A Nianga-Mbouala, on ne sait pas ce que son patron Sassou lui reproche, lui le récent zélé chef de sa garde, mais la conscience personnelle de ce militaire sait qu’il doit faire son Mea Culpa. Car il a beaucoup tué.

Le bimensuel satirique d’information et d’analyse, Le Troubadour, paraissant au Congo Brazzaville, commente la lettre que le général Norbert Dabira aurait adressée à la présidence de la république en ces termes «  La culture du soldat qui parfois obéit à une grandeur et un sens du devoir construits sur l’honneur et la dignité, commande de périr, plutôt que de rendre les armes, quelles que soient les circonstances et les conditions qui dessinent la défaite et l’humiliation pour l’officier de référence que l’on a été. »

A cette culture du suicide, nous voulons opposer celle qui donne à tout militaire le droit de désobéir si les ordres qu’il reçoit de son supérieur sont jugés contraires à l’éthique. Le soldat n’obéit aux ordres que dans le respect des lois nationales et des conventions internationales.

Chrétien et homme de paix, nous n’encouragerons donc pas le hara-kiri, le sabordage. Par contre, nous nous servons de la désobéissance aux ordres jugés contraires aux valeurs républicaines pour analyser l’affaire Nianga Ngatsé Mbouala et déduire qu’il a failli à sa carrière militaire. Rappelons que le général Nianga Ngatsé Mbouala est cité comme témoin assisté dans l’affaire «  Général Norbert Dabira  » dont le procès s’ouvre dans quelques jours. Un autre procès, celui d’André Okombi Salissa pointe, lui aussi, à l’horizon. Pour nous, c’est le sang des Congolais qu’ils ont versé qui crie vengeance !

Qui est Nianga Ngatsé Mbouala, alias Djo Bill ?

Dans la représentation onomastique du caïd d’opérette, le Congolais puise dans le western spaghetti pour se donner de la contenance. Ainsi les John, les Wayne, les Djo, les Bill Cody et autre Kit Carson qui pullulent dans le milieu de la canaille indiquant qu’on n’est pas né de la dernière pluie et qu’on a un statut « conséquent ». Pour Nianga-Mbouala, c’est Djo Bill, en guise de son affirmation du dur du quartier. Nianga-Mbouala, le cow-boy, le « para-commando » à la barbe blanche se révèle aux Congolais dans la guerre de 1997. Celle qui oppose les forces gouvernementales de Pascal Lissouba, alors qu’il est un président élu, aux Cobras, la milice de Denis Sassou Nguesso. Il a la gâchette facile. C’est un Yankee. Officier militaire des Forces armées congolaises (Fac) et originaire d’Ollombo dans le département des Plateaux, dans la partie nord du pays, Nianga Ngatsé Mbouala, avait préféré, combattre aux côtés des Cobras que dans les rangs de l’armée républicaine. Il dirigea un bataillon formé par des mercenaires étrangers, des jeunes recrutés à la va-vite dans les quartiers nord de Brazzaville et dans les régions de la partie septentrionale du pays, espace reconnu comme fief politique de Denis Sassou Nguesso. Mais, on y compte aussi de vrais militaires congolais qui, dans la plus part, sont eux aussi originaires du nord comme Denis Sassou Nguesso. Pourtant, ils étaient tous passés sous le drapeau national et avaient le devoir de défendre la république et protéger les Congolais.

400.000 morts enregistrés dans cette guerre

C’est Éric Denécé, docteur en science politique, directeur du centre français de recherche sur le renseignement (Cf2r) qui révèle ce chiffre sur la chaine de télévision LCI. Il déclare, entre autres ravages, que la guerre de la reconquête illégale du pouvoir par Sassou Nguesso, déclenchée le 5 juin 1997, avait généré un tombereau de morts. Éric Denécé était l’invité d’Yves Calvi pour son émission « 24 heures en questions ». Le débat était autour d’Alep, en Syrie.

