Il était une fois, un Chien berger gardait son troupeau dans la vallée: un riche héritage qu’il avait reçu par voie testamentaire de son défunt maître. Il avait l’impérieuse mission de perpétuer son patrimoine. Il voulait aussi, à tout prix, expérimenter l’adage Kongo: Wa dia fwa, yika dio (Celui qui veut hériter d’un bien, doit le fructifier).
Chaque jour, après le lever du soleil, des hérons blancs passaient, en file indienne, à cent mètres, au-dessus de sa tête. Il aboyait pour saluer leur départ au travail : houa, houa, houa. Ces oiseaux des premières heures du matin, indifférents de son aboiement, dessinaient au ciel bleu des itinéraires linéaires et fléchés, le bec tendu en direction de leur destination préférée: le dépotoir d’ordures.
Le Chien au poil roux se préparait à quitter sa résidence. Il brossait de sa patte, sa petite moustache rectangulaire, située en bordure de son menton. Fin prêt, il prit son bâton de berger puis conduisait les moutons noirs, les brebis blanches et les chèvres grises, dans la prairie, au bord du ruisseau. Là-bas, les animaux de leurs canines et incisifs immaculés, broutaient, paisiblement et lentement, l’herbe grasse parsemée dans la vaste étendue au voile verdoyant et luxuriant se mariant, à perte de vue, avec l’horizon bleu.
Bon éleveur, il savait surveiller d’un œil vif son troupeau mais il lui arrivait aussi de discipliner les quelques bêtes récalcitrantes qui couraient partout. Il les rattrapait par un coup de griffes à la patte, les maîtrisait, les ramenait dans le cercle de son champ visuel afin de les contrôler et de les compter facilement.
Dans son bon pâturage, il avait de nombreuses brebis et chèvres qui attendaient des agneaux et des chevreaux, des petits qui devraient grandir ensemble et agrandir le troupeau. Quand les femelles donnaient naissance, il partait chercher l’eau à la rivière pour nettoyer les nouveau-nés, en dehors, des premiers soins donnés par leur maman consistant à lécher leurs poils. Il veillait à leur sécurité contre les méchantes langues et autres turbulents qui frappaient de jalousie les nourrissons, à coups de tête.
Un jour, fatigué pendant qu’il rentrait avec son bétail, il reçut de la part d’un propriétaire une proposition de croisement de caprins de belle race avec ses chèvres apparentées aux bouquetins. Ces gentilles bêtes, certaines avaient un doux pelage, d’autres une fourrure soyeuse et cotonneuse pouvant être tondue sans difficulté pour fabriquer la laine à tisser.
Après trois croissants de lune et trois pleines lunes, les animaux nourris et engraissés passèrent à la phase d’accouplement. La sélection obéissait à son critère de choix selon les couleurs: les noirs avec les blancs, les gris avec les blancs puis les noirs avec les gris. Les femelles qui étaient sur le point de mettre bas aimaient se reposer à l’ombre d’un avocatier dont les branches touchaient le sol. Celles dont la conception était encore lointaine partaient auprès des femmes du village qui épluchaient les tubercules de manioc. Elles prenaient soins de leur jeter les épluchures qu’elles mangeaient fièrement dans le remuement de leur bouche qui effectuait un mouvement de va-et-vient, de gauche à droite. Les mamans qui se prélassaient au pied de l’arbre recevaient de coups de sabot dans leur ventre de la part de leur bébé.
Cependant dans la somnolence de leur ventre bedonnant, une Huppe vint se poser au sommet de l’arbre. Elle tourna sa tête à gauche puis à droite, dressant les plumes de son crâne qui regardent toujours au ciel. Assurée de ne point être perturbée, elle commençait à chanter : hu hu, hu hu, hu hu. Son chant retentit comme une forte et désagréable alerte dans tout le village: les femmes se précipitèrent d’aller cacher leurs enfants dans les maisons. Celles qui les portaient au dos, voilèrent le visage de leurs enfants pour ne pas regarder dans la direction d’où provenait le chant de l’oiseau maléfique. Les cultivatrices qui étaient encore aux champs se débarrassèrent de leur deuxième pagne, noué autour du rein, pour couvrir et protéger au sol leurs enfants. Le chant de la Huppe passait à travers les feuilles des arbres qui tremblaient elles aussi de frayeur. Les feuilles jaunes, à peine anémiées, et mortes sans sève, tombaient d’effroi. L’écho de son hululement dressa les oreilles du Chien qui vint en courant dans une grande meute pour le chasser par son aboiement. Du haut de la cime, elle tourna sa tête, la crête de ses plumes pencha en arrière puis s’éloigna en chantant : Nuni na Nuni, za tanga kwa, ka toyo ka mana tanga bakiri mambu (Chaque oiseau peut chanter mais si la Huppe chante, elle devient fautive).
Après son départ, le calme revint au village, les femmes sortaient de leur cachette pour vaquer à leurs occupations. Les enfants retrouvèrent leur visage caressé par l’air agréable du petit vent. Ceux qui étaient en âge de parler, demandèrent à leurs parents ce qui s’était passé. Une explication du chant de la Huppe leur a été donnée, consistant à prévenir un éventuel malheur dans le village.
