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«Petit traité sur le racisme»: le racisme dans l’œil de Dany Laferrière

juin 15, 2021

Un an après le meurtre de George Floyd et la recrudescence du mouvement Black Lives Matter, Dany Laferrière publie Petit traité sur le racisme, un essai littéraire – ou «triste bouquin», comme il le qualifie lui-même – qui explore cet enjeu complexe.

Dany Laferrière

© Fournis par Journal Métro Dany Laferrière

En plusieurs courtes vignettes, il pose son regard d’écrivain sur le racisme. Son ouvrage a une grande portée pédagogique, faisant (re)découvrir aux lecteurs plusieurs personnalités culturelles et historiques incontournables allant de Harriet Tubman à Tupac Shakur.

L’auteur de Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer et de L’énigme du retour revisite l’histoire raciale des États-Unis, rappelant les injustices d’hier d’aujourd’hui, dont les trop nombreuses bavures policières.

Dans Petit traité sur le racisme, il est question des «douleurs fantômes» de l’esclavage, de dynamiques de pouvoir, de la «culpabilité judéo-chrétienne d’une minorité de Blancs», de l’importance de la représentation, du souffle de Miles Davis et des chansons «gorgées de larmes» de Bessie Smith.

Entrevue à partir d’extraits de son ouvrage.

«Je suis conscient de marcher sur une étroite bande au-dessus du vide.» Pourquoi avez-vous pris le pari risqué d’écrire sur un sujet aussi sensible que le racisme?

Oh, c’est un peu une ruse de narration qui sait que le lecteur aime bien assister à la corrida. Mais je sais aussi combien c’est un sujet sensible. On évite ces jours-ci de le prendre à main nue pour ne pas recevoir une trop forte charge électrique. Durant toute ma vie d’écrivain, j’ai toujours affiché un goût pour le risque. J’ai été le premier au Québec, à l’aborder frontalement avec mon premier roman, et cela il y a 35 ans. 

«On doit encore comprendre que le mot Noir ne renferme pas tous les Noirs, de même que le mot Blanc ne contient pas tous les Blancs. Ce n’est qu’avec les nuances qu’on peut avancer sur un terrain si miné.» Trouvez-vous que la plupart des discours sur le racisme manquent de nuance?

On peut comprendre aussi que le discours militant manque de nuances, car le militant estime que s’il entre dans l’arène c’est parce que toutes les règles ont été foulées au pied depuis longtemps. De l’autre côté, on croit que les Noirs ont franchi depuis longtemps aussi les limites tracées. Les Noirs répliquent, avec raison, qu’ils ont les mêmes droits que n’importe qui d’autre, et qu’en ce sens que l’État devrait lui accorder «une égale protection», comme c’est écrit dans la Constitution. En tant qu’écrivain je peux prendre une distance pour rappeler l’Histoire, et aussi élargir le discours vers une direction plus philosophique. Je rappelle que si on lit le livre on verra que ce ton plus nuancé ne m’empêche pas d’avoir une position claire.

«Je tricote ce triste bouquin pour dire deux ou trois choses de cette histoire du racisme.» Vous êtes régulièrement invité à commenter ce sujet dans les médias, où on offre rarement de la perspective. Comment l’écriture de ce livre a-t-elle fait évoluer votre réflexion sur la question?

Je ne commente pas régulièrement ce sujet, je peux dire que j’interviens dans ce genre de débat une fois sur 50. Pourtant on me sollicite sans cesse, et je refuse presque toujours. On me le reproche d’ailleurs. Ces derniers mois, j’étais plus présent, mais quand j’ai vu que je n’arrivais pas à glisser les nuances nécessaires dans une chronique, j’ai pris le parti d’écrire un livre où j’ai de l’espace et une plus grande marge de réflexion. Je suis plus à l’aise à écrire des livres où il faut à la fois avoir une certaine vision du sujet, un sens du rythme, de la musique, il faut pouvoir aussi mesurer l’émotion pour ne pas trop envahir le lecteur. Sur un parcours plus bref, comme le commentaire, on est attiré plus souvent par le cri du cœur, qui entraîne avec lui des bruits divers.

«Quand une femme dit NON / vous devez arrêter / quand un NOIR dit / «J’étouffe» / vous devez arrêter aussi.» Selon vous, y aura-t-il un avant et un après George Floyd, comme il y a eu un avant et un après Harvey Weinstein?

J’ai vu trop d’événements dans ma vie pour émettre de tels jugements. Ce genre de formule ne veut rien dire. C’est peut-être la raison profonde qui m’a poussé à écrire ce livre. La vie collective ne sera jamais à la merci d’un seul événement. J’ai l’habitude de dire qu’il y a eu tant d’événements tragiques durant ces siècles d’esclavages et de racisme, il a fallu qu’une femme fatiguée refuse de céder sa place dans un autobus pour déclencher le plus grand mouvement de protestations du XXe siècle, après le mouvement de Gandhi en Inde. Cela débouchera sur la lutte menée par Martin Luther King pour la pleine jouissance des droits civiques des Noirs aux États-Unis.

