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Canada: Ruée au chemin Roxham avant sa fermeture

mars 25, 2023
Des demandeurs d'asile font la file devant une petite cabane, le soir.

Des demandeurs d’asile se précipitent au chemin Roxham pour traverser au Canada avant la fermeture officiel. Photo : Radio-Canada/Xavier Savard-Fournier

L’annonce de la fermeture imminente du chemin Roxham a poussé des dizaines de demandeurs d’asile à effectuer sans plus attendre la traversée vendredi soir. Depuis minuit, ceux qui tentent d’emprunter le passage sont accueillis par des agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC).

Tôt samedi matin, des réfugiés se présentaient hésitants devant des agents postés devant le chemin Roxham. Ce n’est pas un point d’entrée officiel. Si vous traversez ici, vous serez arrêté, a fermement lancé à leur endroit un policier, devant les caméras de Radio-Canada.

Au petit matin, près de 270 migrants auraient tenté le passage après la fermeture du chemin Roxham, selon nos sources. Selon le protocole établi, ils ont été arrêtés et transportés au point d’entrée officiel le plus près, à Saint-Bernard-de-Lacolle.

Ils ont alors été interrogés par les agents des services frontaliers qui détermineront, selon l’examen de leur dossier, s’ils peuvent ou non entrer au Canada. Ceux qui ne répondent pas aux critères seront refoulés automatiquement aux États-Unis.

Des agents de la GRC déballent un nouveau panneau d'avertissement pour les demandeurs d'asile à la frontière entre les États-Unis et le Canada, au chemin Roxham, le samedi 25 mars 2023, à Champlain, dans l'État de New York.

Le poste-frontière irrégulier situé près du chemin Roxham est désormais fermé de manière permanente. Photo : La Presse Canadienne/Ryan Remiorz

Quelques heures plus tôt, avant le dévoilement d’un large panneau interdisant l’entrée au Canada aux abords du chemin Roxham, plusieurs demandeurs d’asile ont effectué la traversée.

C’est le cas de Pamela, une Congolaise de 37 ans. Lentement, mais sûrement, avec ses deux enfants et ses six valises, elle a réussi à gagner le Canada. Après avoir appris que le point d’entrée serait fermé à minuit, elle s’est précipitée pour pouvoir s’y rendre à temps.

Un Sénégalais rencontré sur place, qui est passé par le Brésil pour venir au Canada, a été l’un des derniers à arriver au pays par le chemin Roxham.

Il est presque minuit, a-t-il lancé, soulagé, à son entrée au pays. J’ai toujours voulu venir ici, pour mieux vivre que dans le pays que j’ai quitté où il y a beaucoup de problèmes. Des problèmes publics, politiques.

Des agents de la GRC devant des migrants au chemin Roxham.

Le chemin Roxham est officiellement fermé depuis minuit. Photo: Radio-Canada/Élyse Allard

D’autres ont eu moins de chance et n’ont pu se présenter avant la fermeture du point d’entrée que de milliers de demandeurs d’asile ont emprunté depuis 2017 pour se rendre au Canada.

C’est le cas d’un Pakistanais rencontré par Radio-Canada, dont le chauffeur de taxi s’est égaré en route vers le chemin Roxham. Il espère que les autorités canadiennes seront clémentes à son endroit. S’il vous plaît, aidez-moi pour que je puisse me trouver une nouvelle maison, a-t-il lancé.

L’espoir côtoie donc l’inquiétude chez ces demandeurs d’asile, dont le sort paraît on ne peut plus incertain. Des passeurs rencontrés se désolaient pour eux.

Une famille qui devait arriver d’Afghanistan demain et nous devions les retrouver à 11 h à Burlington, raconte un jeune homme, qui avait l’habitude de transporter des demandeurs d’asile avec sa voiture contre rétribution.

Où je vais les amener? Je ne peux les emmener nulle part. Ça va perturber beaucoup de choses. Les gens ont peur, car ils n’ont pas d’autres options, dit-il.

Ces gens ont vendu tout ce qu’ils possédaient pour aller au Canada et maintenant ils sont coincés, a lancé un autre passeur. Ce n’est pas bien ce qu’ils font.

