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L’ouest de la Côte d’Ivoire danse-t-il sur un volcan ?

mai 28, 2023
© Damien Glez

Si la pensée populaire enseigne que « le pire n’est jamais certain », l’inimaginable se réalise parfois. C’est ainsi qu’en ce mois de mai, la Côte d’Ivoire a connu une première expérience d’éruption volcanique, dans la sous-préfecture de Guehiebly, à 18 km de Duékoué, le chef-lieu de la région du Guémon. Une forte explosion a été suivie d’un tremblement du sol et de l’émission d’une lave vitreuse et noire écoulée sur trois mètres.

Face à cet événement inédit, la population a développé une sorte de psychose, craignant notamment, en l’absence d’une analyse scientifique complète, ces répliques telluriques, dont on entend régulièrement parler dans la couverture médiatique des grands tremblements de terre.

Guehiebly enregistre déjà des dégâts. Après une suspension de la fourniture du courant électrique, la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) a expliqué que le support métallique, qui maintenait la ligne de moyenne tension, avait fondu sous l’effet de l’éruption volcanique, perturbant ainsi l’alimentation électrique d’une dizaine de villages.

Début de psychose

En ce qui concerne les effets sur l’atmosphère, le directeur régional des Mines de Duékoué, Sanogo Souleymane, a demandé aux habitants de ne pas s’approcher à moins de dix mètres des lieux. Selon lui, la « saturation » de l’air pourrait être dangereuse pour les personnes vulnérables.

Si l’État ivoirien se veut rassurant et appelle au calme, la psychose conduit certains résidents à envisager de déménager de la zone. Le préfet du département de Duékoué, Ibrahima Cissé, appelle chacun à « faire confiance au gouvernement et au président de la République, Alassane Ouattara », tout en rappelant, lui aussi, qu’il est prudent d’éviter de s’approcher du lieu de l’explosion, en attendant les conclusions des experts. Des échantillons ont été prélevés par les services des pompiers.

Certains devancent les discours des spécialistes, en subodorant des explications mystiques à cet événement géologique inattendu. Le phénomène de volcanisme effusif pourrait être l’expression de la colère des ancêtres. Après cette alerte inédite, des sacrifices ont donc été pratiqués pour obtenir clémence…

Avec Jeune Afrique

Damien Glez

Par Damien Glez

Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.

À quelques kilomètres de Duékoué, une éruption volcanique inédite a suscité incrédulité et panique parmi la population.

Côte d’Ivoire : Laurent Gbagbo à Duékoué, où « les Ivoiriens sont devenus fous »

avril 11, 2022

L’ancien chef de l’État ivoirien s’est rendu, ce 8 avril, dans la ville de l’ouest du pays qui fut le théâtre de tueries attribuées aux forces pro-Ouattara lors de la crise postélectorales de 2010-2011.

Laurent Gbagbo, lors de son retour à Abidjan, le 17 juin. © Leo Correa/AP/SIPA

Depuis son retour en Côte d’Ivoire le 17 juin 2021, Laurent Gbagbo multiplie les actes symboliques et les clins d’œil à l’histoire. Son passage éclair à Duékoué, dans le cadre d’une grande tournée dans l’ouest du pays, appartient à cette dernière catégorie. Arrivé le 8 avril en milieu d’après-midi, l’ancien président s’est recueilli sur la fosse commune du quartier Carrefour, y déposant une gerbe de fleurs, avant d’animer un meeting devant des milliers de personnes. Il était accompagné de son épouse Nady Bamba, de plusieurs cadres de son parti, le Parti des peuples africain – Côté d’Ivoire (PPA-CI), et d’une délégation du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI).

Dans cette ville où s’est déroulée, en 2011, l’une des principales tueries attribuées aux forces pro-Ouattara, Gbagbo voulait-il réveiller les vieux démons, comme le lui reprochent certains détracteurs ? Dans son discours, l’ancien président a mis l’accent sur la réconciliation. « La paix en Côte d’Ivoire viendra du pays Wé, parce que ce sont les Wé qui ont le plus souffert », a-t-il déclaré.

