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Avec « Les Impatientes », Djaïli Amadou Amal remporte le Goncourt des lycéens

décembre 3, 2020
Djaïli Amadou Amal, à Paris, le 17 novembre 2020

Déjà lauréate du prix Orange du livre en Afrique en 2019 et finaliste du Goncourt, la Camerounaise Djaïli Amadou Amal a remporté le Goncourt des lycéens avec « Les Impatientes », un roman qui met à nu les violences contre les femmes au Sahel.

L’hiver naissant n’a pas eu raison de ses tenues aux couleurs chatoyantes : ensemble pagne bleu roi électrique pour accueillir les journalistes de l’Agence France Presse (AFP), longue robe orange et or pour les photographes de Jeune Afrique… « C’est mon identité de femme peule et je l’assume », lâche Djaïli Amadou Amal dans ce grand éclat de rire cristallin, presque enfantin, qui ponctue la plupart de ses phrases.

Arrivée à Paris le 9 novembre en prévision de l’attribution, le 30 novembre, du prix Goncourt 2020, dont elle était l’une des finalistes, et le 2 décembre, du Goncourt des lycéens, qu’elle vient de remporter, l’écrivaine camerounaise multiplie les interviews avec les grands médias occidentaux et se plie de bonne grâce à d’interminables séances de photos. Elle vit pleinement la surprise d’être toujours en course pour le plus ancien mais aussi le plus prestigieux prix littéraire français. « Je vis les choses comme elles viennent, au jour le jour », confie-t-elle, consciente néanmoins de la charge qui pèse sur ses épaules. « Au début, c’était une simple histoire entre mon éditrice et moi. Désormais, c’est une histoire d’État [au Cameroun]. »

Violences faites aux femmes

Quasi inconnue dans les milieux littéraires occidentaux il y a encore quelques mois, Djaïli Amadou Amal s’est révélée grâce aux Impatientes, une fiction inspirée de faits réels qui met à nu les violences protéiformes que subissent les femmes dans la région du Sahel. Du mariage forcé au viol conjugal en passant par le harcèlement moral, la polygamie et les violences physiques, elle n’a rien omis, rien évacué de ces sévices qu’elle a, elle aussi, en partie supportés.

Tout commence par un mariage forcé arrangé par deux oncles : suivant la tradition, ils avaient sur elle les mêmes droits que ses parents biologiques. « Si tu refuses, c’est que tu n’aimes pas les tiens », lui assènent-ils. Le chantage affectif fonctionne : elle en aime un autre, mais devient, à 17 ans, la seconde épouse d’une personnalité locale de trente-trois ans son aînée. Un échec. Il la répudie. Elle se remarie ; c’est un nouvel échec : son deuxième mari est violent. Elle s’enfuit vers le sud du pays, à Yaoundé. Son entourage ne comprend pas : passe encore pour le premier mari, qu’elle n’avait pas choisi. Mais elle aurait pu se montrer patiente avec le deuxième, qui est si riche.

S’ENFUIR POUR SAUVER SA PEAU EST UNE FORME DE COURAGE »

On l’exhorte à la patience, c’est-à-dire non seulement en acceptant son sort, mais surtout sans se plaindre. « Je leur répondais par un proverbe peul : « S’enfuir pour sauver sa peau est une forme de courage. » Comme les héroïnes de son roman, Djaïli Amadou Amal a refusé de se soumettre et de se résigner à vivre un destin que d’autres avaient tracé pour elle.

En s’extirpant de ce parcours de vie qui aurait pu la cabosser, la mère de famille qu’elle est devenue réalise qu’il lui faut préserver ses filles de pareils tracas. Alors elle écrit. D’abord une autobiographie qu’elle conserve encore dans ses tiroirs. « L’écriture m’a d’abord servi d’exutoire puis elle a acquis une fonction préventive contre les violences. En montrant des femmes fortes dans un quotidien étouffant, je veux leur prouver qu’il est toujours possible de s’affirmer. »

Amoureux littéraires

Aux yeux de l’écrivain togolais Sami Tchak, Djaïli Amadou Amal est indomptable. Elle doit sans doute à son nouvel époux, Badiadji Horrétowdo, son regain d’énergie et de détermination. En septembre 2014, dans un article qu’elle leur avait consacré alors qu’ils venaient de publier chacun un roman, Olive Atangana, journaliste à L’Œil du Sahel, décrivait un couple d’écrivains fusionnel.

