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Soixante ans après le livre de René Dumont, l’Afrique reste à quai

février 18, 2023

Au lendemain des indépendances africaines, le pionnier français de l’écologie politique publiait un livre dans lequel il dressait un diagnostic sombre de l’avenir du continent. Six décennies plus tard, à bien des égards, ses conclusions demeurent d’actualité.

Des élèves dans la cour de l’Institut technique et commercial (ITC), à Kinshasa, le 10 août 2020. © Arsene Mpiana/AFP

En 1962, l’agronome français René Dumont publie L’Afrique noire est mal partie. Si l’auteur est bienveillant, il délivre néanmoins un réquisitoire méthodique sévère sur l’Afrique subsaharienne, condamnée au sous-développement par ses élites. Dans son diagnostic, il déplore l’absence de politiques agricole et éducative, et dénonce le poids de la corruption et du népotisme qui érodent les ressorts de la prospérité.

Ses réflexions provoqueront un scandale, tant la voix de René Dumont est à contre-courant de l’euphorie post-coloniale dominante à l’époque, qui prédisait un avenir radieux au continent africain. Le débat sera tranché par la suite, les analyses de Dumont s’avérant prophétiques et, plus d’un demi-siècle plus tard, elles sonnent toujours aussi juste.

Potentiel étourdissant

La première partie de l’ouvrage est consacrée à l’agriculture, caractérisée aujourd’hui par le sous-investissement et l’inadéquation des systèmes. Les rendements pâtissent des moyens rudimentaires, la moitié des productions vivrières est perdue, le cacao, le café, le coton occupent des masses d’agriculteurs pour un maigre revenu qui les détournent pourtant de cultures indispensables pour l’assiette.

Si le continent détient la majorité des terres arables inexploitées du globe, le secteur agricole ne réalise pas les performances que l’on est en droit d’espérer de lui au regard de son potentiel étourdissant. Dans l’alimentation, le recours aux importations est prépondérant, pour une facture annuelle dépassant les 50 milliards de dollars. Un phénomène d’autant plus surprenant que la région, en plus des terres, dispose d’une jeunesse abondante et désœuvrée.

La situation n’est guère plus réjouissante avec l’éducation, elle aussi dans le viseur de René Dumont. En dépit d’une démographie dynamique, les pays africains restent à la traîne. Selon les données de l’Unesco, près de 60 % des jeunes âgés de 15 à 17 ans ne sont pas scolarisés, et les chiffres de l’analphabétisme atteignent des proportions effrayantes. Sur les 10 pays ayant les taux les plus élevés au monde, 9 se trouvent en Afrique. Des statistiques aussi alarmantes que déprimantes, décuplées par les conflits armés et le désinvestissement dans l’éducation, perpétué par les autorités.

Objectifs irréalistes

La cohorte d’artisans des décennies perdues, pointée du doigt par Dumont, conserve des postes importants et il arrive que la présidence se transmette de père en fils. L’Afrique se distingue au palmarès des chefs d’État les plus vieux de la planète, leur renouvellement intervenant souvent de manière dramatique, imposé par un décès ou par l’armée. Les coups d’État qui avaient connu une légère accalmie de 1990 à 2010, réalisent un retour tonitruant en Afrique francophone, où on en dénombre une petite dizaine depuis 2020. Dans les différents baromètres, les fraudes électorales, le changement de constitution et la corruption tiennent toujours le haut du pavé.

En révélant avec brio tous ces handicaps, l’agronome prolifique avait un fil conducteur : la lutte contre la pauvreté. Sur ce plan, le constat est amer : tandis que la pauvreté a reculé dans le monde, elle a augmenté en Afrique. Le couperet tombe en 2018, quand la Banque mondiale déclare que « l’extrême pauvreté devient un problème essentiellement africain » et en 2021, la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), estime finalement que les objectifs de développement durable (ODD) fixés en 2030 pour les pays moins avancés sont totalement irréalistes. L’histoire reste à écrire et ce chantier est loin d’être entamé.

Avec Jeune Afrique

Serge Eric Menye

Par Serge Eric Menye

Fondateur de Grassfields Ventures

Canada-Québec: Sombre diagnostic sur la maîtrise du français au cégep

novembre 11, 2021

Accablé par la correction de travaux qu’il vient de terminer, Nicolas Chalifour peine à cacher son découragement. Ce professeur de littérature et de français constate pourtant que ses étudiants sont allumés, intelligents, mais le niveau de français d’un grand nombre d’entre eux est inquiétant, tout comme leur capacité à comprendre des textes complexes.

Deux étudiantes marchent vers le campus de Longueuil du cégep Édouard-Montpetit.

© Ivanoh Demers/Radio-Canada Deux étudiantes marchent vers le campus de Longueuil du cégep Édouard-Montpetit.

On a, dans nos classes qui nous arrivent du secondaire, et c’est fort comme expression, des analphabètes fonctionnels qui ont de la difficulté à percevoir l’ironie, par exemple, ou le sens figuré. Comment voulez-vous alors enseigner la littérature, la philosophie?», se désole ce professeur au cégep Édouard-Montpetit.

Nicolas Chalifour est convaincu que nombre de ses collègues à travers le Québec font le même constat.

Anne-Marie Tézine, qui enseigne comme lui le français et la littérature à Édouard-Montpetit, a elle aussi observé ce déclin de la maîtrise du français, en syntaxe et en lecture, notamment, au fil du temps.

