Il était une fois dans la Grande Terre, en Nouvelle Calédonie, Polynésie française, deux enfants se lavaient au confluent de la mer et de la rivière, à ce bel endroit de l’embouchure en bordure des falaises noires.
Un jour dans la chaleur du climat tropical pendant qu’ils nageaient, s’amusaient, se touchant du bout des pieds, ils se poursuivaient entre le flot de petites vagues candides et timides. Au moment où ils plongeaient en faisant le sous-marin et le dauphin, Jocelyne demanda à Élodie de la rattraper au fond de l’eau dès sa première immersion devant son attention. Elle la suivit quelques instants après. Mais dans la joie de la douceur et la profondeur des eaux, elles entendirent un bruit insolite de glouglou. Prises de panique et de peur, elles remontèrent précipitamment à la surface de l’eau et gagnèrent le rivage avec leur sauvetage.
Sur la vaste baie où elles étaient sur le sable noir, elles virent, à la surface de l’eau, des bulles chaudes dégageant des vapeurs de fumée qui s’élevaient au ciel. Une crête brûlante sortie se dressait sur une tête accompagnée de son cou et d’un plumage de roches qui prenaient la forme d’une poule. Quand elle essaya de remuer ses ailes, la terre trembla et la poussière de la rosée mouilla Jocelyne et Élodie qui assistaient au spectacle. Irrésistiblement, leurs yeux ne pouvaient plus supporter de regarder la poule qui devenait de plus en plus grande et d’un noir de jais. Elles coururent au village pour informer les anciens.
Le chef du village ayant appris la nouvelle rassembla tous les chefs de clan de Tiendanite, Werap et Tendo. Chacun d’eux invita les membres de sa communauté pour se rendre au bord de la mer, y apportant leurs objets de la tradition pour une cérémonie nocturne. Ils y apprêtèrent aussi des noix de coco, des goyaves, des fruits à pain, des ignames pour offrir à cette étrange nature qui apparut dans leur milieu de proximité et de liberté.
Quand ils arrivèrent sur le lieu de l’apparition et de la contemplation, le chef fut stupéfait, frappé d’une vive émotion, il prit la parole, la salua, présenta les membres de sa communauté puis lui posa la question d’où venait-elle ? Elle répondit qu’elle vient du fond des eaux pour les aider à vivre en ce lieu si reculé du monde. Il lui offrit les offrandes qu’il jeta dans l’eau et mangea une bonne quantité avec le reste de chaque village.
A la fin du repas, la poule remua sa tête et ses ailes en forme de remerciements ainsi que sa belle queue qui produisit des vagues éclaboussant la population qui était sur le sable noir. Elle se recroquevilla sur ses pattes et pondit un œuf qui flotta de sa coquille blanche et reçut l’acclamation de la communauté. Elle le tira de son bec et le plaça sous ses grandes ailes. Le chef, portant ses deux mains ouvertes autour de la bouche, lui demanda encore si elle pouvait lui pondre d’autres œufs. Quand la puissance de l’écho fit le tour de la nuit puis se reposa au-dessus de la poule, sous la forme d’une belle nuée éclatante et scintillante, un calme plat envahit l’espace de la plage. Elle recommença l’exercice et arriva jusqu’à six œufs.
Dès cet instant, elle les couva, transforma l’eau de la mer en chaleur jusqu’à l’éclosion d’où l’on vit sortir trois poussins. Elle gloussa et firent la ronde devant les spectateurs et leur demanda de gagner le rivage. Dès qu’ils arrivèrent sur le sable, le Chef du village des Kanaks les prit et les plaça dans un panier d’osier tout en la remerciant. Il plaça une lampe torche pour les réchauffer avec quelques grains. Ensuite, elle pondit d’autres œufs d’où sortir des poissons qui sautillaient à la surface de l’eau sous l’acclamation de tous les membres du village. Ceux-ci aussi partirent vers le Chef qui prit dans ses mains, les jeunes fretins, les couvrit de câlins, les éleva aux cieux, les bénit et les jeta dans la mer pour se reproduire. Des acclamations fusaient de la foule pour honorer cette divinité ancestrale qui venait de voir le jour sur la terre des Kanaks. On la baptisa « Hienghène » qui signifie pleurer en marchant. Il demanda à la population de veiller sur le bord de la mer. Les hommes et les femmes cherchèrent du bois sec et firent un feu de campagne, vêtirent leurs habits traditionnels, fabriqués avec d’écorces, des feuilles et des fibres de cocotiers teintés, attachés autour des reins, la peau badigeonnée de poudre blanche. Il invita, Jocelyne et Élodie, les deux enfants témoins de l’apparition d’inaugurer la veillée de la soirée culturelle par d’élégants petits pas, chantant et dansant au son des bambous creux frappés au sol produisant différents sons folkloriques. La population rentra dans le cercle illuminé, s’exhiba toute la nuit jusqu’au lever du soleil pour rendre gloire à cet heureux évènement vécu offert par la grâce céleste.
De retour au village, la joie était grande, chaque chef de village de Tiendanite, Werap et Tendo partit avec un poussin pour l’élevage. Quand, les duvets cédèrent la place au plumage et que le sexe se fit connaître, deux femelles et un mâle sortirent du lot. A la maturité, les deux chefs qui avaient des femelles apportèrent leur poule chez celui qui avait le coq. Les animaux s’accouplèrent jusqu’à la ponte et à l’approche de la couvaison chacun emmena sa femelle chez lui pour attendre l’éclosion des poussins. Les propriétaires des poules donnèrent deux femelles à celui du coq pour sa solidarité à la contribution et la participation à la reproduction.
Le Chef, par ce grand signe, organisa sa communauté. Il trouva des boutures d’ignames, de taros qu’il distribua à toutes les femmes. Elles plantèrent et veillèrent jusqu’à la croissance de leurs tubercules quand les feuilles se flétrissent et devinrent jaunes. A la récolte, elles apportèrent leur production au chef qui célébra l’évènement par une grande fête populaire, dite « fête de l’igname ».
Après avoir passé une belle saison agricole pleine d’ignames, pendant qu’il dormait dans sa maison traditionnelle, en forme de ruche, surmontée d’une flèche faîtière en bois, symbolisant les ancêtres, il rêva d’une conversation avec la poule de Hienghène qui lui annonça que les eaux de la mer étaient poissonneuses.
Le lendemain matin, il informa toute la communauté qui descendit à la mer avec leurs filets et d’autres objets de pêche. Les hommes montèrent dans les embarcations des pirogues et à chaque coup d’épervier dans l’eau, ils ramenaient une grande quantité de poisson. Même les femmes qui plaçaient leur nasse dans l’eau pouvaient avoir du poisson, réalisant la promesse de la poule de Hienghène. Chaque famille avait trouvé une grande provision pour manger désormais à sa faim.
Un rite d’adoration fut institué pour adorer et honorer la poule de Hienghène, incarnation d’ancêtre Kanaks vivant dans l’eau qui vaut respect et considération envers toute personne habitant ou en séjour dans la Grande Terre.
Depuis lors, ce monument gigantesque est devenu le symbole généreux du peuple de la Nouvelle-Calédonie.
© Bernard NKOUNKOU