DANS LE NORD DU CAMEROUN, OÙ « LES IMPATIENTES » RENCONTRENT UN FRANC SUCCÈS, LES RÉACTIONS SONT DIVERSES

Djaïli Amadou Amal confessait réveiller parfois son conjoint à 3 heures du matin pour lui soumettre une idée de roman, « sans avoir peur de recevoir une gifle ». Lui, que certains appellent aimablement « le mari d’Amal », se disait « prêt à [s’]effacer chaque fois qu’elle est à l’honneur ». Sami confirme : « Badiadji Horrétowdo a deux passions : son épouse et la littérature. Amoureux littéraires, ils sont les premiers lecteurs l’un de l’autre. Chez eux, pas une once de rivalité ; à la place, une complicité très féconde pour les deux. »

Cohérente, Djaïli Amadou Amal a créé, parallèlement à son activité d’écrivain, l’association Femmes du Sahel, qui mène ce combat sur le terrain. C’est par ce bais que son éditrice, Emmanuel Collas, l’a fortuitement découverte, avant même de l’avoir lue. « Une belle rencontre, à travers et au-delà d’un texte. J’aurais pu mener le même combat. » Elle a donc décidé de le faire connaître en publiant Les Impatientes, qu’elle a totalement réédité « pour lui permettre de se frayer un chemin au-delà de l’Afrique ».

« Les Impatientes », Djaïli Amadou Amal, Emmanuelle Collas, 252 pages, 17 euros

Emmanuel Collas décrit une auteure attachante, dont le roman s’inscrit dans la lignée de ceux qu’elle défend, parce qu’ils allient l’intime et le politique, l’individu et sa communauté, la conviction et la résistance. Chez les siens, dans le nord du Cameroun, depuis que Les Impatientes rencontrent un franc succès, les réactions sont diverses.

Cible des traditionalistes

Il y a d’un côté ceux qui sont fiers de voir une femme oser s’exprimer sur des sujets dérangeants, éveiller une prise de conscience des milieux intellectuels. De l’autre, les traditionalistes lui reprochent une démarche stigmatisante. « Épouse adorée d’un monogame divorcé et mariée trois fois, Amal est le symbole des avancées enregistrées dans une communauté qu’elle veut présenter comme rétrograde », souligne l’un d’eux.  Ils l’accusent de monter en épingle des faits de société certes réels, mais très marginaux. « Toutes les familles abritent en leur sein des personnes éduquées, qui ne s’accommodent plus des mariages forcés et précoces, et qui ont un autre rapport au monde. »

ELLE SE SERT DE LA NOTORIÉTÉ QU’ELLE A DÉJÀ ACQUISE DANS SON PAYS POUR AIDER CEUX QUI EN ONT BESOIN. »

Djaïli Amadou Amal (ou son époux) nourrirait l’ambition de jouer un rôle politique de premier plan et ses livres n’auraient qu’une seule vocation : lui permettre d’occuper l’espace public et d’apparaître comme incontournable dans le champ social. Ils en veulent pour preuve « la mise en scène de son retour » dans sa ville de Maroua, après qu’elle a reçu le prix Orange du livre en Afrique.

Écrivaine féministe

Une controverse sans intérêt pour Sami Tchak. « Autant que sa beauté et son élégance, ce qui séduit chez Amal, c’est son grand cœur et sa sincérité. Elle se sert de la notoriété qu’elle a déjà acquise dans son pays pour aider ceux qui en ont besoin. » Il rappelle que cette grande admiratrice de Mariama Bâ, d’Ousmane Sembène et de Juliette Benzoni compte à son actif la création de 36 bibliothèques scolaires dans les coins les plus reculés du pays.

Écrivaine féministe opposée à toute forme d’aliénation de la femme, Djaïli Amadou Amal entend rester bien ancrée dans le réel après le Goncourt. Elle en ferait bien une fenêtre de plus ouverte sur les sociétés régies par un patriarcat brutal et violent. Sur la crise anglophone au Cameroun. L’occasion de campagnes de sensibilisation sur l’importance de l’éducation pour les filles. La possibilité d’ouvrir un foyer d’accueil pour femmes en détresse.

SUR LES TRACES DE LÉONORA MIANO ?

Elles ont toutes deux figuré dans les sélections du Goncourt, ont toutes deux remporté le Goncourt des lycéens, et pourtant il y a un réel décalage entre les deux, d’après Sami Tchak.
« Léonora Miano fait partie des rares écrivaines africaines dites intellectuelles. Elle est capable d’élaborer et de théoriser, au delà de la fiction, une véritable pensée. Personnalité d’une complexité extrême, elle ne peut être définie par un quelconque adjectif : à elle seule, Miano constitue une école.
Chez Djaïli Amadou Amal, c’est la sensibilité à fleur de peau. Elle s’exprime comme elle le sent et ne construit aucune théorie. On ne peut pas comparer deux auteures à partir d’une sélection. Tous les prix littéraires renvoient aussi à de la subjectivité. »

Avec Jeune Afrique par Clarisse Juompan-Yakam

Prix Goncourt : l’écrivaine camerounaise Djaïli Amadou Amal parmi les finalistes

novembre 4, 2020
L’écrivaine camerounaise Djaïli Amadou Amal a remporté mercredi 22 mai 2019 la première édition du prix Orange du livre en Afrique.

