La grande majorité des congolais pense peu ou prou qu’il existe en fait une grande lessiveuse au Trésor Public, dans laquelle l’État cache, comme nos grands-mères, son argent. Quand on en a besoin, il suffit d’aller dans la lessiveuse et de prendre une liasse de billets, une fois pour payer les salaires, une autre fois pour es paiements des retraites, une autre fois pour les bourses, etc. Non, la lessiveuse à billet n’existe pas car les banques centrales ont bloqué les vieux mécanismes de l’inflation. Je n’entrerai pas dans le détail de la création monétaire – processus complexe s’il en est – mais je voudrais m’intéresser aujourd’hui un peu à cette lessiveuse, car elle reflète en quelque sorte les relations entre l’emploi public et l’emploi marchand. Les caisses de l’Etat sont vides ! C’est une affirmation souvent correcte. Car les caisses de l’Etat sont par définition souvent… vides !
La véracité de cette affirmation dépend donc de l’instant où on l’exprime. C’est un point de rencontre entre la théorie quantique et les finances publiques. Alors comment est-ce possible ? Simple : l’Etat est la seule personne morale publique qui peut dépenser … ce qu’elle n’a pas. Comme dans la théorie quantique où un électron peut être en deux endroits à la fois, si on ne l’observe pas, l’Etat peut être pauvre et riche en même temps.
Prenons un exemple : lorsque la loi de finances de l’Etat est votée pour l’année N +1 (disons pour l’année 2021), l’Etat n’a encore aucun franc CFA dans ses caisses. Son budget est purement prévisionnel lorsqu’il est voté en recettes et en dépenses. Pourtant l’Etat peut dès le mois de janvier de l’année 2021 commencer à dépenser, il le fait alors que les recettes (fiscales, pétrolières, etc.) n’ont pas encore été perçues, c’est-à-dire encore recouvrées par le Trésor public. Il dépense donc ce qu’il n’a pas. Il continuera à dépenser conformément aux allocations budgétaires autorisés par loi des finances de l’année, mais alors d’où tire-t-il les moyens financiers dont il dispose ? En attendant que les recettes fiscales et non fiscales (emprunts, produit des dividendes, revenus du domaine, amendes etc.) entrent dans les caisses du Trésor, l’Etat empruntera pour faire face à ses dépenses domestiques (salaires notamment), parmi ces emprunts que l’on rattache à la gestion de Trésorerie, figurent les bons du Trésor, les fameux BTA et les OTA.
Les bons de trésor assimilables (BTA) sont un moyen d’acquisition d’argent frais pour le besoin de Trésorerie. En effet, les bons du Trésor sont des titres émis par l’Etat en représentation d’emprunts effectués dans le cadre de l’équilibre budgétaire. Ils participent à la fois au financement à court terme du Trésor public et à la réalisation de la politique monétaire de l’Etat, dont la moindre des manifestations est l’action sur la masse monétaire en circulation avec ses effets sur l’inflation, les taux d’intérêt, l’investissement, le crédit aux agents économiques, la liquidité monétaire etc. etc. Ce sur lequel il convient de se focaliser dessus, ce n’est pas le pouvoir tout-à-fait légal, sinon même indispensable, d’émission des bons du Trésors ou d’autres instruments d’emprunts (à moyen ou long terme), c’est la politique budgétaire de l’Etat mise en rapport avec la situation économique réelle du pays. En définitive, la caisse de l’Etat si elle peut être vide, elle ne l’est que temporairement. L’Etat disposant toujours de son droit régalien d’emprunter même de manière forcée.
Sans préjuger de l’état des finances publiques pour 2021, il convient de remarquer que celles de 2020, notamment les opérations financières de la loi de finances rectificative au 31 août 2020, elles ont été marquées par les charges de financement et de trésorerie de 807 milliards de francs CFA constituées de l’amortissement de la dette extérieure (610 milliards de francs CFA), de la dette intérieure (120 milliards de francs CFA), en dépit du moratoire sur le service accordé par certains créanciers, l’emprunt obligataire (Ecobank) de 52 milliards de francs CF, de la garantie de 25 milliards de francs CFA destinée à faire fonctionner le mécanisme d’appui aux entreprises affectées durement par les mesures de riposte à la pandémie. Mais pour faire face à toutes ces charges financières, les caisses de l’Etat n’ont que comme ressources, comme argent, 272 milliards de francs CFA, qui sont par ailleurs des emprunts, et donc de la dette… L’Etat est, rappelons-le, seul agent économique qui peut dépenser ce qu’il n’a pas, car contrairement aux autres agents économiques, l’Etat se garantit par… son existence.
Donc en 2020, l’Etat devrait encore emprunter car il subsiste un besoin de financement de 355 milliards de francs CFA auquel s’ajoute le déficit budgétaire de 2020 constaté le 31 aout 2020 de 104 milliards 703 millions de francs CFA. Il faudrait donc emprunter au total 459 milliards de francs CFA pour financer le gap de financement qui se dégage, et qui probablement augmentera au 31 décembre 2020.
Au premier janvier 2021, et si le projet de budget 2021 de l’Etat est voté sans être amendé par les parlementaires, notamment sur la réduction des dépenses publiques, alors l’Etat n’aura que 129 milliards de francs CFA, dans sa caisse. Depuis 2019, le Congo est entré en récession, et en 2021, l’Etat devrait dépenser 1615 milliards 907 millions de FCFA en 2021 contre 1630 milliards dans le budget réajusté de 2020, soit une baisse de 1%. Le hic, c’est que les dépenses de fonctionnement culminent à 1 088 milliards 550 millions de francs CFA, soit 67 % des dépenses publiques, hors charges de la dette et dépenses d’investissements. Donc la baisse de 1% des dépenses publiques est insignifiante.
Problème, selon les prévisions du projet de loi de finances pour 2021, les charges de trésorerie sont de 789 milliards 100 millions de francs CFA (570 milliards de remboursement de la dette extérieure ; 48 milliards 100 millions de remboursement d’obligation ; 156 milliards d’apurement de la dette intérieure, et 15 milliards de garantie d’Etat). Et compte tenu du peu d’argent dans les caisses, comme ressources de trésorerie (129 milliards de francs CFA), à laquelle, le gouvernement espère ajouter un excédent du solde budgétaire pour 2021 de 230 milliards 202 millions de francs CFA, cela ne suffira pas à financer la trésorerie de l’Etat, où l’Etat devrait emprunter à nouveau pour financer le gap de financement de d’environ 430 milliards de francs CFA… Que des dettes « Nde to zo boya » diront les congolais ! « L’Etat congolais à un comportement atypique par rapport au reste de la CEMAC. Les dépenses publiques du Congo n’ont aucun effet positif sur la croissance économique, et elles continuent à rester à un niveau très élevé. Chercher l’erreur !
A paraitre bientôt les grands problèmes économiques contemporains du Congo, un essai qui s’intéresse sur les politiques publiques, et formule le choix budgétaire que le Congo devrait faire pour 2021.
Avec Brazzanews par Richard Verlin