Une victoire pour le Québec

La fermeture du chemin Roxham avait fait l’objet d’une entente entre le Canada et les États-Unis il y a près d’un an. Le premier ministre Justin Trudeau a finalement procédé à l’annonce vendredi soir, pendant la visite du président américain Joe Biden à Ottawa.

Des leaders politiques, tant fédéraux que provinciaux, ont applaudi cette décision, qu’ils réclamaient depuis longtemps. Le premier ministre François Legault n’a pas hésité à qualifier la mesure de très belle victoire pour le Québec.

Le Québec subissait les contrecoups de ces arrivées très, très importantes de demandeurs d’asile qui entraient de manière irrégulière. Ça créait une pression vraiment énorme sur les groupes qui accompagnent les personnes immigrantes pour faciliter leur intégration, a expliqué la ministre québécoise de l’Immigration, Christine Fréchette, en entrevue à RDI, samedi matin.

Ça créait une pression également sur les services gouvernementaux, en matière d’éducation, de santé, de services sociaux par exemple. Tout ça va être allégé avec la renégociation de l’entente [sur les tiers pays sûrs], car il n’y aura plus la possibilité de passer par le chemin Roxham […] Il fallait trouver une solution rapide et durable à ce problème-là, a ajouté la ministre Fréchette.

La ministre québécoise de l'Immigration, Christine Fréchette, devant de nombreux micros.

La ministre québécoise de l’Immigration, Christine Fréchette. (Photo d’archives) Photo : La Presse Canadienne/Jacques Boissinot

L’accord entre le Canada et les États-Unis compliquera effectivement les entrées irrégulières au pays en actualisant l’Entente sur les tiers pays sûrs. Celle-ci s’appliquera maintenant aux 8900 kilomètres qui séparent les deux États, en transformant toute la frontière commune en passage officiel.

Des milliers de migrants ont réussi à contourner la règle ces dernières années en traversant la frontière à pied à certains endroits non officiels, comme le chemin Roxham, en Montérégie.

En 2022 seulement, 39 171 personnes ont traversé irrégulièrement la frontière, selon le nombre d’interceptions faites au Québec rapportées par la Gendarmerie royale du Canada.

Dorénavant, ceux qui entrent illégalement au Canada par le chemin Roxham ou par un autre passage irrégulier pourront être arrêtés et expulsés du territoire dans les 14 jours suivants.

L’accord prévoit toutefois que le Canada accueillera 15 000 migrants dans la prochaine année par les canaux officiels.

Radio-Canada par Julie Roy – avec les informations d’Élyse Allard, de Xavier Savard-Fournier et de La Presse canadienne

Canada: Des milliers de demandeurs d’asile refusés dans la nature

mars 21, 2023

Ottawa ignore le nombre précis de personnes toujours au Canada, malgré une mesure de renvoi.

« Arrêtez. Il est illégal de passer la frontière ici ou ailleurs qu'à un point d'entrée », peut-on lire sur une pancarte, en français et en anglais.

Des milliers de personnes, qui ont vu leur demande d’asile être refusée au Canada ces dernières années, seraient toujours au pays malgré une interdiction de territoire. Photo: La Presse Canadienne/Ryan Remiorz

Que deviennent les demandeurs d’asile arrivés en grand nombre, notamment par le chemin Roxham, dans les dernières années, lorsque leur dossier est rejeté?

Cette question n’a pas de réponse évidente. Si certains ont été renvoyés, d’autres sont peut-être encore au Canada, indique Immigration Canada, tout en avouant qu’Ottawa est incapable de suivre la trace de ces migrants, devenus parfois des illégaux.

Selon des données fédérales, près de 52 000 demandeurs d’asile déboutés seraient probablement toujours au pays, même si leur dossier a été refusé.

Ces chiffres figurent dans des demandes d’information faites par des députés conservateurs au Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, dont Radio-Canada a obtenu copie.

Impossible, en réalité, d’avoir un chiffre précis. Cet inventaire peut être surdéclaré, est-il noté dans cette réponse d’Immigration Canada.

Lorsqu’un demandeur d’asile débouté ne confirme pas son départ du Canada, la mesure de renvoi n’est pas exécutée et le cas demeure dans l’inventaire des renvois, explique Immigration Canada, en soulignant que le système d’immigration du Canada ne permet pas l’arrestation et la détention proactives de toutes les personnes faisant l’objet d’une procédure de renvoi.

