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La Cour pénale internationale lance un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine

mars 17, 2023
Le président de la Russie, Vladimir Poutine.

Le président de la Russie, Vladimir Poutine. (Photo d’archives) Photo : Getty Images/Gavriil Grigoro

La Cour pénale internationale (CPI) lance un mandat d’arrêt contre le président de la Russie, Vladimir Poutine, relativement à des crimes de guerre commis en Ukraine.

Selon un communiqué envoyé vendredi matin par la CPI, le président russe serait responsable de la déportation illégale de populations (enfants) dans les zones occupées en Ukraine et vers la Russie, un acte qu’elle considère comme un crime de guerre.

Ces crimes auraient été commis au moins à partir du 24 février 2022, date de l’invasion russe en Ukraine.

Il existe des motifs raisonnables de croire que M. Poutine porte une responsabilité pénale pour ces crimes, que ce soit individuellement, avec une autre personne ou par l’intermédiaire d’une autre personne, et pour avoir échoué à maîtriser des subordonnés placés sous son autorité et son contrôle effectifs.

Un mandat d’arrêt, également relatif à la déportation illégale de mineurs, a été lancé contre Maria Alekseyevna Lvova-Belova, commissaire présidentielle aux droits de l’enfant en Russie depuis le mois d’octobre 2021.

Ce sont les premiers mandats d’arrêt délivrés par la CPI en lien avec la guerre en Ukraine.

La CPI ne reconnaît pas l’immunité des chefs d’État dans les cas de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocides.

Maria Alekseyevna Lvova-Belova en discussion avec le président russe Vladimir Poutine.

Maria Alekseyevna Lvova-Belova, commissaire présidentielle aux droits de l’enfant en Russie depuis le mois d’octobre 2021 (Photo d’archives) Photo : Getty Images/ AFP/Mikhail Metzel

Au moins des centaines d’enfants, selon la CPI

Le New York Times avait révélé lundi que le procureur de la CPI, Karim Khan, avait l’intention d’ouvrir officiellement deux affaires de crimes de guerre et de lancer des mandats d’arrêt contre des Russes jugés responsables notamment de l’enlèvement massif d’enfants ukrainiens et du ciblage d’infrastructures civiles ukrainiennes.

Jeudi, un groupe d’enquêteurs des Nations unies a déclaré que le transfert par la Russie d’enfants ukrainiens dans les zones sous son contrôle en Ukraine ainsi que sur son propre territoire constitue un crime de guerre, évoquant aussi de possibles crimes contre l’humanité.

Selon le rapport du groupe, certains enfants en situation de handicap n’auraient pas reçu les soins et la médication adéquats entre les mains des autorités russes. L’ONU avance également que la Russie a introduit des politiques telles que l’octroi de la citoyenneté russe et le placement des enfants dans des familles d’accueil pour créer un cadre dans lequel certains de ces enfants pourraient rester de manière permanente en Russie.

L’Ukraine estime qu’environ 16 000 enfants sont victimes de cette pratique, mais ce nombre n’a pas été confirmé par l’ONU. Le bureau du procureur de la CPI a cependant identifié au moins des centaines d’enfants qui étaient dans des orphelinats et qui ont été transférés, et plusieurs ont été placés en adoption par la Russie, a déclaré Karim Khan.

Le Kremlin dénonce ces accusations

Le Kremlin a rapidement répondu vendredi et a dénoncé les décisions dénuées de sens et insignifiantes de la Cour pénale internationale.

Les décisions de la Cour pénale internationale sont dénuées de sens pour notre pays, y compris d’un point de vue juridique, car Moscou n’a aucune obligation envers elle, a écrit sur Telegram la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, sans faire référence nommément à Vladimir Poutine dans son message.

L’ex-président russe Dmitri Medvedev a quant à lui comparé sur Twitter le mandat d’arrêt à du papier de toilette. La Cour pénale internationale a émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine. Pas besoin d’expliquer où ce papier doit être utilisé, a-t-il écrit en anglais, terminant son message par un émoticône de papier de toilette.

Moscou a d’ailleurs toujours nié les accusations de crimes de guerre à son égard, mais n’a pas caché les transferts d’enfants ukrainiens vers la Russie, les décrivant comme des adoptions d’enfants abandonnés et promouvant le programme comme un effort patriotique et humanitaire.

Maria Alekseyevna Lvova-Belova a assuré vendredi qu’elle allait poursuivre son travail, dans une déclaration où elle défend la déportation des enfants, assurant que la Russie les aide et ne les laisse pas dans des zones d’opérations militaires. Elle a d’ailleurs affirmé le mois dernier avoir elle-même adopté un garçon ukrainien de 15 ans, originaire de Marioupol.

La Cour pénale internationale est compétente

Il est vrai que la Russie n’est pas membre de la CPI, basée à La Haye aux Pays-Bas, et que cela diminue les chances que ces mandats d’arrêt conduisent à des procès contre Vladimir Poutine et Maria Alekseyevna Lvova-Belova.

Ce n’est cependant pas impossible, rappelle Emmanuel Daoud, avocat du collectif universitaire Pour l’Ukraine, leur liberté et la nôtre, qui se réjouit de cette annonce. Le communiqué de la Russie est sans surprise. Mais le communiqué est infondé en droit. La CPI est saisie de la situation en Ukraine. Elle est complètement compétente. Elle est aussi compétente pour les faits qui remontent à l’annexion de la Crimée.

« Poutine peut continuer à dire que c’est insignifiant, mais s’il met le pied en dehors de la Russie, dans quelques mois, dans un an, dans deux ans, les pays adhérents et signataires du Statut de Rome, la carte mère de la CPI, auraient l’obligation de l’arrêter et de le transférer à La Haye. Ça prendra le temps que ça prendra, mais M. Poutine devra répondre de ces actes devant la CPI.  »— Une citation de  Emmanuel Daoud, avocat du collectif universitaire Pour l’Ukraine, leur liberté et la nôtre

Cela concorde d’ailleurs avec ce qu’affirmait Louise Arbour, ancienne procureure du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et pour le Tribunal pénal international pour le Rwanda en 1996, en entrevue avec Patrice Roy en décembre dernier. La compétence de la Cour peut être basée sur l’endroit où les crimes ont été commis, par exemple le territoire ukrainien. Puis l’Ukraine peut accéder […] à la compétence de la Cour. Alors il y a des façons par lesquelles la Cour pénale internationale peut être saisie.

