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Au Bénin, la Cour constitutionnelle s’installe malgré la contestation de l’opposition

juin 7, 2023

Les sages ont prêté serment ce 6 juin et porté à leur tête Dorothé Sossa, ancien secrétaire permanent de l’Ohada. La plus haute juridiction du pays jouera un rôle déterminant lors des élections de 2026.

Universitaire chevronné, Dorothé Sossa a été deux fois ministre sous la présidence de Mathieu Kérékou. © DR

C’est une Cour constitutionnelle entièrement renouvelée qui est officiellement entrée en fonctions, mardi 6 juin, au Bénin. Les sept sages ont prêté serment au cours d’une brève cérémonie, organisée au Palais de la marina en présence du président Patrice Talon et des membres du bureau du Parlement. Une formalité protocolaire, qui s’est déroulée loin du tumulte engendré par la publication des noms des nouveaux membres de la plus haute juridiction du pays.

Dévoilée mi-mai, cette liste a en effet suscité le mécontentement de l’opposition, qui estime avoir été lésée dans le processus. Selon la Constitution, il revient au président de la République de désigner trois des membres de la cour. Les quatre autres doivent être choisis par le bureau de l’Assemblée nationale. Et c’est ce point qui pose problème, notamment aux Démocrates.

Polémique

Le parti dirigé par Éric Houndété, tout juste consacré chef de file de l’opposition, ayant affirmé que « son représentant au sein du bureau de l’Assemblée nationale n’avait pas été associé à la procédure », les Démocrates ont demandé au Parlement de reprendre le processus « en tenant compte du droit de la minorité parlementaire ». Mais les députés de la mouvance présidentielle ont rejeté cette requête.

Un autre élu des Démocrates, Michel Sodjinou, a déposé, lui, un recours contre la présence de Dandi Gnamou parmi les sept magistrats. Il remet en question l’intégrité morale de l’ancienne présidente de la chambre de contrôle de la Cour des comptes. En 2019, cette enseignante-chercheuse de l’Université d’Abomey-Calavi (UAC) avait été sanctionnée par le Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (Cames) pour des manquements aux dispositions du Code d’éthique et de déontologie de l’institution.

Dorothé Sossa élu

À peine installée, la nouvelle Cour constitutionnelle a élu son président. Son choix s’est porté sur le professeur Dorothé Sossa. Universitaire chevronné, deux fois ministre (de la Justice et de l’Enseignement) sous la présidence de Mathieu Kérékou au début des années 2000, puis doyen de la faculté de droit et de science politique de l’UAC, il a aussi officié en tant que secrétaire permanent de l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires (Ohada) de 2011 à 2019. Il a donc été préféré à Mathieu Adjovi, un proche du chef de l’État dont le nom avait circulé ces dernières semaines.

S’il bénéficie du respect de ses pairs dans le milieu académique, cet avocat de 67 ans est resté en retrait de la scène politique, ces dernières années. Il bénéficie toutefois de la confiance de Patrice Talon, qui avait déjà fait appel à lui en 2019 pour faciliter le dialogue politique lancé afin de mettre un terme à la crise née de la non-participation de l’opposition aux élections législatives.

Dorothé Sossa sera secondé par Nicolas Assogba, élu vice-président de la Cour constitutionnelle. Installée pour cinq ans, celle-ci aura la charge de valider la conformité des élections générales (locales, législatives et présidentielle) de 2026. Juge du contentieux électoral, la cour jouera un rôle déterminant à l’occasion de ces scrutins.

Avec Jeune Afrique par Maurice Thantan

Face aux jihadistes, le Bénin s’apprête à recruter 5 000 hommes

avril 22, 2023

Les nouvelles recrues seront âgées de 18 à 30 ans et viendront en appui des forces armées béninoises dans les zones touchées par des « tentatives d’incursions terroristes » venues du nord, a annoncé le gouvernement.

Les forces béninoises affirment avoir enregistré une vingtaine d’incursions jihadistes depuis 2021. © PIUS UTOMI EKPEI / AFP.

Le gouvernement du Bénin prévoit de recruter 5 000 hommes pour aider notamment ses forces de sécurité à protéger les frontières du nord, menacées par les incursions jihadistes, a indiqué le 21 avril son porte-parole, Wilfried Houngbedji, dans un communiqué de presse.

Après une formation de base, les nouvelles recrues âgées de 18 à 30 ans seront déployées avec les forces armées principalement dans les zones où il y a des « tentatives d’incursions terroristes ». Selon les forces armées béninoises, le recrutement aura lieu jusqu’au 5 mai.

Ces jeunes constitueront « un groupement de projection » en appui aux forces armées et seront plus particulièrement déployés dans les localités où ont eu lieu « des tentatives d’incursions terroristes », a précisé le gouvernement dans un communiqué.

Une vingtaine d’incursions depuis 2021

Le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo font face à la menace croissante de combattants du groupe État islamique (EI, Daesh en arabe) et d’Al-Qaïda, implantés au Niger et au Burkina Faso, et qui multiplient désormais les attaques sur leur territoire. Les forces béninoises affirment avoir enregistré une vingtaine d’incursions depuis l’autre côté de la frontière depuis 2021. Le Togo a également subi des attaques à sa frontière nord.

À l’occasion de la visite du président rwandais Paul Kagame à Cotonou à la mi-avril, le président béninois Patrice Talon avait reconnu que le Bénin était « confronté à l’insécurité qui descend du Sahel » et que « la menace » était « réelle au nord « . Il avait aussi assuré que son pays pourrait bénéficier d’un appui du Rwanda, dont l’armée « a de l’expérience et est aguerrie », à présent qu’un accord entre les deux pays a été signé.