Le soir, le Chien contrôla tous ses habitants pour voir si personne ne manquait après le chant de la Huppe. Il rentra dans l’enclos tout son troupeau. Les femmes préparèrent à manger pour la communauté tandis que les hommes cassaient le bois pour se réchauffer : kwaka, ka, kwaka, ka. Kwaka, ka.
Après le repas, ils racontèrent des histoires aux enfants et dormirent. Une chorale de grillons chantait. Des bruits d’autres insectes nocturnes se répandaient dans le village : cri, cri, grin, grin, cri, cri, grin, grin. La nuit était chargée de chants qui la rendaient joyeuse et heureuse.
A minuit, quand la nuit était noire et silencieuse comme le deuil, un Hibou vint se poser sur l’avocatier de la cour, puis commençait à chanter. Des frissons ébranlaient les nerfs des habitants qui étaient déjà couchés. Certains s’étiraient au lit en un léger soupir, se courbant, se tordant et se redressant. Ceux qui étaient dans le sommeil léger prêtèrent les oreilles pour bien écouter et suivre le chant funeste. Les enfants pleuraient. Les mamans leur fermèrent la bouche de la main. La peur gagna aussi le troupeau. Les mâles poussèrent des râles en se levant de leurs pattes recroquevillées au sol. Tous les animaux se réveillèrent. De leurs cornes, les mâles brisèrent le bois de protection de l’enclos. Ils se dirigèrent dans les maisons des humains pour plus de sûreté. Les animaux trouvèrent refuge sous leur lit. Les femelles en gestation se bousculaient au fond avec leur gros ventre contre le mur. Le chant du Hibou s’amplifiait et devenait lourd comme s’il voulait remuer la toiture des maisons. Les tôles en aluminium se froissaient comme si une personne marchait dessus : coin, coin, coin. Celles qui étaient en pailles renvoyaient un bruit d’herbes coupées à la faucille : frou, frou, frou. Des frissons de peur dressaient les cheveux sur la tête et les poils sur les bras.
Le chant de l’oiseau nocturne coupa le sommeil et haleta le souffle. Les femmes affolées par la frayeur et la peur passèrent elles aussi sous le lit où se trouvaient déjà les femelles des animaux qui leur donnaient des coups de sabots, en se disputant la place exiguë et contiguë.
Le Chien à l’écoute de la répétition de ce chant de malheur fit le tour des maisons pour donner l’alerte d’un mauvais message. Il demanda à tous les hommes de le suivre, Ceux-ci vinrent se rassembler autour de lui. Claquant leurs mains, pour le chasser, ils lui proférèrent des oracles pour s’en aller et laisser le village en paix. Récalcitrant, il leur ouvrit grandement ses yeux. En croisant leur regard, il changeait son visage devenant, peu à peu, humain comme celui du sorcier du village.
A cet effet, le Chien rentra dans la cuisine, prit un long bois qui se consumait encore, et vint le tendre en direction du Hibou. Ébloui par l’éclat de la braise, il plaça ses ailes à son cou, détalant en hululant puis partit se poser au-dessus du toit du sorcier. Il se glissa par la faîtière de sa maison et disparu. Une clameur de victoire résonna dans la nuit dense et épaisse. Le village reprit son sommeil entrecoupé. Les hommes ronflaient du fond de leur gorge comme une chorale de crapauds : grond, grond, grond.
Vers cinq heures du matin, le Corbeau croassait, son chant faisait la ronde de toutes les cases du village. Soudain des pleurs retentissaient partout. Les femelles qui étaient en gestation ne purent pas se réveiller de leur cachette sous les lits. Elles étaient toutes mortes, le corps raide, avec leurs bébés dans le ventre. La situation était insupportable et intenable. Le Corbeau de son manteau noir ne cessait de regarder le village tout éploré, frappé par un deuil en série.
Le Chien prit la parole et dit : je savais depuis ce matin que le chant de la Huppe, suivi de celui du Hibou la nuit, n’était pas un bon présage pour le village. Car la faute n’est pas au Corbeau. Il joue seulement le rôle d’annonciateur de ce qui s’est passé pendant que les gens dormaient. Mais d’aucuns lui proférèrent aussi des insultes qu’il est un oiseau de mauvais augure au même titre que la Huppe et le Hibou. Fâché de cette accusation, le Corbeau rouspéta: han, han, han. Face à cet entêtement, il fut interdit de toute nourriture de la part des hommes.
Le Chien demanda aux hommes d’aller enterrés les cadavres des bêtes dans la forêt, loin des habitations du village, pour éviter toute contamination de mauvaises odeurs de putréfaction.
Le Corbeau, très en colère de cette accusation, décida de manger des cadavres de toutes espèces en chair. Du haut des airs, dans sa ronde, il découvrit, le lieu où avaient été enterrés les animaux. Il exhuma les corps en putréfaction et commençait à les manger. Il en prit goût et en fit son habitude même s’il mange du pain et des biscuits mais les cadavres constituent sa nourriture préférée.
Depuis lors, dans certains pays du monde, le chant de la Huppe, du Hibou ainsi que celui du Corbeau, à certaines heures, annonce souvent le malheur à venir ou une mort dans le village. Les hommes ont pris l’habitude de chasser ces animaux de leurs habitats car ils sont de mauvaise compagnie.
© Bernard NKOUNKOU