En 2019, « Munyal, les larmes de la patience » (éd. Proximité), de l’écrivaine camerounaise Djaïli Amadou Amal remportait la première édition du prix Orange du livre en Afrique. En 2020, ce même roman portant désormais le titre « Les Impatientes », réédité par la maison française Emmanuelle Collas, figure dans le dernier carré des romans sélectionnés pour le prix Goncourt. Prix dont la remise, prévue le 10 novembre, pourrait être décalée en raison de la fermeture actuelle des librairies.

Pour sa première édition, le prix Orange du livre en Afrique a récompensé mercredi 22 mai 2019 Munyal, les larmes de la patience (éd. Proximité) de la Camerounaise Djaïli Amadou Amal. C’est ce même ouvrage, paru sous le titre Les Impatientes (éd. Emmanuelle Colas), qui vaut aujourd’hui à l’auteure de figurer parmi les quatre finalistes du prix Goncourt aux côtés d’Hervé Le Tellier, Maël Renouard et Camille de Toledo.*

Avec ce troisième roman, après Walaande, l’art de partager un mari  et Mistiriijo la mangeuse d’âmes, l’écrivaine brise à nouveau les tabous en revisitant ses thèmes de prédilection : le mariage précoce et forcé, la polygamie et les droits des femmes.

Ce livre retrace le destin de Ramla, 17 ans, arrachée à son amour pour être mariée de force avec Alhadji Issa, un homme riche et déjà marié. Hindou, sa sœur du même âge, est quant à elle contrainte d’épouser Moubarak, son cousin, alcoolique, drogué et violent. Safira, 35 ans, la première épouse d’Alhadji Issa, voit quant à elle d’un très mauvais œil l’arrivée dans son foyer de la jeune Ramla, qu’elle veut voir répudiée.

Lorsque chacune désire s’opposer aux décisions que les hommes, maris, pères ou oncles leur imposent, un seul conseil leur est donné : « Munyal », qui signifie patience. Cette vertu cardinale de la culture peule, enseignée dès le plus jeune âge et répétée lors du mariage, est une forme d’assignation à tout supporter, y compris les pires violences. Contraintes d’obéir à cette injonction jusqu’à se mettre en danger, ces femmes deviennent ce que la société attend d’elles. Traditions, superstitions et interprétations religieuses les poussent à la soumission.

« Une voix forte, sincère, révoltée »

Le jury de cette première édition était composé de Michèle Rakotoson (Madagascar), Elizabeth Tchoungui, Kouam Tawa (Cameroun), Fawzia Zouari (Tunisie), Mohamed Mbougar Sarr (Sénégal), Yvan Amar, Valérie Marin La Meslée, ainsi que Nicolas Michel, romancier et journaliste, responsable des pages Culture de Jeune Afrique. Présidente du jury, l’écrivaine et poétesse ivoirienne Véronique Tadjo a salué un roman et « une voix forte, sincère, révoltée, servie par une langue qui porte sa culture ».

« L’auteure peint trois destins de femmes, qui nous immergent sans manichéisme dans l’univers étouffant d’épouses aux prises avec la polygamie et les pesanteurs de la tradition », a assuré Véronique Tadjo à Jeune Afrique. « La maîtrise de la construction narrative apporte un souffle nouveau à un thème qui pourrait sembler appartenir au passé, mais qui hélas est encore d’actualité dans beaucoup de nos pays », a-t-elle encore ajouté.

« Dynamiser l’édition africaine »

Pour cette première édition, étaient sélectionnés 59 livres, publiés par 39 maisons d’édition de 16 pays africains. Djaïli Amadou Ama s’est ainsi distinguée parmi une sélection où l’on trouvait notamment Chairs d’argile de la Marocaine Salima Louafa (Afrique Orient), « À l’orée du trépas » du Sénégalais Khalil Diallo (L’Harmattan Sénégal), Même pas mort du Marocain Youssouf Amine Elalamy (Le Fennec), La rue 171 de l’Ivoirien Pierre Kouassi Kangannou (Eburnie), et « L’amas ardent » du Tunisien Yamen Manai (Elyzad).

Cette sélection « reflète les grands enjeux contemporains à la fois universels et africains : religion, terrorisme, condition de la femme, gouvernance, écologie, parmi d’autres », a loué Véronique Tadjo.

Ce prix est destiné à « dynamiser l’édition africaine et à offrir aux auteurs plus de visibilité à l’intérieur comme à l’extérieur du continent », a encore ajouté la présidente du jury. La lauréate recevra ainsi 10 000 euros et bénéficiera d’une campagne de promotion de son ouvrage.

Avec Jeune Afrique par Mabrouck Rachedi