Par Jeune Afrique (avec AFP)

Les États-Unis veulent aider la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Togo face à la menace jihadiste

avril 8, 2023

En visite au Ghana en mars, la vice-présidente américaine Kamala Harris avait déjà promis 100 millions de dollars sur 10 ans pour aider ces pays à lutter contre la menace jihadiste venue du Sahel.

Kamala Harris au palais Emintsimadze à Cape Coast, au Ghana, le 28 mars 2023. © Nipah Dennis / AFP

Des responsables du département d’État américain ont indiqué le 7 avril à l’AFP que les États-Unis préparent une aide à long terme pour la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Togo, menacés par une extension des violences jihadistes du Sahel aux régions côtières d’Afrique de l’Ouest.

Ils ont également affirmé qu’un soutien occidental était selon Washington crucial pour empêcher la progression des mercenaires de la société de sécurité privée russe Wagner, déployés notamment au Mali.

Wagner « profite de l’instabilité »

La vice-présidente américaine Kamala Harris, en visite au Ghana en mars dans le cadre des efforts croissants déployés par les États-Unis en Afrique, a promis 100 millions de dollars sur 10 ans pour renforcer la résilience des régions côtières d’Afrique de l’Ouest. Le département d’État cherche également à obtenir des fonds supplémentaires, notamment dans le cadre du budget de lutte contre le terrorisme.

« C’est un sujet de préoccupation pour nous en raison des capacités des gouvernements en place qui n’ont jamais été confrontées à une telle menace », a déclaré Michael Heath, secrétaire d’État adjoint chargé de l’Afrique de l’Ouest, rentré récemment d’un voyage dans la région afin d’évaluer les besoins. Nous essayons de voir de quels outils ils ont besoin. »

S’agissant du groupe Wagner, « ils ne sont pas encore présents dans les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest mais nous savons qu’ils recherchent des occasions de profiter de l’instabilité partout où ils la trouvent », a-t-il indiqué.

Par Jeune Afrique (Avec AFP)

Bénin : le drame au principal hôpital de Cotonou tourne au bras-de-fer politique

octobre 11, 2022

Après la mort de quatre personnes suite à une coupure d’électricité au CNHU Hubert K. Maga, l’opposition béninoise dénonce une situation « intolérable ». Face à la vague de protestations, le gouvernement a ouvert une enquête et promet de prendre « les mesures qui s’imposent ».

Le Centre national hospitalier universitaire Hubert Koutoukou Maga à Cotonou, au Bénin. © CNHU-HKM.

Cinq jours après les faits, l’émotion est encore vive. Tôt dans la matinée du 7 octobre, quatre patients du service de réanimation du Centre national hospitalier et universitaire (CNHU) Hubert Koutoukou Maga de Cotonou, ont trouvé la mort. Un drame provoqué, selon toute vraisemblance, par une coupure d’électricité qui a entraîné une tempête de réactions indignées sur les réseaux sociaux comme dans la presse.

La vague de protestations a été si forte et si soudaine que le gouvernement a réagi, dès le 9 octobre, en appelant « au calme et à la sérénité ». Le communiqué, signé de la main de Benjamin Hounkpatin, le ministre de la Santé, qui présente ses « condoléances » aux familles, constate une « situation grave » et a annoncé l’ouverture d’une enquête en vue de « situer les responsabilités et [de] prendre les mesures qui s’imposent ». Ce drame intervient « à un moment où le gouvernement a engagé d’importants efforts pour l’amélioration de la qualité des soins », a ajouté le ministre, précisant que le président Patrice Talon a « personnellement saisi l’Autorité de régulation du secteur de la santé [ARSS] à l’effet de la voir s’occuper du dossier ».

« Aucune légèreté ou faute professionnelle ne restera impunie », a pour sa part assuré Dieudonné Gnonlonfoun, directeur du CNHU. Ce dernier a été entendu ce lundi 10 dans l’après-midi par les hommes de la brigade criminelle dans le cadre de l’enquête diligentée par le procureur de la République.

Appels à la démission

Autant de mesures et d’annonces qui ne semblent cependant pas, pour l’heure, calmer la colère que beaucoup expriment sur les réseaux sociaux. « Monsieur le ministre de la Santé, veuillez démissionner », lance ainsi le père de l’une des victimes du drame – une femme d’une quarantaine d’années –, qui réclame également la démission du directeur de l’établissement. « Quatre décès, c’est trop après une coupure d’électricité. C’est une bavure ! » continue-t-il dans une vidéo largement relayée.

La polémique prend en outre un tour politique. « Qu’un tel drame nous frappe en plein cœur de notre hôpital de référence est profondément horrifiant, révoltant parce qu’intolérable, inacceptable », a regretté lundi Éric Houndété, président du parti d’opposition Les Démocrates (LD). Le drame « doit interpeller la conscience de chacun de nous, mais surtout la responsabilité de nos gouvernants qui, récemment encore devant le Medef, se flattaient d’une certaine prouesse “inégalable” dans la fourniture à moindre coût de l’énergie électrique ».

Dans un discours livré devant les représentants du patronat français, à Paris, le 30 août, lors des Rencontres des entrepreneurs de France (REF), le chef de l’État avait en effet notamment vanté le niveau des infrastructures de production électrique de son pays pour convaincre les investisseurs de miser sur le Bénin. « On peut vendre l’électricité moins cher qu’en Chine », s’était-il notamment félicité.