Nous prenons ces révélations au sérieux non seulement parce que l’homme est reconnu comme grand spécialiste du renseignement, du terrorisme, des opérations spéciales, mais aussi parce que la France avait participé ouvertement à cette guerre aux côtés de la milice de Sassou Nguesso. Éric Denécé pouvait donc facilement avoir ces chiffres auprès des militaires français qui rentraient de Brazzaville. (Le temps viendra où les Congolais porteront plainte contre la France et l’Angola sur leur participation à cette guerre).

La puissance du sang

La Bible révèle à travers la mort d’Abel et celle de Jésus que non seulement le sang humain est précieux ; mais aussi il crie vengeance. Mais, si le sang d’Abel qui avait été versé par son frère Caïn, dans une scène de jalousie, a crié vengeance pour se faire justice et demander à dieu de punir Caïn ; celui de Jésus a, par contre, abouti au pardon et à la réconciliation. Mais que peut-on dire pour celui des Congolais ? Ne semble-t-il pas plus implorer la punition que le pardon ou la réconciliation ?

Une petite anecdote

La scène se passe, sous nos yeux, au croisement de l’avenue Loutassi avec le boulevard Alfred Raoul. Alors que la guerre de 1997 bat son plein, les réactions positives enregistrées après la publication, dans La Semaine Africaine, de notre entretien à bâtons rompus avec quelques Cocoyes, la milice du président Pascal Lissouba, au Bar La Gare du Nord à Bacongo, nous fait pousser des ailes. Il nous donne l’envie de faire du journalisme de guerre. Notre avantage ? Nous connaissons bien Brazzaville, et parlons lari, la langue des partisans de Bernard Kolelas ; Munukutuba, celle des partisans de Lissouba, et lingala, celle de Sassou Nguesso. Nous avons donc eu l’audace d’aller dans toutes les zones de combats contrôlées par leurs milices privées.

« Vous avez tué mon fils, tuez-mois aussi ! »

Le quartier Plateau de 15 ans était sous le contrôle des cocoyes. Toutes les rues étaient désertes. Nous n’étions que quatre braves à longer l’avenue Loutassi, de la pharmacie Jaguer au Boulevard Alfred Raoul. Une femme et son enfant au dos. Un jeune nigérian nous raconta ce qu’il venait de vivre avec les Cobras à Ouenze. La femme poussait une brouette pleine de baluchons. Traumatisée ou ne savant pas où aller s’abriter, la mère à l’enfant ne s’intéressait pas à nous, ce d’autant plus que nous mélangeons français et anglais dans notre conversation. En tout cas, notre présence ne lui disait rien. Les Cocoyes nous arrêtent et font passer un interrogatoire à chacun. Malheureusement, ils commencent par cette femme. La pauvre décline son identité en lingala. Elle n’avait aucune pièce d’identité. Du coup, elle est prise pour une infiltrée mbochi (partisane de Sassou Nguesso). S’engage la discussion. La femme insiste qu’elle est une congolaise de l’autre côté du Fleuve. Le cocoye ne veut pas la croire. La discussion s’intensifie. Soudain, une balle sort du canon et fauche l’enfant qui était à califourchon sur le dos de sa mère. Tout le crane est bousillé. Le sang de l’enfant couvre tout le dos de sa mère. La femme crie : « Je t’ai dit que je ne suis ni mbochi ni Congolaise de Brazzaville. Mon mari est porté disparu. Je ne sais pas s’il a été tué par les cobras, puisque nous vivons à Talangaï. Pourtant, il ne faisait pas la politique. Comme vous avez tué mon enfant. Tuez-moi aussi ! »

« Masiya na ngaï ! » Le dernier cri d’une femme tuée avec son fils !

