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Kenya : une écolière modèle… de plus de 90 ans

septembre 1, 2021
Ladybirds

À travers le parcours stupéfiant de Priscilah Sitienei, le cinéaste Pascal Plisson évoque dans « Gogo » le combat pour l’éducation des filles.

L’élève Priscilah Sitienei fait tout comme les autres écolières. Dans le petit bâtiment rudimentaire de l’établissement d’enseignement élémentaire de Ndalat, dans l’ouest du Kenya, elle porte l’uniforme de rigueur pour les filles à la Leaders Vision Primary School : chemise et jupe bleu ciel, pull vert, cravate rouge. Après avoir participé dans la cour au lever de drapeau quotidien, elle assiste aux cours assise à un petit pupitre de bois, au milieu d’une trentaine de camarades.

Elle est venue de son village pour rejoindre la classe préparatoire en 2014 et vivre dans l’internat. Afin, avant tout, d’apprendre à lire, à écrire et à compter. Et ce n’est pas toujours facile. La professeure lui reproche d’ailleurs parfois, sinon d’être trop espiègle, du moins de ne pas être assez attentive ou de ne pas travailler suffisamment. Alors qu’elle a atteint le niveau CM2 quelques années après les débuts de son cursus, elle risque donc, lui dit-elle, de rater son examen d’entrée au collège.

Ce qui se produira.

Montrer l’exemple

Une élève comme les autres ? Pas vraiment. Pas du tout même. Le directeur de l’école avait tout fait pour la décourager – il dit le regretter aujourd’hui – quand elle lui avait demandé de l’inscrire dans son établissement. En raison de son âge, peu banal assurément en la circonstance : car Gogo, c’est le surnom de Priscilah Sitienei, avait alors déjà plus de 90 ans !

Elle a aujourd’hui, à en croire sa carte d’identité, 98 ans, alors que sort ce long métrage documentaire qui porte son nom et qui rend compte au jour le jour de son parcours scolaire qui s’est achevé en 2018, l’année du tournage. On la suivra donc en classe dès le matin, penchée le soir sur les devoirs à faire pour le lendemain, en voyage scolaire dans une réserve d’animaux sauvages, chez les Masaï, ou dans le dortoir du pensionnat. Toujours prête à discuter avec ses camarades de classe plus de dix fois moins âgées.

DANS CETTE UNIFORME [D’ÉCOLIÈRE], J’AI PLUS D’ALLURE QU’UNE MAMIE AU VILLAGE

Pourquoi cette villageoise illettrée habituée à garder les vaches avant de remplir le rôle de sage-femme pour les futures mamans des environs a-t-elle décidé subitement, à son âge vénérable, de retourner à l’école ? Parce qu’elle était désolée de constater que les filles, encore maintenant, restaient souvent (comme à son époque) à l’écart de la scolarisation. Outre son envie, jamais assouvie, d’améliorer sa propre éducation, elle a donc voulu montrer l’exemple, en particulier à ses petites et arrière-petites filles. Et peu importe l’aspect incongru de sa décision et de ses conséquences : « Dans cette uniforme [d’écolière], j’ai plus d’allure qu’une mamie au village », dit-elle fièrement.

Le cinéaste, Pascal Plisson, a découvert cette incroyable histoire peu après avoir réalisé au milieu des années 2010 Sur le chemin de l’école, consacré aux difficultés pour scolariser les enfants dans diverses régions du monde et en particulier au Kenya. Bénéficiant de la confiance de ses producteurs après avoir obtenu un César pour ce documentaire attachant, il a donc voulu récidiver dans le même esprit en proposant un portrait de cette dame qui est une publicité vivante et exceptionnelle pour la défense de l’éducation des filles.

UNE HISTOIRE UN PEU TROP LISSE POUR NE PAS PARAÎTRE MISE EN SCÈNE AFIN DE SÉDUIRE LE PUBLIC OCCIDENTAL

Sans grands effets, sans commentaires, car les scènes tournées se suffisent à elles-mêmes, le film propose de belles images sur un parcours édifiant. Des images un peu trop belles sans doute : était-il nécessaire, par exemple, de s’attarder sur la majesté d’un baobab ou sur la découverte des lions par Gogo dans la réserve masaï ? Et une histoire un peu trop lisse pour ne pas paraître mise en scène de façon excessive afin de séduire en premier lieu le public occidental, sensible aux difficultés qu’affrontent les populations des pays du Sud, la gent féminine en tête.

Mais le propos de ce récit sous forme de leçon humaniste est il est vrai assez fort et exemplaire, comme l’est Gogo elle-même, pour qu’on ne critique pas outre mesure un film qui ne cache pas son aspect hagiographique.