Premier test pour l’ARSS

Pour l’heure, si le président béninois n’a pas tenu de déclaration publique suite au drame, il a néanmoins confié ce dossier très sensible à l’ARSS, un organe créé par décret présidentiel en 2019, dont les neuf membres ont été installés le 13 septembre dernier pour un mandat de quatre ans.

LA PREMIÈRE MISSION DE CETTE NOUVELLE AUTORITÉ SERAIT DE « CONTRÔLER ET SANCTIONNER »

Patrice Talon avait alors exposé la feuille de route qu’il entend fixer à cette nouvelle instance présidée par Lucien Dossou-Gbété, par ailleurs PDG de la Clinique Louis Pasteur à Cotonou. « La régulation du secteur de la santé permettra à chaque Béninois d’espérer que désormais les choses se feront autrement dans notre pays et pour de bon », avait-il alors déclaré, assurant que leur mission première serait de « contrôler et sanctionner ». Le drame au CHNU sera le premier test pour ce nouvel organe de contrôle.

Avec Jeune Afrique par Maurice Thantan – à Cotonou

Au Bénin, Macron accuse la Russie d’être « l’une des dernières puissances impériales coloniales »

juillet 28, 2022

En visite dans cet ancien pays colonisé par la France ce mercredi, le chef de l’État a déclaré que Moscou mène une nouvelle forme de « guerre hybride » dans le monde.

Emmanuel Macron Cotonou, 27 juillet 2022. © Erick Ahounou

Depuis son arrivée en Afrique, au Cameroun le 26 puis au Bénin le 27 juillet, Emmanuel Macron a multiplié les critiques envers Moscou alors que, dans le même temps, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov était également en tournée africaine.

« La Russie est l’une des dernières puissances impériales coloniales » en décidant « d’envahir un pays voisin pour y défendre ses intérêts », a affirmé le chef de l’État français lors d’une conférence de presse avec son homologue béninois Patrice Talon, à Cotonou. « Je parle sur un continent qui a subi les impérialismes coloniaux », a-t-il tenu à souligner.

Mise en garde

À Yaoundé puis à Cotonou, le président français a cherché à mettre en garde les capitales africaines contre le « nouveau type de guerre mondiale hybride » que mène Moscou, qui « a décidé que l’information, l’énergie et l’alimentation étaient des instruments militaires mis au service » de la guerre en Ukraine.

La veille, il avait dénoncé sans ambages « l’hypocrisie », entendue « en particulier sur le continent africain », consistant à ne pas reconnaître clairement que la Russie menait « une agression unilatérale » en Ukraine « parce qu’il y a des pressions diplomatiques ».

Activisme

À l’instar du président camerounais Paul Biya, plusieurs dirigeants africains ne condamnent pas officiellement l’intervention russe, ce qui est le cas également au Moyen-Orient. Le sujet devrait être abordé au dîner qu’Emmanuel Macron partagera le 28 juillet à l’Élysée avec l’homme fort de l’Arabie Saoudite, Mohammed ben Salmane.

Répondant à distance, Sergueï Lavrov a affirmé en Ouganda que la Russie n’était pas responsable des « crises de l’énergie et des denrées alimentaires », dénonçant « une campagne très bruyante autour de cela ». La Russie est également ciblée par Emmanuel Macron pour son activisme en Afrique, notamment par l’intermédiaire du groupe paramilitaire Wagner, qui vient « en soutien soit à des pouvoirs politiques affaiblis qui ont du mal à s’assumer soit à des juntes illégitimes », en Centrafrique et au Mali.28 juillet 2022 à 10:00

Par Jeune Afrique (avec AFP)

Lutter contre le financement du terrorisme : plus que jamais !

juillet 18, 2022

Le 15 juillet 2022, une nouvelle fois, les groupes terroristes sahéliens ont frappé le Mali et le Burkina Faso. Pour lutter contre l’extension de ces mouvements au Bénin, au Sénégal, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire ou encore au Togo, il faut d’abord comprendre comment ils sont financés.

Un soldat malien prend la pose, à Konna le 20 mars 2021. © Michele Cattani/AFP

Il existe plusieurs types de groupuscules terroristes en Afrique de l’Ouest. D’abord, des franchises d’organisations internationales, comme l’État islamique ou Al-Qaïda, qui sont financées, d’un point de vue « monétaire », mais aussi en termes de capacités, de compétences, de logistique par la « maison mère ». On trouve également des groupes qui se financent de toutes sortes de trafics. Il faut savoir que la zone sahélienne est très vaste, avec une faible empreinte étatique. Les grands couloirs de trafics (drogues, armes, contrebande de marchandises, trafic illicite de migrants, traite de personnes, fraude aux nouveaux moyens de paiement et cybercriminalité) se sont développés il y a une dizaine d’années.

En outre, quelques zones minières existent au Mali, au Burkina Faso ou au Sénégal, dans lesquelles les groupes terroristes étendent leur contrôle et prélèvent des ressources sur ces activités, qu’il s’agisse du rançonnement des entreprises, de prélèvements sur les gains des extracteurs ou du responsable du site en échange de sécurité, voire d’une implication dans la commercialisation du minerai. Pour finir, certains groupes terroristes prélèvent de l’argent sur les populations. Plusieurs témoignages évoquent également des taxes imposées aux éleveurs du centre du Mali sur la frontière entre le Mali et le Niger ou encore dans la région du lac Tchad.