À noter que l’Ukraine non plus n’est pas signataire du Statut de Rome, tout comme les États-Unis.

Ce n’est que le début

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a salué une décision historique, qui marque le début d’une responsabilité historique.

Même constat du côté du chef de la diplomatie de l’Union européenne (UE), Josep Borrell. C’est une décision importante pour la justice internationale et la population de l’Ukraine. […] Ce n’est que le début de la fin de l’impunité de la Russie pour les crimes et les atrocités commis en Ukraine.

Londres et Ottawa se sont également félicités de cette décision. Le Canada est aux côtés du peuple ukrainien, a écrit la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, sur Twitter.

C’est un jour important pour les nombreuses victimes des crimes commis par les forces russes en Ukraine depuis 2014, a confié Balkees Jarrah, directeur associé pour la justice internationale chez Human Rights Watch, au New York TimesAvec ces mandats d’arrêt, la CPI a fait de Poutine un homme recherché et a fait un premier pas vers la fin de l’impunité qui a enhardi les auteurs de la guerre en Ukraine depuis trop longtemps.

Radio-Canada par Anaïs Brasier et Rania Massoud avec les informations de Agence France-Presse, New York Times, Guardian et CNN

Possibles crimes de guerre en Ukraine : Guterres appelle Moscou à coopérer avec la CPI

avril 28, 2022
Antonio Guterres dans la rue entouré de plusieurs gardes de sécurité.

Le secrétaire général de l’ONU visite l’Ukraine pour la première fois depuis le début de l’invasion. Photo: AFP via Getty Images/Sergei Supinsky

Le secrétaire général de l’ONUOrganisation des Nations unies Antonio Guterres a appelé jeudi Moscou à coopérer avec l’enquête de la Cour pénale internationale sur de possibles crimes de guerre, lors d’une visite dans des banlieues de Kiev théâtres d’exactions imputées par les Ukrainiens aux forces russes.

Quand nous voyons ce site horrible, je vois combien il est important d’avoir une enquête complète et d’établir les responsabilités, a déclaré M. Guterres à Boutcha. J’appelle la Russie à accepter de coopérer avec la CPICPI, a-t-il ajouté.

Le 2 avril, à Boutcha, des journalistes de l’AFP ont découvert une rue jonchée de cadavres. Et l’ONUOrganisation des Nations unies a documenté le meurtre, y compris certains par exécution sommaire, de 50 civils, après une mission dans la ville le 9 avril.

À Borodianka, autre commune proche de Kiev, M. Guterres a qualifié la guerre d’absurdité au XXIe siècle, devant des habitations en ruines.

J’imagine ma famille dans une de ces maisons aujourd’hui détruites et noircies, je vois mes petites-filles courir en panique, a-t-il lancé, avant d’ajouter: aucune guerre n’est acceptable au XXIe siècle.

M. Guterres effectue sa première visite en Ukraine depuis le début du conflit, et devait rencontrer le président Volodymyr Zelensky dans l’après-midi.

Cette visite intervient deux jours après sa visite à Moscou, où il a rencontré le président Vladimir Poutine et demandé à la Russie de collaborer avec l’ONUOrganisation des Nations unies pour permettre l’évacuation des civils des zones bombardées.

Ces régions, le sud et l’est, où se concentre à présent l’offensive russe, subissaient jeudi un feu nourri de bombes.

L’ennemi intensifie son offensive. Les occupants effectuent des frappes pratiquement dans toutes les directions, avec une activité particulièrement intense dans les régions de Kharkiv et le Donbass, a indiqué l’état-major ukrainien dans sa note matinale.

Selon lui, l’armée russe tente d’empêcher le transfert de forces ukrainiennes du nord vers l’est.

Le ministère russe de la Défense a de son côté indiqué avoir détruit dans la nuit avec des missiles de haute précision deux dépôts d’armements et de munitions dans la région de Kharkiv, et effectué des frappes aériennes sur 67 sites militaires ukrainiens.

Il a accusé les forces ukrainiennes d’avoir mercredi soir frappé avec des missiles balistiques Totchka-U et des roquettes (…) des quartiers d’habitation du centre de Kherson, dans le sud de l’Ukraine.

L’administration locale russe a dit jeudi vouloir introduire dans cette ville côtière – la seule dont les Russes aient pris le contrôle complet – le rouble à la place de la hryvnia ukrainienne à partir du 1er mai.

Dans les villes bombardées, les pompiers ukrainiens foncent d’un incendie à l’autre, comme à Kharkiv où plus de 2000 bâtiments ont été endommagés ou détruits par le feu, selon Ievguen Vassylenko, porte-parole régional des services d’urgence ukrainiens.

Et ça continue comme ça tous les jours. Les gars n’ont pas assez de temps pour se reposer, c’est le plus difficile. C’est épuisant, explique à l’AFP Roman Katchanov à la tête de la caserne numéro 11 de la deuxième ville d’Ukraine.

Jeudi, le commandant des forces aériennes ukrainiennes a estimé que les lance-missiles fournis par les Occidentaux avaient une portée insuffisante pour atteindre les avions de l’occupant, qui larguent des bombes sur nos villes à 8 km d’altitude et plus.

Il nous faut des systèmes antiaériens de moyenne et longue portée et des chasseurs modernes, a déclaré Mykola Olechtchouk sur Telegram.

Le Royaume-Uni avait appelé mercredi les alliés de l’Ukraine à faire preuve de courage en augmentant leur aide militaire, arguant que la guerre en Ukraine était notre guerre et la victoire de Kiev un impératif stratégique pour nous tous.

Armes lourdes, chars, avions – creuser dans nos stocks, accélérer la production, nous devons faire tout ça, a lancé mercredi soir dans un discours à Londres la cheffe de la diplomatie britannique Liz Truss.

Les livraisons d’armes à l’Ukraine menacent la sécurité européenne, a estimé jeudi le Kremlin. La veille, Vladimir Poutine avait à nouveau mis en garde contre toute intervention extérieure dans le conflit, promettant une riposte rapide et foudroyante.

Un conseiller de la présidence ukrainienne a laissé entendre que Kiev pourrait attaquer des cibles militaires en Russie.