Un avion décolle de l'aéroport de Regina.

Ottawa organise des renvois sous escorte, par voie aérienne, dans certaines conditions. Photo: Radio-Canada/Matthew Howard

Pas de vérifications des départs

Il existe plusieurs types de renvois. Certains se font avec une escorte d’agents frontaliers, mais dans la majorité des cas, ces demandeurs d’asile déboutés doivent quitter le territoire par leurs propres moyens. Et aucun suivi précis n’est effectué.

« L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) n’est pas en mesure, à l’heure actuelle, d’indiquer avec précision le nombre de demandeurs d’asile déboutés qui ont quitté volontairement sans en informer l’ASFC. »— Une citation de  Extrait d’une réponse d’Immigration Canada

Le Canada ne fait pas de vérification de départ, regrette Stéphanie Valois, présidente de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration (AQAADI).

Elle-même ignore parfois la trajectoire de ses clients. Ça m’arrive que des personnes soient déjà parties, alors qu’on a un dossier ensemble. Avant une audience, je leur écris, parfois ils ne me répondent pas ou ils me disent qu’ils ont quitté le territoire canadien.

« On ne sait pas qui quitte le territoire. Ça pourrait être utile et plus facile pour tout le monde d’avoir un système qui collige toutes ces données. »— Une citation de  Stéphanie Valois, présidente de l’AQAADI

Certains peuvent aller aux États-Unis ou se faire émettre un document de voyage de leur pays d’origine sans que le Canada le sache, détaille cette avocate spécialisée en immigration.

Les renvois sous escorte minoritaires

Des renvois sous escorte ont lieu essentiellement pour des raisons de sécurité. Mais ils sont plutôt rares. Selon l’ASFC, ils représentent environ 10 % de tous les renvois exécutés. Habituellement, ceux-ci se déroulent par un vol commercial. Dans certains cas, les services d’un aéronef nolisé en sous-traitance peuvent être requis afin de pouvoir exécuter le renvoi sous escorte.

Un dossier refusé sur trois

Au cours des dernières années, le nombre de demandes d’asile a connu un bond important au Canada.

Ces personnes sont arrivées au Canada par voie aérienne, par le chemin Roxham ou ont fait leur demande d’asile dans un bureau fédéral, après être venues, par exemple, comme touristes.

Depuis 2017, près de 264 000 demandes d’asile ont été reçues par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés du Canada. Celle-ci est responsable d’étudier ces demandes.

Au fil des années, les taux d’acceptation de ces demandes d’asile oscillent entre 62 % (2016-2017) et 57 % (2019-2020). En moyenne, un dossier sur trois est refusé (31 % de refus entre 2016 et 2021), selon la SPR.

Pour ces derniers, la suite devient plus complexe et les procédures peuvent s’étirer sur plusieurs années.

Dans la grande majorité des cas, ces personnes peuvent faire appel de cette décision. Une demande de considérations d’ordre humanitaire peut également être faite, notamment si elles prouvent qu’elles se sont établies au Canada avec des enfants.

Un agent regarde des demandeurs d'asile

Plus de 100 000 personnes sont arrivées au Canada par le chemin Roxham depuis 2017.(Photo d’archives): (Charles Contant/CBC)

Des trucs pour ne pas être trouvés

Au terme de ces procédures, les demandeurs d’asile déboutés font l’objet d’une mesure de renvoi. Ils doivent alors, comme l’indique l’Agence des services frontaliers(Nouvelle fenêtre)quitter immédiatement le Canada dès que celle-ci entre en vigueur.

La décision de renvoyer une personne du Canada n’est pas prise à la légère, précise Karine Martel, porte-parole de l’ASFC.

« Toute personne devant être renvoyée du Canada a droit à une procédure régulière devant la loi et toutes les mesures de renvoi sont soumises à divers niveaux d’appel et d’équité procédurale. »— Une citation de  Karine Martel, porte-parole de l’ASFC

Mais toutes ces personnes visées par une interdiction du territoire n’ont pas quitté le pays. Certains ont des trucs pour ne pas être trouvés et peuvent compter sur les membres de leur famille et de leur communauté pour les abriter, explique Immigration Canada.