Addition terrorisme et corruption

Il est à préciser également que l’addition terrorisme et corruption est possible. Il est impossible de comprendre le financement des mouvements terroristes d’Afrique de l’Ouest sans montrer du doigt la corruption de certains États et de leurs armées. À titre d’exemple, de nombreux rapports font état des financements de Boko Haram par le gouverneur de l’État de Borno de 2003 à 2011, qui souhaitait gagner les élections régionales de 2013 avec le soutien du groupuscule de Muhamed Yusuf, à qui il avait faussement promis de renforcer le domaine d’application de la charia.

Des solutions doivent donc être trouvées par les gouvernements pour lutter efficacement contre le terrorisme.

Il semble primordial de demander davantage de contrôles sur les financements du terrorisme, notamment sur l’utilisation des cartes prépayées. Il est impératif de former les salariés sur ces sujets, et notamment la fraude documentaire. Par ailleurs, l’absence de traçabilité des ressources qui financent l’activité aurifère et de celles qui découlent de la commercialisation de l’or alimente les risques de financement du terrorisme. Un assujettissement des sociétés aurifères à la LCB-FT (Lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme) semble indispensable pour vaincre le terrorisme.

Il semble également indispensable d’amplifier la coopération internationale avec des pays comme Israël, les Émirats arabes unis, le Qatar, la Turquie ou l’Arabie saoudite dans l’échange d’informations et le partage des meilleures pratiques. Cela peut passer par des séminaires, des symposiums ou des formations entre les différents partenaires. Il faut également mettre l’accent sur les capacités intrinsèques des États, à travers une plus grande mobilisation des citoyens, une gouvernance plus responsable, plus honnête et plus visionnaire, un fonctionnement politique qui puisse davantage satisfaire les populations.

Pour finir, il serait utopique de penser que la fin du terrorisme est pour bientôt. Cependant, les actes terroristes pourront diminuer si les autorités s’attaquent aux sources de la propagande des mouvements extrémistes et au financement du terrorisme. Ce qui impose la surveillance des signaux faibles, sans intrusion exagérée pour respecter la réglementation de la protection des données, d’autant plus que certains moyens de transfert d’argent sont totalement légitimes. L’utilisation de l’intelligence artificielle pourrait permettre de repérer certaines opérations bancaires atypiques servant pour financer le terrorisme.

Avec Jeune Afrique

Julien Briot-Hadar

Par Julien Briot-Hadar

Économiste français, expert en conformité aux normes des entreprises et spécialiste des questions de fraude fiscale

Bénin : nouvelle attaque jihadiste dans le nord

juin 27, 2022

Deux policiers ont été tués dans l’attaque d’un commissariat par des hommes armés.

Un centre de formation spécial a été construit à l’intérieur du parc national de la Pendjari où les rangers s’entrainent. © STEFAN HEUNIS/AFP.

Depuis la fin de 2021, l’armée béninoise est la cible de plusieurs attaques meurtrières dans le nord du pays, où elle est déployée pour contenir les groupes jihadistes présents chez ses voisins nigérien et burkinabé.

Le 26 juin au petit matin, c’est le commissariat de Dassari, situé dans le département de l’Atacora, frontalier du Burkina Faso, qui a été attaqué. Deux policiers ont été tués, un autre est grièvement blessé et « se trouve en soins intensifs », a précisé un officier ajoutant que deux assaillants ont été tués lors d’échanges de tirs.

Déploiement à la frontière

La première attaque meurtrière connue dans le nord du Bénin remonte à décembre 2021, quand deux soldats avaient été tués dans une localité proche de la frontière avec le Burkina Faso, où sévissent des groupes jihadistes. Le gouvernement avait alors annoncé un déploiement militaire pour sécuriser ses frontières.

Fin mai, le pays avait connu près d’une vingtaine d’attaques de groupes armés : c’est la première fois que le gouvernement dressait un bilan global. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont aux prises avec des insurrections jihadistes et les États voisins comme le Bénin, le Ghana, le Togo et la Côte d’Ivoire s’inquiètent de débordements sur leur territoire.

Début mai, huit soldats togolais ont été tués au cours de la première attaque jihadiste officielle au Togo. Elle a été revendiquée par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), la principale alliance jihadiste du Sahel, liée à Al-Qaïda.

Par Jeune Afrique avec AFP

Bénin : après la rencontre entre Patrice Talon et Boni Yayi, une vague de libérations

juin 17, 2022

À peine un jour après la rencontre entre le président béninois et son prédécesseur et opposant, plusieurs personnes poursuivies pour atteinte à la sûreté de l’État ont obtenu une libération provisoire…

Au Bénin, plusieurs personnes détenues pour tentative de déstabilisation ont été libérées le 15 juin. © Damien Glez

On croyait les coups d’État désuets en Afrique mais voici revenue à la mode toute la gamme, du putsch « salutaire » au complot imaginaire ou présumé. L’ancien quartier latin de l’Afrique de l’Ouest n’échappe pas à cet ingrédient politique du présumé projet de coup d’État. Et si l’issue judiciaire d’une délicate affaire n’est pas formellement compromise, la politique vient manifestement de mettre son grain de sel dans la procédure de justice.

Rencontre au sommet

C’est en février 2020 que 17 personnes, notamment des militaires et un membre du parti de l’homme d’affaires Sébastien Adjavon, étaient placés sous mandat d’arrêt pour « complot contre la sûreté de l’État, association de malfaiteurs, défaut de signaler un crime et complicité ». Ce 13 juin, alors que le dossier était toujours en instruction, le président Patrice Talon rencontrait son prédécesseur et opposant Thomas Boni Yayi, au palais de la Marina, pour aborder des sujets « relatifs à la consolidation de la paix » politique. Cet entretien faisait suite à un autre, en septembre, au cours duquel Boni Yayi avait glissé à son successeur une petite liste de détenus dont il souhaitait ardemment la libération.

Marchandage ? Le lendemain de la deuxième rencontre, le 14 juin, à la demande du procureur spécial de la controversée Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet), la juge des libertés et de la détention signait l’ordre de « mise en libération provisoire » de 17 détenus, sans pour autant classer l’affaire… La politique a-t-elle ses raisons que la justice ignore ? Saura-t-on un jour si ce dossier reposait sur un véritable complot ou sur des dénonciations calomnieuses ? Nombre d’acteurs comme l’Église ou la société civile considèrent que la décrispation est une priorité. La politique béninoise semble effectivement grippée depuis les législatives non inclusives de 2019.

Mais le dégel politique peut avoir des limites. Et les observateurs de rappeler, dès l’annonce des 17 libérations, que les opposants Reckya Madougou et Joël Aivo restent sous les verrous. En décembre dernier, à Porto-Novo, la première, ancienne garde des Sceaux, écopait de 20 ans de prison pour « complicité d’actes terroristes » devant la Criet. Quelques jours plus tôt, le second, constitutionnaliste, était condamné à dix ans de prison pour « blanchiment de capitaux et complot contre l’autorité de l’État ». Les deux encellulés doivent-ils se considérer comme les oubliés de la décrispation politique ou comme d’ultimes atouts dans la manche des autorités ?

Damien Glez

Avec Jeune Afrique par Damien Glez

Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.

Au Bénin, un chantier patrimonial et mémoriel colossal

mai 8, 2022

Pour développer son économie, le pays mise sur sa culture et son histoire. Parmi la pléthore de projets prévus, quatre musées devraient sortir de terre d’ici à 2024.

La porte du non-retour est située sur la plage, au bout de la route des Esclaves, à Ouidah. © Jacques Torregano pour JA

C’est sur la latérite de Ouidah, foulée par plus d’un million d’esclaves noirs entre la fin des XVe et XIXe siècles, et plus précisément dans l’enceinte du fort portugais où ils étaient détenus avant leur exil outre-Atlantique, que s’érige le Musée international de la mémoire et de l’esclavage (Mime).

Encore en travaux, le bâtiment qui doit ouvrir ses portes d’ici fin 2022, n’est que l’une des briques d’un chantier patrimonial et touristique colossal. Composé de douze projets, il prévoit notamment trois autres musées, à Abomey, Porto-Novo et Cotonou.

Dépourvu de minerais et d’hydrocarbures, le Bénin possède un immense patrimoine que le ministre de la Culture, Jean-Michel Abimbola, aime présenter comme « une exception culturelle » sur laquelle Cotonou a décidé de miser. Cette stratégie s’inscrit dans la droite ligne du programme de Patrice Talon, « Révéler le Bénin » qui doit faire du pays « l’une des destinations phares de l’Afrique de l’Ouest, voire au niveau international ».

Pour orchestrer cet ambitieux projet, l’Agence nationale de promotion des patrimoines et de développement du tourisme (ANPT) a spécialement été créée en 2016. Son portefeuille de 650 milliards de F CFA (990,9 millions d’euros), soit 6 % du PIB national en 2020, est couvert à 55 % par des fonds privés.

Tourisme mémoriel à Ouidah

Ainsi, depuis 2020, la ville côtière de Ouidah est en travaux. Cette cité historique, dont les demeures à l’architecture africaine-brésilienne sont imprégnées d’un passé douloureux, est en passe d’être reconstituée grâce au soutien financier de la Banque mondiale (à hauteur de 30 milliards de F CFA) et aux fonds publics (43 milliards de F CFA). Derrière les murailles du fort portugais – dernier bastion colonial au Bénin, qui a perduré jusqu’en 1961 – s’élèvera le Mime.

Un espace de 662 m², encore en chantier, accueillera une exposition permanente dont une partie sera consacrée à l’Afrique et à l’Europe avant la traite transatlantique ; une deuxième à « l’engrenage de la traite » et une troisième aux combats menés pour la liberté.

Selon Alain Godonou, le directeur du programme musées de l’ANPT qui a chapeauté les équipes de scientifiques et d’historiens béninois et les muséographes et scénographes français des agences Decalog et Les Crayons, il était primordial de « penser le parcours du point de vue africain » et de « sortir du prisme quantitatif pour proposer des trajectoires personnifiées ».

Faute d’une collection suffisamment importante – une soixantaine de pièces seulement – , l’équipe du musée a misé sur « l’interprétation » avec des period rooms, des répliques d’objets et de nombreux supports audiovisuels.

Ainsi, il sera possible de suivre l’exode de Cujo Lewis, l’un des derniers survivants de la traite négrière, capturé à l’âge de 19 ans par les amazones du royaume de Dahomey puis convoyé depuis Abomey jusqu’à Ouidah. Il y a été confiné dans une cabane (« barracoon ») durant de longues semaines avant d’être expédié en Alabama (où il vivra dans une maison reconstituée pour l’occasion) à bord du dernier navire négrier, le Clotilda. C’était en 1860, cinquante-deux ans après l’interdiction du commerce d’êtres humains aux États-Unis.

Le futur Musée international de la mémoire et de l’esclavage (Mime) sera érigé à Ouidah. © Agence Les Crayons
Le futur Musée international de la mémoire et de l’esclavage (Mime) sera érigé à Ouidah. © Agence Les Crayons

Le circuit patrimonial se prolonge à l’extérieur du musée où la Maison du gouverneur, fraîchement rénovée, accueillera temporairement les 26 œuvres restituées par la France une fois leur exposition au Palais de la marina de Cotonou terminée.

Quelques mètres plus loin, la caserne, la ménagerie et la captiverie seront reconstruites comme au XVIIIe siècle. Le long de la route des esclaves qui relie le fort à la côte sur 4 km, d’autres sites sont en cours de réhabilitation, comme la place ChaCha, désormais appelée place aux Enchères, où les esclaves étaient troqués contre une pipe ou du tabac, ou le mémorial Zoungbodji et l’arbre du retour.

Les ambitions du gouvernement ne s’arrêtent pas là. Sur la plage bordée de cocotiers située à quelques kilomètres de la fameuse porte du non-retour, un complexe touristique de 130 chambres, financé par la Bank of China à hauteur de 109 milliards de F CFA, devrait voir le jour. À Avlékété, le village lagunaire voisin, c’est un Club Med qui sera construit dès cette année.

Ressusciter le royaume d’Abomey

Le Meard fera revivre le puissant royaume du Danhomè (Dahomey). © Agence Les Crayons
Le Meard fera revivre le puissant royaume du Danhomè (Dahomey). © Agence Les Crayons

À deux heures au nord de Porto-Novo, l’agence gouvernementale s’est promis de faire « revivre » un autre pan majeur de l’histoire du pays, celui du tricentenaire et puissant royaume du Dahomey, disparu avec une partie de ses vestiges au terme d’une lutte contre les colonisateurs français en 1894.

C’est au cœur du site palatial d’Abomey, classé patrimoine de l’Unesco depuis 1985, que sera implanté le très attendu Musée de l’épopée des amazones et du royaume de Danhomè (Meard). Il s’inscrit dans un projet plus large, financé en partie par l’Agence française de développement (AFD) pour 23 milliards de F CFA et Cotonou (15 milliards), comprenant en particulier la rénovation de trois palais royaux, l’installation d’un village pour accueillir les familles d’artisans comme au temps de la cour et l’ouverture de boutiques et de restaurants.

Pour l’architecte Françoise N’Thépé, le défi est de taille : « Je voulais que le musée ait son identité propre, sans reproduire mimétiquement l’architecture royale. » Afin de s’intégrer malgré tout dans l’histoire du lieu, le bâtiment a été pensé de plain-pied avec une structure basse « pour ne pas dominer les palais existants ». Ces nouveaux pans de façades en brique compressée feront écho aux anciens. Des hauts-reliefs devraient y être sculptés par l’artiste béninois Euloge Glèlè, un descendant du dixième roi d’Abomey, dont il porte le nom.

La Franco-Camerounaise a également fait appel aux savoir-faire locaux et à un cabinet d’étude environnemental spécialisé « pour trouver des matériaux durables, naturels et locaux plutôt que de miser uniquement sur une ventilation mécanique » afin de protéger la collection de la forte humidité. Le musée accueillera une collection permanente d’environ 500 œuvres, parmi lesquelles les 26 trésors royaux restitués qui retrouveront leur terre d’origine après cent trente années d’exil.

Vue d’architecte du futur Musée de l’épopée des amazones et du royaume de Danhomè (Meard). © Agence Les Crayons

Pour définir la programmation, Alain Godonou s’est appuyé sur un comité scientifique béninois, l’agence Decalog et des écrivains, tel Noureini Tidjani-Serpos, qui ont puisé dans les abondantes archives disponibles. « Le Dahomey est le royaume africain qui a produit le plus d’écrits en Occident, dépassant l’Empire mandingue et les royaumes bantous », raconte-t-il. Avant d’ajouter : « L’IFAN [Institut français d’Afrique noire], qui s’est installé en 1943 à Abomey, a également été un grand foyer de production pour les chercheurs africains qui retranscrivent les sources orales. »

La scénographie, conçue par l’agence Les Crayons, fera écho à cette tradition orale. Au récit factuel et chronologique de l’histoire de cette cité-État qui a fondé sa prospérité sur la traite puis l’huile de palme sera superposée la dimension légendaire de la saga dahoméenne, avec des mises en scène théâtrales et immersives.

Douze alcôves royales illustreront le règne des onze rois et de la reine Hangbé, récemment réintégrée à la dynastie. Le dernier espace sera dévolu aux amazones, entre lecture réelle et appropriation culturelle. Nicolas Béquart, le cofondateur de l’agence, ne cache pas son enthousiasme : « C’est le joyau de l’ensemble des projets ! » Il a opté pour une mise en scène graphique « hybride » en associant les savoir-faire locaux – vannerie, toiles appliquées, bois sculpté – à un style plus « contemporain ».

Si le projet est avancé, aucune brique n’a encore été posée. L’édifice doit pourtant ouvrir ses portes d’ici fin 2024. Des discussions étaient en cours jusqu’à la semaine dernière avec l’Unesco concernant la volumétrie du musée. La nouvelle mouture a été validée mais il reste encore à former des artisans du bâti à la réhabilitation des anciens palais.