La Russie attaque l’Ukraine et tue les civils. L’Ukraine se défendra par tous les moyens, y compris avec des frappes sur des entrepôts et des bases des assassins russes. Le monde reconnaît ce droit, a écrit jeudi sur son compte Twitter Mykhaïlo Podoliak.

Sur le terrain économique, le groupe russe Gazprom a annoncé mercredi avoir suspendu toutes ses livraisons de gaz à la Bulgarie et à la Pologne, assurant que ces deux pays n’avaient pas payé en roubles, comme l’exige depuis mars Vladimir Poutine.

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a dénoncé un « chantage au gaz » et affirmé que ces deux pays membres de l’UEUnion européenne et de l’OTANOrganisation du traité de l’Atlantique nord, très dépendants du gaz russe, étaient désormais approvisionnés par leurs voisins de l’Union européenne.

Les ministres européens chargés de l’énergie se réuniront le 2 mai en session extraordinaire, selon la présidence française de l’Union européenne.

Pour soutenir l’économie ukrainienne, la Commission européenne a proposé mercredi de suspendre pendant un an tous les droits de douane sur les produits importés de ce pays dans l’UEUnion européenne. La proposition doit encore être approuvée par le Parlement européen et les 27 États membres.

Le président Volodymyr Zelensky a salué la proposition, accusant la Russie de tenter de provoquer une crise mondiale des prix et le chaos sur le marché alimentaire mondial.

Par Radio-Canada avec Agence France-Presse

« L’Ukraine est une scène de crime », affirme le procureur de la CPI 

avril 13, 2022
Des journalistes se rassemblent autour de deux hommes qui transportent un sac mortuaire.

Des corps sont exhumés et retirés d’un charnier sur le terrain de l’église Saint-André et Pyervozvannoho Toussaint, dans la ville ukrainienne de Boutcha. Photo: AFP via Getty Images/Sergei Supinsky

« Une scène de crime. » Tels sont les mots employés par le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), le Britannique Karim Khan, pour décrire la situation en Ukraine lors d’une visite à Boutcha, près de Kiev.

Nous sommes ici parce que nous avons de bonnes raisons de croire que des crimes relevant de la compétence de la Cour sont commis. Nous devons transpercer le brouillard de la guerre pour parvenir à la vérité, a-t-il déclaré lors d’une visite de la ville où des centaines de civils ont été retrouvés morts après l’occupation russe, selon les autorités ukrainiennes.Le procureur de la Cour pénale internationale assis pour une entrevue.

Le procureur de la Cour pénale internationale, le Britannique Karim Khan Photo: Reuters/Staff

Il a ajouté qu’une équipe médico-légale de la Cour pénale internationaleCPI se préparait à travailler afin que nous puissions vraiment séparer la vérité de la fiction.

La Cour pénale internationale a annoncé l’ouverture d’une enquête le 2 mars dernier sur la situation en Ukraine depuis le 21 novembre 2013. L’enquête ne se limite pas à l’offensive lancée par la Russie le 24 février dernier, mais couvre toutes les allégations passées et présentes de crimes de guerre […] sur toute partie du territoire de l’Ukraine par toute personne. L’enquête pourrait notamment s’étendre à l’annexion de la Crimée, en 2014, puis à la guerre du Donbass, dans l’est de l’Ukraine.

Le maire de Boutcha a déclaré mercredi que les corps de 403 personnes ont été retrouvés depuis le retrait des forces russes à la fin mars, une information qui n’a pu être vérifiée de manière indépendante.

La découverte de ces corps a suscité l’indignation de la communauté internationale, menant des pays occidentaux, dont le Canada(Nouvelle fenêtre), à annoncer de nouvelles sanctions économiques contre Moscou. Le président ukrainien et des leaders européens n’ont pas hésité à qualifier de « génocide » les agissements de la Russie en Ukraine, un terme lourd de sens maintenant brandi par le président américain Joe Biden et le premier ministre canadien Justin Trudeau.

Le Kremlin rejette ces allégations, qualifiant le massacre de civils présumé de truqué.

Un rapport dénonce les exactions commises par l’armée russe

Une autre enquête menée par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) fait état de violations flagrantes des droits de la personne de la part des troupes russes depuis l’invasion de l’Ukraine.

Le rapport est tiré d’une mission indépendante de lOrganisation pour la sécurité et la coopération en Europe’OSCE réalisée avant la découverte de cadavres à Boutcha.

Les auteurs du rapport évoquent les nombreuses attaques d’hôpitaux, de maisons et d’immeubles résidentiels, de propriétés culturelles, d’écoles, d’infrastructures d’eau et d’électricité.

Les experts de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en EuropeOSCE mentionnent aussi des preuves crédibles de torture et de traitements dégradants.

La mission ajoute que si la Russie avait respecté ses obligations en matière de droit international après avoir envahi l’Ukraine le 24 février, le nombre de civils tués ou blessés aurait été nettement inférieur , citant en exemple le siège de Marioupol, port stratégique du sud-est de l’Ukraine.

Le rapport mentionne des violations commises par les forces ukrainiennes, notamment en matière de traitement de prisonniers de guerre, mais souligne que celles commises par la Fédération russe sont bien plus importantes de par leurs nature et envergure.

L’OSCE s’est appuyée sur des sources officielles et des preuves recueillies par des organisations non gouvernementales (ONG) pour en arriver à ces conclusions. La Russie a refusé de coopérer à son enquête.

Radio-Canada avec les informations de Agence France-Presse

CPI – Côte d’Ivoire : Charles Blé Goudé ne sera pas indemnisé pour ses années en prison

février 11, 2022
Charles Blé Goudé à la CPI, le 28 janvier 2016. © Peter Dejong/AP/SIPA

Définitivement acquitté de crimes contre l’humanité le 31 mars dernier, l’ancien ministre de Laurent Gbagbo réclamait jusqu’à 819 300 euros de dommages et intérêts.

Pour justifier le rejet de la demande d’indemnisation de Charles Blé Goudé, les trois juges chargés de statuer ont estimé que les droits à un procès équitable avait été « garantis, et non pas enfreints, au cours de la procédure pénale intentée à son encontre ». Selon eux, il n’y a pas eu « des preuves concrètes d’une violation si grave et exceptionnelle que la bonne administration de la justice en a été mise en cause ». « À chaque étape de la procédure, une chambre a supervisé le processus, et les actions de l’accusation ont été minutieusement examinées », écrivent les juges. En bref, « aucune erreur judiciaire grave et manifeste » n’aurait été commise.