« Gogo », de Pascal Clisson, est sorti en France le 1er septembre

Par Jeune Afrique avec Renaud de Rochebrune

Dans un village burkinabè, le rapt coutumier des petites écolières

août 19, 2016
Dans la classe de Yonli Bapougouni, le pupitre vacant où Taladi s’asseyait avant d’être enlevée. Crédits : Matteo Maillard
Yonli Bapougouni a compris dès le seuil franchi que quelque chose ne tournait pas rond. Le calme inhabituel de ses 33 élèves. Leurs yeux écarquillés. Surtout ce pupitre vide à la première rangée de sa classe de CM2. L’enseignant a commencé l’appel, avant d’être interrompu. « Monsieur, vous ne voyez pas qu’il manque Taladi ? », a lancé une jeune fille en se levant. « Oui je le vois bien, où est-elle ? », a répondu Yonli. « Monsieur, elle a été enlevée cette nuit. »

Aujourd’hui, 16 mai 2016, cela fait deux semaines que Taladi Combary, 14 ans, est portée disparue. Pourtant dans son village de Potiamanga à 10 km de Fada N’Gourma, capitale de la région Est du Burkina Faso, son absence ne couve aucun mystère. Tout le monde sait qu’elle est la victime d’un rapt coutumier.

« Cette pratique consiste à enlever une jeune fille vierge à sa famille et la mettre enceinte pour forcer un mariage, explique Kamimana Singbeogo, directeur provincial de l’éducation nationale et de l’alphabétisation de Fada N’Gourma. C’est un acte barbare aux conséquences terribles sur les plans psychologique, physique et social. »

Les filles scolarisées, premières victimes des rapts

Retenues prisonnières des semaines, des mois voire des années, les victimes sont violées par leur ravisseur. « Quand il se décide enfin à rendre la fille, les parents ont souvent honte de la reprendre, poursuit M. Singbeogo. Une fille enlevée qui a perdu sa virginité ne trouvera pas d’époux. Alors pour éviter le déshonneur de la famille, ils acceptent le mariage avec le ravisseur. La fille devient une mère et quitte l’école. Parfois on ne la revoit jamais. »

Deux mois et 4 000 km de route le long de ce « combat pour la vie »: la santé maternelle et infantile en Afrique de l’Ouest.

Deux mois et 4 000 km de route le long de ce « combat pour la vie »: la santé maternelle et infantile en Afrique de l’Ouest. Crédits : LE MONDE

Au Burkina Faso, le rapt est une pratique ancienne qui touche surtout les zones rurales. Dans la province de Gourma, 16 cas de rapt ont été répertoriés pour l’année 2014-2015. « Cette tradition est encore très présente chez les ethnies Mossi et Gourmantché dans l’est du pays mais on la retrouve aussi dans d’autres régions et peuples », précise M. Singbeogo. Elle est souvent le fait de jeunes hommes de plus de vingt ans, peu instruits, qui « voient d’un mauvais œil l’éducation des filles, poursuit-il. Ils ont peur qu’elles prennent leur indépendance car dans le milieu rural, école rime avec émancipation. Laisser leurs futures épouses à l’école signifie ne plus pouvoir les dominer ».

C’est après l’école que Taladi a été kidnappée par le cousin de son père, âgé d’une cinquantaine d’années, Ahadi Combary. Il lui a tendu une embuscade avec un complice, de la famille lui aussi. La nuit tombée, elle est sortie de la maison pour se soulager. Ils lui sont tombés dessus. Ahadi l’a chargée à l’arrière de sa moto et a démarré à travers champs. Le père de Taladi labourait. Il n’a rien pu faire.

Koagdia Combary, le père de Taladi dans sa case en périphérie du village de Potiamanga.

Koagdia Combary, le père de Taladi dans sa case en périphérie du village de Potiamanga. Crédits : Matteo Maillard

Rongé de remords, il se tient aujourd’hui à l’ombre d’un arbre. Koagdia Combary a la soixantaine, étique, peau poussiéreuse et chemise trouée. Son long corps tangue un peu mais garde une dignité raide. C’est la deuxième fille qu’on lui enlève mais la première fois que l’acte est perpétré par des membres de sa famille. « Quand on te voit comme un moins que rien, on se permet de te faire des choses horribles, c’est écœurant », lâche-t-il le regard furieux, en direction des deux frères du ravisseur pourtant venus témoigner en sa faveur.

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Impunité

Les ravisseurs visent souvent les familles les plus pauvres. Celles qui n’auront ni les moyens financiers de les poursuivre en justice ni les forces vives pour une opposition physique. Et sur les six enfants de Koagdia, le seul garçon qui aurait pu défendre sa sœur est un adolescent frêle et farouche qui se cache derrière l’arbre.

« Il arrive souvent que les ravisseurs soient des proches de la victime, avance M. Singbeogo. Des membres de la communauté, d’un village voisin ou comme dans ce cas, la famille élargie. » Diassibo et Dapoudi Combary, 32 et 47 ans, sont les deux petits frères du ravisseur. Ils sont venus s’excuser de l’attitude de leur aîné, le regard penaud. Ce n’est pas le premier forfait d’Ahadi. Il y a quelques années, il avait déjà enlevé une fille de Fada N’Gourma. Ils avaient réussi à le convaincre de la rendre rapidement.

