L’apparition récente du SRAS-CoV-2, le virus responsable de la COVID-19, dans la population de cerfs de Virginie préoccupe les chercheurs, qui redoutent la dissémination du virus en milieu sauvage et la création, au sein de cette population d’animaux, d’un réservoir potentiel pour le virus.

Un cerf de Virginie Photo : Radio-Canada
Le coronavirus SRAS-CoV-2 ne s’attaque pas qu’aux humains. Les chercheurs ont observé, depuis le début de la pandémie, que le virus pouvait aussi se répandre dans les élevages de visons, tout comme chez certains animaux domestiques et dans les zoos. Jusqu’à tout récemment, les scientifiques disposaient de très peu de données quant à la propagation du virus parmi les animaux sauvages.
Dès 2020, les responsables de la santé animale aux États-Unis sont parmi les premiers sur le continent à réaliser des tests pour détecter la présence du SRAS-CoV-2 chez les cerfs de Virginie. Ils profitent du programme de surveillance et de suivi annuel de la maladie débilitante chronique (MDC) qui touche les cervidés.
On savait déjà que les cerfs de Virginie pouvaient être sensibles à une infection par le SRAS-CoV-2, car, comme l’humain, ils disposent de récepteurs ACE2. Ces récepteurs permettent au coronavirus de se fixer plus aisément aux cellules saines, d’en prendre le contrôle et de se propager dans l’organisme.
Aux États-Unis, les premiers résultats des analyses sont aussi inattendus que renversants. En Iowa, le professeur de microbiologie et maladies infectieuses Vivek Kapur raconte que lui et ses collègues étaient tellement surpris par les résultats qu’ils ont douté un moment du bon fonctionnement du test. Les résultats montraient que les taux de positivité allaient de 30 % à 35 %.
C’est l’équivalent d’un cerf de Virginie sur trois qui était porteur du virus SRAS-CoV-2 chez les cerfs testés en Iowa.
Vivek Kapur est professeur de microbiologie et maladies infectieuses à l’Université d’État de Pennsylvanie. Photo : Radio-Canada
À la lumière des résultats américains, les responsables de la faune dans la majorité des provinces canadiennes ont lancé des campagnes d’échantillonnage, profitant aussi des programmes de surveillance de la maladie débilitante du cervidéMDC et de la saison de chasse pour réaliser des prélèvements sur les carcasses de cerfs de Virginie. Au Québec, des échantillons ont été prélevés sur 250 cerfs dans les Laurentides et en Estrie en novembre 2021.
Prélèvement nasal chez un cerf de Virginie Photo : Radio-Canada
« On prélève des écouvillons nasaux, pour détecter le virus SRAS-CoV-2 chez les cerfs. Puis le second prélèvement, c’est un prélèvement de sang, pour des tests sérologiques, pour voir si l’animal a des anticorps, s’il a été exposé au virus dans le passé. »— Une citation de Marianne Gagnier, biologiste en santé de la faune ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs – Québec
Marianne Gagnier, biologiste en santé de la faune au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs – Québec Photo : Radio-Canada
Dans le lot des échantillons prélevés en Estrie, trois sont déclarés positifs en décembre 2021. Ce seront les premiers cas confirmés d’une infection d’animaux sauvages par le virus SRAS-CoV-2 au Canada. Depuis, on a officiellement enregistré quatre cas en Saskatchewan, cinq en Ontario et trois au Manitoba. Comme les analyses des échantillons se poursuivent, on peut présumer que d’autres cas pourraient par la suite être identifiés chez les cerfs de Virginie au Canada.
Quant aux résultats des tests sérologiques réalisés sur les échantillons prélevés en Estrie, ils ont révélé qu’environ 9 % des cerfs avaient des anticorps, et par conséquent avaient été exposés au virus antérieurement à l’échantillonnage.
Échantillon sanguin d’un cerf de Virginie Photo : Radio-Canada
Pour l’instant, on sait que le virus s’est propagé de l’humain à l’animal, puis d’un cerf de Virginie à l’autre. La route empruntée par le virus pour infecter les animaux n’est pas clairement établie. Comme le décrit Vivek Kapur, professeur de microbiologie et maladies infectieuses, elles peuvent être multiples.
