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Canada-Crimes sexuels : des agents de la GRC ne prennent pas les plaintes au sérieux

octobre 2, 2022
L'emblème de la GRC.

Depuis, 2019, la GRC a fait l’objet de 43 conclusions défavorables dans des cas d’enquêtes sur des agressions sexuelles. Photo : CBC/Robert Short

Malgré les promesses et les plans d’action, de nombreux agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) peinent toujours à prendre au sérieux les allégations d’agression sexuelle et les questions relatives au consentement, selon l’organisme civil chargé de surveiller la GRC.

Depuis 2019, la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC (CCETP) a émis 43 conclusions défavorables au corps de police dans des cas d’enquêtes sur des agressions sexuelles, a appris CBC.

Certains de ces dossiers d’enquête ont été mis en ligne, avec les lieux et les noms caviardés par souci de confidentialité.

L’un de ces dossiers, conclu en 2021, concerne une femme qui s’était plainte d’un chauffeur de camion. Selon la plaignante, le chauffeur, qui l’avait fait monter à bord alors qu’elle faisait de l’autostop, l’aurait poussée à l’extérieur du véhicule après qu’elle eût refusé ses avances sexuelles.

Des passants ont trouvé la femme blessée sur le bord de la route et ont appelé le 911.

La femme s’est ensuite entretenue avec des enquêteurs de la GRC pendant plus de six heures. Pendant l’entretien, les enquêteurs en ont profité pour questionner la plaignante sur sa mémoire et son état émotionnel.

La femme s’est plainte du comportement des enquêteurs, entraînant l’implication de la CCETP.

Entre mythes et stéréotypes

Après une enquête indépendante, l’organisme de surveillance a conclu que les agents de la GRC avaient mené leur travail de manière déraisonnable.

La Commission a constaté que l’approche et l’interrogatoire de la femme par certains membres de la GRC étaient fondés sur des mythes et des stéréotypes inappropriés concernant le comportement des victimes d’agression sexuelle, peut-on lire dans le résumé du dossier.

À titre d’exemple, la Commission a relevé des questions qui consistaient à comparer le comportement de la femme à une idée préconçue de la façon dont elle devrait réagir. Or, la Commission a noté qu’il est largement reconnu en droit qu’il n’existe pas de réaction uniforme ou prévisible de la victime à une agression sexuelle.

Dans une autre affaire, deux agents de la GRC ont rejeté le témoignage d’une femme qui s’était plainte qu’un homme avait touché sa région génitale par-dessus ses vêtements, sans son consentement. Selon le résumé de la CCETP, les agents ont laissé entendre que l’incident ne constituait pas une infraction criminelle et ont fermé son dossier.

Ils ont néanmoins offert à la femme la possibilité de suivre le processus de justice réparatrice, qui donne aux victimes la possibilité de s’adresser aux responsables après un crime. Mais lorsqu’elle a contacté l’agent de liaison du programme de justice réparatrice, elle a appris que le dossier n’avait jamais été transmis.

La femme a ensuite porté plainte auprès de la Commission, qui lui a donné raison. La CCETP a qualifié l’enquête d’inadéquate et donc déraisonnable.

La commissaire Brenda Lucki.

La commissaire Brenda Lucki a soutenu 41 des 45 recommandations non contraignantes effectuées par la CCETP depuis 2019. Photo : La Presse Canadienne/Sean Kilpatrick

La Commission a également constaté que les membres de la GRC ont fait preuve d’un manque de compréhension des preuves requises pour étayer une accusation d’agression sexuelle, et ont affiché une attitude inappropriée envers la plaignante, indique le résumé de cas.

Dans un autre cas, l’organisme de surveillance a constaté qu’un agent manquait de connaissances et de formation sur la question de savoir si le retrait d’un préservatif pendant un rapport sexuel constituait une infraction criminelle — malgré une décision récente de la Cour suprême du Canada sur la question.

Une enquête grossièrement inadéquate

L’organisme de surveillance a critiqué un autre agent de la GRC pour ce qu’il a qualifié d’enquête grossièrement inadéquate. Selon la Commission, l’agent en question a arrêté une femme sur la base d’une allégation d’agression sexuelle sans parler aux témoins qui auraient pu être consultés pour corroborer les principales allégations. L’agent a également procédé à l’arrestation alors que celle-ci n’était pas une option disponible  en vertu du Code criminel.

Au bout du compte, aucune accusation n’a été portée — une information que le policier a négligé de transmettre à la principale intéressée.

La Commission a constaté que cette enquête était profondément déficiente. Même les étapes les plus élémentaires de l’enquête n’ont pas été respectées, a déclaré l’organisme de surveillance.

Si accablantes soient-elles, ce genre de conclusions ne surprend en rien Humera Jabir, avocate au sein de l’association West Coast Legal Education and Action Fund.

L’avocate est d’avis que l’ampleur des problèmes dépasse de loin le petit nombre de cas soumis à la Commission.

Même si la CCETP fait des constatations défavorables, cela ne concerne qu’un faible pourcentage des cas qui ont été signalés à la police, a-t-elle déclaré.

« Plusieurs personnes ne font pas de signalement parce qu’ils n’ont pas confiance que la police traitera leur cas avec sérieux. »— Une citation de  Humera Jabir, avocate au sein de l’association West Coast Legal Education and Action Fund

Me Jabir souhaite voir le gouvernement fédéral légiférer afin de rendre la police davantage imputable.

C’est qu’en vertu des lois actuellement en vigueur, les recommandations de la CCETP à la GRC ne sont pas contraignantes; la GRC est libre d’y donner suite ou de les ignorer.

Depuis 2019, la CCETP a formulé 45 recommandations concernant les enquêtes sur les agressions sexuelles de la GRC. Ces recommandations visent les politiques, les procédures et les protocoles d’enquête ainsi que la formation des enquêteurs.

La commissaire de la GRC, Brenda Lucki, a soutenu 41 de ces recommandations. Elle en a partiellement soutenu une et en a rejeté trois.

Des changements à l’horizon

Le gouvernement libéral a présenté au printemps dernier un projet de loi qui élargirait le mandat de la CCETP afin de lui permettre d’accepter les plaintes concernant les agents frontaliers.

S’il est adopté, le projet de loi C-20 exigerait également que les dirigeants de la GRC et de l’Agence des services frontaliers du Canada rendent compte chaque année au ministre de la Sécurité publique des progrès réalisés dans la mise en œuvre des recommandations de la Commission.

Entre-temps, la GRC soutient que son équipe d’examen des agressions sexuelles est en voie de mettre à jour son manuel opérationnel pour faciliter les enquêtes sur la violence sexuelle.

Un cours en ligne sur les bases du consentement et les préjugés fréquemment associés aux crimes sexuels est également en voie d’élaboration, a ajouté la porte-parole Robin Percival.

Cette dernière a également précisé qu’une formation sur les traumatismes est obligatoire pour tous les employés de la GRC qui interagissent avec le public.

La GRC considère que toutes les plaintes du public sont importantes et s’efforce de les traiter le plus rapidement possible, tout en veillant à ce qu’elles soient évaluées de manière approfondie et appropriée. La GRC accorde une grande importance à l’examen indépendant de ses politiques et des actions de ses membres, a déclaré M. Percival.

À cette fin, la GRC accueille favorablement les conclusions et les recommandations formulées par la CRCC à la fin de ses enquêtes, a ajouté la porte-parole.

Radio-Canada d’après un texte de Catharine Tunney, de CBC