Signé de ses avocats Geert-Jan Knoops et Claver N’dri, la demande de l’ancien ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo avait été déposée le 9 septembre. Après quelques observations écrites, une audience s’est tenue le 16 décembre 2021 à La Haye.

« Graves et manifestes erreurs de la justice »

Pour chiffrer leur demande à 819 300 euros, la défense de Charles Blé Goudé avait effectué plusieurs calculs. Ils avaient d’abord recensé le nombre de jours (1 778) que l’ancien accusé de la Cour pénale internationale (CPI) a passé derrière les barreaux entre son transfert dans le pénitencier de Scheveningen, le 22 mars 2014, et sa libération conditionnelle, le 1er février 2019. Puis le temps écoulé jusqu’à son acquittement définitif, le 31 mars 2021 (790 jours), et enfin le nombre de jours écoulés depuis (163). Au total, 2 731 jours, qu’ils souhaitaient voir indemnisés à hauteur de 300 euros.

Ils proposaient également un autre calcul, qui ne faisait débuter les « graves et manifestes erreurs de la justice » qu’en 2018, lorsque le procureur de la CPI avait refusé d’abandonner le dossier, ce qui les avaient amenés à réclamer 381 900 euros. Aucune de ces deux demandes n’a donc été acceptée par les juges de la CPI.

Avec Jeune Afrique par Vincent Duhem

Mama Koité Doumbia : « Les accusés de la CPI intéressent malheureusement plus que les victimes »

septembre 24, 2021
Mama Koite Doumbia

Présidente du Fonds au profit des victimes de la Cour pénale internationale (CPI), un organe peu connu de l’institution, la Malienne Mama Koité Doumbia et son équipe se battent pour venir en aide aux victimes.

C’est l’une des figures de la défense des droits humains en Afrique de l’Ouest. Depuis 2016, Mama Koité Doumbia tente de venir en aide aux victimes des crimes les plus graves grâce à un organe peu connu de la Cour pénale internationale : le fonds pour l’indemnisation des victimes. Ouganda, Côte d’Ivoire, Mali, Centrafrique, RDC… Après les procès de Laurent Gbagbo, de Jean-Pierre Bemba ou encore de Bosco Ntaganda, c’est elle et son équipe qui ont pris le relais. Entretien. 

Jeune Afrique : Qu’est-ce que le Fonds au profit des victimes et à quoi sert-il ?

Mama Koité Doumbia : Le Fonds répond aux préjudices liés aux crimes relevant de la compétence de la CPI en apportant des réparations [financières] et en proposant des programmes d’assistance aux victimes et à leurs familles. Le conseil du fonds d’indemnisation que je préside a été mis en place pour aller chercher des financements. C’est spécifique à la Cour pénale internationale car les tribunaux ad hoc, comme le TPIY (tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie) ou le TPIR (tribunal pénal international pour le Rwanda) ne s’en occupaient pas.

LES ÉTATS POURRAIENT DAVANTAGE PRENDRE LEURS RESPONSABILITÉS DE DÉDOMMAGEMENT DES VICTIMES

Comment ce fonds est-il financé ?

Les textes disposent qu’il doit être approvisionné par la contribution volontaire des États. Cependant, ils ne sont pas tenus de verser un montant minimal. Des fondations, et parfois même des individus, contribuent. Les États pourraient davantage prendre leurs responsabilités de dédommagement des victimes. Nous tentons de sensibiliser les gouvernants. Mais malheureusement, les procès et les accusés attirent davantage l’attention que les victimes.

Les pays africains contribuent-ils ?

Nous n’avons pas les financements à la hauteur de nos ambitions. La majorité des victimes des affaires que nous traitons se trouvent en Afrique, mais les pays africains ne contribuent malheureusement pas assez. Sur le continent, seulement six États l’ont alimenté : la RDC, l’Afrique du Sud, le Sénégal, le Mali, la Sierra Leone, et le Nigeria. L’Afrique représente seulement 16% des contributions volontaires quand l’Europe occidentale émarge à 42%. J’ai tiré la sonnette d’alarme, sans effet pour le moment. Il faut dire que la pandémie de Covid-19 a été un coup dur pour les économies de tous les pays. Ça ne nous a pas aidé.

Y-a-t-il une procédure de saisine des biens des personnes condamnées ?

Oui, mais dans la plupart des cas, l’auteur est indigent [par rapport aux indemnisations demandées, NDLR]. Le juge nous donne alors un mandat d’ordonnance pour trouver les financements ailleurs. C’est le cas dans l’affaire du Malien Ahmad Al Mahdi [condamné par la CPI à 9 ans de prison en 2016 pour la destruction des mausolées de Tombouctou, NDLR] : on nous a donné pour mission de trouver 2,7 millions d’euros afin d’aider à la reconstruction de Tombouctou. De telles procédures ont également été engagées pour les affaires Thomas Lubanga, Germain Katanga et Bosco Ntaganda.

Dans le dossier Ahmad Al Mahdi, nous avons davantage entendu parler du versement d’un euro symbolique…

Cet euro symbolique était à destination de l’Unesco et de l’État malien, afin de leur reconnaître le statut de victime. L’organisation onusienne avait participé à l’entretien des mausolées de Tombouctou, inscrits sur la liste du patrimoine mondial. L’Unesco avait donc subi un préjudice. Pour le Mali, il y a eu un préjudice moral.

En plus de cette réparation symbolique, 2,7 millions d’euros seront versés aux familles traditionnelles au titre de réparations individuelles, car les monuments leur appartiennent. À ce jour, nous n’avons réuni que la moitié de cette somme, qui a déjà été versée à 500 familles. Le Canada s’est engagé à alimenter la seconde moitié. Avec cet argent, nous mettrons en place des activités génératrices de revenus, ainsi que la sécurisation du site afin d’éviter de futurs dommages. Nous comptons aussi relier ces zones au réseau électrique, les rendant ainsi fonctionnelles pour les populations qui tirent leurs ressources du tourisme.

