Retournons en novembre 2000. C’est à ce moment que le processus de fusion municipale se met réellement en branle au sein de la défunte MRC de Francheville qui regroupait Trois-Rivières, Cap-de-la-Madeleine, Trois-Rivières-Ouest, Pointe-du-Lac, Saint-Étienne-des-Grès, Saint-Louis-de-France, Sainte-Marthe, Champlain, Batiscan, Sainte-Anne-de-la-Pérade, Saint-Maurice, Saint-Luc-de-Vincennes, Saint-Narcisse, Saint-Stanislas, Sainte-Geneviève-de-Batiscan et Saint-Prosper.

© SYLVAIN MAYER Cap-de-la-Madeleine et Trois-Rivières ne font plus qu’un depuis 2001.
Les discussions concernant la répartition des coûts des équipements supralocaux entre Trois-Rivières et ses voisines échouent. C’est la raison pour laquelle le gouvernement prend les moyens afin de régler la question de l’équité fiscale autrement. Mais ce qu’il faut savoir d’abord, c’est que l’idée des regroupements municipaux provient d’une demande des six villes-centres de l’époque, rappelle Louise Harel, alors ministre des Affaires municipales au sein du cabinet Bouchard.
«Quand j’arrive au ministère, on est à la fin de 1998. En 1999, Jean-Paul L’Allier (le maire de Québec) organise une rencontre avec un groupe de maires qui a préparé une argumentation documentée, chiffrée, sur les coûts pour leur ville des frais encourus pour desservir des équipements à des gens qui ne sont pas des contribuables. Ce sont des villes-centres et cette question est au cœur de la dynamique de la réforme municipale. Les grandes villes me disaient: «On a tout en commun, on a des ententes intermunicipales, tout ce qu’il nous reste à mettre en commun, c’est vous qui pouvez le faire.»
Louise Harel, ex-ministre des Affaires municipales du Québec.
Ce groupe est composé des maires de Québec, de Montréal, de Sherbrooke, de Chicoutimi, de Hull et de Trois-Rivières. Guy LeBlanc est alors aux commandes de la cité de Laviolette.
«On a fait pression sur le gouvernement pour changer les lois. J’ai fait plusieurs rencontres avec Lucien Bouchard et Jean-Paul L’Allier était très actif. Il avait la théorie et la pratique. Ce n’était pas seulement de partager les dépenses. Il y avait une vision de ce que devaient être les villes», raconte le maire de Trois-Rivières de 1990 à 2001.

© FRANÇOIS GERVAIS, Le Nouvelliste Guy LeBlanc
L’idée d’un regroupement municipal avait déjà été évoquée en janvier 1986 par le maire de l’époque, Gilles Beaudoin. Durant un discours devant la Chambre de commerce de Trois-Rivières, il avait parlé d’une fusion entre Trois-Rivières-Ouest, Trois-Rivières et Cap-de-la-Madeleine.
«J’arrive à la Ville de Trois-Rivières en 1984 comme responsable des communications», se souvient François Roy, vétéran des communications. «Le gouvernement du Québec veut mettre de la pression sur cinq responsabilités municipales: l’eau, la neige, les vidanges, la police et les pompiers. Le gouvernement veut que l’eau soit de meilleure qualité, qu’on fasse l’assainissement des eaux usées. Le gouvernement voulait des sites d’enfouissement, qu’on ait des sites de disposition des neiges usées, qu’on ait la même protection policière et pompière partout! Pour ça, il fallait consolider les villes. On s’en allait de plus en plus vers des corporations municipales, des régies. Aussi bien faire une seule Ville.»

© SYLVAIN MAYER, Le Nouvelliste François Roy
La situation était semblable du côté de Shawinigan. Les discussions ont été nombreuses et houleuses au sein de la défunte MRC du Centre-de-la-Mauricie concernant le partage des dépenses des équipements supralocaux entre la ville-centre et Shawinigan-Sud, Grand-Mère, Saint-Georges, Saint-Jean-des-Piles, Saint-Gérard-des-Laurentides, Lac-à-la-Tortue, Charette, Saint-Élie-de-Caxton, Saint-Boniface, Saint-Mathieu-du-Parc et Notre-Dame-du-Mont-Carmel. L’idée d’une Ville, une MRC a été évoquée en septembre 1999, mais c’est finalement le regroupement municipal qui a été choisi.
«J’y croyais à la fusion. On était obligé de donner des services. C’était injuste pour Shawinigan de défrayer pour des services que les citoyens de l’extérieur venaient chercher chez nous comme l’aréna (Jacques-Plante), le Centre des arts. Je voulais être équitable pour tout le monde. Les fusions auraient pu être évitées si les municipalités s’étaient mises d’accord pour les équipements supralocaux, mais il n’y a pas eu d’accord. La seule solution était les fusions», déclare Lise Landry, mairesse de l’ancienne Ville de Shawinigan de 1994 à 2001 et première mairesse de la nouvelle Ville de Shawinigan, poste qu’elle a occupé jusqu’en 2009.