Diassibo et Dapoudi, les deux petits frères du ravisseur, devant sa maison. Ce dernier a abandonné mère, femme et enfants pour fuir avec Taladi.

Diassibo et Dapoudi, les deux petits frères du ravisseur, devant sa maison. Ce dernier a abandonné mère, femme et enfants pour fuir avec Taladi. Crédits : Matteo Maillard

Mais cette fois-ci, il semble plus décidé. Ils sont allés le voir dans la case où il s’était retranché. Une bagarre a éclaté. Ahadi a menacé ses frères de mort s’ils essayaient de lui enlever celle-ci. « Nous ne voulons pas prendre le risque, disent-ils. Nous aussi avons des épouses et des enfants à protéger. » Ahadi a changé de planque. Personne ne sait où il a emmené Taladi.

Deux semaines qu’il a déguerpi de sa maison. Un cube en briques, situé à 50 m de l’école, « presque dans le domaine scolaire », précise Dominique Ouoba, le directeur de l’établissement. Là réside la mère du ravisseur et ses deux filles. Son épouse est à l’hôpital, enceinte, elle s’occupe aussi de leur fils malade. Les enquêteurs ont appris qu’elle était au courant que son mari tournait autour de Taladi. Il l’avait déjà amenée à la maison. Mais elle ne pouvait rien dire, « de peur que ça soit pris pour de la jalousie par les voisins », explique M. Ouoba. Dans un milieu polygame, ne pas vouloir de co-épouse, même très jeune, serait mal vu.

L’école de Taladi et à 50 m, au fond, la maison de son ravisseur.

L’école de Taladi et à 50 m, au fond, la maison de son ravisseur. Crédits : Matteo Maillard

Mariées à leur ravisseur

A vingt kilomètres de là, dans le village de Noirangou, deux jeunes filles ont recouvré leur liberté. Samira* 14 ans et Farida* 15 ans ont été enlevées l’année passée. Le même mode opératoire. Deux hommes à moto les ont interceptées. L’une allait au puits, l’autre était sur le chemin de l’école. Elles ont eu beau se débattre et hurler, « les femmes étaient au marché, les hommes au champ », glisse Samira d’une voix éteinte. « Personne ne nous a entendus. »

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Elle a passé 4 mois enfermée dans une chambre. « Il m’a dit qu’il voulait faire de moi sa femme, j’ai refusé, il a insisté sans jamais me frapper », confie-t-elle, évitant par pudeur de mentionner les viols. Plusieurs fois elle a tenté de fuir mais dans cet environnement inconnu, elle s’est perdue et on l’a rattrapée. Après l’avoir mise enceinte, le ravisseur l’a libérée. « Mon père était fâché contre lui et contre moi. Ma mère a voulu que je revienne à l’école. Je le voulais mais je n’ai pas pu. J’avais peur que mes camarades se moquent. J’avais honte. »

La mère de Taladi devant la hutte familial.

La mère de Taladi devant la hutte familial. Crédits : Matteo Maillard

Farida, elle, a passé 6 mois en détention. Elle connaissait son ravisseur de vue, « un garçon du village qui ne m’avait jamais parlé », dit-elle. Après sa libération, elle non plus n’est pas retournée à l’école. Ses parents ont dû accepter silencieusement la situation pour préserver « l’harmonie de la communauté », révèle le père. C’était une demande des sages du village : accepter de se taire, accepter cette union, en échange de 70 000 francs CFA (106 euros).

« Je n’ai pas pu faire autrement, je risquais de tout perdre, se désole-t-il. Ma fille n’aurait jamais trouvé de mari, nous aurions été conspués par la population, déshonorés, obligés de partir… Je leur en veux beaucoup. Ils ont pris la seule de mes deux filles qui était à l’école. Ils ont volé sa jeunesse et notre avenir. »

Il jure pourtant avoir « mené une guerre », contre les ravisseurs qui ont finalement été arrêtés par la gendarmerie. Quelques mois de prison, puis libérés. « La loi qui pénalise le rapt n’est pas très sévère », admet M. Singbeogo. Les accords et les punitions se font généralement entre familles dans les milieux ruraux car les juges craignent de froisser les traditions. « Ici la loi est vue comme pouvant casser le tissu social », conclut-il.

Aujourd’hui, Samira et Farida sont mères. Elles ont quitté le foyer familial pour vivre avec leur mari-ravisseur, des analphabètes pour qui elles doivent tout faire, jusqu’à composer les numéros de téléphone sur leurs portables. Nous souhaiterions les rencontrer. Farida se mure dans le silence. Samira détourne la tête. Pour elles, le risque est trop grand.