Elle dénonce le « fatalisme » qui nuit au développement du réseau de l’Université du Québec

Usée par le « fatalisme » de la classe politique, la présidente du conseil de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Lise Bissonnette, tire sa révérence. Elle a donné sa démission, mardi soir, en dénonçant « l’iniquité flagrante » favorisant les universités à charte aux dépens de celles du réseau de l’Université du Québec.
« Je n’entrevois pas aujourd’hui de terme heureux à nos combats, mais ils doivent se poursuivre. Ce qui menace l’UQAM et les établissements analogues, ce n’est pas la fatalité, elle n’existe jamais. C’est le fatalisme dont la tentation rôde en nos propres espaces », indique Mme Bissonnette dans sa lettre de démission transmise au Devoir et au premier ministre du Québec, Philippe Couillard. Elle a annoncé sa démission aux membres du conseil d’administration réunis en assemblée mardi soir.
Après cinq années aux commandes du C. A. de l’UQAM, Lise Bissonnette avait le coeur lourd en envisageant le cinquantième anniversaire de fondation de l’établissement — qui sera célébré en septembre 2019. « J’aurais abordé les célébrations avec des sentiments mêlés, barbouillés », indique-t-elle.
Le réseau de l’UQ a été créé en 1968 pour rendre l’enseignement supérieur accessible aux francophones de la classe moyenne — qui étaient nettement sous-scolarisés. Les dix universités de l’UQ sont établies dans toutes les régions du Québec. L’UQAM, elle, est née en 1969.
Lise Bissonnette a étoffé les arguments avancés dans une entrevue récente au Devoir : les établissements du réseau de l’UQ sont considérés comme des universités de seconde zone. Ils font un travail « extraordinaire » malgré un « mépris » généralisé de la classe politique et économique, selon elle.
« C’est un réseau qui est mal aimé et qui est négligé », affirme Mme Bissonnette en entrevue. Les disparités dans la rémunération des recteurs — les dix dirigeants les moins bien payés sont ceux du réseau de l’UQ — ne sont que la pointe de l’iceberg, selon elle.
Infrastructures à deux vitesses
Un indice évident de la politique de « deux poids, deux mesures » envers l’UQ se trouve dans le Plan québécois des infrastructures de 2017-2027, explique-t-elle. Les huit universités dites « privées » (même si elles sont largement financées à même les fonds publics) recevront plus de 3 milliards de dollars pour leurs projets d’infrastructures. Les dix établissements de l’UQ, eux, recevront ensemble 850 millions durant la même période.
Même politique « injuste », selon elle, dans la distribution du Fonds d’investissement stratégique canadien (FIS), qui a généré 730 millions pour les établissements postsecondaires québécois : à Montréal, en excluant les collèges, la somme disponible a atteint plus de 380 millions pour les universités, souligne Lise Bissonnette. L’UQAM a obtenu 10,5 millions, l’Université de Montréal a obtenu 250 millions, McGill, 75 millions, et Concordia, 37 millions.
Autre signe du parti pris du gouvernement envers les universités à charte, selon Mme Bissonnette : le feu vert donné à la création d’un campus de HEC Montréal (affilié à l’Université de Montréal) au centre-ville, à deux pas de l’École des sciences de la gestion (ESG) de l’UQAM. Québec a accordé des fonds de 94 millions pour le projet, en pleine période de restriction budgétaire, même s’il est évident que HEC vient concurrencer l’ESG sur son terrain, souligne Lise Bissonnette.
La clientèle cible de ces écoles de gestion, ce sont les gens d’affaires ou du milieu de la finance qui travaillent au centre-ville. Or, le campus actuel de HEC Montréal a pignon sur rue de l’autre côté du mont Royal, chemin de la Côte-Sainte-Catherine. D’où la décision d’aménager un nouveau bâtiment de HEC au centre-ville, souligne Lise Bissonnette.
La ministre aux aguets
La ministre de l’Enseignement supérieur, Hélène David, dit être en désaccord total avec la présidente du C. A. de l’UQAM. Au moment d’écrire ces lignes, Mme David n’était pas au courant de la démission imminente de Lise Bissonnette, mais elle rejetait les accusations de mépris envers le réseau de l’UQ.
« Mme Bissonnette a toutes sortes d’opinions, mais je ne peux pas être d’accord avec elle. S’il y en a une qui défend le réseau de l’UQ et l’UQAM, c’est moi. Je n’arrête pas de plaider pour le réseau de l’UQ », dit la ministre David.
Lise Bissonnette
Plus de 86 % de l’enveloppe du Plan québécois des infrastructures consiste en du maintien d’actifs répartis sur une base mathématique par des fonctionnaires, explique-t-elle. La taille des bâtiments, le degré de vétusté des immeubles et le nombre d’étudiants guident notamment les décisions d’investissement.
Des critères similaires servent à arbitrer les projets retenus en vertu du FIS fédéral — le gouvernement québécois a transmis une liste de 276 projets à Ottawa, qui en a retenu 101, selon la ministre David.
Mission : refaire le monde
« Les collèges et les universités n’ont pas eu autant qu’ils l’auraient voulu pour toutes sortes de raisons, dit-elle. Il y a eu des déceptions partout. »
Il y a eu des gestionnaires d’université heureux, aussi. Le campus des sciences de l’Université de Montréal a été annoncé en grande pompe par les premiers ministres Trudeau et Couillard, en décembre 2016. « Le projet était très, très avancé quand je suis arrivée », souligne Hélène David.
Les analyses se poursuivent pour deux projets phares de l’UQAM, indique la ministre : celui du pavillon Sanguinet, qui hébergerait des services de l’ESG, ainsi que le nouveau pavillon des arts.
L’UQAM mérite à son tour d’obtenir sa part du gâteau pour les infrastructures, fait valoir Lise Bissonnette. « […] ce qui m’enchante le plus, c’est la force intellectuelle de notre université, son aptitude sans cesse renouvelée à vouloir refaire le monde en s’imposant d’abord de le repenser », écrit-elle.
Étudiante en éducation, Mme Bissonnette a vu naître cette institution dans le climat de frénésie sociale de mai 68. « Ce côté un peu frondeur est resté dans l’ADN de l’UQAM. Moi, je trouve ça très bien. »
Ledevoir.com par Marco Fortier