DUBAI (Reuters) – Chaque minute que passe le président Ali Abdallah Saleh en dehors du Yémen marque un pas de plus vers la fin de son règne de près de trente-trois ans à la tête d’un pays secoué par cinq mois de révolte populaire.
Blessé par un tir de roquette sur le palais présidentiel vendredi à Sanaa, Saleh est en Arabie saoudite depuis samedi pour y recevoir un traitement médical.
Les informations restent trop parcellaires ou contradictoires pour mesurer la portée exacte de l’événement.
On ignore ainsi le degré de gravité de ses blessures, on ne sait pas si ses fils ou neveux, qui commandent la garde républicaine et contrôlent les agences de renseignement et de sécurité du pays, font partie des 35 personnes de l’entourage du chef de l’Etat qui ont atterri samedi à Ryad.
« Tout ce que l’on sait, c’est que le moment est très dangereux », résume à Sanaa l’analyste politique Sali Seif Hassan.
Deux scénarios sont à envisager, ajoute-t-il.
Le premier est que les proches du président se précipiteront pour combler le vide laissé par Saleh à la tête de l’Etat, ce qui conduira à de nouveaux combats entre forces loyalistes et milices tribales et renforcera le risque de guerre civile.
Le deuxième est que l’Arabie saoudite a peut-être obtenu un accord qui permettra à Saleh de renoncer au pouvoir tout en sauvant la face.
L’issue de la crise dépend en grande partie de la manière dont le puissant voisin saoudien prendra position dans les heures et les jours qui viennent.
LE RÔLE CRUCIAL DE RYAD
Premier bailleur de fonds du Yémen, Ryad finance le gouvernement de Saleh, approvisionne l’armée et subventionne les hôpitaux.
Le premier exportateur mondial de pétrole partage une frontière de 1.500 km avec le Yémen et soutenait jusque récemment le régime du président Saleh afin de lutter contre Al Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa).
Quand il est devenu clair, en avril, que les manifestants antigouvernementaux ne renonceraient pas à leur exigence d’un départ du chef de l’Etat, Ryad et ses voisins du Golfe ont mis au point un plan de sortie de crise. Mais Saleh a refusé à trois reprises de le signer.
Pourtant, l’Arabie saoudite, qui finance également des tribus pour combattre Al Qaïda, n’a toujours pas pris la décision capitale de couper les fonds, sans doute par crainte de laisser le pouvoir vacant, avec l’incertitude qui en découle.
Khalid al Dakhil, analyste saoudien, est persuadé que Saleh ne se serait pas rendu en Arabie saoudite s’il n’avait pas eu l’intention de chercher une sortie.
« Le président du parlement, le Premier ministre et le président sont ici, donc dans les faits, tout le gouvernement est là », souligne Dakhil. « Cela facilitera un arrangement. »
TENTATIVE D’ASSASSINAT
Comme Saleh, le Premier ministre, les présidents des deux chambres du parlement et deux vice-premier ministres ont été blessés dans l’attaque à la roquette, remarquable de précision.
Tous étaient réunis dans une mosquée à l’intérieur du complexe présidentiel et seule une information fournie par une personne à l’intérieur a pu aider à les localiser, estiment les analystes de la société d’analyse géopolitique Stratfor.
En d’autres termes, il s’agit d’une tentative d’assassinat.
« Ce n’est pas l’oeuvre des tribus, mais des militaires, soutenus par des membres du régime présumés proches de Saleh », affirment-ils.
« Pour cette raison, Stratfor soupçonne que l’opposant le plus redoutable au sein de l’armée, le général Ali Mohsen al Ahmar, qui a été très discret au cours des derniers jours et suscite un grand respect au sein de la vieille garde, soit impliqué dans cette apparente tentative de coup d’Etat. »
Ali Mohsen, avec d’autres généraux, a rallié l’opposition à Saleh le 21 mars, après la mort de 52 manifestants abattus par des tireurs sur une place de Sanaa.
La réaction au départ en Arabie de Saleh, celle des généraux renégats, des tribus et des manifestants antigouvernementaux, pourrait jouer un rôle déterminant dans la suite des événements.
En l’absence de violence, l’Arabie saoudite pourrait se convaincre qu’un départ définitif du chef de l’Etat serait le meilleur moyen pour le Yémen de retrouver un semblant de calme et de stabilité.
Par Reed Stevenson | Reuters