Il est aussi prévu de fouiller les sols au niveau de l’emprise du musée avant sa construction. En effet, une immense partie du site royal, de 47 hectares, n’a jamais été exploré. « Des sondages ont déjà été réalisés par une équipe bénino-danoise et ils devraient se poursuivre, précise Alain Godonou. À terme, il est d’ailleurs prévu que l’équipe de recherche archéologique ait une base dans le palais de Béhanzin. »

Le vaudou au cœur de Porto-Novo

Enfin, difficile d’aborder le patrimoine culturel du pays sans parler du vaudou, dont le Bénin est le berceau. Un Musée international du vodun (MIV) s’implantera au cœur de Porto-Novo, à quelques mètres de la place Tofa. Le bâtiment aux murs en bois sculpté, pensé par le cabinet ivoirien Koffi & Diabaté, est intégralement financé par le gouvernement à hauteur de 18 milliards de F CFA.

L’objectif est de « déconstruire les stéréotypes et de donner au monde les moyens intellectuels et visuels d’une meilleure compréhension du vaudou », insiste Alain Godonou. Le comité scientifique qui travaille sur la programmation est notamment composé de Gabin Djimassè, historien, chercheur et spécialiste de l’art vaudou. Les collections qui devraient y figurer sont, elles, encore en cours d’identification.

Vue du futur Musée International du Vaudou, à Porto Novo.

Au-delà de l’enceinte du musée, l’ANPT compte valoriser la pratique de cette religion en réhabilitant notamment la route des couvents d’Adjarra à Grand-Popo et en structurant la fête du 10-Janvier pour en faire un festival international à Ouidah. Dans l’espoir d’attirer des touristes et des dizaines de millions de pratiquants étrangers – dont les afro-descendants des Caraïbes et du Brésil. Le projet le plus récent, dirigé par la Galerie nationale béninoise, consiste en la création d’un Musée d’art contemporain qui trouverait sa place dans le village artisanal de Cotonou.

Ambition démesurée ?

Après les musées, la liste de l’agence est encore (très) longue : rénovation de la cité lacustre de Ganvié (84 milliards de F CFA), développement de l’écotourisme de luxe et de la chasse pour un public « privilégié » dans le parc naturel de la Pendjari (11,5 milliards), construction du nouveau Palais royal impérial du Baru Tem à Nikki et d’une arène pour la fête de la Gaani (5 milliards), aménagement de la place Toussaint-Louverture à Allada (1,7 milliard)…

Si ces belles promesses sont porteuses d’espoirs, une telle ambition dans des délais si courts fait ressurgir la crainte qu’elles ne soient que des « éléphants blancs ».

Les musées vont-ils être construits à temps ? Vont-ils vraiment voir le jour ? Les projets ne sont-ils pas trop orientés vers un public étranger et fortuné ? Quid de l’expertise « très française » ? Les habitants concernés vont-ils réellement bénéficier des emplois ainsi créés et des retombées économiques, si retombées il y a ?

Si les risques et les engagements financiers sont réels, Wenceslas Adjognon, directeur du développement du tourisme et du marketing à l’ANPT, se veut rassurant : « Les retards ont déjà été pris en considération dans le calendrier et les ajustements requis sont faits. Les musées, comme partout dans le monde, ne sont pas conçus pour une rentabilité directe. Ils sont des leviers pour créer et accélérer des économies dérivées. Il est difficile de prévoir avec précision toute l’étendue de ces retombées économiques, mais nous sommes bien épaulés par toutes les expertises nécessaires », assure-t-il.

Très confiant, il vise « 3 millions de touristes d’ici à 2028 [contre 350 000 en 2019] », et table notamment sur le Nigeria voisin et ses 220 millions de – potentiels – visiteurs.

Avec Jeune Afrique par Marie Toulemonde

Bénin : qui est Calixte Biah, l’historien qui a raccompagné les trésors pillés ?

février 15, 2022
Bertin Calixte Biah, conservateur du musée d’Histoire de Ouidah. © Yanick Folly pour JA

Le conservateur du musée d’Histoire de Ouidah est l’un de ceux qui a préparé et supervisé la restitution, en novembre 2021, des vingt-six œuvres pillées par les troupes coloniales françaises dans les palais royaux d’Abomey en 1892. Parcours d’un passionné, à l’occasion de l’exposition « Art du Bénin d’hier et d’aujourd’hui, de la Restitution à la Révélation : Trésors royaux et Art contemporain du Bénin » qui se tiendra du 20 février au 22 mai 2022 au palais de la Marina à Cotonou.

Le professeur Bertin Calixte Biah, le conservateur du musée d’Histoire de Ouidah, semble encore exténué. Pendant des semaines, il a été l’homme-orchestre, plutôt taiseux, chargé à Paris – avec Abdoulaye Imorou, le gestionnaire du site des palais royaux d’Abomey, et leurs alter ego français –, de répertorier, puis d’organiser l’emballage méticuleux des trésors royaux restitués par la France au Bénin. Il a ensuite supervisé et accompagné leur transfert depuis le musée du Quai Branly, à Paris, jusqu’au palais de la Marina, à Cotonou, le 9 novembre dernier. « J’ai été très honoré d’être celui désigné par le président Talon pour rentrer au pays avec les œuvres dans l’avion-cargo, reconnaît Calixte Biah. « Avant le départ, le président Macron m’a dit : “Êtes-vous prêt ?” Je lui ai répondu que oui, même si c’était une grande responsabilité… ! Et il y avait un monde fou à l’aéroport et à la présidence. Mais nous n’avons pas failli dans notre mission. C’est une grande fierté. « 

Une humilité toute jésuitique 

Dans son petit bureau provisoire tout en bois de la maison du Brésil, à Ouidah – en attendant de retrouver le sien toujours en travaux au musée d’Histoire, futur musée international de la mémoire et de l’esclavage (Mime) –, « le simple cadre technique », comme il aime à se qualifier, a un petit côté maître d’école.  