IL Y A UN MOMENT OÙ LA CÔTE D’IVOIRE EST DEVENUE FOLLE, OÙ LES IVOIRIENS SONT DEVENUS FOUS

L’ex-président s’est aussi interrogé sur les raisons des graves violences survenues après l’élection présidentielle contestée de novembre 2010, sans s’épancher sur sa part de responsabilité. « Aujourd’hui, je suis venu pleurer, parce que ce qu’il s’est passé est indicible. […] Pour un petit conflit, il y a […] tous ces charniers que nous avons visités, ces nombreux morts. Je ne comprends pas et je souhaite un jour comprendre. Il y a un moment où la Côte d’Ivoire est devenue folle, où les Ivoiriens sont devenus fous. […] On ne peut pas chercher à se massacrer perpétuellement pour des petites questions […]. Les disputes postélectorales, et même pré-électorales, existent dans tous les pays. C’est ça la politique. Mais ce n’est pas pour ça ces milliers de morts.  C’est qu’il y a quelque chose qui a dérapé », a-t-il lancé.

800 victimes

« Ce n’est parce que l’on demande la paix et la réconciliation, que l’on ne veut pas savoir ce qu’il s’est passé dans notre pays afin que cela ne se reproduise plus. Le but n’est pas de remuer le couteau dans la plaie, mais d’apprendre de nos erreurs. Il faut restituer les faits et la réalité historique », a précisé Damana Pikass, le secrétaire général du PPA-CI.

L’ouest de la Côte d’Ivoire fut l’une des régions qui paya un lourd tribut lors de la crise. Verrou stratégique vers le port de San Pedro, la ville de Duékoué fut le théâtre d’un massacre qui marqua les esprits. Déjà, en 2005, des massacres avaient été perpétrés par des milices armées dans les quartiers de Petit Duékoué et de Guitrozon.

Tout bascule à nouveau entre le 29 et le 31 mars 2011, dans le prolongement de la crise postélectorale. Jusque-là bastion des milices pro-Gbagbo, ce carrefour de l’ouest ivoirien tombe aux mains des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), favorables à Alassane Ouattara. Des maisons sont incendiées, des cases pillées, des hommes, des femmes et des enfants assassinés. Selon un rapport du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), 800 victimes auraient été dénombrées par les hommes du contingent marocain de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci). Une fosse commune creusée par ces derniers à Carrefour, quartier des autochtones guérés, accueillera des corps ensevelis à la va-vite.

Ouérémi reconnu coupable

Depuis, les victimes demandent que justice soit faite. Chargée de faire la lumière sur les crimes de la crise postélectorale, la cellule spéciale d’enquête et d’instruction a divisé son instruction en plusieurs séquences. Un pan entier fut consacré à la prise de Duékoué par les forces pro-Ouattara. En 2014, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), qui s’était constituée partie civile avec d’autres organisations des droits de l’homme, a publié un rapport détaillant la responsabilité de plusieurs chefs de guerre dans ces massacres, notamment celle de Losseni Fofana, d’Eddie Médi et d’Amadé Ouérémi.

Arrêté le 18 mai 2013, le chef de guerre burkinabè a été condamné à la prison à vie en avril 2021 par le tribunal criminel. Il a été reconnu coupable de « crimes contre les populations », « pillages », « séquestrations », « coups et blessures volontaires » et « destructions de biens ». Le tribunal a alors suivi les réquisitions du procureur contre cet ancien réparateur de vélo né en 1964 dans le centre-ouest du pays, reconverti en planteur puis en trafiquant redouté, à la tête d’un groupe d’une centaine d’hommes basé dans la forêt du mont Péko.

Des comzones hors d’atteinte

Ce procès avait malgré tout laissé un goût amer aux organisations de défense des droits humains. Lors des débats, Adamé Ouérémi avait désigné l’ancien comzone de Man, Losseni Fofana, dit « Loss », et l’ancien commandant des FRCI de Kouibly, le lieutenant Coulibaly, dit « Coul », comme ses supérieurs hiérarchiques. « Je n’ai pas commandé, dirigé, donné d’ordres. Je n’ai pas sorti les fusils, pas donné les balles, pas demandé aux [chasseurs] Dozos de m’aider », avait-il soutenu à la barre. Malgré ce témoignage, ni Fofana ni Coulibaly n’ont été entendus lors du procès. Lors de leurs auditions respectives, lues par le président du tribunal, ils avaient affirmé ne pas connaître l’accusé avant son arrestation.