Le versement des réparations aux victimes prend souvent des années. Que répondez-vous à ces critiques sur la lenteur des procédures ? 

Elles sont fondées ! Prenons l’exemple du cas Ntaganda en RDC. Parmi les victimes, il y a des enfants-soldats et des enfants nés de l’esclavage sexuel, pour des faits survenus en 2002 et en 2003. Aujourd’hui encore, nous travaillons sur l’identification des victimes. Cela signifie qu’elles seront dédommagées, au mieux, en 2022… Mais nous y travaillons. Un rapport est en cours pour réduire la lourdeur administrative et le temps d’attente des victimes. De nombreuses recommandations sont attendues.

NOUS INDEMNISONS LES VICTIMES MÊME SI JEAN-PIERRE BEMBA ET LAURENT GBAGBO SONT ACQUITTÉS

Jean-Pierre Bemba et Laurent Gbagbo ont finalement été acquittés. Pourtant, dans ces deux affaires, des crimes ont bien été commis en Centrafrique et en Côte d’Ivoire. Le fonds viendra-t-il tout de même en aide aux victimes?

Oui, nous indemnisons les victimes même si les accusés sont acquittés. Nous avons déjà commencé pour le cas de Jean-Pierre Bemba : six programmes ont été mis en place en Centrafrique. Nous allons bientôt initier le processus en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, sur tout le continent, nous en sommes à 28 programmes d’indemnisation.

Dans quelques semaines vous quitterez la présidence du conseil du fonds d’indemnisation. À 72 ans, allez-vous prendre votre retraite?

Je souhaiterais être, de façon bénévole, ambassadrice du fonds au Mali. Je connais cette institution, je la porte en moi, et je compatis aux souffrances des victimes.

Je suis présidente de la Plateforme des femmes leaders du Mali et membre du Réseau francophone égalité femmes-hommes de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). La question des violences faites aux femmes dans les conflits ainsi que celle de leur présence dans les processus de décision sont des questions qui me tiennent à cœur.

Avec Jeune Afrique par Achraf Tijani

Le Soudan va remettre Omar el-Béchir et d’anciens dirigeants recherchés à la CPI

août 11, 2021

Omar el-Béchir, le 20 mars 2008 à Damas.

Le Soudan va remettre à la Cour pénale internationale (CPI) plusieurs de ses anciens dirigeants, dont Omar el-Béchir, recherchés notamment pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre lors du conflit au Darfour.

« Le Conseil des ministres a décidé de remettre les personnes recherchées à la Cour pénale internationale », a déclaré mercredi la ministre des Affaires étrangères, Mariam al-Mahdi, selon l’agence officielle Suna, lors d’une rencontre avec le nouveau procureur général du tribunal basé à La Haye, Karim Khan, en visite à Khartoum.

300 000 morts

Le conflit au Darfour, région de l’Ouest, a opposé à partir de 2003 le régime à majorité arabe d’Omar el-Béchir et des rebelles issus de minorités ethniques s’estimant marginalisées. Il a fait environ 300 000 morts et près de 2,5 millions de déplacés, en majorité durant les premières années de violences, d’après les Nations unies.

Après des mois d’un mouvement populaire inédit, Omar el-Béchir a été renversé en avril 2019. Reconnu coupable de corruption en décembre 2019, il est actuellement détenu à la prison de Kober, à Khartoum. L’ancien président est aussi jugé par la justice de son pays pour son rôle dans le coup d’État qui l’a porté au pouvoir en 1989, mais son procès a été à plusieurs reprises reporté depuis juillet 2020.

« Coopération illimitée » avec la CPI

Deux autres pontes du régime seront remis à la CPI : Ahmed Haroun, ex-gouverneur de l’État du Kordofan-Sud, et Abdel Rahim Mohamed Hussein, ancien ministre de la Défense, recherchés pour les mêmes motifs. Arrêtés après la chute d’Omar el-Béchir, ils sont actuellement détenus au Soudan.

En octobre 2020, un accord de paix historique signé entre le gouvernement de transition et plusieurs groupes rebelles insistait sur la nécessité d’une « coopération complète et illimitée » avec la CPI. Et la semaine dernière, le cabinet ministériel soudanais a voté en faveur de la ratification du Statut de Rome. La ministre soudanaise a souligné mercredi « l’importance » de la coopération de son pays avec la CPI « pour obtenir justice pour les victimes de la guerre du Darfour ».

Par Jeune Afrique avec AFP

Côte d’Ivoire: la justice internationale abandonne les poursuites contre Simone Gbagbo

juillet 29, 2021
Cote d'Ivoire: la justice internationale abandonne les poursuites contre Simone Gbagbo
Côte d’Ivoire: la justice internationale abandonne les poursuites contre Simone Gbagbo© AFP/SIA KAMBOU

Simone Gbabgo n’est plus poursuivie par la justice internationale: le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale contre l’ex-Première dame ivoirienne, accusée de crimes contre l’humanité lors de la crise de 2010-2011 a été levé.

« La Chambre considère qu’il est approprié de décider que le mandat d’arrêt contre Simone Gbagbo cesse d’être effectif », écrit la CPI, répondant à une demande du procureur, dans une décision de 7 pages, datée du 19 juillet et rendue publique jeudi soir.

« Bonne nouvelle pour Mme Simone Gbagbo (…), elle pourra désormais librement voyager à travers le monde entier », a réagi son avocat Ange Rodrigue Dadjé, dans une déclaration transmise à l’AFP.

« Cette levée du mandat vient boucler définitivement les poursuites dont faisaient l’objet les Gbagbo devant la CPI », a-t-il ajouté.

Simone Gbagbo était réclamée depuis 2012 par la CPI pour quatre chefs de crimes contre l’humanité, à savoir meurtre, viol, autres actes inhumains et persécution, commis pendant la crise post-électorale de 2010-2011.

Cette crise, née du refus de Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite à la présidentielle de 2010 face à Alassane Ouattara, avait fait plus de 3.000 morts.

En mars dernier, la CPI avait définitivement acquitté Laurent Gbagbo, également poursuivi pour crimes contre l’humanité et il avait pu faire son retour en Côte d’Ivoire le 17 juin, après dix ans d’absence.

Contrairement à son époux, Simone Gbagbo n’avait jamais été livrée à la CPI. Abidjan a toujours estimé être en mesure de la poursuivre pour les mêmes crimes que ceux lui étant reprochés par la Cour.

Elle avait été condamnée en mars 2015 à 20 ans de prison à Abidjan pour atteinte à la sûreté de l’Etat.

Insuffisant aux yeux de la justice internationale qui estimait que la Côte d’Ivoire « ne prenait pas de mesures tangibles » pour juger Mme Gbagbo pour les mêmes crimes que ceux allégués par la CPI.

Elle avait finalement été libérée le 8 août 2018, après sept ans de détention, à la suite d’une amnistie décrétée par le président Alassane Ouattara afin de favoriser la réconciliation nationale.

Divorce

Une réconciliation qui se poursuit depuis le retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire.

Mardi, il a été reçu à la présidence par son ancien rival Alassane Ouattara, pour la première fois depuis plus de dix ans.

La rencontre s’est déroulée dans une atmosphère chaleureuse: les deux hommes se sont donné l’accolade, tenu la main et échangé plusieurs éclats de rire.

« Cette crise a créé des divergences mais cela est derrière nous », a notamment affirmé M. Ouattara.

Mais si la réconciliation nationale avance en Côte d’Ivoire, la rupture est désormais consommée au sein du couple Gbagbo.

A peine rentré en Côte d’Ivoire, l’ancien président a demandé le divorce d’avec son épouse en raison de son « refus réitéré depuis des années de consentir à une séparation à l’amiable ».

Le couple est marié depuis 1989 et a deux filles ensemble.

Laurent Gbagbo a effectué son retour en Côte d’Ivoire avec Nady Bamba, une ex-journaliste de 47 ans, sa compagne depuis le début des années 2000 à laquelle il est uni par un mariage coutumier.

Reste à savoir si Simone Ggabgo, 72 ans, va désormais décider d’embrasser une carrière politique seule, après avoir formé un redoutable tandem avec l’ancien président au pouvoir de 2000 à 2011.

Par Le Point avec AFP

Soudan – Alaa Salah : « La CPI doit juger Omar el-Béchir et tous ses complices »

juin 5, 2021
Alaa Salah le 20 mai 2021, à Paris

Icône de la révolution qui a précipité la chute d’Omar el-Béchir, Alaa Salah continue de réclamer justice et de porter la voix des femmes et de la jeunesse, déterminés à chasser les militaires du pouvoir.

« Ce n’est pas les balles qui tuent, c’est le silence du peuple. » Pour porter le message des révolutionnaires soudanais à la tribune de la Conférence internationale d’appui à la transition, organisée à Paris le 17 mai, Alaa Salah a revêtu son toub, sa tenue de combat. La même toge blanche qu’elle portait le 8 avril 2019, trois jours avant la chute d’Omar el-Béchir, dans une vidéo qui a fait d’elle le symbole du soulèvement. Juchée sur le toit d’une voiture au milieu du sit-in de la place al-Qiyadah de Khartoum, drapée dans ce vêtement devenu l’uniforme des opposantes au régime militaire, elle entonnait alors un chant révolutionnaire auquel répondait la foule des manifestants.

Lors de notre rencontre, dans la foulée du sommet élyséen qui a abouti à l’annulation de près de 5 milliards de dollars de dette, cette militante de 25 ans issue d’une famille aisée de Khartoum a opté pour un tailleur noir plus occidental, un chemisier à fleurs et un foulard bleu. Mais c’est surtout sa détermination qui retient l’attention.

Deux ans après la fin de l’ancien régime et dans la perspective des élections générales de 2022 qui doivent clore la transition, elle raconte le combat ininterrompu des révolutionnaires dans « Le chant de la révolte », co-écrit avec le journaliste Martin Roux, et dit tout à la fois la défiance vis-à-vis des militaires qui détiennent toujours une partie du pouvoir, la soif de justice pour les victimes et l’impatience face aux promesses non tenues. Entretien.

Jeune Afrique : Vous vous êtes exprimée lors de la Conférence internationale de soutien à la transition démocratique au Soudan. Pourquoi était-il important pour vous d’y participer ?

Alaa Salah : L’objectif de cette conférence était de soutenir le développement du Soudan et notre pays en a énormément besoin, surtout en ce moment. Nous avons hérité de dettes colossales de l’ancien régime et nous payons un lourd tribut au quotidien. On le voit partout dans les rues. Cette conférence a déjà donné des premiers résultats, dont l’annulation de la dette par la France mais aussi des promesses venant d’autres États. Je suis sûre que cela aura un impact positif sur l’économie.

CES IMAGES SONT VENUES METTRE LA LUMIÈRE SUR NOTRE COMBAT PACIFIQUE

Nous sommes reconnaissants à Emmanuel Macron et à la France d’avoir invité la jeunesse, de lui avoir donné l’opportunité de s’exprimer. Nous sommes là pour parler du nouveau Soudan, le Soudan post-révolution.

Les images du 8 avril 2019, où l’on vous voit chanter sur la place al-Qiyadah de Khartoum, ont fait le tour du monde et ont fait de vous le symbole de la révolution. Comment assume-t-on une telle responsabilité ?

En tant que révolutionnaires, nous sommes tous d’accord pour dire que nos rôles respectifs se complètent, personne ne joue un rôle plus important qu’un autre. Mais alors que l’ancien régime a tenté d’isoler le Soudan du reste du monde en bannissant toute présence médiatique dans le pays, ces images sont venues mettre la lumière sur notre combat pacifique. Elles ont porté le message de notre révolution dans le monde entier.

Lorsque je regarde ces images aujourd’hui, je ne me vois pas moi, Alaa Salah, je vois la femme soudanaise. Son courage, sa volonté, sa force. Les femmes ont toujours été en première ligne dans cette lutte, elles représentaient 60 % des participants dans les manifestations.

Historiquement, les Soudanaises ont toujours été actives dans les mouvements sociaux. Votre grand-mère a participé à la révolution de 1964, votre mère à celle de 1985. Cela a été décisif dans votre engagement ? 

Elles m’ont bien évidemment inspirée. Mais c’est surtout la révolution de septembre 2013 qui m’a marquée. Ma sœur, qui avait à l’époque le même âge que moi aujourd’hui, y a participé mais moi, je n’en avais pas le droit, on me disait que j’étais trop jeune pour descendre dans la rue. Cela m’a mise en colère, je n’ai pas participé à cette révolution comme je l’aurais voulu.

