Tsimpété la Carpe et Tsangui la Sardine vivaient toutes les deux dans le Djoué, un affluent du fleuve Congo.
Un jour, une coupure d’eau intervint dans la ville et les enfants du quartier Ya Mamba (le frère des eaux) vinrent solliciter les deux amies, s’ils pouvaient se laver avant de partir à l’école de Kingouari. Elles acceptèrent et leur offrir la gentillesse d’utiliser le bord du cours d’eau à proximité des roseaux leur interdisant de ne pas partir au large.
Pendant qu’ils jouaient à la surface du Djoué, se jetant des mains de fines quantités d’eau qui produisaient des sons en tapotant la belle peau de l’affluent, entre joie et éclats de rire, Tsonga se détacha des autres. Il se faufila sous les herbes et atteignit le milieu de l’eau où la profondeur devenait importante. Il commençait à boire des gorgées, se débattait dans un effort de dernier espoir, agitant la main; ses collègues de classe qui le virent ne purent l’approcher de peur de les emporter et il se noya. Ils regagnèrent tous le rivage, le visage triste, pleurant et s’essuyant la morve qui leur coulait des narines provoquée par la frayeur de l’événement.
L’écho des pleurs se fit entendre auprès de Tsimpété la Carpe et de Tsangui la Sardine qui s’amusaient entre les jacinthes se cachant sous les larges feuilles vertes invitant l’un et l’autre à la découverte du point de refuge.
Quand elles approchèrent le groupe d’écoliers, celui-ci leur fit part de la triste nouvelle de la disparition de Tsonga qui venait de se noyer.
– Chers écoliers pourquoi n’avez vous pas respecté l’interdit qui vous a été dicté gratuitement de ne pas aller au large car certains endroits sont trompeurs à l’œil et réservent des surprises dangereuses ?
La Carpe et la Sardine promirent de retrouver le corps de Tsonga et partirent à sa recherche. Elles longèrent le Djoué d’un bout à l’autre, sans suite favorable. Elles repartirent en fouillant sous l’eau, aucun résultat de preuve d’une présence quelconque. Ils se séparèrent avec les écoliers qui partirent chez-eux pour annoncer la nouvelle aux parents et aux maîtres de l’école. C’était la grande consternation.
Tsimpété et Tsangui continuaient leur investigation sous les folles herbes mais également les jacinthes et prirent la décision de la poursuivre jusqu’au-delà du Djoué dans le fleuve Congo. Emportées par le courant des cascades passant entre les grosses pierres rocheuses, elles se retrouvèrent dans le puissant et majestueux fleuve Congo qui exhalait son souffle aquatique devant l’œil chaud du soleil tropical qui caressait par ses rayons sa belle peau douce. Les recherches consistant à retrouver Tsonga furent vaines.
Fatiguées, elles eurent faim. Ni la Carpe, ni la Sardine, aucune des deux ne trouva à manger. Tsimpété se retourna contre la bonté et la docilité de son amie la Sardine lui montra ses dents pour la croquer. La Sardine effrayée, prit la fuite et dans sa persécution, elle se cogna contre un objet au corps mou ne sachant pas qu’elle était sa nature. Elle recula, fit un bond pour bien le regarder. Elle se retrouva au-dessus d’un ventre ballonné. Or c’était celui du cadavre de Tsonga qui flottait à la surface de l’eau. Elle n’eût pas le temps d’exprimer sa joie devant la furie de la Carpe. Et pour détourner l’attention de Tsimpété la Carpe, elle rentra rapidement par les portes ouvertes des narines du noyé et se cacha dans la grande chambre de son ventre. La Carpe en arrivant devant le corps flottant ne vit pas sa proie mais seulement celui qu’elle cherchait depuis les eaux du Djoué. Elle contourna le cadavre dans une interrogation sans mots.
La Carpe alla appeler les pêcheurs du village de Mafouta pour venir l’aider à sortir Tsonga. Ceux-ci rafistolaient leur filet au moment de la sollicitation et prirent leur pirogue pour la suivre jusqu’au lieu de la découverte. Ils placèrent le corps de Tsonga dans leur embarcation. Arrivés sur la berge, ils étalèrent le noyé sur de grandes feuilles de bananier et le dépecèrent pour vider la quantité d’eau qu’il avait bue.
A la grande surprise, ils virent comme d’habitude, une belle petite Sardine qui gesticulait et remuait ses nageoires. Encore toi ! Lui demandèrent les pêcheurs ce qu’elle faisait dans le ventre d’autrui. Elle leur répondit cette fois-ci qu’elle avait trouvé refuge à la suite de la persécution de Tsimpété la Carpe qui voulait la manger lorsqu’elles cherchaient depuis le Djoué le noyé et en arrivant dans le fleuve Congo, la faim se transforma en violente inimitié, en rupture d’amitié. Ils eurent pitié d’elle car tous les moyens de protection sont bons même dans le cadavre d’un corps humain.
Les pêcheurs du village Mafouta libérèrent Tsangui la Sardine en la renvoyant dans l’eau et celle-ci repartit informer la famille de Tsonga. Aussitôt, ils jetèrent le filet à Tsimpété la Carpe pour l’attraper afin de la manger. Elle se fit prendre dès le premier contact et alla terminer sa vie dans la cuisson des vieilles marmites des pêcheurs.
L’amitié rompue à l’amiable vaut mieux que celle de la rancœur consistant en la disparition de l’autre car la méchanceté peut se retourner contre son auteur par la loi de la justice naturelle et sociale.
© Bernard NKOUNKOU