IL N’A PAS ÉTÉ CHOISI PAR HASARD. IL CONNAÎT L’IMPORTANCE DE LA CHARGE ÉMOTIONNELLE ET SACRÉE DE TELLES ŒUVRES

Né au lendemain de l’indépendance, en 1962, à Sokponta, dans le département des Collines, Calixte Biah évolue dans un milieu catholique modeste mais cultivé, où règne la tolérance religieuse. Éduqué entre la tradition vaudou et le catéchisme du mercredi, il va à la messe tous les dimanches, tout en fréquentant discrètement les couvents. « J’ai été baigné dans la littérature coloniale autant que dans les contes africains susurrés au clair de lune, dit-il. Mes grands-parents maternels me racontaient les rois d’Abomey, la traite négrière, l’esclavage. La fin de la colonisation avait suscité beaucoup d’espoir chez nous. Selon ma tante, c’était la fin de toutes sortes d’humiliations. » 

Calixte Biah suit une scolarité normale : collège et lycée à Cotonou, bac littéraire-philo, puis inscription au département histoire et archéologie de l’université de Calavi, où il obtient une licence en histoire-géographie doublée d’une maîtrise de philosophie. « J’ai hérité d’un solide bagage et compris très tôt que les chercheurs occidentaux avaient toujours nié l’existence de l’histoire orale. »

De cette époque, il garde profondément ancré en lui une certaine pudeur, une humilité toute jésuitique et, surtout, le sens du secret et du sacré. « À l’université, il y avait trois enseignants archéologues et l’on organisait des fouilles ponctuelles. Mais c’était très compliqué, car au Bénin, on n’aime pas ceux qui remuent la terre. On a horreur de ceux qui creusent un peu partout : en creusant, on peut tomber sur des secrets, des choses protégées. L’idée de la profanation était forte. »

AU BÉNIN, ON A HORREUR DE CEUX QUI REMUENT LA TERRE. EN CREUSANT, ON PEUT TOMBER SUR DES SECRETS

En 2001, Calixte Biah soutient son mémoire : Problématiques historiques et musées en République du Bénin : de Porto Novo, Ouidah et Abomey, qui sera déterminant pour la suite de son parcours. Dix ans plus tard, il abandonne sa carrière d’enseignant pour devenir responsable du service de la promotion des musées et de l’action éducative à la direction du ministère du Tourisme, de la Culture et des Arts. En 2015, il est nommé conservateur du musée d’histoire de Ouidah, installé dans l’ancien fort portugais.  

En humble passeur de témoin, le professeur Biah n’a cependant rien perdu de son sens inné de la pédagogie. « J’ai commencé ma carrière en tant qu’enseignant d’histoire-géographie. C’est un métier passionnant que de transmettre ce que l’on a appris. C’est d’ailleurs pourquoi j’enseigne toujours à l’université de Calavi la gestion du musée, l’animation et le guidage. » Avant les travaux de rénovation, le conservateur accueillait parfois lui-même les groupes d’enfants venus voir les différentes expositions.  

Cérémonie de réception des trésors royaux d’Abomey au palais présidentiel de Cotonou le 10 novembre 2021. © Valentin Salako/AID
Cérémonie de réception des trésors royaux d’Abomey au palais présidentiel de Cotonou le 10 novembre 2021. © Valentin Salako/AID

La confiance absolue de Talon 

Depuis le début du processus de restitution des 26 pièces pillées par le colonel Dodds dans les palais royaux d’Abomey en 1892, Calixte Biah a la confiance absolue du président Patrice Talon, avec lequel il a d’abord fait avancer le projet dans le plus grand secret. C’est une opération de reconstruction de la mémoire « symbolique du retour au Bénin de notre âme, de notre identité  », selon les mots du chef de l’État béninois lors de la retransmission en direct par la télévision nationale de la cérémonie de retour, le 10 novembre dernier.  

Le conservateur du musée de Ouidah n’a pas été choisi par hasard : outre sa parfaite maîtrise de l’histoire du royaume d’Abomey, il connaît l’importance de la charge émotionnelle et sacrée de telles œuvres.  

C’EST UN ÉVÉNEMENT MAJEUR POUR LES BÉNINOIS ! ILS VEULENT CONNAÎTRE LEUR HISTOIRE

À la réouverture du musée, Calixte Biah sera bien là pour accueillir les 26 trésors royaux. Exposés du 20 février au 22 mai 2022 au palais présidentiel de la Marina, à Cotonou, ils seront en effet temporairement présentés au musée de Ouidah, avant de rejoindre la collection permanente du musée d’histoire d’Abomey. « C’est un événement majeur pour les Béninois ! Cela nous réconcilie avec notre passé. Et les Béninois veulent connaître leur histoire. Pour ma part, je n’ai jamais connu chez moi un quelconque sentiment de revanche envers les Français, tient à ajouter l’historien. Mes parents disaient qu’un tel sentiment était un poison pour soi-même. D’ailleurs, il y a au Bénin un mélange socio-culturel qui fonctionne bien… Le racisme, je l’ai surtout découvert dans les livres. » Calixte Biah ressemble ainsi un peu au héros de son roman préféré, Un piège sans fin (1960, Présence Africaine), d’Olympe Bhêly-Quenum. L’histoire d’un garçon qui coule une enfance simple et heureuse, mais se réveille un jour en s’apercevant que le monde peut être mauvais. 

Avec Jeune Afrique par François-Xavier Freland – Envoyé spécial à Ouidah