En 2019, j’ai ressenti que c’était le moment pour moi. Je savais qu’il fallait par tous les moyens faire partie de ce mouvement.

L’armée a remis le 15 mai les résultats de son enquête sur le massacre perpétré le 3 juin sur la place Qiyadah, et durant lequel au moins 130 personnes ont été tuées par la police et les paramilitaires, dressant une liste de soldats impliqués. Faites-vous confiance aux militaires pour que justice soit faite ?

Nous n’avons jamais eu confiance en eux. Ils donnent aujourd’hui quelques noms de soldats, mais le premier jour de la révolution, ils étaient des milliers, de toute appartenance, à nous empêcher de manifester. C’est plus facile de rejeter la responsabilité sur une ou deux personnes.

C’EST À NOUS DE DIRE AUX MILITAIRES DE DÉGAGER. C’EST NOTRE RÉVOLUTION

Les militaires qui sont aujourd’hui au gouvernement ne mènent pas l’enquête correctement parce qu’ils sont eux-mêmes impliqués dans les massacres. Leurs déclarations se contredisent, leurs mains sont sales, elles sont tachées du sang de nos martyrs. Nous n’allons pas fermer les yeux sur leurs crimes.

Omar el-Béchir est recherché par la Cour pénale internationale (CPI) depuis 2009. Êtes-vous favorable à ce qu’il soit jugé à La Haye ?

Oui, nous attendons beaucoup de la CPI. Mais elle ne doit pas juger seulement Omar el-Béchir, elle doit juger ses complices, toutes les personnes impliquées dans des crimes contre l’humanité et la violation de droits humains. Le jour où cela sera fait, nous pourrons considérer que justice a été faite, en toute transparence, et qu’il n’y a pas d’impunité.À LIRE Pour l’icône de la contestation au Soudan, la mobilisation ne doit pas faiblir

Je ne dis pas que nous n’avons pas confiance dans la justice soudanaise, mais elle a été très corrompue, comme l’ensemble des institutions. Omar el-Béchir a déjà comparu lors de plusieurs procès mais il a dû répondre de chefs d’accusation qui sont pour nous dérisoires [corruption et atteinte à l’ordre constitutionnel]. Ce qu’il a fait dépasse de loin ces questions.

La loi sur l’ordre public, qui restreignait les libertés des femmes, a été abrogée en novembre 2019. Qu’est-ce que cela a changé concrètement pour les Soudanaises ?

La société soudanaise est une société très riche par sa culture, c’est ce qui nous rend unique, mais l’ancien régime a tenté de créer un moule pour tout le monde, surtout pour les femmes. La loi de 1991 restreignait les libertés des Soudanaises et elle donnait une sorte d’autorité à tout le monde pour leur demander de rendre des comptes, pour leur imposer une façon de s’habiller. Parfois, les choses allaient très loin, il y avait des violences, des insultes dans la rue. Et si nous nous rassemblions pour faire entendre notre voix, cela se soldait toujours par des arrestations, des agressions et des poursuites judiciaires.

Les choses ont beaucoup changé aujourd’hui. Le fait d’avoir abrogé cette loi nous a permis d’avoir plus de libertés, de revendiquer nos droits, de parler de notre quotidien, des questions qui nous intéressent.

LES ÉLECTIONS DE 2022 SONT NOTRE SEUL ESPOIR, NOTRE SEUL MOYEN D’ASSEOIR UN ÉTAT CIVIL

Vous affirmez dans votre livre Le chant de la révolte soutenir le gouvernement civil tout en reconnaissant que sa marge de manœuvre est limitée. Vous paraît-il possible aujourd’hui de renvoyer les militaires dans les casernes ?

Depuis l’indépendance, le Soudan a vécu plus de cinquante ans sous le joug militaire. Pendant toutes ces années, les militaires n’ont rien fait pour le pays. Bien au contraire, ils l’ont anéanti. Ces moments ont été très difficiles pour les Soudanais.

Aujourd’hui, les militaires ne peuvent plus faire comme bon leur semble. Ce sont nos décisions, c’est notre révolution. Et c’est à nous de leur dire de partir. Comme le disaient nos slogans pendant la révolution, il n’y a pas de place pour eux.

« Le chant de la révolte – le soulèvement soudanais raconté par son icône » de Alaa Salah et Martin Roux, éditions Favre

Qu’espérez-vous du scrutin de 2022 ? Les élections pourront-elles être libres ?

Oui, et je dirais même que c’est notre seul espoir. Sous l’ancien régime, les résultats étaient connus d’avance, les élections n’étaient jamais transparentes. Aujourd’hui, les femmes, la jeunesse travaillent ensemble pour préparer cette nouvelle étape, notre seul moyen pour asseoir un État civil.

Lorsque la révolution a débuté, vous étiez étudiante en architecture. Comment envisagez-vous votre avenir ?

L’architecture a toujours été un rêve pour moi et pour mon père, je ne veux pas l’abandonner. Le problème, c’est que les universités privées, comme celle où j’étudiais, appartiennent à des membres de l’ancien régime. J’ai donc dû faire un choix pour rester fidèle à la cause et renoncer à mon diplôme.

Il serait difficile pour moi de continuer mes études au Soudan, je serai toujours la cible de pressions académiques et psychologiques. Je préférerais le faire à l’étranger, dans une université où l’on respecte mes idées. Mais cela ne m’empêchera pas de poursuivre le combat.

Avec Jeune Afrique par Julie Gonnet

CPI : Dominic Ongwen, l’ex-enfant soldat devenu chef de guerre, condamné à 25 de prison

mai 6, 2021
Dominic Ongwen à la Cour pénale internationale de La Haye le 6 décembre 2016.

La Cour pénale internationale a rendu son verdict, le 6 mai. Reconnu coupable de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, l’Ougandais purgera une peine de 25 ans de prison.

Les souvenirs d’Hellen sont encore très précis. C’était le 29 avril 2004. La nuit commençait à tomber lorsque des rebelles ont attaqué. Une trentaine d’éléments de l’Armée de résistance du Seigneur (la LRA de Joseph Kony) ont fait irruption dans le camp d’Odek, dans le nord de l’Ouganda, où vivaient entre 2 000 et 3 000 personnes déplacées. Certains des assaillants avaient moins de 15 ans.

Dès qu’elle a entendu les premiers coups de feu, Hellen Adong s’est réfugiée dans sa maison avec ses enfants. Mais un soldat de la LRA parvient à enfoncer la porte et la force à quitter le camp. Enlevée pendant 24 heures, elle finira par rentrer chez elle. L’un de ses enfants, un nouveau-né trop éprouvé par l’absence, mourra quelques jours plus tard.

Au total, dix civils seront tués au cours de cette attaque, et une quarantaine enlevés. Certains sous les yeux d’Hellen Adong, qui fait partie des quelque 130 personnes qui ont témoigné au procès de Dominic Ongwen devant la Cour pénale internationale (CPI). Celui-ci s’était ouvert le 6 décembre 2016 à La Haye.

Commandant du groupe rebelle

Les hommes qui ont attaqué le camp d’Odek, ont établi les juges de la CPI, agissaient sous les ordres de Dominic Ongwen, alors âgé de 29 ans. C’est lui qui a organisé l’assaut, ordonnant à enlèvements et pillages. Selon la Cour, il obéissait lui-même aux ordres de Joseph Kony, qui estimait que les habitants d’Odek devaient être punis « pour leur manque de soutien de la LRA ».

L’Ougandais purgera une peine de 25 années de prison pour cette attaque et celles d’autres camps de réfugiés. Le 4 février dernier, la chambre de première instance de la Cour l’avait reconnu coupable de 61 crimes au total pour des faits commis entre le 1er juillet 2002 et le 31 décembre 2005, alors qu’il était le commandant de la brigade Sinia de la LRA. Il a notamment été reconnu coupable de crimes sexuels et du crime de grossesse forcée, une première dans l’histoire de la CPI.

Le procès aura aussi permis de démontrer que Dominic Ongwen a recruté et utilisé des enfants soldats. Lui-même avait été kidnappé par la LRA sur le chemin de l’école alors qu’il n’était qu’un enfant. Sa mère aurait été tuée au cours de son enlèvement. Ongwen s’était finalement enfui du groupe rebelle en 2014, avant de se rendre aux membres de la Seleka, en Centrafrique, qui l’avait elle-même remis aux Américains. Il avait ensuite été transféré à La Haye en janvier 2015.

Victime et bourreau

La défense de ses avocats a précisément reposé sur l’histoire si particulière de l’accusé, à la fois victime de la LRA et responsable de crimes commis par la LRA. « La condamnation qui sera prononcée fera jurisprudence dans la manière dont la justice sera rendue pour les anciens enfants soldats », affirmait à Jeune Afrique l’un de ses conseils, Charles Taku, à quelques jours du verdict.

Le chef de guerre Joseph Kony, le 31 juillet 2006.

« Dominic Ongwen a souffert pendant des années de l’emprise de Joseph Kony, avait eu soin d’ajouter l’avocat. Son transfert à La Haye n’est que la continuation de tout ce qu’il a subi. » Pour ses défenseurs, les problèmes de santé mentale dont souffre leur client sont également à prendre en compte. Dominic Ongwen, qui a plusieurs fois menacé de se suicider au cours de son incarcération et qui souffre de stress post-traumatique, demeure très fragile psychologiquement, affirme Charles Taku, qui avait affirmé qu’il n’était pas en état d’assister au procès.

Les juges ont toutefois décidé que l’enfance de Dominic Ongwen ne l’exonérait pas de sa culpabilité, tout en reconnaissant qu’il avait «  beaucoup souffert ». « Nous ne nions pas que Dominic Ongwen a été victime d’un enlèvement lui-même, avait déclaré le premier substitut de la procureure, Benjamin Gumpert. Mais il ne peut être exonéré de ses crimes pour autant. » Le substitut avait alors dressé un parallèle avec les victimes de crimes sexuels qui se rendaient coupables, par la suite, de crimes similaires.

Dans une déclaration adressée à la Cour, l’accusé avait nié les crimes dont on l’accusait. « Je ne peux pas demander pardon à quiconque dans le nord de l’Ouganda alors que d’autres que moi étaient corrompus et encourageaient [cette guerre] », avait-il lancé.

Pouvoirs surnaturels

Autant d’arguments rejetés par les victimes. « Dans son jugement, la chambre indique clairement que Dominic Ongwen était capable de savoir ce qu’il faisait et l’implication de ses ordres », rappelle Paolina Massidda, qui représente plus de 1 500 victimes. Elle insiste sur la « cruauté » dont Dominic Ongwen a fait preuve : « Bien sûr, les traumatismes vécus enfant peuvent affecter les personnes adultes, mais chacun peut choisir d’y répondre d’une certaine manière. La gravité des crimes qu’il a commis doit être le seul élément pris en compte par la chambre. »

Pour ses avocats, Dominic Ongwen peut d’autant moins être reconnu coupable des crimes dont on l’accuse qu’il était persuadé, comme nombre de combattants de la LRA, que Joseph Kony disposait de pouvoirs surnaturels. « Il croyait que son chef était un esprit, qu’il pouvait lire les pensées des autres hommes ou entendre certaines conversations. Parfois, on lisait la peur dans ses yeux, j’imagine qu’il se disait alors que son chef était capable d’entendre ce qu’il nous racontait », a relevé l’un des experts chargé de l’analyse psychiatrique de l’accusé au cours du procès.

Charismatique, tout-puissant, Joseph Kony, qui exerçait une réelle emprise sur ses hommes, affirmait être possédé par des esprits supérieurs, lui permettant de prévoir le futur ou de guérir les malades. Selon les Nations unies, la LRA aurait tué plus de 100 000 personnes en Afrique centrale et enlevé plus de 60 000 enfants. Dominic Ongwen est le seul membre du groupe rebelle à avoir été jugé.

Joseph Kony est, quant à lui, considéré comme étant toujours en fuite et il fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI. Dans le cas d’Ongwen, la défense a déjà annoncé qu’elle allait faire appel.

Avec Jeune Afrique par Marième Soumaré

Côte d’Ivoire: Simone Ehivet Gbagbo danse suite à l’acquittement de Laurent Gbagbo à la CPI

mars 31, 2021

Avec ABC Plus