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Afrique du Sud : cinglant désaveu pour l’ANC

novembre 4, 2021
Le président sud-africain Ramaphosa assiste aux élections locales à Soweto, à Johannesburg, le 1e novembre 2021. © Sumaya Hisham/REUTERS

Au pouvoir depuis 1994, l’ANC enregistre le pire score électoral de son histoire. Il paye des années de gestion calamiteuse du pays.

Cyril Ramaphosa était présenté comme « la dernière chance » du Congrès national africain (ANC) pour sauver ces élections. Le chef de l’État, visage souriant imprimé sur toutes les affiches électorales, a passé le mois d’octobre sur les routes sud-africaines à faire campagne au nom de son parti. En vain. Avec seulement 46 % des voix à l’échelle nationale contre 54 % en 2016, l’ANC subit son plus gros revers électoral. Seize points ont même été perdus depuis les municipales de 2011 (62 %).

Surtout, l’ANC échoue à obtenir la majorité dans la plupart des métropoles sud-africaines. Ses résultats sont en chute libre à Johannesburg (-10 %), Pretoria (-7 %), ou encore au Cap (-7 %). Même Durban (-14%), bastion de l’ANC dans la province du KwaZulu-Natal, échappe à son contrôle avec un résultat sous le seuil de la majorité (42 %). « C’est un message sans ambiguïté qu’envoient les électeurs […] Les gens sont déçus par l’ANC », reconnaît le parti dans un communiqué. Et de citer la longue liste des griefs : lenteur à s’attaquer à la corruption, incapacité à assurer l’accès aux services de base et à gouverner correctement les municipalités.

Nouer des alliances

Le parti de Nelson Mandela devra se résoudre à nouer des alliances pour espérer gouverner par coalition. Un système qui avait joué en sa défaveur en 2016. En ralliant plusieurs petits partis, l’Alliance démocratique (DA), première force d’opposition, avait notamment mis la main sur Pretoria et Johannesburg. La razzia pourrait s’avérer encore plus importante si l’opposition fait bloc contre l’ANC.

Avec 30 % des municipalités en ballotage, « la politique des coalitions risque de devenir la clé des scrutins à l’avenir », analyse André Duvenhage, professeur en sciences politiques à l’université du North-West. « Ce n’est pas du tout dans notre culture ou notre histoire politique, on a besoin d’apprendre », poursuit-il.

La multiplication des coalitions résulte d’une baisse générale des voix enregistrées par l’ANC et la DA. Elle s’explique aussi par une fragmentation du paysage politique. Ce scrutin a vu s’affronter 325 partis et 1 500 candidats indépendants sur 95 000. Des déçus des grandes familles politiques qui veulent faire entendre leur voix autrement. « Voter pour les petits partis affaiblit la DA, ne jouons pas avec le feu », tentait de décourager John Steenhuisen, leader du parti dans un spot de campagne.

Discours anti-immigration

La DA est devenue une pépinière à dissidents. Trois de ses anciens porte-drapeaux ont bataillé contre elle lors de ce scrutin. Mmusi Maimane, ancien leader du parti devenu le défenseur des partis indépendants avec son mouvement OneSA. Patricia de Lille, maire du Cap (DA) de 2011 à 2018 et en concurrence avec GOOD, son nouveau parti. Et surtout, Herman Mashaba, maire de Johannesburg DA entre 2016 et 2019 et sensation politique de ce scrutin avec ActionSA, créé en 2020. À Johannesburg, il se place en troisième position avec 16 % des voix.

« Herman Mashaba est devenu un politicien de premier plan, il va influencer la nature des coalitions », prévient André Duvenhage. Cet entrepreneur jouit d’une certaine popularité liée au succès de ses produits pour cheveux « Black Like Me ». « Les gens le voient comme quelqu’un qui n’a pas besoin d’argent, qui ne va pas en voler car il a déjà son propre empire », résume la politologue Asanda Ngoasheng. C’est aussi son discours anti-immigration qui fait mouche auprès d’une population qui se sent en concurrence avec une main-d’œuvre étrangère, alors que le chômage atteint les 34 %. À Soweto, ActionSA récolte 21 % des voix, selon l’analyste Dawie Scholtz.

LES PERSONNES QUI SONT LOYALES À L’ANC ONT PRÉFÉRÉ NE PAS VOTER DU TOUT EN GUISE DE PROTESTATION

Concentré sur quelques villes, ActionSA ne pèse pas lourd à l’échelle nationale et n’est pas en mesure de déloger les Combattants pour la liberté économique (EFF). Le parti de Julius Malema gagne deux points à l’échelle nationale et confirme sa place de troisième parti sud-africain (10 %). Le commandant en chef Malema s’est dit « très heureux » de voir le rival ANC sous la barre des 50 %.

