Vierge sans être vierge, Sophie, femme seule à la beauté pulpeuse, proche de la quarantaine, célèbre son anniversaire sous son signe zodiacal, après la rupture de sa vie conjugale médiocre, où elle n’a pas été totalement libre et heureuse dans les bras de son conjoint.
La fête du jour de sa naissance au lieu de prendre une allure de grande pompe est plutôt un symbole d’invitation simplifiée, limitée à sa voisine et à ses enfants. Une manière de faire son deuil. De déchirer et jeter le linceul des caprices maritaux. Elle allume de nombreuses bougies blanches de pureté pour exorciser ses malheurs et de couleur jaune de la paix pour asseoir la tranquillité de son cœur.
Un gâteau aux raisins secs, à la confiture et à la marmelade, cuit dans le four électrique, à température consignée sur le mode d’emploi, se partage entre toutes les mains avant de continuer l’élan de la joie dans un restaurant célèbre du vieux quartier historique et touristique de la ville où elle paye de sa poche toutes les commandes de différents goûts.
Le lendemain, elle se réveille avec une bonne humeur agréable et une mine joviale. Une toilette sans maquillage dans un pantalon Jean et un bustier accompagne son beau corps. Elle se démarque et se rend dans un salon spécialisé d’estampes chinoises pour apposer, à la partie supérieure de sa cuisse, un tatouage de fleur rose de l’amour, surmonté d’un lotus aux pétales blanches épanouies de sa nouvelle condition féminine. Un jeu et une attitude de liberté qu’elle ne pouvait pas se permettre dans les liens de son mariage. Elle intègre, en plus, le monde virtuel et s’inscrit dans de nombreux réseaux sociaux pour créer des relations amicales. Pour passer le temps. Pour se distraire et échanger. S’amuser avec les mots. Pour découvrir d’autres formes de sentiments venus d’ailleurs avec le feu et la puissance de l’audace en veillant à sa conscience.
Désormais, elle peut rire sans heurter un regard furibond et désapprobateur, à la pointe espiègle. La première photo de son profil, à peine, insérée dans l’encadré du coin en haut de sa page, a attiré, dans les minutes de son exposition, de mise en ligne, de nombreuses demandes d’amitié dont elle a l’embarras du choix entre les bons et les sincères, les courtois et les indésirables. Mais ne connaissant pas les intensions des uns et ne pénétrant pas les cœurs des autres, elle trie au sort en écartant les malchanceux ayant un nom trop long selon son critère d’élimination.
Sa boîte du réseau se remplit chaque jour. Elle est parmi les vedettes qui accrochent le plus grand nombre de candidats. En plus, elle est belle. C’est une fée. Une Vénus qui n’a pas de rides, à la bouche fine de poupée d’enfance, aux petits yeux de colibri et au doux nez, bon à caresser au toucher entre le pouce et l’index.
Devant chaque tableau de son existence se dessine un paysage d’activités. Ainsi, à l’approche des fêtes de fin d’année, elle va au centre communautaire le plus proche de sa résidence pour s’inscrire au panier de Noël. Elle y rencontre un homme d’un certain âge qui l’approche et s’intéresse à son physique. Celui-ci débute la conversation s’il peut s’asseoir à côté d’elle. Elle accepte élégamment en esquissant un sourire sur le fil conducteur de ses lèvres. Le temps de la parole oriente la causerie dans la sympathie de la vie de chacun. L’atmosphère est cordiale. L’échange ouvre une brèche à l’issue inconnue. Rendez-vous est pris.
Deux jours après, le bon monsieur vient frapper à la porte de son appartement et lui apporte des pommes jaunes d’un bel arôme cultivées dans les vergers américains.
Surprise de son cadeau, elle offre un bon whisky ramené de la cave de son défunt père pour être à la hauteur du geste ayant bouleversé ses attentes. Il commence à jeter un regard sur les différents objets qui ornent ses murs. Il apprécie son cadre vital d’une extrême propreté irréprochable comme un bateau de marins. Il s’engage en de multiples promesses allant par l’achat des vêtements, en passant par les chaussures, bijoux, parfums jusqu’aux provisions alimentaires pour ravitailler son frigo. Elle écoute religieusement la litanie d’objets qui la laisse imperturbable. Elle cherche à connaître l’âge de son interlocuteur. Celui-ci ne dit aucun mot et se réfugie dans le silence de la réponse car cet élément est substantiel chez Sophie. L’homme doit avoir en faisant jouer son imagination, en plus de l’âge de son père sinon celui de son grand-père, par la quantité des rides qui dévastent déjà le champ de son visage.
