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Prix littéraire : Alain Mabanckou désigné juge au Booker prize

janvier 13, 2022

Le romancier, poète et professeur, Alain Mabanckou, figure parmi les cinq juges nommés cette année au prestigieux prix britannique.

 

1- Alain Mabanckou/ DR

L’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou intègre le jury du Booker Prize 2022 aux côtés de l’historien de la culture, écrivain et diffuseur de l’art écossais, Neil MacGregor; de l’universitaire et animatrice Shahidha Bari; de l’historienne Helen Castor et du romancier et critique, John Harrison. Il aura pour mission de désigner le meilleur roman de langue anglaise paru entre le 1er octobre 2021 et le 30 septembre 2022.

 Auteur de nombreux romans, essais et recueils de poésie, Alain Mabanckou, double finaliste du Man Booker Prize International en 2015 et 2017, fait la fierté de l’Afrique et de son pays natal, le Congo.  Il a remporté le prix Renaudot en 2006 pour son roman Mémoires de porc-épic (Seuil). Son roman Verre cassé a été classé par le Guardian parmi les dix meilleurs livres du XXIe siècle.

Enseignant aux Etats-Unis et chroniqueur à L’Obs, le Franco-Congolais dirige depuis 2021 la collection « Points Poésie » de la Maison poche.  Il est l’un des romanciers les plus connus de France, ses travaux sont publiés principalement en français.

Outre la littérature, Alain Mabanckou fait aussi du cinéma. Une exclusivité à suivre le 18 janvier à 21h10 sur France 2 (et plus tard sur TV5), le documentaire « Noirs en France » qu’Aurélia Perreau et Alain Mabanckou ont écrit et dont il est également le narrateur. « Il s’agit de ma première expérience d’écriture de documentaire long métrage. Et aussi de la narration », a-t-il dit sur sa page Facebook.

Des félicitations viennent de partout. « Bravo, vous faites la fierté de l’Afrique. C’est un honneur pour le pays. En contrepartie, nous vous témoignons notre soutien indéfectible. C’est l’Afrique et le Congo qui gagnent. Félicitation à notre pèlerin », écrit-on sur différentes pages Facebook

Alain Mabanckou, surnommé « le Beckett africain », a grandi à Pointe-Noire, en République du Congo, et a étudié le droit à Brazzaville et à Paris.

2-Les cinq juges nommés pour le Booker prize /DR

Le Booker Prize récompense chaque année le meilleur roman original écrit en anglais et verse au vainqueur un chèque de 50 000 livres (environ 55 000 euros). En 2021, le prix a récompensé le Sud-Africain Damon Galgut pour son roman « The promise ».

Le prix Booker a été créé en 1968, l’un des plus importants prix littéraires remis annuellement. Seuls les romans de fiction rédigés en anglais sont susceptibles d’être primés  et  doivent avoir été écrits par un auteur vivant.

Avec Adiac-Congo par Rosalie Bindika

Goncourt, Nobel, Booker Prize… La récompense du dominant au dominé

décembre 9, 2021
Mohamed Mbougar Sarr, Prix Goncourt 2021, à Paris, chez son éditeur, le 3 décembre 2021 © Bruno Lévy pour JA

En 2021, le Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, le Tanzanien Abdulrazak Gurnah et le Sud-Africain Damon Galgut ont reçu de prestigieux prix littéraires. Des consécrations méritées, mais qui répondent aux attentes de la critique occidentale.

L’attribution du prix Goncourt à La plus secrète mémoire des hommes, de l’écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, a été, à juste titre, saluée par tout le monde, ou presque. Selon l’auteur primé, « c’est un signal fort […], un moyen, aussi, de montrer que la France est parfois beaucoup plus grande et beaucoup plus noble – en tout cas beaucoup plus ouverte – que ce à quoi on peut, on veut la réduire. » Ce prix récompense un roman de grande qualité, met en lumière le formidable travail de deux petites maisons d’édition (Philippe Rey et Jimsaan) et, surtout, inscrit une littérature périphérique sur la carte littéraire mondiale. Que peut-on vouloir de plus ?