Le très fort taux d’abstention ne réjouit en revanche personne. La participation ne dépasse pas 45 % parmi les 26 millions d’électeurs enregistrés. « On note une apathie électorale depuis 2019, explique Paul Berkowitz de l’ONG The Third Republic. Le citoyen ordinaire souffre. Ce doit être un sentiment de futilité, de rejet, qui alimente cette apathie électorale. » Le dégoût de la politique a contaminé ce scrutin. « Même les personnes qui sont loyales à l’ANC ont préféré ne pas voter du tout en guise de protestation plutôt que de se tourner vers un parti d’opposition, relate Asanda Ngoasheng. Ces élections ne sont qu’un tir de sommation, avant le chaos qui verra l’ANC ne plus obtenir sa majorité habituelle à l’échelle nationale. »

Avec Jeune Afrique par Romain Chanson – à Johannesburg

France-Maintien de l’ordre: sévère désaveu du Conseil d’Etat à Darmanin

juin 11, 2021

Le Conseil d’Etat a infligé jeudi un sévère désaveu à Gérald Darmanin en annulant plusieurs dispositions phares du schéma du maintien de l’ordre, dont la technique de la « nasse » et l’obligation faite aux journalistes de quitter les manifestations.

« C’est formidable pour la liberté d’information », a réagi auprès de l’AFP Dominique Pradalié, secrétaire générale du Syndicat national des journalistes (SNJ). « Une fois de plus, le gouvernement se fait épingler pour non-respect des droits fondamentaux », se sont réjouis la CGT et le SNJ-CGT.

Tous se sont félicités que le Conseil d’Etat ait rappelé l’importance de la liberté d’informer.

Le ministère de l’Intérieur a promis en début de soirée que des « modifications seraient apportées » à son schéma du maintien de l’ordre pour « atteindre les objectifs du texte, tout en respectant les orientations de la décision du Conseil d’Etat ».

La plus haute juridiction de l’autorité administrative avait été saisie par des associations et des syndicats, notamment de journalistes, vent debout contre ce texte publié le 16 septembre et porté par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.

Dans un communiqué accompagnant sa décision, le Conseil d’Etat a rappelé que la technique de la « nasse » était prévue « pour contrôler, interpeller ou prévenir la poursuite de troubles à l’ordre public ».

« Si cette technique peut s’avérer nécessaire dans certaines circonstances précises, elle est susceptible d’affecter significativement la liberté de manifester et de porter atteinte à la liberté d’aller et venir », ajoutent les juges, en soulignant que le texte « ne précisait toutefois pas les cas où il serait recommandé de l’utiliser ». D’où sa décision de l’annuler.

C’est « une immense avancée pour tous les manifestants », a commenté auprès de l’AFP, Me Patrice Spinosi, avocat du SNJ et de la Ligue des droits de l’Homme (LDH).

Second revers

S’agissant de la presse, le Conseil a considéré que les journalistes « n’ont pas à quitter les lieux lorsqu’un attroupement est dispersé » et qu’ils n’ont pas non plus « l’obligation d’obéir aux ordres de dispersion » des forces de l’ordre.

« Les journalistes doivent pouvoir continuer d’exercer librement leur mission d’information, même lors de la dispersion d’un attroupement », a ajouté le Conseil. « Ils ne peuvent donc être tenus de quitter les lieux, dès lors qu’ils se placent de telle sorte qu’ils ne puissent être confondus avec les manifestants ou faire obstacle à l’action des forces de l’ordre ».

Les Sages ont estimé en outre que le « ministre de l’Intérieur ne peut pas imposer des conditions au port de protections par les journalistes ».

Dans une circulaire sur le maintien de l’ordre, ont-ils ajouté, le ministre ne peut « pas édicter ce type de règles à l’attention des journalistes comme de toute personne participant ou assistant à une manifestation ».

Le Conseil d’Etat a également rejeté l’accréditation des journalistes, qu’ils possèdent ou non une carte de presse, pour avoir accès au canal d’informations en temps réel mis en place lors de manifestations.

Cette décision constitue, en moins d’un mois, un second revers pour Gérald Darmanin après la censure, le 20 mai, par le Conseil constitutionnel de l’ex-article 24 de la loi sur la Sécurité globale.

Devenu l’article 52 de cette loi, cette disposition prévoyait de punir « la provocation à l’identification des forces de l’ordre », une nouvelle incrimination qui avait suscité une levée de boucliers des défenseurs des libertés publiques.

Le schéma national du maintien de l’ordre et la loi sécurité globale ont mobilisé l’automne dernier de nombreux détracteurs.

Début mai, une commission, présidée par l’ancien président de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme Jean-Marie Delarue et chargée d’apaiser les tensions entre médias et police, avait remis au Premier ministre Jean Castex son rapport assorti de 32 recommandations.

Parmi celles-ci figuraient l’annulation des accréditations aux journalistes pour couvrir une manifestation et celle de l’obligation qui leur était faite de dispersion en fin de manifestation.

Par Le Point avec AFP