
Liam Dee est décédé d’un cancer en novembre 2022. Photo : Fournie par Christopher Karas
Le Canada interdit toujours à certains membres de la communauté LGBTQ+ de faire don de leurs organes, sous prétexte d’un risque accru de transmission du VIH. Une réglementation anachronique, discriminatoire et qui coûte des vies, selon des experts.
Liam Dee n’avait que 25 ans lorsqu’on lui a diagnostiqué un cancer rare en mars 2022. Il venait de terminer ses études pour devenir infirmier et planifiait de se marier avec l’amour de sa vie, Jacob Macdonald.
Il est décédé la même année auprès de ses proches, en Nouvelle-Écosse.
Liam avait toujours voulu être un donneur. Il donnait régulièrement du sang avant de faire son coming out. C’était très important pour lui, mais il avait dû arrêter en raison de l’interdiction de l’époque
, se rappelle sa mère, Cindy Gates-Dee.
Liam Dee avait même signé sa carte de don d’organes bien avant que la Nouvelle-Écosse décide, en 2021, de considérer tous ses citoyens adultes comme étant des donneurs potentiels, sauf pour ceux qui signalent leur refus.
Après son décès, sa famille a donc entamé les procédures pour faire don de ses organes.

Liam Dee et son mari, Jacob Macdonald, se sont mariés en 2022. Photo : Fournie par Christopher Karas
Liam savait qu’il ne pourrait pas donner ses organes principaux en raison de son cancer localisé dans sa poitrine, mais il pensait qu’il pourrait donner des tissus, comme sa cornée
, raconte Cindy Gates-Dee.
« C’est le legs qu’il voulait laisser derrière lui. »— Une citation de Jacob Macdonald, mari de Liam Dee
Quand l’infirmière responsable de son dossier leur a dit que le corps de leur fils avait été rejeté, ils n’en ont pas cru leurs oreilles.
Nous lui avons demandé si c’était à cause de son cancer. Elle a répondu : « Non, vous n’allez pas y croire »
, raconte la mère de famille.
Dès qu’elle a dit cela, je me suis dit : « C’est parce qu’il est gai. » […] Ça a été comme un coup de poing dans l’estomac. Il venait de mourir et on nous disait qu’une de ses dernières volontés ne pourrait pas être accordée.
Réactions des autorités de santé
Santé Nouvelle-Écosse affirme qu’elle est tenue de se conformer aux exigences de Santé Canada en matière de dons d’organes.
De son côté, la ministre de la Santé provinciale a répondu à un courriel de Mme Gates-Dee, présentant ses excuses au nom du système de santé pour ce qu’elle a enduré en essayant d’honorer les dernières volontés de son fils.
Dans sa lettre, la ministre Michelle Thompson dit avoir contacté Santé Nouvelle-Écosse pour voir si les changements récents apportés au protocole de dépistage du sang s’appliqueraient également au don d’organes et de tissus.
« J’espère que les mesures prises empêcheront que cela arrive à d’autres à l’avenir. »— Une citation de Michelle Thompson, ministre de la Santé de la Nouvelle-Écosse
Pour sa part, Santé Canada explique que la transplantation des cellules, des tissus et des organes (CTO) humains est régie par le Règlement sur la sécurité des CTO, et que ce règlement fait référence à des normes de sécurité et de qualité de l’Association canadienne de normalisation (CSA).
Dans un courriel envoyé à Radio-Canada, l’agence fédérale ajoute que les critères de sélection des donneurs selon la CSA comprennent une liste de facteurs et de comportements associés à un risque plus élevé de transmission de maladies graves (comme le VIH, l’hépatite B et l’hépatite C) par transplantation, et qu’ils ne visent pas à exclure des groupes particuliers.
Santé Canada dit par ailleurs s’engager à réviser le Règlement sur la sécurité des CTOafin qu’il continue de refléter les dernières avancées scientifiques et techniques dans le domaine de la transplantation de cellules, de tissus et d’organes donnés.
« Nous nous engageons également à soutenir des politiques de don au Canada qui sont non discriminatoires et fondées sur la science. »— Une citation de Santé Canada
Des politiques
discriminatoiresetstigmatisantes
En 2022, le gouvernement fédéral a annoncé que les hommes homosexuels pouvaient donner du sang même s’ils avaient eu des relations sexuelles avec d’autres hommes au cours des trois mois précédant leur don.
Malgré ce changement, il n’en va pas de même pour les dons d’organes.
Selon les règles de Santé Canada, depuis 2008, les hommes qui ont eu une relation homosexuelle au cours des cinq années précédant un éventuel don ne peuvent pas donner leurs organes.
Ces règles ont pour but de prévenir la transmission de maladies infectieuses comme le VIH.
Le Centre de recherche communautaire, un organisme basé à Vancouver, qualifie toutefois ces politiques de discriminatoires
et demande à Santé Canada de les modifier.
Un rapport publié au début du mois d’avril par l’organisme explique qu’en vertu de la politique canadienne actuelle, les organes solides, tels le cœur ou encore les poumons, donnés par des hommes sont considérés comme comportant un risque accru de transmission de maladies infectieuses
si le donneur a eu des rapports sexuels avec d’autres hommes au cours de l’année précédente.
Les tissus, comme les os, la peau et la cornée, provenant de personnes appartenant à la communauté 2S/GBTQ+ sont aussi fréquemment rejetés pour les mêmes raisons.
Cela perpétue la stigmatisation des hommes homosexuels, qui sont vus comme étant plus susceptibles de contracter le VIH. Bien qu’il soit vrai que le taux d’infection soit plus élevé dans notre communauté, ce sont des sous-groupes particuliers qui sont concernés, et pas tout le monde
, déplore Chris Draenos, infirmier au Centre de recherche communautaire.
Il ajoute que les examens rectaux effectués sur les corps des donneurs décédés afin de déterminer s’ils ont eu des relations sexuelles anales ne permettent pas d’établir si la personne a eu des comportements à risque, en plus de porter atteinte à sa dignité.
« On empêche ces personnes de contribuer à la société, même après leur mort. »— Une citation de Chris Draenos, infirmier au Centre de recherche communautaire
Dans une déclaration par courriel, la Société canadienne de transplantation reconnaît que des critères concernant certains donneurs, dont ceux issus de la communauté 2S/GBTQ+, peuvent être trop stricts.
Il faut améliorer la manière dont ces décisions sont prises afin que le plus grand nombre de donneurs, de familles de donneurs et de receveurs puissent bénéficier du Cadeau de la Vie
, affirme l’organisme.
Transplanter des organes infectés, une option?
Le chef du Service des maladies virales chroniques au Centre universitaire de santé McGill à Montréal, Jean-Pierre Routy, également expert du VIH, pense lui aussi que les politiques actuelles sont désuètes et qu’elles ne permettent pas de bien évaluer les risques liés au comportement des donneurs.
Quelle que soit l’orientation sexuelle, c’est le haut risque d’exposition aux microbes ou aux virus. […] Qu’est-ce que font les hétéros, eux? On n’en sait rien
, dit-il.
Il ajoute que tous les organes sont testés avant d’être transplantés et que la période d’abstinence requise pour les hommes homosexuels qui souhaitent faire un don d’organes est inutilement longue.
En 2023, les tests sont excellents. Au bout de 10 jours, 98 % des gens reçoivent un diagnostic
, affirme-t-il.
Selon la Société canadienne du sang, près de 4100 Canadiens attendent une greffe d’organe et, chaque année, des centaines d’entre eux meurent pendant l’attente.