Une dose de distanciation critique semble cependant nécessaire. L’enthousiasme doit céder la place à un travail de réflexion critique. Il y a ainsi plusieurs problématiques qu’il est utile d’explorer. Que nous révèle ce triomphe sur les rapports, structurés par l’histoire coloniale, entre les dominants et les dominés ? À quel prix le succès quand il dépend d’un autre qui est en position de force ? Que nous dit-il sur la condition de l’écrivain du Sud ?

Asservissement intellectuel

Derrière la consécration littéraire se profile la question du pouvoir littéraire, qui est inséré dans les structures de la domination coloniale. Ainsi, des milliers d’hommes et de femmes écrivent dans le monde, dans de nombreuses langues, avec des pratiques d’écritures diverses mais ils sont peu à accéder à la reconnaissance globale car cela dépend des centres littéraires qui décident de la légitimité de leurs écrits.

Pour la langue française, Paris est au cœur de cette pratique de légitimation. Le pouvoir de ces centres émane de l’histoire coloniale, d’une histoire de subjugation de l’autre. Il est multiforme, économique, politique, militaire et aussi symbolique. Il s’est peut-être atténué au fil du temps, mais son emprise demeure. On ne peut donc dissocier ces instances de légitimation d’une histoire et du contexte.

QUE CÉLÈBRE-T-ON SI CE N’EST L’APPROBATION DU DOMINANT, LEQUEL ACCORDE AU DOMINÉ CETTE LÉGITIMITÉ DONT IL RÊVE?

On pourrait ainsi s’interroger sur l’enthousiasme des uns et des autres, notamment d’une intelligentsia du Sud, à glorifier cet événement sans pour autant remettre en question le pouvoir symbolique d’une institution comme le Goncourt. Car que célèbre-t-on, au bout du compte, si ce n’est l’approbation du dominant, lequel décide de la valeur du dominé et lui accorde cette légitimité dont il rêve secrètement. C’est, par certains aspects, un asservissement psychique et intellectuel, un réflexe de l’ex-colonisé, ce perpétuel bon élève qui attend qu’on lui dise qu’il est à la hauteur.

Un roman éminemment européen

Le succès de l’écrivain dominé a un prix : pour être accepté et reconnu, il doit écrire des textes qui répondent aux attentes des dominants. Ainsi, l’écriture pratiquée, le genre choisi, le choix des thématiques ne sont pas innocents. Il crée donc selon des limites bien définies. On lui autorise, par ailleurs, un degré de subversion, mais une subversion permise et convenue. ll pratique une forme d’altérité qui est acceptée, une forme d’insoumission soumise, si on peut dire.

LA VÉRITABLE DÉCOLONISATION DE L’ARTISTE DU SUD COMMENCERA QUAND IL POURRA CRÉER POUR LES SIENS.

Ainsi le roman de Mohamed Mbougar Sarr est, à mes yeux, un roman éminemment européen, dans ses thématiques (celle notamment de la divinisation de la littérature), dans ses structures, inscrit dans la filiation du projet de la modernité occidentale. En d’autres mots, c’est une écriture des marges, qui se revendique comme telle, mais qui est paradoxalement une écriture du centre, construite selon les logiques du centre, élaborée pour être reconnue par le centre. La tragédie de l’artiste du Sud est qu’il est condamné à être un perpétuel exilé. Peu ou pas compris par les siens, peu reconnu, exilé dans son propre pays, il désire accéder ou accède à la reconnaissance et à la consécration artistique dans les pays du Nord. Mais cela n’est pas sans conséquences.

Certains, installés sont dans un rapport de dépendance psychique face à des structures de domination, finissent par les intérioriser. D’autres choisissent stratégiquement de jouer le jeu, sans nécessairement travestir ce qu’ils sont. Exilé chez soi, exilé dans les sphères de la domination, l’artiste du Sud erre dans un véritable no man’s land littéraire. La véritable décolonisation commencera sans doute quand il pourra se libérer psychiquement de la domination symbolique, quand il pourra créer pour les siens, en puisant dans ses racines, quand il parviendra non seulement à décentrer sa pratique artistique mais à la réinventer, selon d’autres paradigmes. Ainsi, pour être au cœur de cette « plus secrète mémoire », il faut être au cœur de soi-même, au cœur des siens.

Umar Timol

Avec Jeune Afrique par Umar Timol

Poète et photographe mauricien