EN 2018, UNE AMNISTIE DÉCRÉTÉE PAR LE CHEF DE L’ÉTAT IVOIRIEN A PERMIS À PLUSIEURS ANCIENS COMZONES D’ÉCHAPPER À LA JUSTICE

Comme d’autres anciens chefs rebelles, Losseni Fofana a été inculpé en 2015 par la justice ivoirienne pour son rôle supposé dans les crimes commis pendant la crise, sans que cela ne débouche sur la tenue d’un procès. En 2018, une amnistie décrétée par Alassane Ouattara a permis à plusieurs anciens comzones d’échapper à la justice. Si aucun n’était nommé dans la décision prise par le chef de l’État ivoirien, les crimes pour lesquels ils étaient poursuivis étaient concernés par cette décision.

Depuis, la procédure est à l’arrêt et Losseni Fofana a poursuivi son ascension au sein de l’armée. En décembre 2021, il a été promu au grade de colonel-major. Après avoir dirigé le bataillon de sécurisation de l’Ouest (BSO), il avait été affecté début 2019 à la tête du 3e bataillon d’infanterie militaire de Bouaké, remplaçant Hervé Touré, alias « Vetcho », un autre ancien commandant de zone des Forces nouvelles de Côte d’Ivoire (FNCI).

Avec Jeune Afrique par Vincent Duhem

Côte d’Ivoire – Massacre de Duékoué : Amadé Ouérémi condamné à la prison à vie

avril 16, 2021
Amadé Ouérémi, ici lors de l’audience du 1er avril 2021, a été condamné à la perpétuité pour sa participation au massacre de Duékoué.

Amadé Ouérémi a été condamné à la prison à vie pour sa participation au massacre de plusieurs centaines de personnes à Duékoué en 2011. Mais en l’absence à la barre d’autres mis en cause, le procès, tant attendu et nécessaire par les victimes, semble incomplet.

Six jours de débats, 84 victimes parties civiles, 24 chefs d’accusation. À l’issue d’un procès qui s’est ouvert le 24 mars à Abidjan, Amadé Ouérémi a été condamné mercredi par le tribunal criminel à l’emprisonnement à vie pour son rôle dans l’attaque de la ville de Duékoué, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, les 28 et 29 mars 2011. Il a notamment été reconnu coupable de « crimes contre les populations », « pillages », « séquestrations », « coups et blessures volontaires » et « destructions de biens ».PUBLICITÉ

Selon la Croix-Rouge, plus de 800 habitants ont péri lors de cette charge sanglante sur fond de conflit politique et communautaire. Les témoins à la barre, des civils, ont décrit des scènes souvent insoutenables d’exécutions sommaires, de viols, de mutilations et d’incendies de leurs habitations.

Le tribunal a suivi les réquisitions du procureur contre cet ancien réparateur de vélo né en 1964 dans le centre-ouest du pays, reconverti en planteur puis en trafiquant redouté, à la tête d’un groupe d’une centaine d’hommes basé dans la forêt du mont Péko. « Un signal fort pour qui voudrait s’adonner à des choses pareilles à l’avenir », a prévenu le magistrat.

Dix ans après la promesse d’Alassane Ouattara de faire toute la lumière sur les crimes commis pendant la crise postélectorale, c’est la première fois qu’un homme considéré par la justice ivoirienne comme le chef d’une milice impliquée directement dans un massacre est jugé.

Comme un aveu de culpabilité

Tout au long des débats et à plusieurs reprises, Adamé Ouarémi a désigné l’ancien comzone de Man Losseni Fofana, dit « Loss », et l’ancien commandant des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) pro-Ouattara de Kouibly, le lieutenant Coulibaly,  dit « Coul », comme ses supérieurs hiérarchiques, ceux lui ayant ordonné de fondre avec ses hommes sur le quartier Carrefour, où se trouvaient des combattants pro-Gbagbo. « Je n’ai pas commandé, dirigé, donné d’ordres. Je n’ai pas sorti les fusils, pas donné les balles, pas demandé aux [chasseurs] Dozos de m’aider », a-t-il soutenu à la barre, dans un français souvent très difficile à saisir.

Un Casque bleu à Duékoué protège des civils réfugiés près de l’église, le 18 mai 2011.

PLUSIEURS TÉMOINS ONT ASSURÉ L’AVOIR VU PENDANT L’ATTAQUE, CE QU’IL A TOUJOURS NIÉ

« Pour toute défense, [l’accusé] a demandé pourquoi il est le seul à être jugé alors qu’il avait répondu à des ordres de Coulibaly et du grand patron “Loss”. Ces accusations sont pour nous un aveu, il reconnait avoir pris une part active dans ce massacre », a plaidé Me Mohamed Sanogo Pongathie, l’avocat de trois organisations de défense des droits humains et de 82 victimes, décrivant Adamé Ouérémi comme un « brigand du mont Péko » devenu « un soldat du FRCI ». Plusieurs témoins ont assuré l’avoir vu pendant l’attaque, ce qu’il a toujours nié, assurant n’être arrivé sur les lieux que plus tard.

Lors de leurs auditions, lues par le président du tribunal, Fofana et Coulibaly ont affirmé qu’il ne connaissait pas l’accusé avant son arrestation, le 18 mai 2013, par les troupes du bataillon de sécurisation de l’Ouest (BSO), dirigé alors par Fofana. Ce dernier a été inculpé en 2015 par la justice ivoirienne, avec d’anciens chefs rebelles, pour son rôle supposé dans les crimes commis pendant la crise, sans que cela ne débouche sur la tenue d’un procès. En 2018, une amnistie a permis à plusieurs anciens comzones d’échapper à la justice.

« Un procès en catimini »

« J’ai espéré, tant espéré, pour la manifestation de la vérité dans cette affaire, pour que les responsabilités pénales soient clairement établies, que ces hommes comparaissent. Je suis désolée que l’on veuille ici faire porter le chapeau à ce monsieur frêle et analphabète pour ce qu’il s’est passé comme atrocités le 28 et 29 mars. (…) Des ombres planent sur cette affaire. Il a été instrumentalisé, lui est tous les membres de sa communauté [Amadé Ouérémi est né de parents burkinabé et a vécu au Burkina Faso]. (…) On l’a laissé faire, on l’a laissé accomplir les choses, car telles étaient les intentions des Forces républicaines de Côte d’Ivoire et des commanditaires tapis dans l’ombre », a martelé son avocate, Me Roselyne Aka Sérikpa, lors d’une plaidoirie très musclée.

D’AUTRES AUTEURS DE CRIMES EXISTENT, IL FAUT LES POURSUIVRE

« Le procès Ouérémi donne l’impression d’un petit procès fait dans un coin, en catimini, alors qu’il devrait être le premier d’une longue chaine pour raconter la crise postélectorale et non l’impunité en Côte d’Ivoire », estime un observateur avisé qui suit ce dossier depuis longtemps. Se pose désormais d’après lui «un problème de timing » : « À l’heure où le pays fait face à un défi sécuritaire majeur dans le nord, personne ne prendra le risque de déstabiliser l’armée».

Si Issiaka Diaby, le président du Collectif des victimes de Côte d’Ivoire (CVCI) se réjouit de « cette décision [qui] va permettre de soustraire un auteur de crimes à la société ivoirienne », il souhaite maintenant que « la lutte contre l’impunité continue » : « Cette décision prouve que la justice ivoirienne peut mieux agir que la Cour pénale internationale, qui a acquitté l’ancien président Laurent Gbagbo. Mais d’autres auteurs de crimes existent, il faut les poursuivre. 

Avec Jeune Afrique par Florence Richard – à Abidjan