Aussitôt, une deuxième balle sort du canon. La femme tombe et crie : « Masiya na ngaï ! » (Mon Dieu, Mon Seigneur !). Puis, elle meurt. Les miliciens paniquent et perdent leur courage devant ces deux meurtres. Ils veulent nous donner l’ordre de prendre ces deux corps et les jeter dans le caniveau. C’est à ce moment qu’arrive leur chef, dans une jeep. Qui a tiré ? Demande-t-il. Mais, personne ne lui répond. Il se tourne vers nous et nous pose rapidement quelques questions en munukutba qu’il fallait aussi répondre dans cette langue. Le nigérian resta muet. Il est jeté dans la Jeep. A nous, il demanda de décrire la ville de Kinkala en munukutba. Avant de nous ordonner de « disparaitre ». Nous n’avons jamais su le sors subi par le Nigérian.
Nous parlons de cette scène parce que nous en avons été témoin. D’ailleurs, nous en sommes toujours traumatisé, malgré le temps qui est passé. Puisque des fois, l’atroce scène nous poursuit dans les rêves. Nous pensons que si ce cauchemar revient c’est parce que nous avons eu une part de responsabilité dans cette scène. Tantôt, nous pensons que si nous avions dit aux miliciens que c’était notre épouse et notre enfant, nous aurions dû, peut-être, les sauver. Tantôt, nous disons que c’est peut être grâce à leur sang versé que notre vie a été épargnée. Puisqu’après leur forfait, les assassins avaient perdu leur courage.

Djo Bill, fossoyeur de la démocratie

Conformément à cette culture qui donne à tout militaire le droit de désobéir si les ordres qu’il reçoit de son supérieur sont jugés contraires à l’éthique, le général Nianga Ngatsé Mbouala est un criminel et fossoyeur de la démocratie. Il avait porté atteinte à la sureté de l’Etat, comme son mentor Denis Sassou Nguesso. Tous, ils ont fait partie d’une bande organisée de fossoyeurs de la démocratie et d’assassins. Parce qu’en 1997, Pascal Lissouba était encore un Président élu par les Congolais. Pourtant, Djo Bill avait combattu contre la République. Combien de vies avait-il arrachées à des paisibles et innocents citoyens ? Combien de personnes, dans cette guerre, avaient crié « Masiya na ngaï ! » pour implorer sa clémence et la vengeance de Dieu ?

Djo Bill récidiviste

Le 4 avril 2016, lorsqu’éclate la deuxième guerre du Pool, Djo Bill récidive et prend la tête des troupes des Forces gouvernementales. Comme dans la guerre de 1997, plusieurs dégâts humains et matériels sont enregistrés. Le sang des innocents a encore coulé à flot. Combien de vies avait-il encore arrachées à des paisibles et innocents citoyens ? Combien de personnes, dans cette guerre, ont crié « Masiya na ngaï ! » alors qu’il les criblait de balles ?

Le sang des Congolais crie vengeance

Dans l’un des documents publiés avant sa mort, suite à des tortures subies dans sa cellule en prison, le colonel Marcel Ntsourou dit que c’est lui et le général Emmanuel Avoukou, mort par empoisonnement, qui avaient repoussé les Ninjas de Bernard Kolelas jusque dans les confins du Pool. Combien de vies avaient-ils arrachées à des paisibles et innocents citoyens lors de cette contre-attaque ? Combien de personnes ont crié « Masiya na ngaï ! » quand il les expédiait dans l’au-delà ?

André Okombi Salissa

Notre coup de gueule concerne aussi André Okombi Salissa qui a été à la tête du Front 400, pendant la guerre de 1997. Au cours de laquelle il avait été très célèbre. Combien de vies avait-il arrachées à des paisibles et innocents citoyens durant toute cette guerre ? Combien de personnes ont imploré « Masiya » (le Messie) ?

L’épisode de la Tour de Babel

Dans ce qui arrive au Congo, notamment entre les dignitaires du pouvoir, nous y voyons l’épisode de la Tour de Babel. Cet épisode met en scène « des hommes qui essayent, non seulement d’assouvir leur désir de gloire et de puissance, mais qui, surtout, essayent pathétiquement de se transcender, alors même qu’il leur est impossible de se détacher de leur essence : ils ne sont que des hommes, pas des dieux. Pour cette audace, Dieu les punit en les « confondant » à travers leur moyen d’expression : la langue. »

Devenus ivres à cause de l’excès du pouvoir, et riches avec des biens publics volés, les membres du clan au pouvoir n’arrivent plus à s’entendre. Ils se règlent les comptes jusqu’à s’entretuer. Tout est confus. Dieu les punit à cause de leur vanité.

Congopage.com par Serge Armand Zanzala, journaliste et écrivain