Peu à peu, le sujet change et perd la substance affective donnant naissance à un avorton sentimental. Plus aucun intérêt ne peut plus les maintenir. La chaleur de la visite s’éteint comme une flamme sans vigueur qui avale sa langue. Elle accompagne son pauvre prétendant au pas de la porte.
Dans l’après-midi, elle porte son pantalon Jean collé de plusieurs morceaux avec une belle chemise blanche, doublé de son parka et surmonté de son blouson. Elle empoche sa carte d’autobus, se dirige à l’arrêt du bus et se rend au vieux port pour regarder des pigeons et des mouettes qui aiment manger la mie de pain ainsi que des bateaux qui écartent les rocs et des blocs de glace sur la peau du fleuve.
A la fin de sa promenade, elle emprunte le vieux boulevard qui est envahi par de nombreux visiteurs qui se précipitent à l’entrée des restaurants pour le souper. Elle marche prudemment jusqu’à la gare routière pour prendre son bus de retour qui la conduit à destination.
Au moment de sa descente, un faux pas la déséquilibre. Elle glisse et tombe. Sa canne se détache de sa main droite. Un homme qui vient derrière elle, la prend de sa main et la relève. Il lui redonne son instrument de support et d’équilibre. Un étranger. Elle le dévisage. Lui remercie tendrement. Elle lui demande de l’accompagner jusque dans son appartement en l’aidant à gravir les marches de l’escalier.
Devant sa porte, elle cherche sa clef dans son sac noir et introduit gentiment son aidant de circonstance dans son logement. Son chat noir lui souhaite la bienvenue en balançant et frottant sa queue contre son pantalon. Un signe que Sophie interprète comme étant une adoption un peu rare chez son animal domestique. Un petit café de réception inaugure la rencontre d’assistance. Elle profite de sa présence par un courage inédit lui priant de la masser, à l’endroit du choc pendant sa chute car elle ressent une sensation de brûlure avec des effets douloureux. Elle l’invite dans sa chambre, porte sa culotte de gymnastique. Elle lui défend de regarder sa poitrine.
Après cette sollicitation, elle joue une musique douce, puis s’étend et s’allonge sur son lit en lui remettant un désinfectant. Jérémy prend la pommade du massage, l’étale sur la surface endolorie. Indication de précaution lui est donnée de le faire légèrement car elle avait subi une opération au genou.
Pendant que ses mains traversent la zone de souffrance, elle débite un flot de paroles qui lui procurent une douceur intense et immense. Elle l’épie et gémit: doucement ! Tu masses bien. Elle soupire et expire. Reprend son souffle puis remonte son autre pied qui forme une pyramide. Elle sourit et nourrit sa curiosité en lui demandant s’il a une femme. La réponse est négative.
Grande est sa satisfaction. Pleine est sa joie. Elle est heureuse. Trop heureuse car ses yeux irradient une grande lumière et laisse couler une petite larme d’affection mais aussi de bien-être et de bonheur qui glisse sous son soutien puis s’infiltre sous ses aisselles. Elle se relève et crée la surprise en descendant sa culotte pour lui montrer son tatouage avec le privilège qu’il est le premier homme à le voir. Mention spéciale lui est attribuée à cette marque de beauté faite à l’encre de chine sur sa cuisse brune. Jérémy trouve que cette exhibition est une provocation cachée, peu courtoise et osée de la part d’une femme. Mais sa timidité ne déclenche aucune réaction de profondeur sentimentale ou de quête amoureuse. Sa curiosité s’arrête à la limite de l’étonnement et ne traverse aucun plan de désir.
Après ce moment de soins de santé physique, elle le ramène au salon pour regarder un film pris en abonnement à la bibliothèque municipale. Le temps passe vite et tend vers le milieu de la nuit. Minuit. La moitié jumelle de la nuit. Les deux corps d’obscurité nés entre le crépuscule et les jambes de l’aube. Elle lui propose de dormir ensemble en récompense de sa vive sensibilité durant sa chute car elle a été très touchée de l’expression de sa sympathie, en plus du massage.
La nuit s’est passée en frère et sœur avec au bas du lit le chat noir même si, de temps en temps, elle a reposé sa tête sur la large poitrine de Jérémy pour prendre la chaleur du battement de son pouls par son oreille gauche, à son grand plaisir sans pourtant réveiller un quelconque désir.
Tôt le matin Jérémy quitte l’appartement à la pointe des pieds, à pas de velours et rentre chez-lui.
Sophie, habituée désormais d’internet entretient une correspondance régulière avec lui car sa proximité est plus sûre pour le voir à ses côtés et plus économique parce qu’elle n’a pas à acheter des cartes pour appeler un ami virtuel qui habite dans un autre continent. Mais elle conserve quand même toutes ses relations pour sa nouvelle vie afin de vibrer au même diapason que les femmes actuelles du monde.