Les générations qui ont grandi avec les réseaux sociaux, la technologie, Internet et tout ça ont plus de difficulté à lire des longs textes, plus ardus, remarque-t-elle. C’est plus difficile aujourd’hui de mettre au programme Notre-Dame de Paris ou Madame Bovary que ça l’était il y a 30 ans.»

Ce constat, des étudiants le font aussi. Chloé St-Pierre est la tutrice de huit élèves au Centre d’aide en français (CAF) d’Édouard-Montpetit. Elle a toujours eu de la facilité en français, ce qui lui permet d’avoir cet emploi tout en poursuivant ses études.

La jeune femme de 20 ans doit souvent expliquer des règles de grammaire et de syntaxe qui auraient dû être apprises au primaire et au secondaire.

Des réformes pédagogiques aux résultats décevants

La maîtrise déficiente du français au collégial n’a pas qu’un impact dans les cours de littérature, elle se fait sentir aussi en philosophie. Le vocabulaire limité de certains étudiants a un impact sur leur capacité à s’exprimer et à lire entre les lignes.

Les étudiants arrivent au cégep avec des trous, des manques au niveau de la compréhension des textes, constate Réjean Bergeron, professeur de philosophie au Cégep Gérald Godin. Les étudiants sont mal équipés pour rentrer dans un texte, le décortiquer et l’analyser.»

Le professeur, à la retraite depuis septembre, estime qu’il est de plus en plus difficile de résister à la tentation de baisser le niveau d’exigences face aux taux d’échec élevés.

Réjean Bergeron a écrit L’École amnésique, un essai portant sur les réformes éducatives introduites dans les dernières décennies au collégial, au primaire et au secondaire. Il y voit une explication à ce qu’il a pu constater dans ses classes au cours des ans.

Un problème aux multiples facettes

C’est au primaire et au cours des trois premières années du secondaire, surtout, que les notions de grammaire, d’orthographe et de syntaxe sont enseignées. Par la suite, les étudiants mettent en pratique ces règles de langue écrite et parlée. Mais quelque chose n’a pas eu lieu, semble-t-il, puisque les universités constatent que nombre de leurs étudiants ont besoin de soutien en français.

La doyenne de la Faculté de l’Éducation de l’Université de Montréal, Pascale Lefrançois, estime que l’amélioration du français passe par un rehaussement des exigences.

Pour réussir l’épreuve uniforme de français au collégial, on permet un maximum de 30 erreurs sur 900 mots, explique-t-elle. Donc, quand on arrive à l’université, il ne faut pas s’étonner que des étudiants commettent 30 erreurs dans un texte de 900 mots.»

Pour celle qui a été la championne du monde de la dictée de Bernard Pivot en 1990, il faut s’assurer que les élèves maîtrisent tous les éléments des programmes du primaire et du secondaire et qu’ils sachent les mettre en application.

Très concrètement, c’est d’être capable de relire son texte, se questionner, de remettre en question la construction de certaines phrases. Bref, de douter à bon escient pour être capable de chercher dans les ouvrages de référence et vérifier ce qu’on a écrit, résume-t-elle. Il faut outiller les étudiants à tirer profit des ouvrages de référence (et j’inclus le correcteur) pour être capable d’améliorer leurs textes.»

Pascale Lefrançois voit le verre à moitié plein, puisque les résultats à l’épreuve uniforme de français au collégial indiquent que les étudiants réussissent bien les critères relatifs au contenu.

Danielle McCann, ministre de l'Enseignement supérieur du Québec, lors d’une conférence de presse à l’Assemblée nationale.

© Sylvain Roy Roussel/Radio-Canada Danielle McCann, ministre de l’Enseignement supérieur du Québec, lors d’une conférence de presse à l’Assemblée nationale.

Un diagnostic attendu

Préoccupée par la maîtrise du français aux études supérieures, la ministre Danielle McCann a demandé un diagnostic à un comité d’experts. Il doit remettre son rapport à la fin de décembre.

Reste à voir comment le rapport s’attaque à la question. La qualité et la maîtrise du français dépendent en effet de nombreux facteurs : le contenu des programmes, la façon dont on enseigne la langue et dont on évalue les acquis.

Mais en cette ère de réseaux sociaux et d’instantanéité, l’environnement technologique a apporté de grands changements dans la façon de lire et d’écrire dans les dernières décennies, ce qui complique la tâche.

Le professeur de philosophie Réjean Bergeron espère que l’exercice mis en branle par la ministre de l’Enseignement supérieur ne se résumera pas à blâmer le primaire et le secondaire. Il estime qu’il faut sortir de la vision en silos.

On essaie de corriger des problèmes à la pièce en mettant des diachylons, des cataplasmes. Il va falloir se donner une corvée nationale, insiste-t-il, y aller sur le long terme : de la petite école, ensuite remonter au secondaire jusqu’à l’université. Qu’on cesse de ne s’en prendre qu’aux symptômes.»

Il faut prendre le temps qu’il faut, conclut-il, pour repartir à zéro.»

Le groupe de travail sur la maîtrise du français mis sur pied par la ministre McCann a le mandat de proposer des recommandations pour améliorer la réussite de la formation générale et la valoriser.

Le groupe de travail sur la maîtrise de la langue française déposera au ministère, le 31 décembre 2021, un rapport comprenant des recommandations.

Trois expertes reconnues s’attellent à cette tâche Godeliva Debeurme, professeure retraitée de l’Université de Sherbrooke, Marie-Claude Boivin, professeure à l’Université de Montréal, et Lison Chabot, directrice des études retraitée du Cégep Beauce-Appalaches.

Avec Radio-Canada par Anne-Louise Despatie 

Source : Cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann