de membres de l’ANC, rongé par des guerres de factions.
Le premier parti d’opposition (DA) a appelé dans un communiqué à des élections générales anticipées, affirmant que le pays est confronté à un « changement sismique ».
Selon une source proche de la présidence, Cyril Ramaphosa est en ce moment « en train d’étudier toutes les possibilités ».
Dans la foulée de la publication du rapport, son bureau avait immédiatement appelé à une « lecture attentive et une considération appropriée » du document, « dans l’intérêt de la stabilité du gouvernement et du pays ».
Mais jeudi, des annulations en cascade ont été annoncées par le gouvernement: un point presse qui devait « aborder les questions d’actualité intéressant le public et les médias », une séance de questions à la chambre haute de l’Assemblée ainsi qu’un discours du vice-président, David Mabuza, qui deviendrait automatiquement chef d’Etat par intérim en cas de démission de Cyril Ramaphosa.
M. Ramaphosa « dément catégoriquement » avoir mal agi. Dans une déclaration officielle à la commission qui a opportunément fuité le jour de la remise du rapport parlementaire et dont l’AFP a eu copie, il expose en détails sa version des faits.
Selon lui, un homme d’affaires soudanais a acheté des buffles dans son domaine à deux heures de route de Pretoria où il élève du gibier et du bétail. « Il a choisi ceux qui lui plaisaient et payé en liquide le montant de 580.000 dollars », explique le président.
L’argent a été caché « sous les coussins d’un canapé d’une chambre peu utilisée », par un employé qui a estimé cette cachette plus sûre que le coffre de la propriété.
Cyril Ramaphosa fait également l’objet d’une enquête pénale de l’unité d’élite de la police sud-africaine, les Hawks.
La libération conditionnelle de l’ex-président sud-africain l’an dernier pour raison de santé est contraire à la loi, a estimé lundi 21 novembre une cour d’appel.
Jacob Zuma, 80 ans, avait été condamné en juin 2021 pour avoir obstinément refusé de témoigner devant une commission chargée d’enquêter sur la corruption sous sa présidence (2009-2018).
Son incarcération le mois suivant avait déclenché une vague sans précédent de violences et pillages, dans un contexte socio-économique tendu, faisant 350 morts. Deux mois après, il avait été libéré pour raisons de santé et placé sous contrôle judiciaire.
Mais la Cour suprême d’appel « estime que la libération conditionnelle pour raison médicale de M. Zuma était contraire à la loi », dans une décision dont l’AFP a obtenu copie.
Opacité
Le responsable des services pénitentiaires avait accordé la liberté conditionnelle contre l’avis du comité médical de l’institution. Les experts médicaux avaient estimé que Jacob Zuma « ne remplit pas les conditions requises ».
L’état de santé de l’ex-président reste opaque. Selon les multiples rapports médicaux cités dans la décision de la cour d’appel, il souffre de problèmes liés à la pression artérielle, un taux élevé de glycémie ainsi que de lésions graves au côlon.
Le responsable des services pénitentiaires n’était pas fondé à aller à l’encontre de l’avis du comité de médecins, selon la cour d’appel. En conséquence, « M. Zuma, selon la loi, n’a pas fini de purger sa peine. Il doit retourner au centre correctionnel d’Escourt » (KwaZulu-Natal, sud-est).
Conférence de l’ANC
Cette décision intervient alors que les autorités pénitentiaires ont annoncé le mois dernier la fin de peine de Jacob Zuma, qui est apparu en public plusieurs fois, dansant et chantant devant ses partisans.À LIREAfrique du Sud : Jacob Zuma, son livre, son business
Il reste perçu, malgré les scandales, comme le plus grand rival politique de l’actuel président Cyril Ramaphosa. À moins d’un mois de la conférence de l’ANC, échéance cruciale pour l’avenir de Cyril Ramaphosa à la tête du pays, Jacob Zuma a plusieurs fois tenté de le déstabiliser en mettant en doute sa probité.
«Trahison », «corrompu » : à l’approche d’un congrès de l’ANC crucial pour la présidentielle de 2024, l’ex-président Jacob Zuma a sévèrement attaqué son successeur Cyril Ramaphosa.
« Le président est corrompu », « il a commis une trahison », a accusé l’ancien chef de l’État Jacob Zuma samedi 22 octobre dans sa première réaction à des allégations selon lesquelles le président Cyril Ramaphosa serait impliqué dans une obscure affaire de cambriolage.
« Aucun président ne devrait gérer des affaires privées quand il est en fonctions », a poursuivi, lors d’une conférence de presse à Johannesburg, celui qui fut lui-même contraint à la démission en 2018 tant il était englué dans des scandales et accusations de corruption.
Une commission indépendante a été constituée en septembre par le Parlement sud-africain pour enquêter sur cette affaire de cambriolage qui gêne depuis plusieurs mois le président Ramaphosa, accusé de blanchiment et corruption. Les résultats de l’enquête pourraient conduire à un éventuel vote au Parlement pour sa destitution.
Quatre millions de dollars
Cyril Ramaphosa est accusé d’avoir dissimulé à la police et au fisc un cambriolage datant de 2020 dans une de ses propriétés, au cours duquel d’importantes sommes en espèces ont été trouvées, cachées dans du mobilier.
Une enquête a été ouverte après une plainte déposée en juin par l’ancien chef du renseignement sud-africain, Arthur Fraser. Selon ce dernier, des cambrioleurs se sont introduits dans une ferme appartenant au président à Phala Phala, dans le Nord-Est du pays, et y ont dérobé quatre millions de dollars (4,08 millions d’euros) en numéraire.
La plainte accuse Cyril Ramaphosa d’avoir dissimulé à la police le cambriolage et au fisc l’argent trouvé sur place, ainsi que d’avoir organisé l’enlèvement et l’interrogatoire des voleurs, puis de les avoir soudoyés pour qu’ils gardent le silence.
Pression à l’approche du congrès de l’ANC
Cyril Ramaphosa dénonce une manœuvre politique, nie les allégations d’enlèvement et de corruption, remet en cause le montant du vol évoqué et soutient que l’argent provenait de la vente de bétail.
Mais l’affaire met le président dans la tourmente, alors que l’ANC doit prochainement décider de le présenter ou non comme candidat pour un second mandat à la présidentielle de 2024.
Jacob Zuma a déclaré que la conférence de l’ANC en décembre « va devoir traiter de ce cas » et décider si le président peut rester ou pas. « Beaucoup disent que le président a échoué », a-t-il poursuivi.
Un autre ancien chef de l’État, Thabo Mbeki, a aussi déploré la situation de l’ANC avant le congrès de décembre. « Notre président est sous forte pression (…) à propos de l’affaire de la ferme de Phala Phala », a-t-il dit lors d’une réunion distincte à Johannesburg.
L’ancien président Zuma, condamné à quinze mois de prison ferme pour avoir obstinément refusé de répondre à une commission enquêtant sur la corruption, a quant à lui fini de purger sa peine au début du mois. Il a été libéré pour raisons de santé et placé sous contrôle judiciaire.
Samedi, il a qualifié son incarcération « d’illégale » et a fustigé les magistrats. « Le fait est que la plus haute juridiction de ce pays a violé la loi, a-t-il dit. Il faut nous assurer que les juges ne se transforment pas en politiciens. »
Il est de tous les événements : meetings, conférences, enterrements… L’ancien président Thabo Mbeki, au pouvoir de 1999 à 2008, ne lâche plus le Congrès national africain (ANC). À 80 ans, il n’est pas de ces retraités qui répondent aux invitations pour s’asseoir sur une chaise au dernier rang et piquer du nez en toute discrétion. S’il se déplace, c’est pour délivrer une parole corrosive à l’encontre de son propre parti.
Ainsi, lors des funérailles de Jessie Duarte, secrétaire générale par intérim de l’ANC décédée le 17 juillet dernier, Thabo Mbeki a profité des hommages pour refaire le portrait du parti. Une formation politique qu’il ne s’est pas privé de décrire comme rétive au renouvellement, composée de membres avides de pouvoir et d’enrichissement. Les applaudissements ont été nourris.
Ramaphosa dans le viseur
Qui dit parti présidentiel mal structuré dit pays mal gouverné. « Il n’existe aucun plan national pour résoudre les problèmes de pauvreté, de chômage et d’inégalités. Cela n’existe pas. Si on veut servir le peuple, il faut résoudre ces problèmes », a tancé Thabo Mbeki. À force de remonter la pyramide des responsabilités, son exposé a fini par titiller le chef de l’État. « Quand le camarade Cyril Ramaphosa a prononcé son discours sur l’état de la nation en février, il a dit : “Dans les cent prochains jours, nous devons nous mettre d’accord sur un pacte social pour résoudre ces problèmes.” Mais rien n’a été fait, rien ! » a poursuivi Thabo Mbeki, encouragé par de nouveaux applaudissements.
S’il n’est pas le premier à transgresser la règle tacite qui veut qu’un ancien président ne critique pas son parti, Thabo Mbeki semble aller plus loin. « D’habitude, les gens de l’ANC se gardent bien de livrer des noms, il suffit de deviner, observe William Gumede, président du think tank Democracy Works Foundation (DWF). Ce qui est surprenant, c’est que Mbeki critique nommément Cyril Ramaphosa. Nelson Mandela critiquait lui aussi, mais de manière beaucoup plus large. »
Mbeki et Ramaphosa sont connus pour entretenir une relation cordiale mais distante. Rien à voir avec la rivalité qui les a tous deux opposés à Jacob Zuma. Ce dernier fut le tombeur de Mbeki en 2008, avant d’être lui-même poussé vers la sortie par Ramaphosa en 2018. Thabo Mbeki veut-il à son tour déloger Ramaphosa du sommet de l’État ? C’est la théorie farfelue énoncée par Julius Malema.
Inquiétudes pour les élections de 2024
Le chef du parti des Combattants pour la liberté économique (EFF) adore déstabiliser l’ANC en se mêlant de ce qui ne le regarde pas. « Le président Mbeki ne digère pas d’avoir été forcé à quitter la présidence avant la fin de son mandat, a ainsi affirmé Julis Malema lors d’une conférence de presse. Il y a des soupçons selon lesquels Arthur Fraser coopère avec Mbeki. »
Proche de Jacob Zuma, dont il fut le responsable des services de renseignement, Arthur Fraser est surtout à l’origine des révélations sur l’affaire Phala Phala, qui fragilise Ramaphosa depuis juin : 600 000 dollars non déclarés (la somme est celle que donne News24) ont été retrouvés dans la ferme du président lors d’un cambriolage. Une enquête est ouverte. Thabo Mbeki, un conspirateur ? L’ancien président rejette « les ragots » qui visent à « aggraver les divisions » au sein de l’ANC.
« Si Mbeki se permet de tels commentaires, cela veut dire que l’ANC fait face à de gros problèmes », analyse William Gumede, de DWF, également auteur de Thabo Mbeki and the Battle for the Soul of the ANC (Zed Books, 2007). La chute sous les 50 % de voix recueillies lors des scrutins locaux de novembre 2021 et les mauvais sondages pour les élections générales de 2024 inquiètent l’ancien président.
Le vieil homme à la barbichette grise détourne alors les éloges funèbres et multiplie les diatribes. Un décès dans les rangs de l’ANC, et l’on craint une nouvelle sortie. Pour l’enterrement de la militante Rita Ndzanga, le 25 août, les ligues féminines l’avaient prié de ne pas s’en prendre au parti. Las, Thabo Mbeki a réitéré ses remontrances tout en ouvrant de nouveaux tiroirs : corruption au sein de l’ANC, ambition aveugle de ses militants et piteux résultats du parti aux dernières élections.
Un technocrate « compétent et non corrompu »
La presse n’a pas manqué de commenter le réveil du vieux sage. « Depuis quelques mois, Mbeki est devenu le visage et la voix la plus importante de l’ANC » (Sunday Times) ; « les vérités prononcées par Mbeki forment le seul matériau viable pour reconstruire l’ANC » (News24) ; « Mbeki est le premier leader à reconnaître les dangers de mort de l’ANC » (The Citizen).
Le parti va si mal que l’on réhabilite un ancien président déchu. « Ils l’associent à l’époque de la croissance économique, quand le président était un technocrate compétent, raisonnable et non corrompu », constate le politologue Daryl Glaser, éditeur de Thabo Mbeki And After, Reflections on the Legacy of Thabo Mbeki (Wits University Press, 2010). Les années Zuma, qui ont suivi, ont été marquées par la corruption de tout l’appareil étatique, de l’administration aux entreprises publiques. Les dégâts provoqués par ces « neuf années gâchées », comme les appelle Cyril Ramaphosa, se font toujours ressentir.
Quant à Ramaphosa, il renvoie l’image d’un président « sans cap, lent et bavard mais qui n’avance pas », déplore William Gumede. « Les gens n’étaient peut-être pas d’accord avec Thabo Mbeki, poursuit-il, mais ils pouvaient compter sur une vraie gouvernance, les choses allaient de l’avant. »
Le spectre des milliers de morts du sida
Mais c’est oublier que l’ancien président n’est pas exempt de tout reproche. « Il a sa part de responsabilité dans la décrépitude du parti : la politisation des agences de renseignement, la protection des membres du parti ou ses alliés malgré les soupçons de corruption. Une partie de tout cela a eu cours sous son mandat », rappelle Daryl Glaser.
Sans oublier les conséquences de la politique sanitaire de l’ex-chef de l’État en pleine épidémie du sida : Thabo Mbeki niait le lien entre le virus du VIH et la maladie du sida. Il entravait le recours aux traitements antirétroviraux pour soigner les malades. Un chercheur de l’université de Harvard, aux États-Unis, a estimé que 330 000 personnes étaient prématurément mortes du sida en Afrique du Sud entre 2000 et 2005 à cause de la politique de Thabo Mbeki.
Quand il ne critique pas son parti, l’intéressé se consacre à sa fondation et à son projet de librairie présidentielle. Un petit bijou d’architecture, qui doit accueillir à Johannesburg des expositions et des collections, notamment liées à d’anciens leaders du continent. Celui que l’on appelle toujours « Monsieur le président » refuse les sollicitations médiatiques mais cultive son image d’intellectuel panafricain, ouvert sur le monde et au-dessus de la mêlée. Donneur de leçons, aussi.
Avec Jeune Afrique par Romain Chanson – à Johannesburg
Le chef de l’État et président du Congrès national africain (ANC) devrait être candidat à sa réélection à la tête du parti en décembre prochain. Mais en coulisses, plusieurs rivaux aiguisent armes et arguments.
Cyril Ramaphosa a-t-il visionné Le Parrain ? « Garde tes amis près de toi et tes ennemis encore plus près », recommande Michael Corleone dans la célèbre trilogie consacrée à la mafia new-yorkaise. Le président sud-africain semble avoir suivi le conseil à la lettre, plaçant ses concurrents dans nombre de ministères. Mais leur proximité ne garantit pas leur loyauté et plusieurs d’entre eux peuvent aujourd’hui lui contester la direction du Congrès national africain (ANC).
Lindiwe Sisulu à l’offensive
Signe que l’année sera électrique, elle a commencé par une passe d’armes entre le président et sa ministre du Tourisme, Lindiwe Sisulu. Dans une tribune sortie de nulle part, celle-ci s’en est prise aux « hautes sphères du système judiciaire » où se trouveraient « ces Africains dont la mentalité a été colonisée ». Elle désigne ainsi les juges de la Cour constitutionnelle qui se sont attiré les foudres d’une partie de la classe politique en condamnant Jacob Zuma à 15 mois de prison pour outrage à la justice. « Quand vous les mettez au pouvoir ou qu’ils sont les interprètes de la loi, alors ils sont pires que votre oppresseur », écrit encore cette proche de l’ancien président.
Après deux semaines de polémique, Cyril Ramaphosa s’est résolu à convoquer sa ministre. Il l’a réprimandée et a même obtenu des excuses, selon un communiqué de la présidence. Une version rapidement contestée par l’intéressée, qui accuse le chef de l’État d’avoir déformé ses propos. Ces affronts répétés auraient pu suffire à justifier son limogeage. Mais l’ANC sait ménager ses caciques pour ne pas s’aliéner leurs familles politiques. Or Lindiwe Sisulu est une figure du parti, ses parents, Walter et Albertina, sont des héros du mouvement de libération.
SON ATTAQUE CONTRE LE SYSTÈME JUDICIAIRE RESSEMBLE À UN APPEL DU PIED À DESTINATION DES PARTISANS DE JACOB ZUMA
En engageant ce bras de fer, la ministre a donné le coup d’envoi de sa campagne pour la présidence de l’ANC, observe la politologue Susan Booysen, auteure de plusieurs livres sur le parti. « Elle a dû s’y prendre tôt, sans attendre de voir si les branches [sections locales de l’ANC] voudraient bien la nommer. Elle devait leur montrer qu’elle est disponible », analyse cette professeure de l’université de Witwatersrand, à Johannesburg. Lindiwe Sisulu a appris de ses erreurs : en 2017, elle s’était lancée tardivement dans la campagne pour la présidence de l’ANC et avait dû abandonner faute de soutiens.
Son attaque contre le système judiciaire ressemble fortement à un appel du pied à destination des partisans de Jacob Zuma. Regroupés sous la bannière officieuse de la Radical Economic Transformation (RET), ceux-ci reprochent à Ramaphosa de ne pas mener les réformes les plus radicales de l’ANC, comme l’expropriation sans compensation des terres pour les redistribuer à la population noire. Mais cette faction, très active en 2017, a perdu en influence ces dernières années.
Il semble en effet loin le temps où Nkosazana Dlamini-Zuma, leur porte-drapeau, avait récolté 48,10 % des voix face à Cyril Ramaphosa dans la course à l’ANC. L’actuelle ministre des Affaires traditionnelles – et ex-épouse de Jacob Zuma – reste aujourd’hui en retrait des combats menés par la branche qu’elle représentait. Malgré sa popularité, il est peu probable qu’elle se présente, selon Susan Booysen : « Pour le moment, je ne ressens pas chez elle d’enthousiasme ni de passion pour la politique ».
Duduzane Zuma, adoubé par Jacob
Mais un Zuma peut en cacher un autre. L’étoile montante s’appelle Duduzane, l’un des fils de l’ancien président. Trentenaire au visage juvénile, plutôt bel homme, il veut incarner la relève. Quand il s’affiche en public, des gens l’appellent « président ». Un compte Twitter – « Duduzane Zuma For ANC President » – a été créé en septembre 2021. Quelques mois plus tard, il était élu à la tête d’une branche locale de l’ANC, près de Durban. Cette petite victoire a donné lieu à une vidéo dans laquelle Jacob Zuma reçoit son fils et le félicite. Les deux hommes mettent en scène une forme de passation de pouvoir. « On a tous commencé comme ça », se réjouit le père. « Je suis content de savoir que tu penses que je suis sur le bon chemin […]. Nous partageons le même objectif final », lui répond son fils.
Musclé, tatoué et portant une chemise de marque, Duduzane Zuma a plus le profil d’un jet-setteur que celui d’un chef de parti. « Je ne pense pas que les gens le prennent au sérieux au sein de l’ANC, cela ne fonctionne pas comme ça, ironise Susan Booysen. L’ANC, ce sont des gens qui ont une stature, qui ont une réputation pour avoir fait des choses. Conduire des voitures de sport ne suffit pas pour en devenir le président. »
LE FILS DE L’ANCIEN PRÉSIDENT EST PLUS CONNU POUR SES MAUVAISES RELATIONS QUE POUR SON BAGAGE POLITIQUE
L’aspirant chef de parti est plus connu pour ses mauvaises relations que pour son bagage politique. Associé aux frères Gupta, il formait avec eux le quatuor le plus sulfureux d’Afrique du Sud. Ils sont aujourd’hui dans le viseur de la commission anti-corruption, qui enquête sur les liens qu’ils entretenaient avec Jacob Zuma quand il était président. Dans le deuxième rapport de la commission Zondo, remis fin janvier, Duduzane Zuma apparaît comme un figurant présent chez les Gupta lors de rencontres entre hommes d’affaires corrompus. Mais son rôle n’a pas encore été clairement établi.
Ace Magashule et Zweli Mkhize en embuscade
Dans la course à la présidence de l’ANC, l’ancien secrétaire général du parti Ace Magashule pourrait aussi inquiéter Cyril Ramaphosa s’il continue à tirer les ficelles dans le Free State, la province qu’il a dirigée et arrosée de pots-de-vin pendant plusieurs années. Sous son influence, les délégués de cette petite province peuvent faire basculer une élection serrée. Reste que celui qui faisait figure de premier opposant à Ramaphosa n’est aujourd’hui plus que l’ombre de lui-même. Son procès pour corruption dans une affaire de contrats de désamiantage l’a mis sur la touche, l’ANC exigeant désormais que les personnes inculpées pour de tels faits se mettent en retrait.
Un autre nom refait aussi surface, après une traversée du désert de quelques mois : celui de Zweli Mkhize. Au début du mois, l’ancien ministre de la Santé a ainsi mobilisé le soutien d’une centaine de leaders traditionnels et religieux. Quelques semaines plus tard, l’une des plus grosses branches de l’ANC, dans le KwaZulu-Natal annoçait soutenir sa propable candidature. Mais que pèse politiquement celui qui a été écarté du gouvernement pour des soupçons de corruption en pleine pandémie ? Candidat à la présidence de 2017, il est peu probable qu’il ait les moyens de remonter en selle.
S’IL ÉTAIT RÉÉLU, RAMAPHOSA SERAIT LE CANDIDAT DU PARTI POUR LES ÉLECTIONS GÉNÉRALES DE 2024
À dix mois du congrès, tous les voyants semblent donc au vert pour Cyril Ramaphosa. Sans être encore candidat, il a reçu le soutien de la province du Limpopo, d’où est originaire sa famille. C’est la deuxième région en matière de délégués ANC – et donc d’électeurs – après le KwaZulu-Natal, pro-Zuma. Quelques poids lourds du parti, comme le trésorier général Paul Mashatile, ou le ministre de la Justice, Ronald Lamola, plaident déjà pour qu’il effectue un second mandat.
S’il venait à être réélu à la tête de l’ANC, Cyril Ramaphosa serait alors le candidat du parti pour les élections générales de 2024. Il lui resterait deux ans pour redresser une formation politique qui perd dangereusement du terrain dans les urnes. Pour la première fois depuis 1994, celle-ci a plongé sous la barre des 50 % de suffrages lors des scrutins locaux de novembre 2021. Si Ramaphosa a bien une personne à craindre, c’est l’électeur.
Quatre ans après sa création, la commission Zondo a remis son premier rapport au président Ramaphosa. Elle conclut à une capture d’État dont Jacob Zuma et ses proches ont été les artisans. Des révélations qui, pour l’ANC, font figure de cadeau empoisonné.
« Nous y voilà enfin. » Cyril Ramaphosa ne cache pas son soulagement. Voilà quatre ans qu’il attendait les conclusions de la Commission d’enquête sur les soupçons de capture d’État, dite commission Zondo, en référence au juge qui la préside, Raymond Zondo. Une institution judiciaire, sans pouvoir de poursuites, qui a remis son premier rapport le 4 janvier dernier lors d’une cérémonie officielle. « Un moment crucial parmi les efforts de notre pays pour mettre définitivement fin à l’ère de la capture d’État », selon le chef de l’État sud-africain.
La commission Zondo est née le 9 janvier 2018, mais elle trouve en réalité son origine dans des faits survenus en 2016. Cette année-là, le Défenseur public, Thuli Madonsela, publie un premier rapport sur « la capture de l’État ». Son enquête met en lumière les nombreux soupçons de corruption qui entachent la présidence de Jacob Zuma en lien avec la famille Gupta.
Retour de flammes
Face à la gravité des témoignages, Thuli Madonsela demande la création d’une commission d’enquête judiciaire. Jacob Zuma tente de faire écarter le rapport, échoue, puis subit un retour de flammes quand la haute cour de Pretoria le contraint à mettre en place la commission réclamée par Madonsela. Et, comme un châtiment, c’est à lui de nommer celui qui deviendra sa bête noire : Raymond Zondo.
NOMMER UN PROCHE À LA TÊTE D’UNE ENTREPRISE OU D’UNE INSTITUTION PUBLIQUE, MALGRÉ SON INCOMPÉTENCE
Dans ce premier rapport, la commission Zondo n’émet pas de recommandations à l’encontre de Jacob Zuma. En revanche, elle fait porter à l’ancien président, au pouvoir de 2009 à 2018, la responsabilité de nombreuses dérives et esquisse les grandes lignes d’un système bien rodé, qui consistait à faire à chaque fois fi des candidats potentiels et à nommer un proche à la tête d’une entreprise ou d’une institution publique, malgré son incompétence ; à lui permettre ensuite de « purger » l’institution de ses cadres pour y placer des alliés ; à restructurer l’entité quitte à la fragiliser, tout en instaurant un climat de peur. Le tout grâce au soutien d’entreprises privées et de médias « amis ».
Le « système Zuma » est décrit dans la partie consacrée au South African Revenue Service (SARS), l’administration fiscale. « C’est la démonstration limpide d’une collusion entre le secteur privé et l’exécutif, y compris le président Zuma, pour mettre la main sur une institution qui était internationalement respectée et la rendre inefficace, écrivent les auteurs du rapport. Le président Zuma et M. Moyane [ancien patron du SARS] ont joué un rôle fondamental dans la prise de contrôle [de l’administration fiscale]. »
Les mêmes techniques sont décrites dans le volume qui s’intéresse au démantèlement de la compagnie aérienne nationale. La South African Airways (SAA) était alors sous la direction de Duduzile Myeni, une proche de Jacob Zuma. Autrefois seconde plus grosse compagnie aérienne du continent, la SAA n’est plus que l’ombre d’elle-même et s’apprête à être privatisée. « Sous la direction de Mme Myeni, SAA a décliné pour se transformer en une entité en proie à la fraude et à la corruption, résume le rapport. Malgré ça, elle est restée à sa tête. »
Pourquoi l’avoir maintenue en poste ? La commission n’a jamais pu poser la question au principal intéressé. « Le président Zuma a fui la commission car il savait qu’il s’exposait à des questions qui l’auraient mis dans une situation où il n’aurait pas pu répondre, taclent les rapporteurs. Il n’aurait pas pu justifier son insistance à maintenir Mme Myeni à la tête de la SAA. »
La South African Airways victime du « système Zuma »
Ils n’ont pas oublié ce 19 novembre 2020 : ce jour-là, auditionné depuis quelques heures, Jacob Zuma profite de la pause café… pour prendre la tangente ! On ne l’y reverra plus. L’ancien président refuse depuis de témoigner devant une institution qu’il a rebaptisée « commission Zuma » pour signifier sa partialité.
Jacob Zuma a toujours eu à cœur de défendre sa gouvernance. En 2010, quand les frères Gupta lancent le journal The New Age, c’est sur une idée originale… de Jacob Zuma. Le président aurait même trouvé le nom de ce quotidien conçu comme un instrument de propagande pour soutenir son action. Chacun y trouve son compte puisque The New Age va permettre aux Gupta de siphonner les budgets publicitaires des agences gouvernementales et des entreprises publiques.
EN PLUS DE SERVIR LES INTÉRÊTS POLITIQUES DU CHEF DE L’ÉTAT, LA DIFFUSION D’UNE PRESSE PRO-ZUMA ENRICHIT SES AMIS
Via le groupe TNA, les Gupta vendent des abonnements, des espaces publicitaires et des contenus éditoriaux à l’ensemble du secteur public. Eskom, la compagnie d’électricité, achète 2 000 exemplaires par jour de The New Age. En plus de servir les intérêts politiques du chef de l’État, la diffusion d’une presse pro-Zuma enrichit ses amis, dont la cupidité n’a aucune limite. Devant la commission, l’ancien directeur de la communication gouvernementale, Themba Maseko, affirme avoir été licencié après avoir refusé une proposition d’Ajay Gupta. En 2010, l’homme d’affaires lui aurait demandé de verser l’intégralité du budget publicitaire gouvernemental à The New Age.
Monsieur Propre
Aujourd’hui, c’est une presse plus indépendante qui épluche les 854 pages du premier rapport Zondo. Un deuxième document sera remis fin janvier et un troisième, à la toute fin du mois de février. D’ici là, le gouvernement se refuse à tout commentaire. Ramaphosa présentera la totalité des travaux de la commission devant le Parlement d’ici au 30 juin et dira ce qu’il compte faire de ses recommandations. « Peu importe qui est mis en cause, nous ferons appliquer les recommandations, a prévenu le chef de l’État. Nous prenons le travail de la commission Zondo très au sérieux car nous voulons un gouvernement propre. »
UNE AUDITION PUBLIQUE MAÎTRISÉE PAR UN RAMAPHOSA TOUJOURS AIMABLE ET PEU DÉCONTENANCÉ
Élu en 2018 sur la promesse d’une nouvelle aube débarrassée de la corruption, Cyril Ramaphosa profite de la commission Zondo pour peaufiner son image de Monsieur Propre au sein du Congrès national africain (ANC, au pouvoir). Contrairement à Jacob Zuma, le chef de l’État a honoré les invitations de la commission Zondo. Il a passé quatre jours sur le fauteuil de témoin en sa qualité d’ancien vice-président (2014-2018). Une audition publique maîtrisée par un homme d’État toujours aimable et peu décontenancé.
Grand déballage
S’il devait être cité dans le rapport, Ramaphosa assure qu’il prendrait ses responsabilités : « Quand je suis mis en cause, je suis suffisamment intègre pour être capable de me mettre en retrait. » Encore faut-il qu’il parvienne à convaincre sa famille politique que ce grand déballage est un mal pour un bien. Dans son rapport, la Commission relève que l’ANC a elle aussi profité des « produits de la corruption ».
Au sein du parti, certains ont voulu repousser la publication du rapport, a dévoilé Ramaphosa.« Je les exhorte à ne pas le faire et à se ranger parmi ceux qui protègent ce pays et font de l’ANC une entité à laquelle les masses font de nouveau confiance », a-t-il ajouté devant des militants. Ce weekend, le parti fête ses 110 ans, et ce rapport pourrait bien être un cadeau empoisonné.
Avec Jeune Afrique par Romain Chanson – à Johannesbourg
Au pouvoir depuis 1994, l’ANC enregistre le pire score électoral de son histoire. Il paye des années de gestion calamiteuse du pays.
Cyril Ramaphosa était présenté comme « la dernière chance » du Congrès national africain (ANC) pour sauver ces élections. Le chef de l’État, visage souriant imprimé sur toutes les affiches électorales, a passé le mois d’octobre sur les routes sud-africaines à faire campagne au nom de son parti. En vain. Avec seulement 46 % des voix à l’échelle nationale contre 54 % en 2016, l’ANC subit son plus gros revers électoral. Seize points ont même été perdus depuis les municipales de 2011 (62 %).
Surtout, l’ANC échoue à obtenir la majorité dans la plupart des métropoles sud-africaines. Ses résultats sont en chute libre à Johannesburg (-10 %), Pretoria (-7 %), ou encore au Cap (-7 %). Même Durban (-14%), bastion de l’ANC dans la province du KwaZulu-Natal, échappe à son contrôle avec un résultat sous le seuil de la majorité (42 %). « C’est un message sans ambiguïté qu’envoient les électeurs […] Les gens sont déçus par l’ANC », reconnaît le parti dans un communiqué. Et de citer la longue liste des griefs : lenteur à s’attaquer à la corruption, incapacité à assurer l’accès aux services de base et à gouverner correctement les municipalités.
Nouer des alliances
Le parti de Nelson Mandela devra se résoudre à nouer des alliances pour espérer gouverner par coalition. Un système qui avait joué en sa défaveur en 2016. En ralliant plusieurs petits partis, l’Alliance démocratique (DA), première force d’opposition, avait notamment mis la main sur Pretoria et Johannesburg. La razzia pourrait s’avérer encore plus importante si l’opposition fait bloc contre l’ANC.
Avec 30 % des municipalités en ballotage, « la politique des coalitions risque de devenir la clé des scrutins à l’avenir », analyse André Duvenhage, professeur en sciences politiques à l’université du North-West. « Ce n’est pas du tout dans notre culture ou notre histoire politique, on a besoin d’apprendre », poursuit-il.
La multiplication des coalitions résulte d’une baisse générale des voix enregistrées par l’ANC et la DA. Elle s’explique aussi par une fragmentation du paysage politique. Ce scrutin a vu s’affronter 325 partis et 1 500 candidats indépendants sur 95 000. Des déçus des grandes familles politiques qui veulent faire entendre leur voix autrement. « Voter pour les petits partis affaiblit la DA, ne jouons pas avec le feu », tentait de décourager John Steenhuisen, leader du parti dans un spot de campagne.
Discours anti-immigration
La DA est devenue une pépinière à dissidents. Trois de ses anciens porte-drapeaux ont bataillé contre elle lors de ce scrutin. Mmusi Maimane, ancien leader du parti devenu le défenseur des partis indépendants avec son mouvement OneSA. Patricia de Lille, maire du Cap (DA) de 2011 à 2018 et en concurrence avec GOOD, son nouveau parti. Et surtout, Herman Mashaba, maire de Johannesburg DA entre 2016 et 2019 et sensation politique de ce scrutin avec ActionSA, créé en 2020. À Johannesburg, il se place en troisième position avec 16 % des voix.
« Herman Mashaba est devenu un politicien de premier plan, il va influencer la nature des coalitions », prévient André Duvenhage. Cet entrepreneur jouit d’une certaine popularité liée au succès de ses produits pour cheveux « Black Like Me ». « Les gens le voient comme quelqu’un qui n’a pas besoin d’argent, qui ne va pas en voler car il a déjà son propre empire », résume la politologue Asanda Ngoasheng. C’est aussi son discours anti-immigration qui fait mouche auprès d’une population qui se sent en concurrence avec une main-d’œuvre étrangère, alors que le chômage atteint les 34 %. À Soweto, ActionSA récolte 21 % des voix, selon l’analyste Dawie Scholtz.
LES PERSONNES QUI SONT LOYALES À L’ANC ONT PRÉFÉRÉ NE PAS VOTER DU TOUT EN GUISE DE PROTESTATION
Concentré sur quelques villes, ActionSA ne pèse pas lourd à l’échelle nationale et n’est pas en mesure de déloger les Combattants pour la liberté économique (EFF). Le parti de Julius Malema gagne deux points à l’échelle nationale et confirme sa place de troisième parti sud-africain (10 %). Le commandant en chef Malema s’est dit « très heureux » de voir le rival ANC sous la barre des 50 %.
Le très fort taux d’abstention ne réjouit en revanche personne. La participation ne dépasse pas 45 % parmi les 26 millions d’électeurs enregistrés. « On note une apathie électorale depuis 2019, explique Paul Berkowitz de l’ONG The Third Republic. Le citoyen ordinaire souffre. Ce doit être un sentiment de futilité, de rejet, qui alimente cette apathie électorale. » Le dégoût de la politique a contaminé ce scrutin. « Même les personnes qui sont loyales à l’ANC ont préféré ne pas voter du tout en guise de protestation plutôt que de se tourner vers un parti d’opposition, relate Asanda Ngoasheng. Ces élections ne sont qu’un tir de sommation, avant le chaos qui verra l’ANC ne plus obtenir sa majorité habituelle à l’échelle nationale. »
Avec Jeune Afrique par Romain Chanson – à Johannesburg
L’ANC, au pouvoir en Afrique du Sud depuis la fin de l’apartheid il y a près de 30 ans, jouait gros lundi lors des élections municipales qui pourraient voir le parti passer pour la première fois de son histoire, sous la barre des 50 %.
Les bureaux de vote ont ouvert dès 05H00 GMT mais les quelque 26,2 millions de Sud-Africains sur 40 millions en âge de voter, inscrits sur les listes électorales pour choisir les représentants de plus de 250 municipalités, se présentaient au compte-gouttes. A la mi-journée, 13 % d’entre eux avaient voté, selon la commission électorale. Les bureaux de vote doivent fermer à 19H00 GMT.