De par son éducation, elle reste reconnaissante à chaque bien reçu, à chaque souvenir qui ne la laisse pas indifférente. Elle envoie à Jérémy un mail de promenade du soir pour lui tenir compagnie dans le but d’aller acheter des cadeaux. Lui aussi veut prendre des draps de lit pour recevoir sa marraine spirituelle qui vient de Paris. Elle se déplace jusque dans son appartement et lui réserve une surprise. Voulant lui remettre une carte de vœux. Elle ne la retrouve plus. Elle fouille toutes les poches de son sac. En vain ! Seule celle de son ancien prétendant aux pommes est en bonne place. Elle ne prend pas le temps de s’asseoir pendant une minute. Ils descendent l’escalier en colimaçon, gagnent la rue adjacente et transversale qui se prolonge en direction du centre d’achats.
La neige qui est tombée a laissé, par endroits, de la glace que le soleil et la pluie ont transformés en verglas. Il faut faire attention surtout qu’elle marche avec une canne. Il lui sert de troisième main de secours. Elle se rend à l’immeuble des personnes âgées pour déposer une carte de vœux. Jérémy émet un cri de jalousie car la tienne a été perdue par négligence sans nécessaire intérêt d’arriver à sa destination avec l’inconnu message contenu pour cimenter leur nouvelle amitié. Elle rattrape sa faute en lui déposant un tendre et chaleureux baiser à la joue pour le consoler qu’il a gagné sa confiance et l’estime de son cœur. Elle lui réserve une surprise. Un projet de vie future.
Dans le magasin, elle achète du linge et des jouets à offrir en cadeaux pour ses enfants et petits-enfants. Elle donne un paquet à Jérémy pour l’aider à transporter ses dons. Elle ne cesse de dire en route que cette sortie lui a fait énormément du bien et que si cela peut se répéter, elle en tirerait un grand profit. Tant qu’il y a la vie, l’espoir est permis. Je ne suis plus seule pour l’instant. J’ai cessé de pleurer car dans ma boîte électronique, je trouve toujours du courrier de consolation, des marques d’attention de la part des amis.
Au moment où il porte les bagages dans son appartement avant de se séparer, elle lui apprend qu’il est invité chez ses enfants et que sa compagnie serait la bienvenue. Il réplique : « Pourquoi vais-je être à tes côtés ? Tu comprendras sur place quand tu seras avec moi. Un câlin suivi d’une tape à l’épaule clôture la promenade.
Sophie appelle sa fille et raconte sa promenade avec Jérémy qu’elle a bien cheminé en coq et poule pour faire les emplettes de la soirée familiale. Elle exprime la soif et l’envie de vite le connaître car maman depuis fort peu ne cesse d’encenser à coups de téléphone son nouvel ami. L’étranger qui lui a témoigné une gentillesse sans bornes quand elle était tombée du bus.
Quand arrive le jour du rendez-vous, elle se rend au salon de coiffure pour défaire, nettoyer, laver et arranger ses cheveux. Il va passer la chercher chez-elle à 19 heures. Il ne va pas directement, il part acheter une carte d’appel pour avoir de la petite monnaie nécessaire pour payer le ticket du bus.
Entretemps, elle appelle chez-lui et laisse un message dans son répondeur. Quelques instants après, il sonne et madame l’accueille avec un parfum qui prend d’assaut ses narines. Les effluves ont une bonne senteur exotique. Elle est habillée avec beaucoup de raffinement d’une tête à chapeau perlé et des belles parures stylées comme une princesse partant aux noces d’une reine.
Descendant tous les deux, après la tempête de la journée et longeant les passages à piétons; la neige est curée par des engins du service d’entretien routier; le bus dans lequel, ils prennent place les laisse à l’arrêt proche de la destination résidentielle.
A chaque fois, Sophie rappelle à Jérémy pourquoi reste-t-il derrière plus distant au lieu de lui être proche bien que marchant avec une canne. Il répond de faire attention sur la neige; la peur de sa chute sur le verglas hante toujours son esprit car il avait porté le plâtre pendant plus de quatre mois.
Coïncidence, ils arrivent au même moment que sa fille qui vit à la frontière américaine. Elle reconnaît sa mère et s’écrie : Maman ! Je suis-là…Des embrassades accompagnent les poignées de mains suivies d’une brève présentation de Jérémy.
Sophie décharge sa fille et prend la poussette qu’elle monte jusqu’au troisième étage. Entre les marches de l’escalier, la conversation fuse en bonnes paroles et en éclats de rire.
– Maman, tu es bien habillée ?
– Oui, ma fille, c’est ma soirée qui inaugure une autre ère de ma vie. Je la veux une réussite pour ne pas décevoir Jérémy et de décoller avec de nouvelles ailes et des belles plumes de la liberté.
Franchissant le seuil de l’appartement, maman est accueillie chaleureusement. Elle a produit une ombre d’éclipse sur l’arrivée de sa fille qui n’a pas bénéficié de la même attention. Elle est tout feu, toute flamme. Sa main croise toutes les autres, escortant dans son élan, celle de Jérémy par une bonne note de sourire instantané chaque fois qu’elle rejoint la paume de ceux qui lui réservent la bienvenue.
Un verre de réception leur est proposé. Les goûts sont différents. Un léger commentaire de Sophie complète son compliment fait à Jérémy de la part de sa bru et de son gendre. La marraine et le parrain appuient les propos avec un zeste d’humour qu’ils forment un beau couple. Quand un léger sourire se dessine sur son visage, une étincelle de lumière s’échappe sur le regard de son étranger et sous le feu de l’admiration, un voile de bénédiction couvre le couple de sa radiance.
Le repas est fin prêt. Une dinde à la chair tendre cuit distinctement à feu doux et au four, recette de préparation de son fils en l’honneur de l’amant à sa mère pour donner un cachet particulier de convivialité.
Jérémy est encadré à table par le fils et le parrain. Deux hommes qui l’entraînent dans une conversation familière comme s’ils se connaissaient depuis fort longtemps. Elle s’intercale dans la causerie des hommes avec des bribes de mots pour apporter sa couleur féminine. Aucun veto d’interdit ne lui est infligé.
A côté du menu principal de la dinde, le second qui atterrit et surplombe la table est une recette portoricaine de la bru; du poisson assaisonné de coriandre, de muscade, de gingembre, de petits piments et de basilic. Un mets très exotique aux oignons en rondelles bien parfumés. Regard et sourire saluent cette contribution culinaire pour la jeunesse de son savoir-faire gastronomique. La marraine et le parrain s’étonnent que des mains d’artiste de leur filleul aient pu occuper une belle position du repas de la soirée. Le mariage est presque gagné dans la mesure où toutes les bouches ont apprécié avec appétit la succulence du poisson.
Dans cet appartement construit à l’étroit où chaque pas donne l’impression de heurter un objet, les pieds doivent avoir des yeux pour faire attention. Les fumeurs présents dans la salle demandent l’autorisation à Sophie s’ils peuvent allumer leurs cigarettes sans gêner la présence des non-fumeurs. Un coin du balcon est à leur disposition pour satisfaire le besoin du tabac. A chacun son goût et ses préférences dans la société.
Pendant ce temps, Jérémy anime le repas sur un sujet à caractère historique et culturel sur la table, objet et symbole de rassemblement introduit par la colonisation dont l’appellation en langue kongo et portugaise, se dit et s’écrit: »mesa », la table, répond à la même orthographe et traduit la même chose. Une belle évocation d’information ayant apporté une notion supplémentaire de la connaissance étrangère.
Sophie est fière d’avoir une bonne compagnie d’un homme qui sait intégrer un groupe quelconque par sa capacité à prendre la parole, à briser les silences, à plaire et à satisfaire. Un compagnon qui lui respecte avec son léger handicap que ne pouvait plus supporter son ancien mari mais qu’il accepte comme une condition accidentelle d’existence pouvant arriver à n’importe quelle personne dans la société.
Malgré la différence d’âge qui les sépare, il est doté d’une éternelle jeunesse qui force l’admiration auprès des femmes même les enfants qui sont dans la vingtaine paraissent plus vieux que lui avec son demi-siècle de vie. C’est un homme exceptionnel aux pouvoirs innombrables. Il ne boit pas trop d’alcool, sinon plus d’eau, ne fume pas, ne mange pas de gras; très cérébral qui passe plus son temps à des exercices d’ascèse durant lesquels – au-delà de la méditation – il purifie régulièrement son organisme et évacue ses déchets et toxines qui entraînent le vieillissement des tissus par un régime semi-végétarien.
Le repas se clôture par une surprise. Jérémy est déclaré l’homme de la soirée. Il reçoit de la main des enfants un cadeau pour sa meilleure contribution dans le milieu familial, pour tous les bons services d’assistance de dépannage et pour avoir comblé d’affection le cœur de leur maman qui, désormais, est heureuse depuis la séparation d’avec leur père, vit des moments de bonheur.
A son retour, il remercie les enfants et le couple de la marraine et du parrain pour l’honneur qui lui a été fait et de la place qu’il occupe maintenant dans le cœur de chacun des membres du noyau familial.
Parents et enfants se séparent. Ils sont reconduits chez eux par le bon couple des parrains jusque devant la résidence de Sophie pour peut-être continuer le reste du temps de la nuit.
© Bernard NKOUNKOU