Les cerfs ont pu être en contact avec des éléments déjà infectés par un humain, une pomme jetée par la fenêtre, par exemple, ou les matières fécales d’un humain qui se serait soulagé en forêt.
« Les cerfs ne suivent pas nos règles d’hygiène. Un contact avec un de ces éléments suffirait à les exposer au virus. »— Une citation de Vivek Kapur, professeur de microbiologie et maladies infectieuses à l’Université d’État de Pennsylvanie
Comment expliquer, par ailleurs, un si grand écart entre le taux de positivité observé chez les cerfs aux États-Unis, soit plus de 30 %, et celui qui est observé au Canada qui est établi à moins de 2 %?
Daniel Leclair, directeur de la division écotoxicologie et santé de la faune à Environnement et Changement climatique Canada, nous explique que différents facteurs, comme le taux d’infection dans la population humaine locale, la densité de cerfs au kilomètre carré, la période d’échantillonnage et l’activité de cerfs, sont autant de facteurs qui peuvent influencer le risque de transmission. Cela dépend aussi de la proximité entre la population de cerfs et le milieu urbain ou périurbain.
Daniel Leclair, directeur de la division écotoxicologie et santé de la faune, Environnement et Changement climatique Canada Photo : Radio-Canada
Les quelques cerfs de Virginie infectés qu’on a pu observer en milieu contrôlé ne montrent pas de symptômes apparents de la maladie. Rien n’indique, pour le moment, que le virus se soit transformé au contact de l’animal. Celui qui a atteint les cerfs de Virginie au Québec était de la lignée du variant Delta. Des chercheurs américains notaient, dans une prépublication sur le sujet au début de février 2022, la présence du variant Omicron chez des cerfs de Virginie dans l’île Staten, une lointaine banlieue de New York.
À ce jour, on n’observe pas de cas de transmission de l’animal à l’humain. On craint toutefois que la population de cerfs de Virginie puisse servir de réservoir au virus SRAS-CoV-2. Comme l’indique Daniel Leclair, d’Environnement et Changement climatique Canada, il serait important de pouvoir faire une surveillance continue pour vérifier si le virus pourrait avoir des mutations qui augmenteraient, par exemple, sa transmissibilité, sa virulence, et avoir un impact chez la faune ou chez l’humain
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Pour les chasseurs, une attention accrue s’impose. Pas tant pour la consommation de la viande, puisque le virus ne survivra pas à une bonne cuisson, mais plutôt durant la manipulation de la carcasse. Comme Daniel Leclair le précise : Ils doivent prendre des précautions pour éviter d’être en contact direct ou d’être exposés, par exemple, à des éclaboussures lorsqu’ils manipulent les tissus respiratoires. Donc, le port du masque bien ajusté est recommandé, mais aussi d’autres équipements de protection lorsqu’on fait des dépeçages, le parage des carcasses, s’assurer qu’ils le font, par exemple dans des lieux ventilés.
On comprend qu’à la différence d’une transmission chez des animaux d’élevage, la surveillance d’un virus chez des animaux sauvages est plus complexe, sa propagation et son développement, plus difficiles à anticiper. Vivek Kapur, de l’Université d’État de Pennsylvanie, ajoute qu’une fois que le virus s’est propagé chez les animaux sauvages, la capacité à prédire quelle direction le virus va prendre est limitée. Qui le virus va-t-il infecter? Qui va s’y adapter? Qui va transmettre quoi à qui? Cela devient très difficile à suivre.
Des cerfs de Virginie Photo : Radio-Canada
« Quand la maladie s’établit au sein d’espèces sauvages, comme avec le cerf de Virginie, ça devient presque impossible de l’éradiquer. »— Une citation de Vivek Kapur, professeur de microbiologie et maladies infectieuses à l’Université d’État de Pennsylvanie
Avec des millions de cerfs de Virginie qui se baladent sur le continent nord-américain, on comprend que l’enjeu est grand.
Avec André Bernard