« Je ne voterai pas parce que le gouvernement ne se préoccupe pas du sort des gens comme moi », a déclaré à l’AFP Xihluke Mitileni, 27 ans, de Soweto. Au chômage, cette mère de deux enfants raconte vivre dans des « squats ».
Depuis des années, le parti historique de Nelson Mandela est face à la désillusion d’une population confrontée à un chômage record (34,4 %) et écoeurée par les multiples scandales de corruption impliquant des hauts responsables du parti, dont l’ex-président Jacob Zuma.
Dans un bureau de vote du township de la banlieue de Johannesburg où il a grandi, le président sud-africain Cyril Ramaphosa, aussi patron du Congrès national africain, a affirmé croire à une « victoire écrasante » à ce scrutin test avant la présidentielle en 2024.
Mais les sondages suggèrent qu’une majorité d’électeurs pourraient pour la première fois se détourner de l’ANC.
Même désir d’autre chose à Danville, banlieue de la capitale Pretoria dominée par une classe ouvrière blanche: « une vie meilleure pour tous », réclame Charmaine Barnard, 57 ans.
A l’abandon
Des années de mauvaise gestion et de corruption généralisée ont aussi laissé des services publics à l’abandon en Afrique du Sud, où le quotidien est miné par les coupures d’électricité et d’eau.
« La plupart du temps, il n’y a pas d’eau dans les robinets », assure à l’AFP Simon Makambeni, 31 ans, père de deux enfants.
En juillet, le pays a connu une vague d’émeutes et de pillages à Johannesburg et dans la province du Kwazulu-Natal (est), qui ont fait plus de 350 morts. Au départ déclenchée par l’incarcération de M. Zuma, condamné pour outrage à la justice, les violences ont également été le signe d’un climat social et économique tendu. L’armée a été appelée en renfort de la police pour les élections.
A part quelques incidents sporadiques, le scrutin se déroulait lundi dans le calme. Huit personnes ont été tuées pendant la campagne, selon la police, des candidats pour la plupart.
Dans le KwaZulu-Natal, des habitants ont bloqué l’accès à un bureau de vote dans la zone rurale d’Umzinto, en signe de protestation contre le candidat local de l’ANC, a constaté un photographe de l’AFP. Le bureau est resté fermé, une douzaine de personnes ont été arrêtées.
Ces dernières semaines, l’ANC et Cyril Ramaphosa en tête ont tenté de grappiller les voix en faisant du porte-à-porte, répétant aux électeurs être en train de « nettoyer le parti ». Le successeur de Jacob Zuma (2009-2018) a fait de la lutte contre la corruption un cheval de bataille.
Ce dernier, en liberté conditionnelle pour raison médicale depuis septembre, est apparu en milieu de journée dans un bureau de vote de son fief de Nkandla, en pays zoulou. Appelant à voter pour l’ANC, il a été salué par la foule.
Lors des municipales de 2016, l’ANC avait enregistré son plus mauvais score (54 %) et perdu des villes clefs dont Pretoria et Johannesburg.
« Notre pays est prêt à rompre avec des décennies de corruption, de mauvaise gestion et d’échec », a déclaré après avoir voté à Durban, John Steenhuisen, de l’Alliance démocratique (DA), plus grand parti d’une opposition qui reste divisée dans le pays.
Poursuivi pour corruption, le secrétaire général de l’ANC sera devant la justice à partir du 3 novembre. Comme l’ancien président Jacob Zuma, il dénonce une conspiration ourdie par le chef de l’État.
Ils s’y mettent à plusieurs pour mettre le feu au t-shirt. On craque des allumettes, on tend des briquets. Le maillot aux couleurs du Congrès national africain (ANC) s’embrase difficilement. Sur fond jaune, le portrait de Cyril Ramaphosa sourit encore quelques instants avant de fondre sous l’ajout de combustibles. Il est incendié par des sympathisants de l’ANC devant la Cour des magistrats de Bloemfontein, capitale du Free State (centre). Nous sommes le 13 novembre 2020 et Ace Magashule, secrétaire général de l’ANC et Premier ministre de la province entre 2009 et 2018, vient de se rendre à la justice. Ses soutiens accusent le président Ramaphosa d’être responsable de sa chute.
L’homme fort du Free State est poursuivi par la justice pour des soupçons de corruption autour d’un contrat irrégulier d’audit de désamiantage en 2014. S’il partage le banc des accusés avec quinze autres personnes (dix individus et cinq entreprises) visées par 70 chefs d’accusations, il conteste toutes les charges qui pèsent sur lui. Mais il fêtera bien ses 62 ans au tribunal, le 3 novembre, pour l’avant-procès de cette affaire.
Monsieur Dix pour cent
Elias Sekgobelo Magashule voit le jour en 1959 dans le township de Tumahole, à Parys, dans le Free State. S’il est à l’origine surnommé « l’As » pour ses qualités de joueur de foot, l’appellation collera davantage à ses futurs coups politiques. Sous le régime de l’apartheid, il mène une vie de combattant de la liberté aux contours flous. Son passé de militant serait largement exagéré, selon une enquête de Pieter-Louis Myburgh. Ses petits arrangements avec la réalité lui garantissent une belle carrière après la fin de l’apartheid, en 1994, « compte tenu de la propension de l’ANC à récompenser politiquement ses membres en fonction de leur contribution au mouvement de libération », écrit le journaliste dans son livre Gangster State, paru en 2019.
Ace Magashule devient un apparatchik. À partir des années 1990, il prend la tête de la division provinciale de l’ANC et enchaîne les portefeuilles ministériels au sein du gouvernement du Free State. Affaires économiques, Transports, Agriculture, Culture… Ace Magashule obtient des maroquins grâce à son influence dans une province historiquement divisée. Ses diverses nominations comme membre du conseil exécutif (MEC) visent à pacifier ce territoire qui a vu naître l’ANC en 1912. Magashule saisit l’occasion pour mettre la main sur des ressources qu’il détourne à son profit.