À propos du premier film de Spike Lee, She’s Gotta Have It, vous écrivez : «On est passé si près de tordre le cou à cette bêtise qui impose à l’artiste noir de ne parler que de sa condition raciale.» En tant qu’artiste noir, sentez-vous une pression de devoir intervenir sur cet enjeu?

Justement, je n’ai jamais été un artiste noir. Je n’ai jamais entendu un Haïtien dire à Port-au-Prince qu’il est un peintre ou un poète noir, cette question n’arrive que quand on est en présence d’un Blanc. Si on ne veut pas être un Blanc il faut effacer la condition noire, et cela, seule la majorité peut le faire en imposant la notion de citoyenneté dans sa pleine fonction. C’est l’ultime point de cette lutte.

«Je voudrais remettre de la chair et de la douleur dans cette tragédie qu’est le racisme.» N’est-ce pas le rôle de l’écrivain?

Je le crois. Je n’ai pas esquivé non plus les difficultés d’un tel problème. Ce n’est pas un vague appel consensuel, mais je n’ai pas cherché non plus à éteindre le feu avec de la gazoline. Il nous faut être de tous les côtés responsables, tout en sachant que le KKK n’est pas une organisation d’enfants de chœur, et qu’il y a toujours derrière eux, dans les cérémonies nocturnes, une croix en flammes. Le feu est leur allié, mais l’eau (l’esprit) peut l’éteindre.

Petit traité sur le racisme

Aux éditions du Boréal

En librairie le 15 juin

Par Metro avec Marie-Lise Rousseau

Canada: Dany Laferrière, modèle de résilience pour l’Ontarienne Magali Laville

février 20, 2021

En plus de leurs origines caribéennes, c’est au Québec qu’ils arrivent tous deux au pays.

Dany Laferrière tient son épée d'apparat de l'Académie française, en juillet 2015.

© Charles Platiau/Reuters Dany Laferrière tient son épée d’apparat de l’Académie française, en juillet 2015.

D’origine guadeloupéenne, Mme Laville aime parler de son parcours d’immigrante comme le fait aussi Dany Laferrière, Haïtien d’origine.

Sa vie d’immigrante, Magali Laville en parle beaucoup à de nouveaux arrivants au Canada. Elle-même a tiré profit de l’œuvre et de l’expérience de Dany Laferrière pour réussir dans sa vie d’immigrante.

«Dany reflète un certain vécu, un certain ressenti émotionnel de plusieurs personnes qui ont été un jour des immigrés, de nouveaux arrivants dans un pays et comment ils expriment ce ressenti », dit Mme Laville qui se souvient toujours de quelques moments difficiles de sa vie de nouvelle arrivante.

Magali Lavile en 2002 à Montréal dans le studio de la Radio ethnoculturelle CINQ-FM

© Magali Laville Magali Lavile en 2002 à Montréal dans le studio de la Radio ethnoculturelle CINQ-FM

«J’immigre en 2000 au Canada en tant qu’étudiante. Comme Dany, c’est d’abord le choc culturel et le choc du climat quand j’arrive au Québec », raconte-t-elle. Contrairement à Dany Laferrière, c’est en hiver que Mme Laville a atterri à Montréal. «Quand j’ai vu la neige tomber, pour moi c’était une magie totale. Et donc je suis allée toucher la neige, sentir l’air quand elle tombait », se souvient-elle. Après avoir travaillé à Montréal notamment comme journaliste, Magali Laville s’est installée au Quinte West en banlieue torontoise.

Magali Laville avoue avoir fourni beaucoup d’efforts pour «apprendre les mœurs et la culture, mais aussi vivre avec les limites que la société d’accueil fait ressentir discrètement ou visiblement au nouvel immigrant. »

Certaines, parmi ses amies à l’université, ont eu du mal à s’adapter et ont quitté le Canada après une année seulement, raconte-t-elle.

L’Ontarienne retrouve en Dany Laferrière une énergie semblable à la sienne qui lui a permis de résister à la tentation du retour dans son pays d’origine.

L'ontarienne Magali

© Radio Canada/Radio-Canada L’ontarienne Magali

«Dany a pu passer au-dessus de cela à travers les écrits, à travers une espèce de force et de résilience. J’admire la façon dont il traite [ la question ] dans ses œuvres », dit-elle.

Dans une émission à Radio-Canada en 1986, l’écrivain racontait notamment une de ses dures expériences d’immigrant récent à la recherche d’un logement.

«J’ai eu beaucoup de concierges qui ne voulaient pas me louer des appartements parce que j’étais noir. Sur la rue Saint-Hubert, j’avais été louer un appartement, j’avais sonné le concierge était descendu et on parlait à travers la vitre et il a craché sur la vitre qui nous séparait.»

L’auteur considère ce faux pas comme faisant partie des expériences de la vie, lesquelles ont été «beaucoup plus stimulantes », pour lui.

Le livre « Autoportrait de Paris avec chat », de Dany Laferrière, paru à Boréal

© Hamza Abouelouafaa/Radio-Canada Le livre « Autoportrait de Paris avec chat », de Dany Laferrière, paru à Boréal

L’Ontarienne considère Dany Laferrière comme un auteur «riche en création littéraire », mais en même temps un exemple d’intégration et de résilience.

«Il est un représentant de ce que la culture des Caraïbes brassée avec la culture nord-américaine occidentale fait de mieux. Dany Laferrière s’est intégré à une société sans oublier ses racines ni ses origines. Ça, c’est un élément important parce que ça définit notre personnalité. » Magali Laville

Pour Magali Laville, l’écrivain québécois est un modèle aussi bien pour les Caribéens que pour les membres d’autres communautés, et le rencontrer ne peut que laisser des traces dans leur vie.

Lorsqu’elle se sentait découragée, c’est entre autres dans la danse et la musique que Magali trouvait du réconfort.

La rencontre de deux «porte-parole» du créole

Magali Laville sur l'affiche de la célébration du mois de créole 2007 à Montréal.

© Magali Laville Magali Laville sur l’affiche de la célébration du mois de créole 2007 à Montréal.

Magali Laville alors porte-parole du Mois du créole à Montréal, a rencontré Dany Laferrière en 2007 lors d’une émission de radio consacrée à la langue créole. La rencontre était une surprise pour l’Ontarienne, car c’est au studio de la radio ethnoculturelle CPAM qu’elle a appris qu’elle allait passer plus d’une heure avec l’auteur de comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer.

«J’ai retenu de cette rencontre, une simplicité, un rapport humain franc et une forme de discrétion et de délicatesse dans la façon de parler de Dany Laferrière », se souvient-elle

Six ans après l’émission de Montréal, Dany Laferrière deviendra le deuxième Noir et le premier Québécois à être admis à l’Académie française. Cet honneur accordé à Laferrière a procuré à Magali Laville la joie d’immigrante multiculturelle.

«J’accueille cette nouvelle en tant que Guadeloupéenne de nationalité française qui vit au Canada. Cela représente une projection positive sur les jeunes Haïtiens, mais aussi sur les jeunes des différentes communautés culturelles», explique-t-elle.

 Avec Radio-Canada par Freddy Mata 

L’Ordre du Canada à Laferrière et Diane Dufresne

décembre 31, 2015

canada

© Photos: Gorassini Giancarlo/AP et Charles Platiau/Reuters Diane Dufresne et Dany Laferrière.
OTTAWA — En cette fin d’année 2015, le gouverneur général du Canada a procédé mercredi à 69 nominations au sein de l’Ordre du Canada, dont celles de Dany Laferrière, Diane Dufresne, Guy Latraverse et Denise Bombardier.
L’ancien ministre libéral des Affaires étrangères Lloyd Axworthy, qui a contribué à la lutte internationale contre les mines antipersonnel, est promu compagnon, plus haut grade de l’ordre, tout comme le cinéaste torontois Atom Egoyan.
Le grade de compagnon souligne «la prééminence sur la scène nationale, ou les réalisations ou services rendus à l’échelle internationale», alors que le grade d’officier souligne les réalisations au niveau national, et le grade de membre au niveau plus local.
L’ancien grand chef de la nation Huronne-Wendat «Max» Gros-Louis est nommé officier, comme l’écrivain académicien Dany Laferrière, le producteur Guy Latraverse, le romancier et traducteur Daniel Poliquin, l’ex-commissaire fédérale à la protection de la vie privée Jennifer Stoddart, l’avocat d’affaires Brian Levitt, président du conseil du Musée des beaux-arts de Montréal, et l’économiste Marcel Boyer, de l’Institut économique de Montréal.
Denise Bombardier fait quant à elle son entrée dans l’Ordre, à titre de membre, «pour sa contribution en qualité de journaliste, animatrice de télévision, auteure et défenseure de la langue française». Elle sera accompagnée notamment de Sophie Brochu, actuellement pdg de Gaz Métro, de la chanteuse Diane Dufresne, de la comédienne Louise Richer, fondatrice et directrice de l’École nationale de l’humour, du dirigeant de l’entreprise Premier Tech, Bernard Bélanger, de l’ancien dirigeant des épiceries Metro Pierre H. Lessard et du fondateur de l’entreprise beauceronne MAAX, Placide Poulin.
L’écrivain autochtone ontarien Joseph Boyden, prix Giller 2008 pour «Les Saisons de la solitude», devient aussi membre de l’ordre, comme le défenseur des droits des Franco-Ontariens Jean-Marc Lalonde et l’ancien politicien libéral et ex-juge en chef du Nouveau-Brunswick Joseph Daigle.
Les récipiendaires seront invités à recevoir leur insigne au cours d’une cérémonie qui aura lieu «à une date ultérieure» à Rideau Hall.

L’Ordre du Canada a été créé en 1967, lors du centenaire de la fédération. Au cours des 45 dernières années, plus de 6000 personnes de tous les milieux ont été investies de l’Ordre. Les nominations sont faites selon les recommandations du Conseil consultatif de l’Ordre du Canada, à qui les Canadiens peuvent soumettre la candidature d’une personne méritante.

Radio-canada.ca