Les principaux ministres talibans – tous des hommes – ont été nommés et annoncés mardi. Leur chef suprême leur a demandé de respecter la charia.

Ils avaient promis un gouvernement « inclusif ». Les talibans ont annoncé mardi 7 septembre les premiers ministres qui font désormais partie leur gouvernement, dirigé par Mohammad Hassan Akhund. Un gouvernement exclusivement composé… d’hommes. Les islamistes ont nommé Abdul Ghani Baradar, le cofondateur de leur mouvement, en tant que numéro 2 de leur régime. Le mollah Yaqoub, fils du mollah Omar, sera ministre de la Défense. Sirajuddin Haqqani, le leader du réseau qui porte son nom et numéro deux des talibans, obtient le portefeuille de l’intérieur. « Le cabinet n’est pas complet », a précisé leur principal porte-parole, Zabihullah Mujahid lors d’une conférence de presse. « Nous essayerons de prendre des gens venant d’autres régions du pays », a-t-il ajouté.
Le chef suprême des talibans Hibatullah Akhundzada, dont les interventions publiques sont très rares, a aussi demandé au nouveau gouvernement afghan de faire respecter la charia, dans son premier message depuis la prise de pouvoir des islamistes il y a plus de trois semaines. « J’assure tous nos concitoyens que les gouvernants travailleront durement à faire respecter les règles islamiques et la charia dans le pays », a affirmé Hibatullah Akhundzada dans un communiqué en anglais.
Deux morts et huit blessés dans une manifestation antitalibans
Ces nominations sont intervenues après que des coups de feu en l’air ont été tirés mardi à Kaboul pour disperser une manifestation dénonçant notamment la violente répression des talibans dans le Panjshir, où un mouvement de résistance s’est dressé contre les nouveaux maîtres du pays. « Ces manifestations sont illégales tant que les bureaux du gouvernement n’ont pas ouvert et les lois pas proclamées », a commenté Zabihullah Mujahid, qui a « demandé aux médias de ne pas couvrir » ces protestations. Deux personnes ont été tuées et huit blessées par balles mardi lors d’une manifestation contre le régime taliban à Hérat, la grande ville de l’Ouest afghan.
Des centaines d’Afghans ont défilé dans la matinée dans au moins deux quartiers de Kaboul, dénonçant, outre la situation dans le Panjshir, l’ingérence du Pakistan, accusé de vouloir contrôler le pays à travers les talibans dont il est très proche. Près d’une centaine de manifestants, en majorité des femmes, se sont rassemblés devant l’ambassade du Pakistan, chantant : « Nous ne voulons pas d’un gouvernement soutenu par le Pakistan » et « Pakistan, dégage d’Afghanistan ».
Zabihullah Mudjahid a nié tout lien de son gouvernement avec le Pakistan, pourtant dénoncé de longue date par la communauté internationale et l’ancien gouvernement afghan. « Dire que le Pakistan aide les talibans, c’est de la propagande », a-t-il affirmé. « Nous ne permettons à aucun pays d’interférer » dans les affaires afghanes, a-t-il poursuivi.
Les journalistes couvrant les manifestations violentés
Le chef des puissants services de renseignements militaires pakistanais, Faiz Hameed, était ce week-end à Kaboul, où il s’est très probablement entretenu avec des responsables talibans. Plusieurs journalistes qui couvraient les manifestations ont indiqué avoir été arrêtés, molestés ou avoir eu leur matériel confisqué par ces combattants. L’Association afghane des journalistes indépendants (AIJA) a indiqué dans un communiqué que 14 journalistes, afghans et étrangers, avaient brièvement été détenus par les talibans avant d’être relâchés, ce qu’elle a « dénoncé ». Parmi les manifestants figuraient nombre de femmes, qui craignent de voir les talibans les exclure de la vie publique comme lors de leur précédent régime, entre 1996 et 2001.
« Les femmes afghanes veulent que leur pays soit libre, qu’il soit reconstruit. Nous (les Afghans) sommes fatigués », a déclaré à l’Agence France-Presse une manifestante, Sarah Fahim, originaire de Kapisa, une province du nord-est de Kaboul anciennement sous contrôle de l’armée française et voisine de celle du Panjshir. « Combien de temps cela va-t-il durer, quand nos voix seront-elles entendues ? Pourquoi la communauté internationale reste-t-elle silencieuse en voyant tant de gens se faire tuer ? » a-t-elle interrogé.
La rébellion dans le Panjshir, bastion antitalibans de longue date, est menée par le Front national de résistance (FNR) et son chef Ahmad Massoud, fils du célèbre commandant Ahmed Shah Massoud, assassiné par Al-Qaïda en 2001. Après la proclamation de la victoire dans le Panjshir, Zabihullah Mujahid, avait lancé lundi un ferme avertissement : « Quiconque tentera de créer une rébellion sera durement réprimé. Nous ne le permettrons pas. » Le FNR a toutefois affirmé tenir des « positions stratégiques » dans la vallée et « continuer » la lutte, et Ahmad Massoud, dont on ne sait s’il s’y trouve encore, a appelé chaque Afghan à « se soulever pour la dignité, la liberté et la prospérité » du pays.
Revenus au pouvoir 20 ans après en avoir été chassés par une coalition menée par les États-Unis, les islamistes sont attendus au tournant par la communauté internationale. Ils se sont aussi engagés à respecter les droits des femmes, bafoués lors de leur premier passage au pouvoir. Mais ces promesses peinent à convaincre.
Au cours d’une visite officielle au Qatar, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a indiqué mardi que les talibans s’étaient à nouveau engagés à laisser les Afghans « avec des documents de voyage partir librement » vers l’étranger. « Nous les attendrons sur cette question », a-t-il ajouté. « La communauté internationale tout entière attend que les talibans respectent cet engagement ». L’administration du président Joe Biden est sous pression face à des informations évoquant plusieurs centaines de personnes, dont des Américains, bloquées à l’aéroport de Mazar-i-Sharif, dans le nord de l’Afghanistan.
Avec Le Point avec AFP