IL NE RESTE PLUS GRAND CHOSE DE FONCTIONNEL DANS LE FREE STATE AUJOURD’HUI. IL L’A MIS À TERRE
Devenu Premier ministre en 2009, il étend son contrôle sur les affaires financières de la province. Pieter-Louis Myburgh lui attribue « un sens tyrannique de la centralisation » et le qualifie même de « State Captor » , comme s’il avait kidnappé la province toute entière. Un autre sobriquet apparaît : « Monsieur Dix pour cent », soit la part qu’aurait l’habitude d’empocher Ace Magashule sur chaque contrat public. « Je n’ai jamais pris un centime du gouvernement », se défend-il aujourd’hui.
Ces fuites dans les finances publiques fragilisent la province. « Il l’a mise à terre, fulmine le politologue André Duvenhage, qui en est originaire. Il est responsable de la corruption endémique et de la destruction des structures gouvernementales locales. Il ne reste plus grand chose de fonctionnel dans le Free State aujourd’hui », déplore ce professeur. Un bilan contesté par Ace Magashule. « Avez-vous déjà entendu les communautés se plaindre durant nos mandats ? » répond-t-il aux journalistes qui le cuisinent.
Un populiste de terrain
L’enfant de Tumahole renvoie toujours au peuple quand il est malmené. « Vous les médias, vous ne me connaissez pas. Allez voir sur le terrain, allez voir les masses, allez dans les églises », intime-t-il aux journalistes, à qui il aime faire la leçon. L’homme est quelque peu impressionnant. Le crâne rasé, l’allure stricte avec des lunettes aux montures rectangulaires et les sourcils qui froncent comme s’il vous grondait. Rien ne brille dans sa garde robe. « Je ne suis qu’un simple et modeste leader », assure-t-il.
Populiste, Ace Magashule sait mieux que personne se servir de la base. Son pouvoir vient des branches de l’ANC, les déclinaisons locales du parti présidentiel. « Si vous contrôlez suffisamment de branches, vous contrôlez une région. Si vous contrôlez assez de régions, vous contrôlez une province. Et si vous contrôlez une province, vous pouvez vous asseoir à la table des grands », relate Pieter-Louis Myburgh. Cette stratégie inspire une comparaison à André Duvenhage. « C’est un homme de terrain comme Zuma et contrairement à Cyril Ramaphosa ou à l’ancien président Thabo Mbeki, qui sont des politiciens de l’élite », analyse-t-il.
ACE MAGASHULE ET JACOB ZUMA SE SONT FAIT LA COURTE-ÉCHELLE POUR ATTEINDRE LE SOMMET DU POUVOIR
Alignés stratégiquement, Ace Magashule et Jacob Zuma et se font la courte-échelle pour atteindre le sommet du pouvoir à la fin des années 2000. Sous l’influence du premier, le Free State soutient la candidature du second pour la présidentielle. Après son élection, Zuma renvoie l’ascenseur à Magashule et lui offre la direction du Free State. Ace intègre alors la « Premier league », une alliance de premiers ministres soutenant le président.
Théorie du complot
La chute de Zuma en 2018, plombé par les affaires de corruption, fait office de paratonnerre. Épargné par la foudre du scandale, Magashule parvient à se hisser au poste de secrétaire général de l’ANC lors du congrès qui voit Cyril Ramaphosa devenir président du parti. D’un côté, Ramaphosa est élu sur la promesse d’une aube nouvelle débarrassée de la corruption. De l’autre, Magashule, un Zuma boy controversé, représente une faction rivale. La cohabitation fera long feu.À LIREAfrique du Sud : entre Zuma et Ramaphosa, le duel qui fragilise l’ANC
La mise en examen de ce dernier, le 10 novembre 2020, pour corruption, offre un angle d’attaque à ses opposants. En fouillant dans les textes du parti, les caciques de l’ANC déterrent une résolution qui sommeillait en bas de page. « Dirigeants et membres de l’ANC soupçonnés de corruption doivent se mettre en retrait du parti jusqu’à ce que leur nom soit lavé », dit le texte. Magashule tente une diversion. « Pourquoi êtes-vous si pressés de faire appliquer cette résolution alors qu’il y en a tant d’autres qui le sont pas ? », improvise-t-il lors d’une interview télévisée. Des atermoiements qui se concluent par son exclusion temporaire prononcée par courrier le 3 mai 2021.
En guise de baroud d’honneur, Ace Magashule contre-attaque avec du papier à lettre et suspend à son tour Cyril Ramaphosa en qualité de président de l’ANC. Un coup d’épée dans l’eau qui illustre la détermination du secrétaire général à défendre son siège et à défier le chef de l’État. Ace engage Dali Mpofu, l’avocat de… Jacob Zuma. En vain. L’affaire échoue devant les tribunaux.
JE PEUX VOUS ASSURER QU’IL VA REPARTIR AU COMBAT, IL N’A PAS PERDU TOUT ESPOIR DE CONTRÔLER L’ANC
Les deux vétérans de la politique sud-africaine – 79 ans pour Zuma, bientôt 62 pour Magashule – ont prospéré ensemble avant de tomber en disgrâce sous la présidence de Cyril Ramaphosa. Aujourd’hui ils se serrent les coudes et propagent la même théorie d’une conspiration. « Il est évident que l’objectif est de nous affaiblir, nous, la base de l’ANC. On connaît leur agenda : ils veulent nous éliminer. On a peur de boire un verre d’eau ou un thé de nos jours », affirmait Magashule le soir du 13 novembre 2020.
Malgré sa mise à l’écart du parti, Ace Magashule continue d’appeler à voter ANC pour les élections locales du 1er novembre. Ne surtout pas insulter l’avenir. « Je peux vous assurer qu’il va repartir au combat, il n’a pas perdu tout espoir de contrôler l’ANC », anticipe André Duvenhage. Apparaît déjà sur les affiches de ses sympathisants la date du prochain congrès de l’ANC en décembre 2022. « Je n’ai aucun doute qu’il va mobiliser. Il aura des branches derrière lui, des gens qui vont essayer d’avoir un impact sur la prochaine conférence de l’ANC. Ace applique les mêmes règles que Jacob Zuma : occuper le terrain. »