Certaines personnes peuvent avoir recours à d’autres identités pour éviter d’être repérées, reprend le ministère, tout en soutenant que les agents de l’ASFC mènent des enquêtes proactives pour tenter de localiser les personnes visées par une procédure de renvoi qui ne se présentent pas.

Le PCC veut plus d’expulsions

Le député de Charlesbourg - Haute-Saint-Charles, Pierre Paul-Hus, debout dans la Chambre des communes

Selon le député conservateur Pierre Paul-Hus, Ottawa doit organiser davantage d’expulsions. (Photo d’archives) Photo: La Presse Canadienne/Justin Tang

Le nombre de personnes quittant le Canada varie également selon la façon dont celles-ci sont arrivées au pays. Depuis 2017, Ottawa a renvoyé 36 360 demandeurs d’asile qui ont fait une demande de manière régulière.

Ce chiffre est bien différent pour ceux qui sont venus par le chemin Roxham. Depuis 6 ans, plus de 100 000 personnes ont emprunté cette voie pour entrer au Canada. Durant cette période, 2012 renvois concernent des demandeurs d’asile déboutés en situation irrégulière, révèle l’ASFC, sans donner plus de précisions.

Ces données agacent le Parti conservateur du Canada (PCC), qui réclame des mesures de la part du gouvernement Trudeau.

Nous voulons que ceux qui ont vu leur demande d’asile être refusée soient interdits de séjour et déportés s’ils ne quittent pas volontairement, clame le député Pierre-Paul Hus.

« Ceux qui ont été refusés doivent quitter le pays. Ils ne respectent pas les critères qui ont été établis. »— Une citation de  Pierre Paul-Hus, député du PCC

Dans les faits, toutes les personnes dont la demande a été refusée ne peuvent pas être expulsées à l’heure actuelle.

Durant la pandémie, le Canada s’était engagé à ne pas déporter de gens, rappelle la présidente de l’AQAADI Stéphanie Valois.

Même si des demandeurs sont refusés, ils peuvent aussi rester ici. Certains n’ont pas de documents de voyage et d’autres viennent de pays où l’on ne déporte pas les gens, souligne-t-elle.

Par exemple, le Canada a temporairement suspendu les renvois vers Haïti, le Mali, la République démocratique du Congo, l’Irak, l’Afghanistan ou encore la Syrie, le Venezuela et le Yémen, en raison de la situation sur place. De nombreux demandeurs d’asile, provenant notamment du chemin Roxham, sont originaires de ces pays.

Cette situation, qui s’ajoute à l’augmentation historique de demandeurs d’asile, inquiète le Syndicat des douanes et de l’immigration. Celui-ci souhaite avoir davantage de moyens et de personnel.

Ce qu’on pressent, avec l’accumulation des demandes d’asile aujourd’hui, c’est que la pression risque d’être encore plus grande au niveau des mesures de renvoi à effectuer dans quelques années, anticipe le président du syndicat Mark Weber.

« Si le gouvernement veut s’assurer que l’Agence puisse continuer à répondre au nombre croissant de dossiers de façon soutenue, il faut former plus d’agents. »— Une citation de  Mark Weber, président du Syndicat des douanes et de l’immigration

Il est donc important d’avoir le personnel nécessaire pour traiter les demandes dans un délai raisonnable, et éviter un arriéré de travail encore plus grand en bout de ligne, avance-t-il.

Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, n’a quant à lui pas répondu aux questions de Radio-Canada.

Avec Radio-Canada par Romain Schué

Un « ange gardien » bientôt expulsé du Canada

mars 23, 2022

Puisqu’il n’a pas travaillé durant la première vague de la pandémie, un préposé aux bénéficiaires d’origine algérienne n’a pas pu bénéficier du programme spécial de régularisation des demandeurs d’asile après avoir pourtant « tout donné ».

Malgré un emploi comme préposé aux bénéficiaires, Chemseddine Khafrabbi devra prochainement quitter sa femme et sa fille. Photo : Gracieuseté

Son rêve canadien s’apprête à prendre fin. De la plus triste et la plus brutale des manières.