Des milliers de Canadiens sont en attente d’un don d’organe. Photo: ISTOCK
L’Institut canadien d’information sur la santé mentionne quant à lui que 2750 organes solides ont été transplantés au Canada en 2021. L’organisme souligne également que, la même année, 29 835 personnes recevaient des traitements de dialyse.
Peut-être que la personne malade dirait : « Je préfère prendre un organe VIH et je prends un médicament VIH une fois par jour au lieu d’être dialysé trois fois par semaine à vie »
, fait remarquer Jean-Pierre Routy.
Il ajoute qu’aux États-Unis, des personnes vivant avec le VIH peuvent faire don de leurs organes à des patients séropositifs.
Une plainte à la Commission des droits de la personne
Christopher Karas, un parajuriste de Toronto qui représente la famille de Liam Dee, annonce que cette dernière compte bientôt déposer plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.
Il y a encore beaucoup de mythes et il faut continuer à interpeller [les politiciens] pour que ces politiques de don soient modifiées et potentiellement éliminées
, dit-il.
Pour la famille de Liam Dee, la situation est venue assombrir un deuil déjà difficile à accepter.

Liam Dee était infirmier et rêvait de faire don de ses organes. Photo : Fournie par Christopher Karas
[Liam a été victime de] discrimination et la même chose va arriver à quelqu’un d’autre à moins que les choses changent
, estime Cindy Gates-Dee.
Liam et moi étions dans une relation monogame pendant plus de quatre ans. Nous n’avions pas de comportements sexuels à risque. Cela est très offensant
, dit Jacob Macdonald.
Ce qui le bouleverse également est que son mari et lui n’étaient pas au courant des règles de Santé Canada. Le jeune homme espérait lui aussi un jour sauver des vies en faisant don de ses organes.
J’ai l’impression qu’on fait croire aux personnes queers qu’elles peuvent faire un don [d’organes]. Personne ne connaît l’existence de ces règles. On nous rejette une fois qu’on est mort et qu’on ne peut plus se battre
, déplore-t-il.
Avec Radio-Canada par Andréane Williams