Lise Landry
Moins de villes, plus de responsabilités
Les partisans des fusions voulaient compter sur une plus grande assiette fiscale afin de faire face aux responsabilités toujours plus nombreuses à être confiées aux administrations municipales. Un autre argument était qu’une Ville regroupée allait pouvoir miser sur un solide rapport de force pour discuter avec les gouvernements et n’aurait plus à concurrencer ses voisines lorsqu’une entreprise annonçait son arrivée dans la région.
Yves Lévesque, premier maire de la Ville fusionnée de Trois-Rivières et ancien maire de Trois-Rivières-Ouest, rappelle que les administrations municipales établissaient des programmes de crédits de taxe afin d’inciter les gens à s’établir sur leur territoire.
«On prenait l’argent des contribuables pour se compétitionner entre nous. C’est un non-sens! Le développement économique, ce n’était pas la cause de Trois-Rivières-Ouest, mais de l’ensemble de la région. On avait un taux de chômage élevé. Mais on avait deux autoroutes, un aéroport, deux ports. Il fallait se regrouper.»

© STÉPHANE LESSARD, Le Nouvelliste Yves Lévesque
Guy LeBlanc était un partisan d’un regroupement de Trois-Rivières avec Trois-Rivières-Ouest et Cap-de-la-Madeleine. Il avait d’ailleurs exprimé sa vision d’une future grande ville lors de différents événements avant sa nomination à la présidence de la Commission municipale du Québec, ce qui a entraîné sa démission à titre de maire de Trois-Rivières en avril 2001.
«J’ai toujours cru qu’on était plus forts ensemble que divisés. C’était essentiellement ça, ma vision. On partageait beaucoup de choses ensemble. Tu peux vivre au Cap et travailler à Trois-Rivières-Ouest.»
«Le fait d’être regroupé amène des moyens financiers plus grands», exprime Alain Croteau, dernier maire de Cap-de-la-Madeleine, candidat défait à la mairie de Trois-Rivières en 2001 et conseiller municipal de 2009 à 2013. «Les moyens financiers et le poids de la Ville et du maire sont plus grands quand tu veux aller de l’avant avec des projets majeurs comme l’Amphithéâtre. Avant, il fallait se concerter, il fallait se parler entre maires, vendre l’idée au conseil et revenir avec une entente. Maintenant, ce n’est plus nécessaire.»

© SYLVAIN MAYER, Le Nouvelliste Alain Croteau
Si M. Croteau estime que cet aspect est un des avantages du regroupement, il rejette l’idée que durant son mandat à la mairie de Cap-de-la-Madeleine, de 1993 à 2001, sa Ville ait livré une concurrence à Trois-Rivières pour convaincre une entreprise de s’installer à l’est de la rivière Saint-Maurice plus qu’à l’ouest. France Beaulieu, dernière mairesse de Saint-Georges et conseillère municipale dans la nouvelle Ville de Shawinigan de 2001 à 2009, s’interroge aussi sur tout ce qui s’est raconté concernant les fusions municipales et le développement économique. «Je n’adhère pas à l’argument du fait d’être plus fort ensemble, d’arrêter les chicanes de voisin.»
Défusion
Mme Beaulieu avait causé tout un remous dans la vie politique shawiniganaise en 2004 lorsqu’elle avait signé le registre sur les défusions municipales, un processus mis de l’avant par le nouveau gouvernement de Jean Charest.
Le geste avait fait grand bruit à l’époque: comment une conseillère municipale d’une Ville nouvellement unifiée pouvait-elle prôner son démantèlement?
«J’étais grandement interpellée par mes citoyens. On était une municipalité avec de l’action et les citoyens se demandaient si on avait été oubliés! J’ai signé le registre par respect pour les citoyens.»

© SYLVAIN MAYER, Le Nouvelliste France Beaulieu
Le mouvement de défusion a manqué de gaz, si bien que Shawinigan est toujours formée de sept localités.
«Ça a été difficile au départ, mais la fusion s’est bien passée. La population a eu le choix de se défusionner et ça n’a pas marché», dit Lise Landry, d’autre part persuadée qu’une ville unifiée est nécessaire pour faire du développement économique.
Trois-Rivières n’a pas été touchée par un mouvement de défusion. La nouvelle Ville de La Tuque, formée à la suite du décret adopté par le gouvernement du Québec en mars 2003, n’a pas vécu longtemps sous cette forme. Lac-Édouard et La Bostonnais ont retrouvé leur autonomie en 2004, laissant La Tuque avec Parent et La Croche.
Avec Martin Lafrenière – Le Nouvelliste