Jeune père de famille et préposé aux bénéficiaires, Chemseddine Khafrabbi, 33 ans, n’a plus qu’une seule option devant lui : prendre son billet d’avion vers l’Algérie, pour éviter de repartir menottes aux poignets dans son pays d’origine. Un aller simple, sans retour.

Je suis si triste. Je ne peux pas laisser ma famille ici, lâche-t-il, la voix tremblante et les larmes aux yeux, après une nouvelle nuit passée au boulot dans une résidence pour aînés de Boucherville, ponctuée d’un passage dans les locaux de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), où on l’a informé de son renvoi prochain.

« Je n’ai jamais imaginé quitter un jour le Canada. J’ai une petite famille maintenant. Je suis venu au Canada pour changer de vie. Au Canada, on se sent protégé. »— Une citation de  Chemseddine Khafrabbi

D’ici le 16 avril, ce travailleur de la santé, arrivé au Québec en 2017, doit quitter le Canada. Malgré des dangers qui l’attendraient en Algérie et des menaces qu’il dit y avoir subies, Chemseddine Khafrabbi a vu sa demande d’asile être rejetée. Et même si une demande humanitaire est toujours en cours, les agents frontaliers lui ont donc demandé de quitter expressément le territoire.

Chemseddine Khafrabbi est préposé aux bénéficiaires depuis l’été 2020. Il travaille désormais dans une résidence pour aînés. Photo : Gracieuseté

Un programme de régularisation non accessible

Pourtant, son avenir aurait pu s’inscrire au Québec. À quelques détails près.

Père d’une petite fille de 3 mois, il a commencé, après la première vague de la pandémie, une formation pour devenir préposé aux bénéficiaires. Les besoins, à l’époque, étaient immenses et le gouvernement du Québec recherchait des milliers de travailleurs pour prendre soin des aînés.

Je voulais aider les gens, les personnes âgées. J’aime ça. Il y avait beaucoup de travail et de besoins, confie-t-il, en serrant dans ses bras sa petite Taline, dans un parc montréalais.

Rapidement, il trouve du boulot. Après un passage, dès août 2020, dans une agence de placement, il rejoint une résidence sur la rive sud de la métropole. Et assiste, avec espoir, au lancement d’un programme de régularisation visant ceux qui ont communément été appelés, par les élus politiques, les anges gardiens.

Problème, les critères d’accès sont stricts. Malgré le souhait explicite d’Ottawa et la pression de multiples organismes et élus d’opposition, le gouvernement Legault a refusé d’élargir ce programme à tous ceux qui ont travaillé au-delà du printemps 2020 dans le système de santé.

« Pour le moment, le MIFI ne prévoit pas une prolongation au Programme spécial des demandeurs d’asile en période de COVID-19. »— Une citation de  Émilie Vézina, porte-parole du ministère québécois de l’Immigration

Seuls ceux ayant cumulé plusieurs mois de travail à cette période, uniquement, ont donc pu postuler à cette initiative réservée aux demandeurs d’asile qui permet d’obtenir une résidence permanente.

Selon l’avocat Guillaume Cliche-Rivard, le renvoi de Chemseddine Khafrabbi est une décision qui n’a « aucun sens ». Photo : Radio-Canada

Un manque d’ouverture de Québec décrié

Poussette à la main, l’épouse de Chemseddine Khafrabbi peine à trouver ses mots.

C’est si injuste. Il a travaillé dans une période très difficile. Beaucoup de monde restait à la maison, refusait de travailler. Lui, il était présent durant la 2e, la 3e, la 4e et la 5e vague. Il a fait des heures supplémentaires, il a tout donné, confie Lynda Abdelli, elle aussi demandeuse d’asile et préposée aux bénéficiaires.

Leur avocat, Guillaume Cliche-Rivard, déplore le manque d’ouverture de Québec. Ce programme, c’est une belle chose. Mais il y a eu des efforts surhumains faits par des travailleurs durant toutes les autres vagues. Et ces gens-là, on les a oubliés. Chemseddine remplit tous les critères, il a l’expérience, il a cumulé des centaines d’heures, mais seulement après la première vague.

« S’il y avait eu une deuxième phase de ce programme, on n’en serait pas là. Malgré tout ce qu’il a fait, malgré nos besoins et les manques criants dans le réseau de la santé, on dit à un préposé de quitter le Canada. C’est un non-sens. »— Une citation de  Guillaume Cliche-Rivard, avocat en immigration

À ses yeux, des centaines, voire des milliers de travailleurs essentiels, dans tous les pays, pourraient prochainement subir le même sort. Il n’est pas le dernier, croit-il.

Si du jour au lendemain on retire du système de la santé au complet ou de l’économie canadienne l’ensemble des travailleurs essentiels sans statut, on va réaliser qu’ils sont beaucoup plus essentiels qu’on ne le pense. Il va y avoir des conséquences, des pénuries, des bris de service, estime Guillaume Cliche-Rivard.

Des milliers de renvois

Malgré la pandémie, de nombreuses expulsions ont été décrétées par le gouvernement fédéral au cours des derniers mois.

Entre mars 2020 et février 2022, « l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a exécuté 18 418 renvois, dont environ 11 299 étaient des renvois administratifs », indique Dominique McNeely, porte-parole de l’ASFC. Un renvoi administratif a lieu lorsque l’ASFC a été en mesure de confirmer par d’autres sources que l’étranger a déjà quitté le pays, précise-t-il.

En 2020, plusieurs manifestations ont été organisées pour demander la régularisation de ces demandeurs d’asile qui ont travaillé durant la pandémie. Photo : La Presse Canadienne/Graham Hughes

Un nombre de bénéficiaires en deçà des attentes

Au total, sur l’ensemble du pays, près de 6000 dossiers ont été déposés pour ce programme spécial, ouvert entre le 14 décembre 2020 et le 31 août 2021. Une grande majorité de ces demandes proviennent de l’Ontario.

Au Québec, un peu plus de 2000 demandes de sélection ont été reçues par le gouvernement provincial. Celles-ci représentent 4113 personnes.

En date du 4 mars, les dernières données disponibles, les trois quarts de ces dossiers ont été finalisés. Ainsi, 3326 personnes ont obtenu un certificat de sélection du Québec, une étape indispensable avant d’avoir la résidence permanente.

Ce chiffre est nettement en deçà, pour l’instant, des projections. Lors du lancement de cette initiative, la Maison d’Haïti évoquait l’idée de régulariser près de 10 000 travailleurs.

En juin 2021, il était estimé que le nombre global de personnes qui pourraient être concernées par une demande dans le cadre du Programme spécial des demandeurs d’asile en période de COVID-19 serait d’environ 4000 à 6000 personnes, incluant les requérants principaux et les personnes à charge accompagnatrices, souligne de son côté le gouvernement Legault.

C’est décevant, juge l’avocat Stéphane Handfield, qui, à l’instar d’autres experts, critique depuis des mois la bureaucratie à l’absurde.

Postuler à travers le Québec, c’est beaucoup plus complexe. On exigeait des documents originaux que les travailleurs n’avaient pas ou ne pouvaient pas avoir, car on est en pandémie, rappelle-t-il.

« On avait projeté l’image d’un programme beau et grand. On voulait remercier et reconnaître le travail de ces gens sur la ligne de front. Mais maintenant, on voit que ce n’était pas si grandiose. »— Une citation de  Stéphane Handfield, avocat en immigration

Ce dernier cite l’exemple d’un couple qui se bat avec l’administration québécoise. La conjointe remplit tous les critères, elle est préposée aux bénéficiaires depuis le début de la pandémie, mais l’agent d’immigration ne veut pas prendre en compte son expérience, car son mari est le demandeur principal de leur demande d’asile. On marche sur la tête, raconte-t-il.

Ce qu’on fait vivre à certaines personnes, ça n’a ni queue ni tête, regrette celui qui se présentera cet automne aux élections provinciales sous la bannière du Parti québécois. Beaucoup vivent dans l’incertitude, et c’est dommage.

Selon le ministère de l’Immigration du Québec, le délai moyen de traitement est d’environ 35 jours.

« Par contre, plusieurs demandes font actuellement l’objet d’un délai d’examen plus long, indique Émilie Vézina. En effet, plusieurs dossiers ont nécessité un examen plus approfondi et ont requis un complément d’information de la part du candidat pour permettre de rendre une décision, allongeant ainsi les délais. »

Avec Radio-Canada par Romain Schué